CatĂ©gorie : 🕟 Histoire

  • Nos Rois de France

    Nos Rois de France

    C’est un bien joli cadeau que l’on m’a fait rĂ©cemment : « Nos Rois de France », aux Ă©ditions Perrin, est un remarquable ouvrage, magnifiquement illustrĂ©, consacrĂ©, comme son nom l’indique, aux Rois de France. Il est signĂ© par Franck Ferrand, Pierre-Louis Lensel et Anne-Louise Sautreuil.

    Format parfait

    Au delĂ  de la fabuleuse iconographie qui rend l’ouvrage trĂšs agrĂ©able Ă  lire, le format des chapitres et le ton est absolument parfait pour moi : 10-15 pages par roi, avec un Ă©clairage Ă  la fois historique, politique, gĂ©nĂ©alogique, biographique. Les gĂ©nĂ©alogies placĂ©es en dĂ©but d’ouvrage sont trĂšs pratique. Chacun des quinze rois retenus par les auteurs, de Louis VII Ă  Louis XVI, devient dans ce livre un vĂ©ritable personnage de roman d’aventures : les portraits sont vivants, ne cachent jamais les ambivalences, et mettent l’accent sur ce que chaque roi a apportĂ© Ă  la France, et comment il a contribuĂ© Ă  la structurer. On enrage en lisant cela de n’avoir pas eu de meilleurs professeurs d’histoires, et on se dĂ©solĂ© que cette histoire extraordinaire ne fasse pas l’objet d’une production plus abondante de films et de sĂ©ries. Dumas l’avait compris : cette Histoire est un cadre fabuleux pour inventer des histoires…

    Royalistes malgré nous ?

    Il faudrait, pour rendre hommage Ă  l’intention des auteurs, citer intĂ©gralement la prĂ©face de Franck Ferrand. On y apprend, premiĂšrement, que ce livre n’est qu’une version remaniĂ©e de ses Ă©missions sur Radio Classique. J’en copie nĂ©anmoins ici un extrait, pour vous donner envie d’aller acheter cet ouvrage absolument splendide et passionnant, pĂ©dagogique et complexe, simple et riche Ă  la fois.

    Il n’est pas interdit (…) de chercher Ă  tirer de cette galerie de portraits contrastĂ©e une ligne directrice, une philosophie d’ensemble – voire une morale … chacun se fera son idĂ©e. Pour aider un peu les moins fixĂ©s, j’aurais tendance – cela n’engage que moi – Ă  orienter leur rĂ©flexion vers le rĂŽle majeur de la royautĂ© en tant que forgeron millĂ©naire du corps social de la France. Il me semble que ce peuple si particulier dans ses aspirations, dans ses propensions, dans ses comportements doit Ă©normĂ©ment au patient travail de ses nombreux rois. Ce sont eux, les rois de France, qui auront pour finir contenu la noblesse, surveillĂ© le clergĂ©, promu la bourgeoisie, dĂ©fendu la paysannerie et, d’une façon gĂ©nĂ©rale, constituĂ© les Français en un corps plus ou moins cohĂ©rent, plus ou moins harmonieux. Ce sont eux qui auront constamment sabrĂ© les singularitĂ©s trop puissantes, au profit de l’Ă©mergence d’une population plus homogĂšne.
    Tocqueville, dans le premier tome de sa DĂ©mocratie, a rĂ©sumĂ© ce phĂ©nomĂšne d’une plume acerbe, certes, mais finement taillĂ©e : « En France, les rois se sont montrĂ©s les plus actifs et les plus constants des niveleurs. Quand ils ont Ă©tĂ© ambitieux et forts, ils ont travaillĂ© Ă  Ă©lever le peuple au niveau des nobles ; et quand ils ont Ă©tĂ© modĂ©rĂ©s et faibles, ils ont permis que le peuple se plaçùt au-dessus d’eux-mĂȘmes. Les uns ont aidĂ©s la dĂ©mocratie par leurs talents, les autres par leurs vices. Louis XI et Louis XIV ont pris soin de tout Ă©galiser au-dessous du trĂŽne, et Louis XV est enfin descendu lui-mĂȘme avec sa cour dans la poussiĂšre. » Il y a certainement, dans cet avis tranchĂ©, quelque faussetĂ© de dĂ©tail et mĂȘme de l’injustice, mais le fond mĂ©rite mille fois d’en ĂȘtre mĂ©ditĂ©, jusqu’Ă  s’interroger sur les racines de ce qui devait, en fin de compte, tuer nos rois… Et si, en effet, de tous les testaments possibles de la monarchie française, le plus pertinent – et non le moins paradoxal – rĂ©sidait dans les ressorts mal connus de son propre sabordage ?
  • Histoire de France

    Histoire de France

    ProphĂšte, mais pas que…

    Si vous aimez l’histoire, et l’histoire de France, alors il faut vous prĂ©cipiter sur l’Histoire de France de Jacques Bainville. Il est souvent prĂ©sentĂ© comme celui qui avait « prophĂ©tisé », en 1920, la seconde guerre mondiale, par des considĂ©rations tout à  fait justes sur l’histoire croisĂ©e de la France et de l’Allemagne, et sur le TraitĂ© de Versailles (Les consĂ©quences politiques de la paix). Je ne goute guĂšre les « prophĂ©ties ». EncensĂ©es quand elles ont Ă©tĂ© justes, on oublie rapidement de parler de toutes celles que ne se sont avĂ©rĂ©es ĂȘtre que des foutaises. Il est normal de louer la pertinence de l’analyse de Bainville, mais je trouve qu’il mĂ©rite aussi d’ĂȘtre saluĂ© comme un historien exceptionnel, et une trĂšs belle plume.

