Mois : décembre 2018

  • De la démocratie en Amérique

    De la démocratie en Amérique

    J’ai eu la chance d’avoir un Kindle lors de mon dernier anniversaire. Du coup, je découvre les joies de la lecture facile dans le métro, ou au dodo. C’est léger un Kindle, et on peut facilement annoter des choses en lisant. Le premier livre que j’ai lu, c’est le formidable livre d’Alexis-Henri-Charles Clérel, comte de Tocqueville, couramment connu sous le nom d’Alexis de Tocqueville (1805-1859). Personnage de roman, issu de la noblesse, homme politique, philosophe, sociologue avant l’heure, c’est surtout une plume incroyable de clarté et de concision. Alexis de Tocqueville a fait un voyage pour aller observer le système carcéral aux USA naissants, mais il y a passé plus de temps, et en a rapporté un premier livre (1835) et un second (1940) qui dessinent une analyse sociale et politique des USA : « De la démocratie en Amérique ».

    Livre de référence de philosophie politique

    C’est un livre formidable, fondamental, et qui consiste en une sorte d’analyse d’une Nation naissante, les USA, comparée avec ce que Tocqueville connait, c’est-à -dire la monarchie française post-révolutionnaire, et l’émergence de la même société démocratique en France.
    Le livre est formidable pour plusieurs raisons, outre les qualités stylistiques déjà  évoquées : un esprit synthèse extraordinaire, un goût pour la précision factuelle, et la rigueur intellectuelle, une grande connaissance du sujet.

    Je ne sais si j’ai réussi à  faire connaître ce que j’ai vu en Amérique, mais je suis assuré d’en avoir eu sincèrement le désir, et de n’avoir jamais cédé qu’à  mon insu au besoin d’adapter les faits aux idées, au lieu de soumettre les idées aux faits.

    On sent que Tocqueville s’est réellement plongé dans le pays américain, dans sa culture, dans son histoire. Ce qui en ressort, si je devais résumer à  l’extrême :

    • la vague de fond de l’égalité qui est en train de transformer le monde. Ce que Tocqueville voit dans l’Amérique, c’est l’avenir des nations européennes. Il souligne à  la fois l’inéluctabilité du phénomène, son extrême proximité avec l’idée de liberté, et en même temps en décrit très bien les aspects potentiellement excessifs (tome 2 notamment avec le concept de tyrannie de la majorité).
    • la construction de la société américaine qui s’est faite sur une base locale, communale, c’est-à -dire dans une logique de subsidiarité ascendante. Les institutions de chaque Etat ne sont légitimes que pour remplir les fonctions que l’échelon inférieur, communal, ne peut assurer/gérer seul. La constitution de l’Union est dans le même esprit : le niveau national ne peut prendre la main que sur des sujets délégués des différents Etats vers le gouvernement national. Tocqueville y voit un puissant levier pour limiter le pouvoir, par son morcellement. J’y vois aussi un moyen simple pour éviter une centralisation excessive. Tocqueville insiste également sur le rôle que les citoyens jouent dans l’administration et la politique locale, bien plus qu’en France.
    • A titre personnel, Tocqueville voit dans tous ces changements, qu’il sent bien arriver aussi en France, à  la fois un progrès pour la liberté en général, mais aussi une régression pour la liberté de penser et d’expression : la fameuse tyrannie de la majorité rend presque infréquentable celui qui ne pense pas comme la majorité. Une fois une idée adoptée par la majorité, elle n’est plus discutable. Cela ne vous rappelle rien ?
    • Enfin, on peut lire dans « De la démocratie en Amérique » un plaidoyer pour une libéralisme subsidiaire assez large dans la société, sauf pour les aspects de politique extérieures. Par ailleurs, et sur de nombreux aspects, il me semble être un vrai libéral humaniste, et un vrai critique de l’utilitarisme, position dont je ne saurais être plus proche.Je reviendrai là -dessus dans un billet à  venir.
    • Tocqueville pensait que les bienfaits de la démocratie américaine résidait dans la tranquille et pacifique coexistence des individus, et la prospérité. Il voyait dans cet état de choses un monde d’où l’esprit de grandeur, et d’entreprendre de grands projets, aurait disparu. Je pense qu’il avait en partie raison, et en partie tort sur ce point : il avait une grille de lecture militaire, aristocratique, de ce qui est grand ou non. Les démocraties ont montré par la suite, grâce aux progrès de la liberté et de la technique, qu’elles pouvaient aussi secréter de grands projets, et de grandes entreprises.

    Grand auteur

    Au-delà  de ces quelques points, très subjectifs et réducteurs, je vous recommande très vivement la lecture de cet ouvrage majeur. Beaucoup de passages sont extraordinaires de lucidité, de rigueur morale et intellectuelle, et c’est un plaisir de chaque instant que de suivre cette analyse, et cette langue française magnifique. Personne ne peut comprendre ce qu’est la démocratie, sans avoir lu Tocqueville. Le mot de la fin à  l’auteur (une citation parmi des dizaines et des dizaines notées sur mon kindle) :

    Il existe une loi générale qui a été faite ou du moins adoptée, non pas seulement par la majorité de tel ou tel peuple, mais par la majorité de tous les hommes. Cette loi, c’est la justice.

