Catégorie : 💡 Innovation

  • Poisons et antidotes

    Poisons et antidotes

    J’ai eu l’occasion de faire une présentation lors de la dernière journée plénière de la Communauté d’innovation Renault, dont le thème était « Poisons et antidotes de l’innovation ». Les échanges ont été super intéressants, et je voulais partager ici les éléments que j’avais apporté à  la discussion, via une présentation intitulée « Du poison ? Avec modération ! ».

    Toxicologie

    Une plongée dans l’univers des poisons et antidotes permet de dégager quelques vérités importantes :

      • Pas de vie sans poisons : il y a des poisons partout dans l’environnement (champignons et plantes toxiques, animaux venimeux, etc..), et il y aussi dans le corps humain de la sécrétion de poisons, et des organes de régulation permettant de les stocker, évacuer, détruire. Tout organisme vivant est soumis à  des poisons et antidotes, externes et internes en permanence. Loin de notre imaginaire du poison issue des contes de fée, où le poison est concocté par un(e) méchant(e) empoisonneur(euse). Le foie dit plus sur notre rapport au poison que la sorcière de Blanche-neige.

    • C’est la dose qui fait le poison: attribué à  Paracelse, mais certainement connue des humains depuis bien plus longtemps, cette vérité toute simple est très importante. Poison ou antidote, ce n’est pas une question de nature, mais une question de quantité. Toute substance toxique l’est en raison bien sûr de sa composition (qui créé des interactions plus ou moins importantes avec l’organisme qui l’ingère ou est mis en contact), mais aussi et surtout par sa quantité. Tout produit toxique, ingéré en quantité inférieur à  certains seuils, n’est pas toxique. Une grande quantité de produits, dosés correctement, sont des antidotes, et peuvent devenir en quantité plus importantes, de véritables poisons. Il suffit de penser aux médicaments pour s’en convaincre. Jean de Kervasdoué, dans son livre « Les prêcheurs de l’Apocalypse » avait très bien expliqué cela. Ce point est très impactant, prenez le temps d’y réfléchir. Quelque chose qui est associé dans notre esprit à  une qualité, et qui se trouve être principalement une question de quantité, cela force à  un peu de gymnastique mentale.
    • Un point apporté à  notre connaissance par le philosophe Dominique Christian et qui rejoint cela : le mot grec pharmakos, désignait à  l’origine la victime expiatoire d’un rite sacrificiel, mais aussi… le poison… et l’antidote !

    Vertus

    Compte-tenu des quelques vérités sur les poisons et antidotes, j’ai trouvé utile d’aller chercher deux éléments chez les grecs :

    • puisqu’il est question de dosage et de mesure, cela permet de faire appel très directement à  deux des quatre vertus cardinales : la prudence et la tempérance. Je vous en donne ici la définition, et l’on peut voir à  quel point l’histoire du bon dosage des poisons et antidotes peut être facilitée par ces vertus.

      La prudence est la sagesse qui dispose la raison pratique à  discerner, en toutes circonstances, le véritable bien et à  choisir les justes moyens de l’accomplir.

      La tempérance assure la maîtrise de la volonté sur les instincts et maintient les désirs dans les limites de l’honnêteté, procurant ainsi l’équilibre dans l’usage des biens.

    • Puisque l’organisme contient lui-même des sources de poisons, et d’antidotes, la question devient assez proche, dans l’idée, du traitement du mal dans le récit mythologique du combat entre Typhon et Zeus (déjà  évoqué ici). Le mythe de la création du cosmos, fascinant, se conclut par un formidable combat entre Zeus (qui veut installer l’ordre, et la justice) et Typhon (qui est le symbole du désordre, du chaos et de la violence, mais aussi du temps, de la génération). La fin est magnifique : Zeus triomphe de l’horrible Typhon, mais Gaia — la première déesse, et mère de ce dernier — insiste pour que Typhon ne soit pas tué, mais enfermé sous Terre. Parce que si l’harmonie triomphait, le cosmos sans le temps, le chaos, le déséquilibre ne serait rapidement plus rien d’autre qu’un univers immobile, figé, sans mouvement. Il en est de même pour des organisations qui voudraient se débarrasser complètement des poisons. Il s’agit bien plutôt de prévoir les bons organes de régulations.

