Le fond et la forme

Il y a quelques semaines, j’ai vu passer une vidéo qui appelait à  signer une pétition (pour le Pacte pour la Justice). La vidéo est poignante, puisque l’on y entend un père raconter la mort de son fils, agressé par une bande de voyous et tués à  coups de couteau (vous pouvez aussi voir la conférence de presse donnée récemment par l’IPJ et Joël Censier, le père de la vidéo). A l’origine de cette vidéo et de cette pétition, l’Institut pour la Justice.

J’ai signé cette pétition, et j’ai fait suivre sur Facebook. Un copain m’a invité à  lire la réaction de Maître Eolas : Attention manip : le « pacte 2012 » de « l’Institut pour la Justice ». J’ai été un peu interloqué à  la lecture de l’article de l’avocat-blogueur.

D’un côté, il est probable – c’est le domaine de compétence d’Eolas, et je lui laisse – que les avis portés contre la justice dans la vidéo sont faits à  l’emporte-pièce, et critiquables. Est-ce que pour autant le fond est condamnable ?

Il me parait important de distinguer la forme du fond.

La forme, ce sont les artifices rhétoriques, l’argumentation sans fin. Le fond, c’est d’analyser le sens de l’action de l’IPJ. Or, dès le début maitre Eolas condamne le sens de cette action. Dès lors, rien n’aura plus de valeur à  ses yeux puisque l’IPJ est classé dans la catégorie des faux-instituts manipulateurs.

La forme, c’est le jeu sur l’émotion pour faire bouger des lignes, la manipulation. Le fond, c’est une action pour augmenter le nombre de places de prison, et limiter la récidive. Notons au passage que l’on peut très bien voir la vidéo, prendre du recul car on est conscient que l’on joue sur nos sentiments, et néanmoins signer la pétition, parce que l’on juge que cela fera bouger les choses dans le bon sens. C’est mon cas. Commencer par se montrer comme le démonteur de la manipulation, c’est considérer que la plupart de ceux qui ont vu la vidéo n’ont pas cette capacité de prise de recul.

La forme, c’est la distinction faite par la justice sur le niveau de responsabilité des différents participants à  l’agression. Le fond, c’est de juger des actes comme il se doit. Maitre Eolas, qui a le Droit pour lui, explique que ceux qui n’ont pas porté de coups de couteau ne sont juridiquement pas considérés comme des meurtriers.

Notez que Joël Censier s’obstine à  parler au pluriel des meurtriers alors qu’il a été depuis longtemps établi que Samson G. a seul porté les coups mortels.

Cela me parait moralement discutable. La justice est là  pour faire appliquer la loi, c’est une chose, mais cette loi (ou cet ensemble de lois, de réglementations et de jurisprudence) est là  pour faire respecter un certain nombre de règles de juste conduite. Considérer qu’une bande d’agresseurs, en s’attaquant à  une personne seule, n’est pas en train de mettre en place une dynamique de meurtre, me parait tout à  fait discutable, voire choquant. On est responsable de ce qu’on dit, et de ce qu’on laisse dire. On est responsable de ce que l’on fait, et de ce qu’on laisse faire. Je comprends donc M. Censier quand il appelle ceux ont participé à  l’agresssion sans porter de coups de couteau des « meurtriers » ; et je crois qu’il a raison. C’est bien tout le sens de cette pétition, il me semble : ne pas fermer les yeux sur des actes qui sont inacceptables. Il est inacceptable de tolérer des agressions de ce type, quels qu’en soient les auteurs, quelles qu’en soient les victimes. Les actes commis sont grave, et ils méritent une sanction lourde.

La forme, c’est le jeu des acteurs qui défendent leurs points de vue : l’IPJ son action pour augmenter les places de prison, Maître Eolas qui se pose en défenseur du système existant. Le fond, c’est la prise de recul et les arguments. Le fond, c’est Eolas qui analyse et évalue la qualité du discours de la vidéo, et qui propose des arguments pour l’évaluer. Le fond, c’est l’IPJ qui oeuvre politiquement, et non pas juridiquement. Et le fond, c’est que le combat politique n’a pas besoin que de vérité pour avancer, mais aussi de force (c’est pour cette raison exactement que je suis un peu en retrait des jeux politiques).

Ce qui compte à  mes yeux, c’est le fond. Que vise l’IPJ ? Si ce qu’il vise est juste, alors j’accepte ce genre de pétitions. C’est aussi simple, et compliqué, que cela. Ce que Maître Eolas nous explique, c’est qu’il ne veut pas plus de places de prison (j’imagine, puisqu’il ne parle presque pas du fond dans son article). Pour ma part, et pour l’IPJ (je précise que je ne suis pas adhérent de l’IPJ), il en faut plus. Voilà  le vrai débat : que faisons-nous, collectivement, pour éviter les multi-récidives ? Comment fait-on, concrètement, pour éviter que des personnes dangereuses puissent nuire encore et encore ? Je n’ai pas beaucoup d’autres pistes que la mise à  l’écart (la prison) pour le court-terme, et l’éducation et l’amour (dans la famille) pour le long-terme.

Qu’a donc dans sa besace maitre Eolas qui lui permette de balayer d’un revers de manche le combat de l’IPJ ? Cela n’est pas visible dans son article – par ailleurs remarquable – de juriste. Car le fond de l’action de l’IPJ est politique, pas juridique.

PS : la forme, c’est aussi de mettre des liens vers les sites / blogs de ceux dont on parle. Maître Eolas n’a pas mis de liens vers la vidéo ou la pétition. Le fond, c’est qu’il méprise totalement l’IPJ, et cela se sent.


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