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  • Auto-jeopardysation

    Auto-jeopardysation

    J’ai commencé la journée de bien belle humeur, grâce à  mon frère Max. Il a partagé sur le fil de discussion familial la dernière vidéo de David Louapre (notamment créateur et animateur de l’excellente chaîne Youtube Science Etonnante), intitulée « Comment j’essaye d’améliorer mon jugement (grâce à  Julia Galef) » :

    Julia Galef, promotrice de l’esprit sceptique et rationnel

    J’ai trouvé cette vidéo particulièrement intéressante. Si vous n’avez pas le temps de la visionner, l’excellente analogie de Julia Galef, auteur du livre « The Scout Mindset » (L’esprit éclaireur) dont David Louapre partage quelques éléments, permet de vite en comprendre la teneur. Sur un champ de bataille, les militaires qui sont sur le terrain sont là  pour suivre un objectif et se battre contre l’ennemi. Leur rôle est un rôle de combat. Les objectifs sont fixés à  l’aide des connaissances. Et il y a besoin de connaissances toujours actualisées. C’est le rôle des éclaireurs. L’éclaireur ne combat pas, il est là  pour observer la réalité, et mettre à  jour la carte, et toutes les infos qui pourraient être utile pour la bonne poursuite du combat. Julia Galef, créatrice du Center for Applied Rationality, utilise cette analogie pour expliquer que nous devrions, dans les débats, être un peu plus souvent dans la posture de l’éclaireur, et un peu moins dans celle du combattant. Si vous avez quelques minutes, allez écouter la vidéo ci-dessus, elle est super claire et permet de découvrir quelques outils concret – des expériences de pensée ou des routines à  mettre en place – apportés par Julia Galef dans son bouquin.

    Auto-jeopardysation

    J’avais envie de partager cette vidéo et d’ajouter deux autres outils qui me paraissent utiles, et dans le prolongement de la vidéo. Le premier consiste à  utiliser dans les raisonnements et les argumentations, des propositions qui sont des énoncés sur le réel, c’est-à -dire réfutables au sens de Popper. J’ai partagé un certain nombres d’outils dans ma boussole de vérité. Ce point est le regroupement du 1 et du 10. Je fais en ce moment même avec mon père un travail très stimulant pour lister un certain nombre d’affirmations, sur le sujet de la crise COVID, qui sont des énoncés sur le réel. C’est très intéressant de faire cet exercice, et surtout à  deux.
    Le second vient de mon travail : je passe mon temps à  essayer de poser les bonnes questions, au bon moment, à  mes interlocuteurs. Sur n’importe quel sujet, il me semble très utile, au-delà  des affirmations, débats, qui sont nécessaires, de chercher aussi à  se poser les bonnes questions. Bien poser le problème, quoi.

    Si j’avais une heure pour résoudre un problème, je passerais 55 minutes à  réfléchir au problème, et 5 minutes à  réfléchir à  des solutions.

    Albert Einstein (1879 – 1955) physicien théoricien allemand, puis helvético-américain

    Je vous propose donc une autre routine : l’auto-jeopardysation. Vous connaissez le jeu Jeopardy! ? Les joueurs doivent trouver la question à  partir de la réponse. Devant toute affirmation, ou toute proposition, on peut – on doit ? – se poser des questions (ce sont les points 2 et 3 de la Boussole de vérité) :

    • à  quelle question répond cette affirmation ?
    • est-ce qu’elle pourrait répondre à  une autre question ?
    • y’a-t’il d’autres questions à  se poser sur le sujet ? (faire l’effort d’en trouver au moins 3 ou 4, appuyées sur les éléments de formulation de l’affirmation)

    L’auto-jeopardysation, c’est un outil consistant devant une affirmation, à  se poser au moins 5 questions. Faisons un test.

    Crash test

    Partons de l’affirmation suivante : « Le gouvernement français gère particulièrement mal la crise COVID. » (vous pouvez remplacer mal par bien si vous le souhaitez, ce n’est pas le sujet ici). Cette affirmation répond à  la question « Comment le gvt français gère la crise COVID ? ». Mais ce pourrait être également la réponse à  la question « Qu’est-ce que le gvt français gère particulièrement mal ? ». Et l’on peut trouver pas mal d’autres questions à  se poser en partant de cette phrase (je remets ces deux premières dans la liste pour plus de lisibilité) :

    • Comment le gvt fr gère la crise COVID ?
    • Qu’est-ce que le gvt fr gère particulièrement mal ?
    • Le gvt fr aurait-il pu gérer cette crise autrement ? sur quels aspects ?
    • Est-ce uniquement le gvt fr qui gère cette crise ?
    • Qu’est-ce qu’une crise ? Comment caractériser la crise COVID ?
    • En quoi la crise COVID diffère des épidémie de grippes saisonnières ?

