Résultats de recherche pour « islam »

  • Illibéralisme ?

    Illibéralisme ?

    Le dernier numéro de l’Incorrect est probablement le meilleur depuis le début. Il tape très fort en mettant l’accent sur ce qui se passe dans les pays de l’Est, et avec des interviews d’Eric Zemmour et Boualem Sansal. Et il m’a bousculé : dès l’édito de Jacques de Guillebon, La muselière, apparaît le mot illibéralisme. C’est un point de controverse récurrent avec mes amis de L’Incorrect : je suis le libéral de la bande, et ils n’entendent pas la liberté comme je l’entends.

    Bien sûr, il ne s’agit pas d’un tic de langage. Il s’agit d’un des thèmes mis en avant par Viktor Orban dans ses discours. Dire qu’il a théorisé l’illibéralisme, c’est tout de même un peu fort ; disons qu’il utilise le terme, et qu’il y a un mis un contenu. Le numéro du magazine m’a donc bousculé, énervé, et finalement m’a forcé à  réfléchir. Ce qui est le meilleur compliment que je puisse faire à  l’équipe de rédaction.

    Le libéralisme, bouc émissaire ?

    Raymond Boudon utilise également le terme illibéralisme pour désigner « cette théorie latente, souvent présente à  l’état semi-conscient, selon laquelle toute relation sociale conflictuelle serait un jeu à  somme nulle. Ce prisme d’analyse, très couramment utilisé, ignore qu’une possible coopération se cache derrière tout conflit […]». Rien à  voir, ou pas grand-chose avec ce dont il est question ici.

    Les opposants affichés au libéralisme font une sorte de gloubiboulga pour mettre sur le dos du libéralisme, tour à  tour : le consumérisme, la marchandisation du corps humain, l’abandon des frontières, Le libéralisme est devenu le bouc-émissaire idéologique par excellence.la perte d’identité. Et pourquoi pas la destruction de la planète, pendant qu’on y est ? Quelle boutade ! C’est la logique du bouc-émissaire, si bien décrite par René Girard : le libéralisme est devenu le bouc-émissaire idéologique par excellence. Comme l’avait bien décrit Christian Morel : quand il y a un problème, soit on cherche un coupable, le bouc émissaire, que l’on sacrifie pour exorciser le mal, soit on se comporte de manière rationnelle, et on cherche la manière de modifier nos modes de fonctionnements pour que le problème ne se pose pas à  nouveau dans quelques temps.

    Il est probablement commode de choisir le libéralisme comme bouc-émissaire. C’est surtout commode quand on vit dans une société dont le mode d’organisation, pacifique, ouvert, tolérant, libre, avec une égalité des citoyens devant la loi, doit à  peu près tout au libéralisme, et permet de dire à  peu près tout et n’importe quoi. Mais scier la branche sur laquelle on est assis n’a jamais constitué une manière adéquate de se comporter. Par ailleurs, choisir le libéralisme comme bouc-émissaire, c’est lui donner un caractère sacré, presque divin, qui n’est absolument pas juste intellectuellement. S’il y a une pensée rationnelle, peu idéologique, c’est bien le libéralisme. Sa vertu et sa cohérence doit probablement attiser des jalousies.

    Quelle est la fonction du bouc émissaire ? Celle d’expier les fautes pour le groupe, et de stopper la propagation de la violence. Ne sous-estimons pas les faits : le besoin et la recherche de bouc émissaire correspond à  une période sociale difficile, violente. Quelle est cette violence qui nécessite un bouc émissaire idéologique ? La vraie violence de la société d’abord, bien sûr. Les attentats. Le désarroi idéologique aussi, il me semble. Dans un époque où la vérité devient si difficile à  dire et à  discuter, où l’esprit rationnel et critique est si peu présent dans la société, il est probable que cette logique de victime expiatoire soit naturelle. Naturelle, mais dangereuse, car elle entretient une forme d’illusion de réglage des problèmes. On ne règle rien par la violence, et surtout pas dans la logique de bouc émissaire.

    Mais ça ne prend pas : intellectuellement, tout cela est du pipeau. Comment expliquer qu’il y a trop de libéralisme, dans un pays où l’état est omniprésent ? La libéralisme, c’est le respect de l’ordre spontané, la cattalaxie. La libéralisme, c’est la subsidiarité. Il n’y a pas grand chose dans la France de 2018 qui ressorte d’un excès de libéralisme.

