Jour : 24 février 2018

  • La sagesse du monde

    La sagesse du monde

    Le sous-titre du livre La sagesse du mondedit assez précisément le projet : « histoire de l’expérience humaine de l’univers ». Rémi Brague, qui décidément est un excellent auteur, tente de montrer comment notre vision du monde a évoluée au cours des âges, en s’appuyant sur des textes nombreux et provenant de plusieurs cultures différentes. On y croise des morceaux de la Bible, des textes grecs, des morceaux issus d’auteurs du judaïsme ou du monde islamique. Ils sont suivis par des textes médiévaux, puis modernes.
    Je n’essayerai évidemment pas de résumer ce livre très dense, difficile parfois (surtout la fin qui m’a paru absconse, avec ses morceaux d’Heidegger). Je vais essayer, comme toujours, d’en donner un aperçu avec quelques idées qui me sont restées.

    C’est quoi le « monde » ?

    • La première, c’est que les Anciens avaient une vision à  la fois du monde et de la connaissance de celui-ci extraordinairement différente de la nôtre. C’est tout le travail de la première moitié du livre de Rémi Brague que d’essayer de nous plonger dans cette(ces) vision(s) très différente(s). Et pour avoir une « vision » du monde, il faut que ce concept existe. Il y a apparition progressive de cette idée de « monde », comme idée de totalité. Il est difficile et fascinant à  la fois d’imaginer que des hommes ont vécus sans concept de « monde ». Son apparition, chez les grecs probablement, est associé au mot « cosmos » (qui signifie ordre). Le « monde » apparaît d’abord dans des cultures où l’ensemble de ce qui est existe est vécu comme « ordonné », et « bon ».
    • Rémi Brague distingue pour plus de clarté les termes cosmographie (description de ce qui est), cosmogonie (récit de l’apparition des choses), et la cosmologie. La cosmologie, qui est d’habitude un mixte de cosmographie et de cosmogonie, est utilisée par Brague dans un sens réflexif :
      J’entends par là , comme l’implique d’ailleurs le mot de logos, non un simple discours, mais une façon de rendre raison du monde dans laquelle doit s’exprimer une réflexion sur la nature du monde comme monde. […] Ainsi, un élément réflexif est nécessairement présent dans toute cosmologie, alors que son absence n’a rien de gênant dans une cosmographie ou dans une cosmogonie, où il serait même déplacé. Une cosmologie doit rendre compte de sa possibilité, et, déjà , de la première condition de son existence, à  savoir la présence dans le monde d’un sujet capable d’en faire l’expérience comme tel – l’homme. Une cosmologie doit donc nécessairement impliquer quelque chose comme une anthropologie. [cette anthropologie] englobe aussi une réflexion sur la façon dont l’homme peut réaliser en plénitude ce qu’il est – une éthique, donc.
      Ce qui permet de comprendre le titre du livre : quelle sagesse pouvons-nous trouver dans le monde ?

    Orphelins du monde ?

    le chemin que nous fait suivre Brague, si je le résume à  l’extrême est la suivant : d’un monde perçu comme modèle par les grecs, nous sommes passés, depuis les révolutions coperniciennes et suivantes, dans un monde perçu comme n’ayant aucun lien avec l’éthique. Le monde, notre monde, notre univers, notre cosmos, ne constitue plus pour les hommes un modèle à  suivre. Il est a-moral. Nous n’avons à  proprement parler plus de cosmologie. Le monde ne peut plus nous aider à  devenir des hommes. Orphelins, et autonomes.

    J’ai trouvé passionnant ce livre. Il est très riche. Une dernière petite pensée, qui m’est venue à  la lecture du livre. Il y est exprimé (je n’ai pas retrouvé la page) que le monde, compris comme non plus ordonné mais chaotique, ne porte plus la notion du « beau »/ »bien »/ »juste ». C’est possible ; mais il me semble que la compréhension des lois de la nature (travail sans fin) permet de retrouver ce sentiment – naïf ? – qu’éprouvait les anciens en pensant le monde comme « parfait ». Comprendre les lois à  l’oeuvre dans la nature, et toujours mieux les connaitre, est une source d’émerveillement par le savoir qu’il me semble utile de continuer à  pratiquer.

    Ce qui est incompréhensible, c’est que le monde soit compréhensible. [Albert Einstein]

  • L’innovation pour les nuls #2 – fonction innovation

    L’innovation pour les nuls #2 – fonction innovation

    J’aime les entreprises. Certes, il est de bon ton de les affubler de tous les maux, notamment à  cause d’une culture française très déformée par le marxisme et le communisme (la fameuse aliénation par le travail). Avant de parler de la fonction innovation, il est utile de rappeler deux ou trois choses à  propos des entreprises.