    Je m’arrête là . Vous voyez que cette méthode permet de singulièrement réouvrir la discussion et la réflexion. C’était ma modeste contribution pour ajouter à  l’indispensable posture d’éclaireur, celle de questionneur. Comme le dit très bien David Louapre dans sa vidéo, mettre ces méthodes en avant ne signifie en aucune façon qu’on serait exemplaire, et qu’on procèderait toujours de manière rationnelle, mais simplement que l’on reconnait ces outils comme des bons outils, à  utiliser le plus souvent possible pour bien penser. A nous de jouer !

    L’homme est visiblement fait pour penser. C’est toute sa dignité et tout son mérite, et tout son devoir est de penser comme il faut.

    Blaise Pascal (1623 – 1662)mathématicien, physicien, inventeur, philosophe, moraliste et théologien français

  • Le chef d’orchestre japonais


    J’ai passé une demi-heure, il y a quelques temps, à me balader près du Trocadéro. Je me rendais à un groupe de travail, et j’étais arrivé, comme toujours, avec une avance confortable. Tellement confortable que les troquets n’étaient même pas encore ouverts. J’en ai profité pour faire un tour du côté des jets d’eau qui descendent du Trocadéro vers la tour Eiffel. Le jour se levait, et quelques balayeurs nettoyaient les détritus laissés là, la veille, par la foule amassée pour voir un concert (une scène était encore en place). La multitude laisse-t-elle nécessairement des monceaux de déchets derrière elle, mécaniquement, où est-ce le signe d’une population d’assistés qui préfèrent payer des balayeurs plutôt que d’amener un sac pour y placer ses ordures ?

    Quoi qu’il en soit, le paysage était splendide, et les passants très rares. L’air frais était agréable. L’activité des garçons de café pour installer les terrasses était pleine de joie, cette joie de l’attente « avant« . Le potentiel de la journée encore plein, mais déjà vibrant et riche de promesses.

    J’ai croisé en remontant vers la place du Trocadéro un homme, de type japonais. Il marchait tranquillement, la tête tournée vers le sol, Il faut placer dans chaque être humain toute la richesse de l’humanitédans une attitude sereine. Il avait un beau visage, la quarantaine, et tout dans son être respirait la bonté et la profondeur d’âme. Un bel humain, comme on en croise de temps en temps. Je me suis dit que ce pouvait être un chef d’orchestre japonais, en vacances à Paris (ses tongues et sa tenue décontractée m’ont influencée, bien sûr). J’en ai ressenti une forme de respect et de curiosité à son égard. Je lui faisais spontanément confiance.

    Aussitôt, je me suis fait la réflexion suivante : pourquoi juger (ici, en positif) cette personne sur son apparence ? Moi qui fais des efforts régulièrement pour ne pas juger négativement ceux qui ont des têtes franchement antipathiques, pourquoi le faire dans l’autre sens ? N’est-il pas plus juste de laisser son jugement en suspens tant qu’on ne connait pas un peu la personne ? L’habit ne fait pas le moine, ni le chef d’orchestre. Celui-ci, de chef d’orchestre, était peut-être en fait un sale con, qui cogne ses enfants, raciste comme pas deux, sectaire comme un poux.

    Mais je crois que j’avais raison, tout de même : il faut placer dans chaque être humain, et tant que ses actes ou ses paroles ne nous ont pas convaincu du contraire, toute la richesse de l’humanité. Chaque personne que nous croisons mérite d’être considérée comme un être bon, généreux, profond, sage, pacifique. Les humains sont fait aussi pour cela. C’est quand nous préjugeons en négatif que nous avons tort ; en positif, c’est simplement de la confiance placée en l’autre qui rend la relation possible, et la place sous un jour favorable.

    Il faut voir dans chaque humain un chef d’orchestre japonais.