    Est-on illibéral parce qu’on veut affirmer l’identité culturelle et historique de son pays ? Je ne crois pas, d’autant plus que notre identité culturelle est profondément occidentale et libérale.

    Les marxistes ont gagné ?

    Les marxistes ont réussi leur tour de force sémantique et idéologique : tout le monde, de l’extrême gauche à  l’extrême droite, rejette le libéralisme. La plupart du temps sans savoir ce que c’est. Mais la guerre idéologique est sur ce point, gagnée. Il est de bon ton, pour être audible, de cracher sur le libéralisme.

    Les vrais combats

    L’ennemi, on l’aura compris, n’est pas le libéralisme. Quel est-il ? Il y a, à  mon sens, deux choses qu’il s’agit de combattre, et qui ressortent d’un même trait, à  savoir une tendance à  l’excès : un excès d’ouverture à  des moeurs et éléments venant d’autres civilisations, et un excès dans l’expansion des droits à , qui est un trait de notre propre culture démocratique.

    Excès de tolérance

    Pour faire vite, par excès de tolérance à  la différence et dans une forme écoeurante de relativisme moral, nous avons laissé en France se développer des moeurs, et des modes de fonctionnement qui ne sont pas compatibles avec les valeurs occidentales. Les zones de non-droit, le communautarisme, la mise sous coupe réglée d’une partie de la communauté musulmane par les islamistes sont quelques exemples. Ces incompatibilités, ces différences, sont toujours au fond liées à  des différences de civilisations, donc de religion.
    En laissant se développer l’islam radical, par aveuglement anticlérical conduisant à  nier le fait religieux, on a provoqué un retour vers l’expression politique du fait religieux. Le christianisme doit-il s’engouffrer là -dedans ? Notre excès de tolérance nous a conduit à  tolérer des moeurs inacceptablesLes politiciens conservateurs, ou simplement amoureux de leur pays, doivent-ils nécessairement porter le drapeau d’une religion dans leurs combats politique ? Je ne le crois pas. Le christianisme, qui a inventé la laïcité, se perdrait dans ce jeu de dupes.
    C’est aux politiciens de lutter contre l’idéologie islamique, pas aux religieux. Ce faisant les catholiques et autres chrétiens tombent dans le piège redoutable d’accréditer l’idée selon laquelle l’islam serait une religion, au même titre que le christianisme. Ce qui est faux. Le christianisme est sécularisé. Le christianisme ne prône pas la guerre mais l’exemplarité, par la vertu. Sur les liens, entre politique, conservatisme et religions, je ne résiste pas à  citer un passage d’Hayek, grand philosophe, issu d’un article, « Why i am not conservative« , où il explique que le terme « libéral » a déjà  été tellement abîmé par la gauche qu’il hésite à  se dire encore « libéral ».
    Il y a cependant un aspect qui justifie de dire que le libéral occupe une position à  mi-chemin entre le socialiste et le conservateur: il est aussi éloigné du rationalisme brut du socialiste qui veut reconstruire toutes les institutions sociales selon un modèle prescrit par sa raison individuelle, que du mysticisme auquel le conservateur doit si souvent recourir. Ce que j’ai décrit comme la position libérale partage avec le conservatisme une méfiance envers la raison dans la mesure où le libéral est très conscient du fait que nous ne connaissons pas toutes les réponses, et qu’il n’est pas sûr que les réponses qu’il a sont certainement les bonnes ou même que nous pouvons trouver toutes les réponses. Il ne refuse pas non plus de demander de l’aide à  des institutions ou des habitudes non rationnelles qui ont fait leurs preuves. Le libéral se distingue du conservateur par sa volonté de faire face à  cette ignorance et d’admettre à  quel point nous savons peu de choses, sans revendiquer l’autorité de sources de connaissances surnaturelles là  où sa raison lui manque. Il faut bien admettre que, sous certains aspects, le libéral est fondamentalement un sceptique – mais avec suffisamment de modestie pour laisser les autres chercher leur bonheur à  leur manière et pour adhérer systématiquement à  cette tolérance qui est une caractéristique essentielle du libéralisme.