    Réhabiliter l’entreprise

    Je ne vois pourtant dans les entreprises que des collectifs d’individus qui oeuvrent ensemble pour un objectif commun. Les déboires liés à  une approche très financiarisée de la gestion des entreprises ne doivent pas cacher ce qui reste le coeur : de formidables aventures humaines. Quelle que soit la mission d’une entreprise, elle est toujours liée au fait de rendre service à  d’autres, contre rétribution. Je trouve cela très noble. Tout est toujours échanges de services en économie. Frédéric Bastiat – que l’on devrait faire lire à  tous les lycéens – l’a très bien analysé et décrit. D’autres, comme Mises (L’action humaine) ou Hayek, ont prolongé la réflexion. Comment l’entreprise remplit sa mission ? En exécutant un ensemble généralement complexe de tâches, que je résumerai sous le terme « activités ». Ces activités, depuis longtemps déjà , ont fait l’objet d’analyses, et sont structurées. C’est ce qu’on appelle « l’organisation ».

    Le terreau de l’innovation

    Deux facteurs au moins peuvent être mentionnés comme conditions de l’innovation. Le premier c’est bien sûr, et dans l’ordre d’apparition, une société d’économie libre. Respect des contrats, des droits individuels, dont la propriété, adossée à  la liberté et à  la responsabilité. Une société libre, c’est une société où chacun peut suivre son chemin à  sa guise, dans le respect des règles communes. Le second, ce sont les progrès continus (et irréguliers) des connaissances. Les progrès techniques en font partie, bien sûr.
    La liberté a une conséquence directe, et bénéfique, c’est la situation de concurrence. La concurrence rappelons-le toujours, n’est pas une situation donnée, un état figé, mais simplement une règle : la liberté pour chacun d’entrer sur un marché. Donc de concurrencer d’autres acteurs. La concurrence bénéficie toujours au consommateur final : plusieurs acteurs, en situation de concurrence, se disputent le droit de lui rendre le meilleur service.

    […] la concurrence ne signifie pas que n’importe qui puisse prospérer en copiant simplement ce que d’autres font. Cela signifie le droit reconnu à  tous de servir les consommateurs d’une façon meilleure ou moins chère sans être entravé par des privilèges accordés à  ceux dont les situations acquises seraient atteintes par l’innovation. [Ludwig Von Mises]

    Concurrence : le moteur de l’innovation

    Toute entreprise sera donc nécessairement confrontée à  la concurrence, maintenant ou demain. Cela a une implication importante : aucune entreprise ne peut être pensée de manière statique. Le monde change, les savoirs progressent, de nouveaux acteurs arrivent sur le marché. Les activités d’une entreprise donnée, disons l’entreprise 1, sont donc par nature à  la fois durables, et changeantes. Comme dans toute activité humaine, penser le permanent et le changement en même temps reste un véritable enjeu. Certains ont rapproché cette situation de l’hypothèse de la Reine Rouge (nommée d’après Lewis Carroll), mais je trouve qu’il y manque la notion de progrès. Bref, c’est un autre sujet.

    Fonction Innovation

    Le schéma qui suit tente de résumer cela dans une image, réductrice forcément, mais qui donne les grandes lignes. J’y ai positionné plusieurs entreprises en concurrence pour servir des clients. Et j’ai fait l’exercice de montrer ce qu’est la fonction innovation pour une entreprise.

    Nous rentrerons plus en détail dans le prochain article avec les notions de conception réglée et conception innovante (indispensables pour penser l’innovation). Je crois que le coeur du sujet de l’innovation, c’est de toujours challenger les activités actuelles pour mieux servir les clients, mieux remplir la mission. Les activités évoluent souvent, la mission reste comme un phare qui guide les choix stratégiques. Les innovateurs rappellent en permanence dans l’entreprise que la mission n’est pas identique à  l’activité. Les activités sont le moyen actuel pour remplir la mission. Les challenger en permanence, de manière bienveillante, c’est le travail de l’innovateur. Un article de cette série, le #4, reviendra sur la mission, et la transformation.

    Penser ce(s) dialogue(s), les organiser, est le fond de la question de l’innovation : articuler exploitation et exploration, combiner le « maintenant » qui rapporte, et le « demain » qui sera nécessaire, conjuguer gestion des risques et structuration de l’inconnu, parler de ce qui peut être conflictuel dans les choix stratégiques. Et assumer des stratégies en apparence paradoxales.

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