    Poisons et antidotes

    Voici pour finir une liste – non exhaustive, c’est évident – de quelques poisons & antidotes. J’essaye de les décrire en restant dans ce que nous a apporté la toxicologie, c’est-à -dire en prenant en compte le fait qu’il est plus question de bon dosage, que d’une opposition entre des choses qui seraient des poisons par nature, et d’autres des antidotes.

    Culte du héros & storytelling

    Le mythe du héros salvateur est certainement un poison. Il fait oublier un peu vite que le nombre de projets innovants ayant réussis portés par une seule personne est probablement … nul ! Un projet, une innovation, c’est toujours des collaborations, des échanges, des compétences variées. Alors, question de mesure : Steve Jobs ou Musk sont réellement des gens admirables, mais il n’y a aucune raison pour les idéaliser. Il est plus utile de les comprendre, et de voir de quelle manière ils servent leurs projets en les incarnant et en les personnifiant. Il faut bien raconter des histoires pour embarquer les autres. Steve Jobs était un formidable raconteur.

    Idéologie & utopie

    L’idéologie et l’utopie sont utiles pour modéliser les choses, mais elles peuvent être de véritables poisons si elle empêchent de voir, et de se confronter au réel. Je suis parfois sidéré par le nombre de gens qui baignent en plein idéologie, et sont capables de penser complètement hors du réel, quitte à  nier certaines réalité. Voir le réel, premier antidote à  la connerie idéologique.

    Soumission au politique

    C’est presque la suite logique du point précédent, tant le monde politique nage en pleine idéologie. Il convient, pour toute personne qui tient l’activité humaine collective pour quelque chose de noble, de se méfier de l’agenda et des priorités des politiciens. Un exemple, celui de l’image : la main-mise du monde politique sur l’émission de monnaie, et sur la dette de nos sociétés, sont de véritables scandales. Il y a probablement une véritable bulle de projets qui ont trouvé un financement uniquement par l’afflux massif de liquidités. L’antidote consiste à  continuer à  se concentrer sur des projets avec des vrais clients.

    Sinistrose & apocalypse

    J’aime beaucoup la science-fiction, mais il faut reconnaître qu’elle est la plupart du temps très dystopique. Et elle alimente de ce fait un imaginaire très sinistre, pessimiste, de fin du monde. D’apocalypse. L’antidote consiste, envers et contre tous, à  regarder le réel, et à  assumer que celui-ci envoie aussi des messages qui permettent d’espérer que le progrès reste possible. Attention : ce type d’attitude est mal vu, tant il est aisé et bien vu d’être un prêcheur d’apocalypse.

    Ennui & désengagement

    A force de naviguer en pleine idéologie, et en alimentant tout cela avec de la dystopie, il est logique que le poison de l’ennui et du désengagement finisse par s’imposer. Je ne connais que deux antidotes radicaux à  cela : la science et la philosophie. L’une et l’autre parlent du réel, utilisent le doute, et favorisent un étonnement salvateur. L’image que j’ai choisi illustre un des derniers sujets que je suis allé découvrir en physique : la découverte du Boson de Higgs grâce au LHC (accélérateur géant de particules). C’est une si formidable aventure humaine, de découverte, d’expériences et de théories, qu’il me parait impossible de prendre connaissance de cela sans en sortir convaincu de deux choses : les humains sont capables de choses formidables, et la nature est incroyable de complexité et de mystère. Sources d’émerveillement.

  • Bonnes vibrations

    Bonnes vibrations

    J’ai eu le grand plaisir et la chance d’assister à  une conférence d’Albéric Tellier, en septembre. Cette conférence était organisée par le Cercle de l’Innovation Managériale, dont je fais partie comme contributeur ponctuel, et toujours intéressé.

    Albéric Tellier, passionné de musique et d’innovation

    Ce professeur de Management nous a présenté son dernier ouvrage, « Bonnes vibrations » (sous-titré : quand les disques mythiques nous éclairent sur les défis de l’innovation). Albéric Tellier est un orateur hors-pair, pédagogue, limpide, passionné et passionnant, et l’idée de son livre est géniale : mêlant ses deux passions, les sciences de gestion et la musique, il a choisi dans l’histoire de la musique des disques qui ont marqué leur époque, et en a éclairé la genèse, l’histoire, les acteurs, etc.. Tout disque, après tout, n’est qu’un projet d’innovation presque comme un autre, si ce n’est que le marché est encore plus incertain, et la part de créativité nécessaire encore plus importante. L’auteur y aborde différents plans, avec différents exemples de disques sur chaque plan : acteurs, projets, organisations, stratégies, environnements.