    Il n’y a aucune raison pour que ce besoin signifie une absence de croyance religieuse de la part des libéraux. À la différence du rationalisme de la Révolution française, le libéralisme vrai n’a rien contre la religion, et je ne peux que déplorer l’anticléricalisme militant et essentiellement illibéral qui animait le libéralisme continental du XIXe siècle. Le fait que cela n’est pas essentiel dans le libéralisme est clairement démontré par ses ancêtres anglais, les Old Whigs, qui, au contraire, étaient bien trop étroitement liés à  une croyance religieuse particulière. Ici, ce qui distingue le libéral du conservateur, c’est que, aussi profondes que soient ses croyances spirituelles, il ne se considérera jamais comme ayant le droit de les imposer aux autres et que, pour lui, le spirituel et le temporel sont des sphères différentes qui ne doivent pas être confondues.
    Notre excès de tolérance nous a conduit à  tolérer des moeurs inacceptables, à  commencer par la place de la femme dans l’islam, et par le rejet de la liberté de croyance, et de la laïcité. Rien de tout cela n’est attribuable au libéralisme.

    Expansion infinie des « droits à  … »

    Pierre Manent en a très bien parlé dans son dernier ouvrage. Notre culture démocratique nous a conduit à  accroître sans cesse l’exigence de nouveaux droits, qui dépassent maintenant largement les droits naturels qui avaient été explicités par les différents textes des révolutions libérales. Cet excès, interne à  l’Occident, et non plus externe, doit évidemment être combattu avec force. Je crois que c’est une partie de la discussion. Les dérives eugénistes, GPA, et autres délires transhumanistes, n’ont pas tellement de rapport avec le libéralisme, mais plutôt avec un manque d’éducation, de barrières morales délimitant le bien et le mal. Pas grand-chose à  voir avec le libéralisme.

    Il est tout de même piquant que ces deux choses (excès de tolérance, extension infinie des droits), que je crois lire dans les critiques du libéralisme, soient des excès ; alors que le libéralisme est une philosophie qui justement a pensé les limites que l’on devait poser au pouvoir et à  la liberté pour que la société soit juste. Le libéralisme est une pensée de la modération et de la régulation ; lui attribuer des excès est tout de même bien paradoxal, voire franchement ridicule.

    Libéral-conservatisme

    Combattre ces deux excès – excès de tolérance à  la différence, et excès d’extension des droits – doit être notre combat. Et si la cible est une partie de nos élites, alors critiquons les pour de vraies raisons… les tenants d’une Europe qui nierait l’identité des peuples ne pèchent pas par libéralisme, ils pèchent par manque d’enracinement dans leur propre histoire. C’est probablement une forme d’universalisme un peu abstrait et niant les particularismes que l’on pourrait leur reprocher, certainement pas leur libéralisme.

    Illibéralisme ou conservatisme ?

    Le petit encart de Benoît Dumoulin (p 58) pose très bien le débat. En gros, l’illibéralisme n’est pas opposé aux valeurs fondamentales du libéralisme, mais est simplement la forme actuelle « la plus aboutie du conservatisme ». Et l’on retombe sur l’éternel problème de la droite, qui décidément ne veut pas comprendre qu’elle doit être capable de faire la synthèse entre libéralisme et conservatisme, non pas de continuer à  opposer les deux.

    Il n’y a, à  mon sens, aucune incohérence dans une position politique libérale-conservatrice. Continuer à  opposer les deux, c’est manquer ce qui permettrait d’unifier, justement, la droite. Et le grand paradoxe de ce numéro de l’incorrect, c’est que Chantal Delsol, toujours passionnante, et connue pour son positionnement libéral-conservateur, rentre dans ce credo « illibéral », au lieu de nous aider à  articuler les deux, et d’être ainsi la cheville ouvrière de l’union des droites.

    La tolérance et les droits naturels sont au coeur de la pensée libérale. Il suffit pour cela de relire cette très belle phrase du préambule de la Déclaration d’indépendance américaine :

    Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur.

    C’est l’excès de tolérance dont nous avons collectivement fait preuve qui fait du libéralisme une cible. Mais ni la tolérance, ni la liberté, ne doivent devenir nos ennemis. Ce sont de belles choses. Battons-nous contre ce qui n’est pas tolérable (y compris la tolérance à  l’intolérable), et n’unissons pas nos cris à  ceux qui ne visent qu’une forme ou une autre d’asservissement.

    Il appartient aux intellectuels de droite ou de gauche, de France et de Navarre, d’articuler tout cela et de penser les tensions et les paradoxes : l’universel et le particulier, la tolérance et l’identité, la liberté et l’égalité.