    Histoire de France synthétique

    Bainville le dit trĂšs bien dans l’avant-propos (à  lire pour lui-mĂȘme) de son Histoire de France :

    Nous n’avons pas tentĂ© une oeuvre originale : on peut Ă©claircir l’histoire, on ne la renouvelle pas. Nous n’avons pas non plus soutenu de thĂšse. Nous nous sommes efforcĂ© de montrer comment les choses s’étaient produites, quelles consĂ©quences en Ă©taient rĂ©sultĂ©es, pourquoi, à  tel moment, telle dĂ©cision avait Ă©tĂ© prise plutĂŽt que telle autre. Ce qu’on dĂ©couvre, au bout de cette analyse, c’est qu’il n’est pas facile de conduire les peuples, qu’il n’est pas facile non plus de fonder et de conserver un État comme l’État français, et l’on en garde, en dĂ©finitive, beaucoup d’indulgence pour les gouvernements.

    Peut-ĂȘtre ce sentiment est-il la garantie de notre impartialitĂ©. Mais comment serions-nous de parti pris puisque notre objet est de prĂ©senter dans leur enchaĂźnement les Ă©vĂ©nements de notre histoire ? Nous ne pouvons la juger que par ses rĂ©sultats. Et, comparant notre condition à  celle de nos ancĂȘtres, nous sommes amenĂ©s à  nous dire que le peuple français doit s’estimer heureux quand il vit dans la paix et dans l’ordre, quand il n’est pas envahi et ravagĂ©, quand il Ă©chappe aux guerres de destruction et à  ces guerres civiles, non moins redoutables, qui, au cours des siĂšcles, ne l’ont pas Ă©pargnĂ©.

    Cette conception de l’histoire est simple. C’est celle du bon sens. Pourquoi juger la vie d’un pays d’aprĂšs d’autres rĂšgles que celle d’une famille ? On peut Ă©crire l’histoire à  bien des points de vue. Il nous semble que l’accord gĂ©nĂ©ral peut s’établir sur celui-là .

    Les Ă©lĂ©ments d’un tel livre se trouvent partout. On demandera seulement s’il est possible, en cinq cents pages, de raconter, d’une maniĂšre à  peu prĂšs complĂšte, deux mille ans d’histoire de France. Nous rĂ©pondons hardiment : oui. La tĂąche de l’historien consiste essentiellement à  abrĂ©ger. S’il n’abrĂ©geait pas, — et la remarque n’est pas nouvelle, — il faudrait autant de temps pour raconter l’histoire qu’elle en a mis à  se faire. Toutefois chaque gĂ©nĂ©ration a une tendance naturelle à  donner plus d’importance à  la pĂ©riode contemporaine qu’aux temps plus reculĂ©s. C’est la preuve que de grandes quantitĂ©s de souvenirs tombent en route. Au bout de quatre ou cinq cents ans, on commence à  ne plus guĂšre apercevoir que les sommets et il semble que les annĂ©es aient coulĂ© jadis beaucoup plus vite que naguĂšre. Nous avons tĂąchĂ© de maintenir une juste proportion entre les Ă©poques, et, pour la plus rĂ©cente, puisque cette histoire va jusqu’à  nos jours, de dĂ©gager les grandes lignes que l’avenir, peut-ĂȘtre, retiendra.

    Et il rĂ©ussit cet effort de maniĂšre magistrale. Les chapitres sont courts, denses, et le fil de la narration est simple à  suivre. Il s’agit vraiment d’une histoire de France, et non d’une histoire des Ă©vĂšnements en France. Bainville raconte l’histoire de la nation française, de la royautĂ© bien sĂ»r, mais de l’Etat aussi, des frontiĂšres. Cette vision « narrative » de l’histoire de France me parle beaucoup, et j’aurais aimĂ© dĂ©couvrir Bainville au LycĂ©e, car cela m’aurait certainement donnĂ© plus de goĂ»t pour l’histoire. Il est bon de prĂ©ciser que cet effort de synthĂšse repose sur une trĂšs grande Ă©rudition : il est clair que Bainville a beaucoup lu, et chacun des chapitres montre une vue trĂšs globale du sujet. Les jeux d’alliance entre les grands d’Europe, au fil du temps et des circonstances, sont remarquablement dĂ©crits, et certains mĂ©canismes politiques rĂ©currents aussi. Le lien permanent entre gĂ©ographie et politique, par exemple est un des fils conducteurs du livre. Il s’agit, pour le dire simplement, d’un grand classique d’histoire, mais aussi de gĂ©opolitique. A mettre en bonne place dans la bibliothĂšque de tout honnĂȘte Homme.