    Mine d’or de sciences de gestion et de musiques

    J’ai mis un peu plus de temps que prévu à  le lire : chaque court chapitre étant consacré à  un album, il est difficile, voire impossible, de ne pas se le mettre dans le casque pendant la lecture. Du coup, forcément, on se prend à  écouter de la musique, ce qui ralentit la lecture pour les monotâches comme moi. J’ai découvert, d’ailleurs, plein de groupes que je ne connaissais pas du tout – ou que j’ai redécouvert -, et qui sont venus enrichir ma playlist (XTC, The Zombies, par exemple) !
    Le livre est à  l’image de la conférence : passionnant. Et au juste niveau de vulgarisation, qui décidément est un art. Et qu’Albéric Tellier maîtrise, en bon professeur, à  la perfection. Plutôt que de long discours, et comme il y a une série de vidéos sur Youtube, proposée par XerfiCanal, j’en mets une en exemple, ce qui vous permettra de découvrir l’auteur « en chair et en os », et une des histoires qui m’a marquée dans sa conférence : celle de l’album What’s Going On, de Marvin Gaye.


  • Entreprises à  mission : et si on posait le débat ?

    Entreprises à  mission : et si on posait le débat ?

    Dans un article polémique, Philippe Silberzahn règle son compte à  l’entreprise à  mission. J’avais déjà  abordé le sujet pour montrer que le sujet de la mission est en lien étroit avec les capacités d’innovation. Je trouve l’article un peu excessif, et j’aimerais ici poser quelques éléments de la discussion, pour éviter de jeter le bébé avec l’eau du bain.

    Points d’accord

    Quelques éléments que je partage avec Philippe Silberzahn :

    • les politiciens ont une fâcheuse tendance à  être comme des bouchons sur l’eau : tel le bouchon qui suit le mouvement des vagues (les évolutions de la société), le politicien a beau jeu d’entériner ces évolutions dans des textes de loi ou réglementation et de crier ensuite : « regardez ! je fais monter et descendre l’eau ». Bêtise crasse, ou simple volonté de se croire puissant, cela est proprement ridicule, et montre l’étendue du constructivisme ambiant. Les politiciens devraient apprendre ce qu’est l’ordre spontané dans une économie libre, cela leur permettrait peut-être de se cantonner à  leur vrai rôle, qui est de garantir la sécurité et la Justice à  leurs concitoyens.
    • il est clair que les entreprises créent de la valeur pour le collectif, pour la société, et qu’elles n’ont pas attendus que cela leur soit demandé par un politicien pour le faire, que ce soit sous forme de RSE, ou de mission élargie inscrite dans les statuts
    • le faible respect des droits de propriété dans une France très marxisante est un point d’énervement quotidien. Cette institution de la liberté qu’est la propriété est bafouée quotidiennement par nos lois et réglementations. En rajouter une couche est certainement une mauvaise idée

    Points de désaccord

    Quelques nuances que j’aimerais apporter, maintenant, au propos très dur de Philippe Silberzahn, pour éviter de jeter le bébé avec l’eau du bain. Le bébé, c’est l’entreprise à  mission. L’eau du bain, c’est la récupération politicienne d’un mouvement existant. Depuis longtemps, un peu partout, et qui me semble un levier à  la fois d’innovation et d’engagement. En espérant qu’au final les modifications du code civil ne seront qu’une ouverture, et pas une contrainte, il faut tout de même prendre conscience que le fait d’introduire dans les statuts d’une entreprise un objet plus large que le seul profit est un vrai levier.

    • D’innovation : l’innovation se nourrit d’une mission large définie, qui permet de constamment revisiter l’offre, et la définition de ce qu’on appelle un client. Le « Job to be done » ne sert pas à  autre chose. Définir la mission est une source de créativité.
    • D’engagement : un des leviers de la motivation réside dans le sens et l’utilité de nos actions. Formuler collectivement dans le projet d’entreprise des aspirations plus larges que les activités actuelles ou historiques, c’est une très bonne manière de redonner du sens et de la motivation aux parties prenantes de l’entreprise.

    Questions en suspens

    Il reste donc plusieurs questions (beaucoup). Ratifier par la loi, par le truchement du code civil, une évolution déjà  visible dans la société, est-ce une erreur ? Est-ce que cela conduira à  des dérives, à  des lourdeurs, ou est-ce que cela sera une opportunité pour les entreprises qui le feront ? Au-delà  de cette « officialisation », le concept d’entreprise à  mission est-il générateur de valeur ? d’opportunités ? D’innovation, d’engagement ?