    L’illibéralisme n’est pas le bon outil conceptuel. Qu’Orban soit un allié potentiel pour réinventer une Europe qui assume son identité, c’est une chose. Cela ne fait pas de l’illibéralisme, mot niant la liberté, un idéal intéressant.

  • La sagesse du monde

    La sagesse du monde

    Le sous-titre du livre La sagesse du mondedit assez précisément le projet : « histoire de l’expérience humaine de l’univers ». Rémi Brague, qui décidément est un excellent auteur, tente de montrer comment notre vision du monde a évoluée au cours des âges, en s’appuyant sur des textes nombreux et provenant de plusieurs cultures différentes. On y croise des morceaux de la Bible, des textes grecs, des morceaux issus d’auteurs du judaïsme ou du monde islamique. Ils sont suivis par des textes médiévaux, puis modernes.
    Je n’essayerai évidemment pas de résumer ce livre très dense, difficile parfois (surtout la fin qui m’a paru absconse, avec ses morceaux d’Heidegger). Je vais essayer, comme toujours, d’en donner un aperçu avec quelques idées qui me sont restées.

    C’est quoi le « monde » ?

    • La première, c’est que les Anciens avaient une vision à  la fois du monde et de la connaissance de celui-ci extraordinairement différente de la nôtre. C’est tout le travail de la première moitié du livre de Rémi Brague que d’essayer de nous plonger dans cette(ces) vision(s) très différente(s). Et pour avoir une « vision » du monde, il faut que ce concept existe. Il y a apparition progressive de cette idée de « monde », comme idée de totalité. Il est difficile et fascinant à  la fois d’imaginer que des hommes ont vécus sans concept de « monde ». Son apparition, chez les grecs probablement, est associé au mot « cosmos » (qui signifie ordre). Le « monde » apparaît d’abord dans des cultures où l’ensemble de ce qui est existe est vécu comme « ordonné », et « bon ».
    • Rémi Brague distingue pour plus de clarté les termes cosmographie (description de ce qui est), cosmogonie (récit de l’apparition des choses), et la cosmologie. La cosmologie, qui est d’habitude un mixte de cosmographie et de cosmogonie, est utilisée par Brague dans un sens réflexif :
      J’entends par là , comme l’implique d’ailleurs le mot de logos, non un simple discours, mais une façon de rendre raison du monde dans laquelle doit s’exprimer une réflexion sur la nature du monde comme monde. […] Ainsi, un élément réflexif est nécessairement présent dans toute cosmologie, alors que son absence n’a rien de gênant dans une cosmographie ou dans une cosmogonie, où il serait même déplacé. Une cosmologie doit rendre compte de sa possibilité, et, déjà , de la première condition de son existence, à  savoir la présence dans le monde d’un sujet capable d’en faire l’expérience comme tel – l’homme. Une cosmologie doit donc nécessairement impliquer quelque chose comme une anthropologie. [cette anthropologie] englobe aussi une réflexion sur la façon dont l’homme peut réaliser en plénitude ce qu’il est – une éthique, donc.
      Ce qui permet de comprendre le titre du livre : quelle sagesse pouvons-nous trouver dans le monde ?

    Orphelins du monde ?

    le chemin que nous fait suivre Brague, si je le résume à  l’extrême est la suivant : d’un monde perçu comme modèle par les grecs, nous sommes passés, depuis les révolutions coperniciennes et suivantes, dans un monde perçu comme n’ayant aucun lien avec l’éthique. Le monde, notre monde, notre univers, notre cosmos, ne constitue plus pour les hommes un modèle à  suivre. Il est a-moral. Nous n’avons à  proprement parler plus de cosmologie. Le monde ne peut plus nous aider à  devenir des hommes. Orphelins, et autonomes.

    J’ai trouvé passionnant ce livre. Il est très riche. Une dernière petite pensée, qui m’est venue à  la lecture du livre. Il y est exprimé (je n’ai pas retrouvé la page) que le monde, compris comme non plus ordonné mais chaotique, ne porte plus la notion du « beau »/ »bien »/ »juste ». C’est possible ; mais il me semble que la compréhension des lois de la nature (travail sans fin) permet de retrouver ce sentiment – naïf ? – qu’éprouvait les anciens en pensant le monde comme « parfait ». Comprendre les lois à  l’oeuvre dans la nature, et toujours mieux les connaitre, est une source d’émerveillement par le savoir qu’il me semble utile de continuer à  pratiquer.