  • Gilets jaunes : insaisissable peuple ?

    Gilets jaunes : insaisissable peuple ?

    Comme tout le monde en France, je me suis interrogé sur la signification du mouvement des gilets jaunes. Je m’efforce d’écrire ce billet pour me forcer à  résumer ce que j’en pense. Je ne prétends pas apporter un regard nouveau ou original sur le sujet.

    En préambule : je précise que je ne parle que des Gilets Jaunes. Pas des insupportables racailles de banlieues qui viennent systématiquement utiliser les rassemblements pour piller et agresser la population. Ni des Black-blocks, que je mets dans le même panier. La place de tous ces haineux est en prison.

    Qui sont ces Gilets jaunes ?

    Cela étant posé, il est vrai que le mouvement est difficile en partie à  saisir : protéiforme, multi-revendications, très suivis donc en train de subir des tentatives de récupérations de tous les côtés de l’échiquier politique. C’est intéressant, car le soutien de nombreuses personnalités politiques et intellectuelles au mouvement permet de se rendre compte de certaines caractéristiques intrinsèques. Ce mouvement a démarré par une exaspération liée à  la hausse des taxes sur le carburant. C’est un mouvement populaire, spontané. Le Manifeste des gilets jaunes pour la France, qui circule sur Facebook me semble en saisir assez bien l’essence (« Marre du mépris »): rejet des élites (politiques et médiatiques), affirmation d’un peuple et de son identité, des terroirs, rejet de l’immigration massive et subie, rejet de la finance mondialisée. J’y retrouve assez bien le peuple que l’on ne voit pas dans les éternelles discussion entre « centre ville » et « banlieues ». Le peuple des moyennes et petites villes, le peuple de la campagne. Le peuple qui parle de quelque part, ancré.

    Bien sûr, il y a de multiples modèles mentaux, et perspectives, pour analyser et comprendre ce qui se joue. Bien sûr, chacune est en partie réductrice. Mais, voilà , j’ai à  vous proposer une analyse toute bête qui simplifie la question. A vous de me dire en commentaires si elle est simpliste ou non, et sur quels points…

    La colère est légitime

    Ma théorie est simple : la colère qui s’exprime dans le mouvement des gilets jaunes est une colère légitime, et qui parle du réel. Elle est en opposition avec des « élites » qui, avec tout un enrobage rhétorique, sont dans une forme d’idéologie permanente, d’utopie. Les gilets jaunes expriment une colère qui n’est pas neuve : elle couve depuis des dizaines d’années. Et j’ai la faiblesse de croire que deux éléments de la réalité rattrapent simplement le monde politique, via la colère des gilets jaunes, et le bon sens populaire. Je soutiens sans réserve les gilets jaunes, au titre de ces deux éléments, qui sont deux sujets connus de tous, mais qu’il est de bon ton de ne pas trop évoquer en société : c’est grossier de dire la vérité. Je vais donc l’écrire de manière très basique, très simple. Tout cela est connu, il y a des tonnes de livres et d’articles qui décrivent ce réel depuis longtemps. Ensuite, il y a ceux qui veulent voir, et ceux qui ne veulent pas voir.

    Identité vs multiculturalisme

    Le peuple a compris que le multiculturalisme est une impasse. On ne peut pas construire de force une culture abstraite, qui nie l’histoire, les traditions, les coutumes, des peuples. Se cristallisant par moment – et pour cause ! – sur l’islam politique, ce débat est plus vaste, et concerne simplement notre identité française. Nous sommes un pays occidental, judéo-greco-romano-chrétien. Nous sommes libéraux et universalistes. Dans notre pays, on est tolérants, libres de croire ou de ne pas croire, et les citoyens sont égaux devant la Loi. C’est simple, mais ça nous a pris plus de 2500 ans pour en arriver là . Ceux qui n’aiment pas ce qu’est la France sont libres d’aller vivre ailleurs. Il est temps de lire Levi-strauss, Braudel et Huntington.

    Liberté vs constructivisme

    Le peuple sait bien que l’Etat occupe une place beaucoup trop importante, délirante, dans la vie des citoyens. Réglementations étouffantes, fiscalité confiscatoire et incohérente, dépenses publiques mal évaluées, endettement honteux, nombres de fonctionnaires délirant. Cela nuit à  la liberté d’action, au niveau de vie du pays, cela créé du chômage, cela empêche la prospérité. La société ouverte et libre, c’est une société de coopération généralisée, via la division du travail et le partage du savoir. Il est grand temps que les idéologues/parasites qui veulent imposer un ordre social aux autres, d’en haut, disparaissent du jeu politique. Il est grand temps de comprendre que Von Mises et Hayek sont des penseurs mille fois plus justes que Marx.

    Fin du coup de gueule.

    Le peuple n’est insaisissable que l’on si l’on ne veut plus le regarder en face, ainsi que la réalité dans laquelle il est plongé. J’espère sincèrement pour Macron, et son gouvernement, que son allocution de ce soir sera pertinente, et parlera de ces deux éléments de la réalité, frontalement, sans faire du bla-bla de politicien. Je n’en suis pas sûr du tout.