    Je conclue en confirmant qu’il s’agit là  d’un vrai sujet, selon moi, et que loin d’être un piège à  cons, l’entreprise à  mission est un outil, pour les entreprises. Que cet outil soit récupéré par une classe politique en manque de vernis moral, c’est une chose. Qu’il faille lutter contre sa systématisation, c’est évident. Mais cela reste une belle manière de redonner aux entreprises un sens collectif qu’elles ont perdu dans l’esprit de certains. Jean-Dominique Senard, patron de Michelin, n’a pas attendu les politiciens pour avancer sur ce sujet. Il me semble avec des fruits plutôt intéressants. A débattre ?

  • L’innovation pour les nuls #5 – Créativité

    L’innovation pour les nuls #5 – Créativité

    S’il y a bien un mot qui est souvent utilisé à  tort et à  travers, en innovation, c’est bien la « créativité ». Pourtant, sa définition est assez simple et claire :

    Capacité, pouvoir qu’a un individu de créer, c’est-à -dire d’imaginer et de réaliser quelque chose de nouveau.

    On voit tout de suite le lien avec l’innovation : « quelque chose de nouveau » répond bien à  une partie de la définition de l’innovation. Ce qui est important dans cette définition, c’est qu’elle fait référence à  une capacité. La créativité, c’est une capacité, pas un don. Et donc ça se travaille. Tous les outils permettant d’imaginer et de réaliser des choses nouvelles font partie des outils de la créativité. Les outils de conception bien sûr (design thinking, brainstorming, C-K, images, utilisation du théâtre, ou des sens et des émotions), mais aussi ceux du maquettage/prototypage. Donnons corps à  nos idées, le travail de conception bénéficie grandement de réalisations tangibles dès les premières étapes.
    Mon expérience de terrain m’a montré que deux choses sont essentielles dans la créativité : l’esprit de jeu (qui rend possible toutes les explorations), et l’hétérogénéité (mêler des choses différentes, revisiter les liens). Cela signifie que le meilleur moyen d’être créatif, c’est de s’entrainer (c’est une gymnastique), et de se nourrir de sources variées (sciences, littérature, philosophie, art, politique, jeu vidéo, etc…). Les créatifs sont des gens curieux, et avides de nouvelles connaissances.

    La créativité est un outil nécessaire de l’innovation, car elle permet de défixer. C’est-à -dire que le travail créatif permet de modifier les relations que nous entretenons avec les objets (au sens large) que nous concevons. La petite vidéo de Luc de Brabandère ci-dessous dit tout cela bien mieux que moi :

    Tout est dit ou presque. J’avais trouvé dans un article des Sciences pour l’ingénieur une liste des « postures créatives ». Je ne résiste pas au plaisir de partager cela ici (j’en ai ajouté deux, à  vous de trouver).

    Tout cela décrit simplement un esprit qui pense bien, non ? Et cela décrit aussi assez bien le type de culture d’entreprise dans lequel on souhaite évoluer.

    Pour finir, je voulais partager avec vous cette vidéo magnifique. Puisque la créativité est une capacité, elle peut s’apprendre. Où apprend-on ? A l’école pardi ! Sir Ken Robinson montre comment le système éducatif tue la créativité. A méditer.

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  • L’innovation pour les nuls #4 – Mission

    L’innovation pour les nuls #4 – Mission

    Après avoir parlé de l’innovation en général, de la place de la fonction innovation dans l’entreprise, et des cadres conceptuels permettant d’articuler tout cela, venons-en à  un sujet qui me tient à  coeur, celui de la mission de l’entreprise. C’est un sujet important pour l’innovation, et c’est un sujet d’actualité. Le rapport Notat-Senard vient d’être présenté, et propose de modifier la définition juridique des entreprises en ajoutant la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux, en complément de la recherche de son intérêt propre. Ils évoquent également les entreprises à  mission, qui pose au centre des débats la « raison d’être » des entreprises.