    Ce qui est incompréhensible, c’est que le monde soit compréhensible. [Albert Einstein]

  • A l’épreuve du réel

    A l’épreuve du réel

    Points communs entre Sansal et Rioufol ?

    Quels sont les points communs entre Ivan Rioufol et Boualem Sansal ? Il y en a plusieurs :

    • l’un et l’autre viennent de publier un livre, « La guerre civile qui vient » pour le premier, et « 2084 » pour le second
    • ces deux livres sont excellents, bien écrits, et portent des valeurs humanistes et démocrates
    • l’un comme l’autre parlent du même sujet : l’islam, mais en l’abordant par deux aspects très différents. Rioufol propose un essai politique, qui va droit au but, et qui montre – à  mon sens avec des très bons arguments – pourquoi les tergiversations d’un Pierre Manent sont dangereuses. Notre société doit résister à  des formes d’organisations qui remettent en question ses valeurs de tolérance, de liberté et d’égalité des personnes. Sansal, romancier, propose un récit qui permet de toucher du doigt la manière dont la vérité disparait dans un univers totalitaire, et avec elle une partie de ce qui fonde les rapports humains tels que nous les connaissons. Comme dans « 1984 », auquel il fait de nombreux clins d’oeils, nous découvrons un pouvoir totalitaire qui pour se maintenir est prêt à  tout ; violences, bien sûr, mais aussi conditionnement, exactions, distorsions du réel, inégalité totale des citoyens.

    Ce réel que les idéologies déforment

    Ce réel que l’un comme l’autre décrivent, l’un dans un futur lointain, et l’autre dans le présent, c’est la manière subtile avec laquelle les idéologies – l’islam en est une – peuvent se jouer de la réalité, des faits, et influencent peu à  peu les discours, et finalement la pensée.
    Il me semble que ces deux livres, que je relie artificiellement dans ce billet, méritent d’être lus. De manière urgente, et insoumise. Si vous les avez lus, ou si vous comptez le faire, ou si vous ne comptez pas le faire, laissez donc un commentaire ! C’est très exactement ce que les totalitaires et les idéologues ne supportent pas : l’échange, la discussion, la controverse, le débat d’idées critique et pluraliste.

  • Situation de la France

    Situation de la France

    Grâce au commentaire d’un de mes lecteurs (Quentin, pour ne pas le nommer), j’ai découvert et dévoré l’excellent bouquin de Pierre Manent, « Situation de la France« . L’auteur y revient sur les problèmes d’identité qui peuvent se poser aux français, en 2016. Des problèmes qui tournent bien sûr, comme toujours lorsque l’on parle d’identité et de culture (ou de civilisation), autour de la question religieuse, et du fait religieux.

    Situation de la France

    C’est un livre fort, dense, que nous livre Pierre Manent, et qui présente beaucoup de points vraiment positifs et stimulants.

    • en quelques cent pages, il dresse un constat sans appel d’un certain nombre de problème posés par l’islam dans une société chrétienne, en termes de chocs de valeurs. Pas de chichis, pas de politiquement correct pour se protéger de – fort prévisibles – attaques de la bien-pensance. C’est clair, à  la fois respectueux des personnes, et sans concession pour les idées.
    • Pierre Manent amène des idées fortes, et des questions clés à  cette question épineuse. Il constate par exemple que la laïcité, sous la forme qu’on lui connait, c’est-à -dire sous une forme ayant consisté à  vider l’espace public du « fait religieux », n’est pas efficace pour « réformer » l’islam. Force est de lui donner raison, même si pour ma part, je mettrais un bémol. Il me semble qu’une conception stricte de la laïcité, libérale, vise simplement à  séparer le politique du religieux, et non pas à  cacher, ou à  empêcher l’expression religieuse dans l’espace public. Notre société, en partie d’ailleurs, sous les provocations de radicaux, a eu tendance récemment à  vouloir lutter contre cette radicalisation par une sorte d’oubli des signes religieux (ce qui se défend), mais aussi à  une forme d’effacement du religieux.
    • Cet effacement du fait religieux a conduit à  nier longtemps le problème posé par l’islam. Ce n’est pas que nous ne voulions pas, collectivement, voir les problèmes posées par l’idéologie islamique, c’est simplement que nous ne voyions pas cela comme une religion, c’est-à -dire à  la fois comme élément identitaire fort, et comme corpus idéologique structuré
    • Il propose des éléments intéressants également sur nos racines et notre culture : assumons donc d’être une culture chrétienne, qui accueille un certain nombre de cultures différentes, mais qui pour autant n’en demeure pas moins chrétienne. assumons que notre histoire, et nos valeurs peuvent nous permettre d’assumer que la Nation joue un rôle intégrateur, en tant qu’idéal, à  la fois structurant et inclusif.
    • Les pistes proposées par Pierre Manent sont vigoureuses, et « simples » : l’Etat et la Nation doivent « forcer » (« commander » est le terme qu’il utilise) les responsables musulmans à  couper les ponts avec toutes les sources de financement extérieures. Par ailleurs, la communauté musulmane et le reste du pays doivent faire une sorte de « pacte », une sorte de geste de bonne volonté, de main tendue de part et d’autre. Pour cela, un certain nombre de concessions doivent être faites, de part et d’autres, et un certain nombre d’éléments fondamentaux, non négociables, doivent être rappelés. Liberté de conscience, bien sûr. Et d’autres éléments fondateurs d’une société ouverte et libre. Cela me rappelle un de mes billets, parlant d’un Sanhédrin de l’Islam.

