Étiquette : Autobiographie

  • Réflexion faite

    Réflexion faite

    J’aime bien Paul Ricoeur. J’ai lu, de cet auteur, « Idéologie et utopie » et « Soi-même comme un autre ». Ce petit texte, « Réflexion faite », sous-titré Autobiographie intellectuelle, est un ouvrage à part. Son titre dit bien le projet : ni une autobiographie personnelle, ni un livre de bilan (il s’appelle « réflexion faite » et non « tout compte fait, comme le précise avec justesse Olivier Mongin dans la préface) ; une autobiographie Intellectuelle.

    Retour sur les grands temps de l’évolution de sa pensée

    Ricoeur se livre à un exercice ambitieux dans ce volume (une centaine de page) : revenir sur les grandes étapes de sa pensée, de son évolution, en s’appuyant sur ses ouvrages (presque pas sur ses conférences, cours, articles et autres supports). Sans rentrer dans le détail, qu’il me serait impossible de résumer tant le texte est dense, on peut dire que Ricoeur, par son parcours, a tenté une forme de philosophie particulière, mariant phénoménologie (il vient de là), sémiotique, psychanalyse, mais aussi, grâce à son parcours aux Etats-Unis, philosophie analytique11. Cela rejoint de manière surprenante toute l’introduction du livre de Larmore, Modernité et morale, et dont le thème central, à mes yeux, est le sujet, et l’identité. Et aussi la narration et la place du temps dans la construction du sujet. Passionnantes thématiques, et ouvrage très très dense. Deux points m’étonnent dans sa pensée et dans son parcours.

    Ligne de front

    D’une part, sa farouche volonté de séparer sa pensée philosophique et sa pensée spirituelle (il a été aussi un auteur prolifique sur la foi, l’herméneutique biblique). Quelle drôle d’idée de penser que c’est possible ! Cette volonté de distinction l’honore, mais nous fait perdre le fruit d’une tentative d’articulation… Comme le dit Mongin dans la préface en le citant, Ricoeur, dès ses années d’apprentissage, apprend à « mener, d’armistice en armistice, une guerre intestine entre la foi et la raison. » La conclusion de « Soi-même comme un autre » signalait également « le rapport conflictuel-consensuel entre sa philosophie sans absolu et sa foi biblique plus nourrie d’exégèse que de théologie ». Bien sûr, l’une et l’autre se sont nourrie, mais il aurait été, en tant que lecteur, plus intéressant d’avoir une autobiographie mêlant les deux.
    Je me dis que je dois aller lire, dans ma bibliothèque, « La métaphore vive » que je n’ai jamais ouvert, et je suis d’ores et déjà en train de relire quelques textes de Benoît XVI, notamment le magnifique « Discours de Ratisbonne », où il est question de l’articulation entre la foi et la raison.

    Pudeur

    A nouveau, cela force l’admiration, mais peut être un peu frustrant. Orphelin de mère et de père, le parcours personnel de Ricoeur, assorti par ailleurs du suicide de son dernier fils, n’est qu’à peine évoqué. Il a l’honnêteté de reconnaître qu’il ne peut faire une autobiographie intellectuelle sans au minimum évoquer la « catastrophe », mais c’est en restant sur une ligne crête philosophique et jamais personnelle : un peu paradoxal pour quelqu’un dont toute la pensée est centrée sur la narration et le sujet, la phénoménologie, le récit, et la quête de sens.

  • Les mémoires d’outre-tombe

    Les mémoires d’outre-tombe

    Cela faisait un certain temps que ce livre, ce monument, faisait partie de ma pile. C’est effectivement un très grand livre : témoignage historique incroyable, doublé d’une magnifiquement bien écrite autobiographie.

    A cheval entre deux mondes

    J’en suis à  la moitié, mais je peux d’ores et déjà  vous recommander cette lecture incontournable, véritable trésor littéraire et culturel. Chateaubriand, né dans une famille noble en Bretagne près de Saint-Malo en 1768, et mort à  Paris en 1848, a en effet vécu, et il le dit dès le début, à  cheval entre deux époques, entre deux mondes. Avant la révolution, la fin de la vieille noblesse traditionnelle, et des structures sociales qui vont avec. Après la révolution, violente et injuste selon Chateaubriand, qui s’exile en Angleterre et fait partie des mouvements contre-révolutionnaires, l’émergence d’un nouveau monde plus égalitaire, plus démocratique, et moins élevé dans ses aspirations (cela résonne beaucoup avec Tocqueville, d’ailleurs, que Chateaubriand a connu enfant). Chateaubriand est visiblement quelqu’un avec une personnalité particulière, mélancolique, sensible, très proche de la nature, très solitaire étant jeune. Il est bien sûr connu pour l’ouvrage qui l’a rendu célèbre, dès son vivant : Génie du Christianisme. Son point de vue sur Napoléon vaut le détour : à  la fois fasciné par l’homme, son envergure, mais aussi proprement effrayé de l’impact qu’il aura sur le pays, il en devient l’adversaire après l’assassinat du Duc D’Enghien (très bien documenté, d’ailleurs, dans les Mémoires).