    Start with Why

    Il me semble qu’au coeur de ces discussions et de ces évolutions (déjà  visibles dans plusieurs pays, et déjà  théorisées), il y a la question du sens de l’action collective. Les humains aiment agir dans un cadre qui fait sens pour eux. Et c’est à  ce prix qu’ils s’engagent vraiment dans leurs actions. J’avais trouvé très percutantes les conférences de Simon Sinek (associées à  son livre Start With Why). En même temps que la définition des actions (what), des organisations (how), il est important de parler de la raison d’être, du sens de nos activités (why). C’est toujours utile et éclairant de définir les enjeux. Pourquoi travaillons-nous ? Dans quel but ? Bien sûr, il s’agit toujours de rendre service. Pourquoi nous levons-nous le matin pour aller au boulot ? pour gagner de quoi vivre, bien sûr. Mais souvent pour des objectifs un peu plus large, selon nos goûts et nos valeurs.

    Transformation et mission

    Ce sujet de la mission de l’entreprise est également au coeur de deux ouvrages importants. Reinventing Organizations, de Frédéric Laloux, et Refonder l’entreprise, de Blanche Segrestin et Armand Hatchuel. Je cite à  dessein l’ouvrage de Segrestin, car les chercheurs du CGS de l’Ecole des mines, avec qui j’ai le plaisir de travailler, ont beaucoup oeuvré à  théoriser et à  structurer les connaissances sur ce sujet. Ils font partie des ouvrages très cités par le rapport Notat-Senard. Le livre de Laloux montre, vision et exemples à  l’appui, que la transformation implique toujours une remise au coeur de l’activité de la mission de l’entreprise. J’avais gardé une trace de ce qui se raconte dans le livre de Laloux sous forme de trois caractéristiques de la transformation : organisation circulaire, ouverture et mission.

    Je trouve ces trois axes éclairants pour expliciter ce qu’on appelle transformation.

    Mission et innovation

    Pourquoi ces thèmes de mission et de transformation me paraissent essentiels pour parler d’innovation ? J’avais explicité dans le schéma de l’article #2 en quoi la mission était au centre des discussions apportées par les fonctions innovation. Sans mission un peu « large » définie, pas de possibilité d’innovation. En tout cas, des innovations incrémentales uniquement. La mission de mon entreprise est de fabriquer des voitures ? ou de rendre service aux gens dans leur mobilité ? Dans le premier cas, je continue à  fabriquer, de mieux en mieux, et de plus en plus efficacement, des voitures. Dans le second cas, il devient légitime d’aller explorer des services de mobilité, ou tout type de sujet qui alimente une réflexion plus large sur la mobilité en général. La mission est-elle de vendre le plus d’objets possible, ou de participer à  construire une société, un monde désirables ? La mission ramène également dans le champ stratégique des entreprises un notion de morale, au sens noble du terme. Nos activités, pour faire sens, impliquent d’accepter de définir une mission qui nous engage, et qui contribue à  nous engager. Au sein d’un monde où les enjeux sociaux et environnementaux sont dans le périmètre de réflexion et d’action.

    Le prochain billet traitera de la créativité, et des méthodes de conception.

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  • L’innovation pour les nuls #3 – Exploitation et exploration

    L’innovation pour les nuls #3 – Exploitation et exploration

    L’article précédent se terminait sur les tensions entre les activités concernant le « maintenant » et le « demain », au sein des entreprises. Ces tensions sont le coeur de l’innovation. Articuler ces deux mondes nécessaires, organiser le dialogue entre les acteurs qui en portent la responsabilité. Et pour pouvoir dialoguer, il faut avoir un langage commun. Plusieurs cadres conceptuels permettent de penser tout cela, et de disposer de ce langage commun. J’aime beaucoup l’approche des 3 horizons, et je trouve très éclairants les éléments structurés dans un cadre de sciences de gestion par les chercheurs de l’Ecole des Mines (Laboratoire Centre de Gestion Scientifique). Voyons tout cela (en très résumé) ! Ces deux approches ont en commun d’expliciter des natures d’activités différentes qui coexistent au sein d’une même entreprise, et de rendre lisible leurs différences. On ne gère pas de la même manière les opérations courantes, et les activités d’exploration.

    3 horizons

    Comme toujours, Philippe Silberzahn en a fait un excellent article. Pour résumer, les 3 horizons concernent les activités matures (H1), les activités en croissance (H2), et les activités émergentes (H3). Le tableau suivant donne les éléments principaux.

    Le point qui me semble crucial, et ce sera aussi le cas pour l’approche ci-après, c’est que l’on n’évalue pas des activités différentes avec les mêmes critères de performance.