    Je ne saurais assez vous recommander la lecture de ce livre indispensable pour alimenter la réflexion politique, la vraie. Pas celle des courses de lévriers électorales, mais celle qui touche à  l’identité, à  ce que nous voulons construire, ensemble, comme société.

    Concessions, ou Egalité ?

    Deux points me posent problème dans le livre de Manent, et mériteraient d’être approfondis par des échanges (en commentaire?). D’une part, Pierre Manent semble prêt à  des concessions sur la place de la femme chez les musulmans, et cela me parait, à  moi, inacceptable. Et incompatible avec l’idée que je peux me faire d’un pays dont la devise comporte le mot ambitieux et exigeant d’ »Égalité ». Et d’autre part, après avoir constaté que la laïcité ne permet pas d’aider l’islam à  se réformer, Pierre Manent semble considérer que la Nation peut le faire. Cela soulève bien des questions, car il me semble que notre Nation, et notre culture française, comporte justement dans ses gènes une forme de laïcité (qui peut être un outil). De plus, après décrit l’Etat et ses institutions comme passablement affaiblis, ils semblent finalement capable de réaliser un tour de force exceptionnel, que seuls une volonté forte et une capacité d’action durable peuvent rendre possible.
    Un dernier point aveugle dans l’ouvrage (mais ce n’est pas une critique, c’est un appel) : si une telle évolution – souhaitable – était possible, elle ne pourrait se faire qu’en ayant au préalable ou en parallèle réduit fortement les flux migratoires entrants dans notre pays. Comment intégrer bien si l’on est trop ouvert ? Qu’en pensez-vous ? L’islam peut-il, en France, se réformer ? Nos institutions sont-elles suffisantes ? Quelles modalités de mise en France ? N’hésitez pas à  partager vos commentaires, idées et suggestions en commentaire !

  • Petit lexique des idées fausses sur les religions

    Petit lexique des idées fausses sur les religions

    C’est sous ce titre très long et très factuel qu’Odon Vallet nous emmène faire un voyage spatial et temporel dans notre monde, via le prisme des religions. Ce petit livre est vraiment un régal : court, dense, drôle parfois, il apporte des éléments riches et variés sur des thèmes nombreux. Odon Vallet est extrêmement cultivé, et pour cause : c’est un spécialiste des religions. Il traque les idées fausses, ou approximatives. C’est aussi, et je vous conseille d’aller lire sa biographie sommaire sur Wikipedia, un altruiste qui a créé – grâce à  la totalité de l’héritage de son père – une fondation qui vise à  favoriser l’éducation.

    Simple et efficace, mais érudit

    La structure des petits textes est toujours la même : un mot, une idée « fausse », et un petit texte pour expliquer en quoi l’idée est fausse et/ou partiellement juste. Pas de bla-bla, pas d’étalage de culture. Avec Odon Vallet, on est dans la langue de vérité, qui passe souvent par l’étymologie pour clarifier et questionner (j’adore). Les textes sont courts, dynamiques, ciselés et percutants. A lire absolument. Pour vous en faire goûter un peu quand même, je vous recopie ici une entrée prise au hasard, en ne vous donnant que les premières lignes et la conclusion. A vous d’aller chercher le reste.