    Génie littéraire

    J’ai été surpris à  la lecture, car c’est avant tout le talent littéraire de Chateaubriand qui s’impose tout de suite à  la lecture : la narration de son enfance, de ses rapports avec sa famille, avec la mer et la nature, sa description du voyage en bateau vers l’Amérique, révèlent un style tout simplement splendide, fluide, incroyable de puissance d’évocation. En voyage vers l’Amérique, car, oui Chateaubriand a une vie digne d’un roman. Parti découvrir le passage du Nord-ouest au moment de la révolution française, il a vécu avec des indiens, puis il a aussi combattu lors du siège de Thionville. Il a vécu dans le plus grand dénuement à  Londres, avant de revenir en France et devenir ambassadeur de Napoléon à  Rome. J’en suis au moment de ses nouveaux voyages vers l’Orient (Grèce, Asie mineure, Egypte). Il a un talent incroyable pour poser, en quelques phrases, des descriptions de personnages qui les rendent vivants et palpables.

    A lire tranquillement

    A découvrir, sincèrement, c’est un très beau livre et une vie incroyable, éclairante, poignante par moment. Impressionnant aussi, car on sent bien que Chateaubriand – il le dit d’ailleurs – s’il enjolive un peu l’histoire pour la raconter, est fidèle à  sa vérité philosophique et spirituelle, et y a mis une énergie incroyable. On apprend au détour d’un passage qu’il écrivait parfois plus de 12 heures par jour, capable de passer un temps incroyable à  raturer, réécrire, parfaire son ouvrage. Il avait visiblement ses manuscrits avec lui sur le champ de bataille. Cet engagement total se voit dans le résultat : de majestueux et vivants mémoires [1][1] d’outre-tombe, parce que le projet initial était de les publier seulement 50 ans après son décès, mais son dénuement en fin de vie, exilé de l’intérieur, l’a conduit à vendre les droits de ce livre à une Société qui a décidé de les publier dès sa mort. Elles restent pour nous d’Outre-tombe. Et il faut souligner, enfin, que même la construction est intelligente : au début de chaque chapitre, il note la date et le lieu d’écriture, ce qui le conduit parfois à  faire de brefs éclairages sur le « futur » de son récit. Très intelligent mélange entre les souvenirs et le présent, qui donnent de l’épaisseur au personnage.

  • Chroniques

    Chroniques

    J’ai terminé ce livre il y a déjà  quelques temps, mais je prends seulement maintenant le temps d’en faire la recension. C’est une petite autobiographie de Bob Dylan, « Chroniques« . Il y raconte ses débuts, sa passion/vocation pour le folk, son arrivée à  Greenwich village. On y découvre aussi les affres de l’enregistrement de l’album « Oh Mercy« , avec Daniel Lanois à  la Nouvelle-Orléans. Enorme travailleur, intuitif et visionnaire.

    Elements glanés…

    C’est une super autobiographie : le style sec, tranché, et en même temps romantique nous permet de « ressentir » la personnalité de Dylan un peu mieux. J’en retiens trois éléments très intéressants :

    • son imaginaire nostalgique, amoureux d’un monde qui avait déjà  disparu quand il est né. Un monde à  moitié réel, à  moitié fanstamé, faits de noblesse, de justice, d’identité assumée et claire. Bob Dylan assume de chercher un monde passé, et les restes de ce monde dans ce qui bouge. Une intéressante manière de penser le monde, originale, conservatrice non de ce qui existe, mais de l’esprit de ce qui a été.
    • son refus d’être récupéré par les mouvements de contestation des années 69-70. Dylan n’ira pas à  Woodstock, et vivra sa vie de père de famille loin de la célébrité. Il a au sens propre fuit ce monde de « professionnels de la prostestation ». Il ne s’y reconnait pas. J’aime cette facette très simple de Dylan, loin du mythe ou de l’icône : méfiant de la notoriété, amoureux de sa liberté, protecteur de sa vie intime.
    • sa fidélité aux personnes : on sent dans son propos que ses rencontres, ses amitiés, comptent plus pour lui que les grandes idées (qui à  mon avis ont pour Dylan déjà  été écrites il y a longtemps).

    A lire ! Pour les fans de Dylan, c’est vraiment un régal, car on y croise par-ci par-là  des morceaux connus, des chansons aimées qui prennent une autre dimension. Mais ça devrait plaire aussi aux autres, il me semble.