    RID & Conception Innovante

    (Pour ceux qui veulent plus de détails, je vous renvoie à  un article plus détaillé, écrit en sortant de formation). J’avais appris beaucoup lors de cette formation à  l’Ecole des Mines. Le modèle RID, tout d’abord, très utile dans des boites technologiques, où la confusion règne souvent entre R&D, et innovation. Quelques définitions, centrées sur les connaissances et les compétences de l’entreprise :

    • La Recherche est un processus contrôlé de production de connaissances
    • le Développement est un processus contrôlé, activant les compétences existantes pour spécifier un système en accord avec le cahier des charges prédéfini
    • L’Innovation définit la valeur, et est un processus de construction des compétences

    Il est à  mon avis utile et structurant de passer du temps à  comprendre ce qu’est un régime de conception. Un régime de conception se définit par 3 caractéristiques : des raisonnements, des modes d’évaluation de la performance, et des organisations. On peut décrire – au moins – deux grands régimes de conception dans les activités d’une entreprise : le régime de conception réglée, et le régime de conception innovante. J’aime bien synthétiser cela sous la forme d’un tableau et de deux images illustrant une métaphore.

    « ‹ Conception Réglée (D) « ‹Conception Innovante (I) »‹
    Raisonnements Design formel, « ‹Design fonctionnel, Design détaillé C-K, revisiter l’identité des objets
    Evaluation de la performance « ‹Qualité – Coût – Délai « ‹Variété, Valeur, Originalité, Robustesse
    « ‹Organisation « ‹Projets « ‹Equipe multidisciplinaire, itération

    Pour rendre ce tableau plus digeste, j’utilise en général une métaphore forestière : la conception réglée, c’est comme construire une route à  travers une forêt, quand on en a déjà  fait plusieurs. La conception innovante, c’est explorer une forêt en cherchant à  y trouver tout ce qui peut avoir de la valeur.

    De manière schématique, la conception réglée c’est le domaine de compétences de l’entreprise : elle a déjà  construit des routes, et sait dire au début ce qu’est un objet « route ». Les compétences nécessaires, le budget, le temps, tout cela est plus ou moins connu au démarrage des travaux. Il y aura de l’imprévu, des embûches, et des innovations incrémentales pendant ce chantier, mais à  la fin on sais ce que l’on conçoit et construit : une route.
    La conception innovante, c’est le fait d’aller explorer la forêt. Peut-être y trouvera-t-on des endroits pour faire des routes, mais aussi des puits d’eau, des mines d’or, des arbres aux fruits magiques. Il est probable qu’il faudra aller chercher des compétences hors de l’entreprise pour comprendre ce que l’on aura trouvé dans cette forêt. Le premier livrable de cette exploration, c’est la carte de la forêt, la plus complète possible (y compris en ayant analysé et compris les objets inconnus que l’on y a trouvé, sous l’angle de la valeur). Une autre caractéristique des raisonnements de conception innovante, c’est qu’ils conduisent à  revisiter l’identité de l’objet conçu. Nous y reviendrons dans l’article consacré à  la créativité, mais vous pouvez déjà  lire à  profit l’excellent article d’Armand Hatchuel sur ce sujet : « Quelle analytique de la conception ? Parure et pointe en design. ».
    Tout l’enjeu, à  mon sens, est de faire dialoguer ces deux activités très différentes, par leur nature, comme dans leur mode d’évaluation. Le plus gros risque serait d’évaluer la Conception Réglée avec les critères de performance de la Conception Innovante, et vice versa.

    Fort heureusement, il existe un MOOC conçu et présenté par Armand Hatchuel et Sophie Hooge, de l’Ecole des mines, qui revient sur tout cela et sur bien d’autres choses encores : Concevoir pour innover. Nous reviendrons dans un article ultérieur – probablement le #5 – sur les raisonnements de conception,
    et sur la créativité.

    Conclusion

    La prochaine fois nous parlerons de « mission ». C’est un sujet que je trouve passionnant, car c’est la clef de voûte permettant d’articuler le dialogue nécessaire mentionné en introduction. Un levier puissant pour penser à  la fois le « maintenant » et le « demain », c’est bien entendu d’assumer la nature organique de l’activité des entreprises, et d’expliciter la mission de l’entreprise, le sens de ce travail collectif. Y compris dans son aspect évolutif.

    Un bénéfice direct à  l’écriture de ces articles : j’ai découvert grâce à  ma collègue ce très beau cadre concepteur, sur les 3 structures existantes dans les entreprises, et en parlant avec Frédéric Touvard, j’ai pu découvrir l’approche de Berne (livre commandé à  l’instant, miam, miam).

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