    Clergé
    « L’islam n’a pas de clergé »

    C’est partiellement vrai pour les sunnites, et totalement faux pour les chiites. L’islam majoritaire, celui de la sunna (tradition), est dirigé non par des clercs consacrés mais par des chefs de prière désignés. Mais ces imams jouent, dans l’islam de la « scission », le chiisme, un rôle essentiel. L’islam est donc à  la fois une religion peu et très cléricale. […]
    Dans le rôle plus ou moins charismatique confié aux clercs, le chiisme s’oppose au sunnisme comme le catholicisme au protestantisme (le primat de l’Ecriture réduit le rôle des ecclésiastiques) : chiisme et catholicisme accordent un rôle considérable et des pouvoirs surnaturels à  leur clergé alors que sunnisme et protestantisme font de leurs ministres du culte des serviteurs de l’Ecriture.

  • Soumission

    Soumission

    Le dernier roman de Michel Houellebecq, Soumission, raconte l’histoire d’un enseignant chercheur en lettre qui assiste, impuissant, à  l’évolution de la société française. Présentation de l’éditeur :
    Dans une France assez proche de la nôtre, un homme s’engage dans la carrière universitaire. Peu motivé par l’enseignement, il s’attend à  une vie ennuyeuse mais calme, protégée des grands drames historiques. Cependant les forces en jeu dans le pays ont fissuré le système politique jusqu’à  provoquer son effondrement. Cette implosion sans soubresauts, sans vraie révolution, se développe comme un mauvais rêve.
    Les élections, décrites de manière très réaliste, avec des vrais noms de vraies personnes, et de vraies réflexions sur les jeux de forces entre partis politiques, conduisent à  l’arrivée au pouvoir d’un parti « musulman ».

    Triple parcours habilement tissé

    Houellebecq pourrait paraitre un peu tiède sur le sujet, car le roman est en creux : pas de cristallisation sur l’islam, progression très factuelle et réaliste, presqu’en douceur. Un triple parcours structure le roman : un parcours de la société vers cette victoire électorale puis la mise en place des changements, un parcours spirituel du personnage principal, achevant un long chemin en compagnie d’un auteur peu connu, Huysmanns, et la propre évolution psychologique et artistique de cet auteur. Triple évolution, donc : la société, le personnage, et le « héros » du personnage. Je n’en dis pas plus, mais tout cela est superbement bien écrit, fluide, et tissé simplement. Houellebecq est un auteur honnête, direct.

    Soumission ou réaction ?

    Le roman n’est ni immoral, ni moral ou moralisateur, il est amoral en fait. C’est ce qui choque et qui provoque, d’ailleurs. Et en cela, le roman est diablement malin et malicieux. Que provoque la lecture exactement ? à‡a provoque une réaction intéressante : on est choqué par le manque de réaction du personnage (Houellebecq, soumission ?), mais aussi de la société. Par leur soumission. à‡a ne parait pas très réaliste que tout puisse changer aussi vite, et pourtant c’est dit et raconté de manière réaliste. Cela questionne notre identité, et notre perception de la réalité. Serions-nous aussi lâches, soumis, et capables de nous renier nous-mêmes aussi facilement ?
    Qu’est-ce qui, en douceur, changerait dans notre culture avec l’arrivée de l’islam politique au pouvoir ? Ce serait la fin de la liberté de conscience, et aussi et surtout la fin de la liberté pour les femmes. Finalement le personnage, assez répugnant et veule, et qui considère les femmes presque comme des objets (soit sexuels, soit culinaires), et qui n’a pas vraiment envie de se battre pour quoi que ce soit, nous renvoie – et Houellebecq par son entremise – simplement un miroir de ce que nous sommes, collectivement : une société globalement assez passive, qui n’ose plus affirmer sa morale propre, et qui devient de fait très perméable à  l’action de ceux qui affirment une morale.
    Quelle est cette morale occidentale que nous avons tant de mal à  assumer simplement ? Nous sommes des sociétés tolérantes, ouvertes, attachées à  la liberté, à  l’égalité des droits de tous les individus. Nous portons un attachement particulier à  la laïcité (qui disparait avec l’Islam), au doute et à  la libre pensée, ainsi qu’au progrès. Renier ces choses-là , et c’est exactement ce que montre le roman, ce serait se renier nous-mêmes, et favoriser le désastre presque tranquille décrit par Houellebecq. Qu’il soit porté par l’islam ou par autre chose, d’ailleurs. Soumission, de Houellebecq, à  lire absolument !