A l’heure oĂč tout ce qui s’est construit sur le web impacte pleinement les entreprises (pour le meilleur souvent), et la sociĂ©tĂ© en gĂ©nĂ©ral, je suis empli – plus que jamais – de doutes. Est-il encore permis de douter, tout en agissant ? Je l’espĂšre !
Si vous ĂȘtes certain, vous vous trompez certainement, parce que rien nâest digne de certitude ; et on devrait toujours laisser place Ă Â quelque doute au sein de ce quâon croit ; et on devrait ĂȘtre capable dâagir avec Ă©nergie, malgrĂ© ce doute. â Bertrand Russell
Idéalisme et action intraprenariale
J’ai la chance de faire un mĂ©tier passionnant, centrĂ© sur l’innovation (donc sur la structuration de l’inconnu, la conduite du changement, et l’humain au sens large). Et j’ai la chance d’avoir une activitĂ© qui mĂȘle les non-spĂ©cialistes aux spĂ©cialistes, et qui questionne la capacitĂ© Ă Â faire (Refaire?).
Etant idĂ©aliste, j’ai une tendance naturelle Ă Â voir le rĂ©sultat escomptĂ© avant les embĂ»ches : je pense qu’il est possible d’imaginer, et de construire, une sociĂ©tĂ© oĂč les humains puissent vivre librement, en sĂ©curitĂ©, et rechercher comme ils l’entendent leur bonheur, en respectant ce mĂȘme droit pour les autres. Je pense Ă©galement qu’il possible d’imaginer, et de construire, des entreprises (des firmes) oĂč il fait bon travailler, dans la joie, le respect et la transparence.
Le propre de l’idĂ©alisme, c’est d’ĂȘtre dĂ©calĂ© du monde rĂ©el. L’idĂ©aliste se construit dans l’espace qui sĂ©pare sa vision de la rĂ©alitĂ©. L’idĂ©aliste non dogmatique se nourrit des difficultĂ©s (le sage aussi, mais sans en souffrir). Ma souffrance au quotidien (souffrance toute spirituelle) consiste Ă Â mesurer l’Ă©cart entre ma visĂ©e, et ce qui est la rĂ©alitĂ© au quotidien. Je suis donc pour cela (et aussi un peu par choix/nĂ©cessitĂ©) enclin au doute. Et comme je pense qu’il est plus profitable de partager ses doutes que ses convictions, j’ai envie d’en partager quelques-uns.
Les grandes entreprises sont-elles prĂȘtes Ă Â jouer le jeu de l’innovation ?
Pour le vivre au quotidien, je crois que le vrai problĂšme de l’innovation dans les grandes entreprises est l’articulation entre les activitĂ©s de conception innovante et les celles de conception rĂ©glĂ©e (je ne parle pas comme chercheur, mais sur la base d’un retour d’expĂ©rience de terrain, donc non gĂ©nĂ©ralisable). Mettre en place des structures de conception rĂ©glĂ©e pour mener Ă Â bien des exploits industriels, beaucoup d’entreprises l’ont fait, et savent trĂšs bien le faire. Mener Ă Â bien des activitĂ©s de conception innovante, beaucoup d’entreprises aussi l’ont fait. Mais articuler ces deux activitĂ©s relativement diffĂ©rentes (dans leurs modes de raisonnements, dans leur pilotage, dans la maniĂšre de les Ă©valuer), au sein d’une mĂȘme structure, voilĂ Â qui est plus complexe. Certaines entreprises ont montrĂ© des voies possibles : Apple, Google, Pixar, mais aussi 3M, Seb, et bien d’autres. Articuler ces deux types d’activitĂ©s conduit Ă Â faire se parler deux mondes :
1° comment rendre appropriables par le monde de la conception rĂ©glĂ©e les sorties de l’activitĂ© de conception innovante ? L’exploration de la valeur (au sens plein du terme) parait ĂȘtre le chemin commun. En voyez-vous d’autres ?
2° comment intĂ©grer les contraintes de la conception rĂ©glĂ©e Ă Â l’activitĂ© de conception innovante ?
Pour l’une comme pour l’autre de ces questions, il parait Ă©vident que le plus simple est de mĂ©langer des acteurs de ces deux mondes, et les faire travailler ensemble. Plus facile Ă Â dire qu’Ă Â faire. Les projets temps libres sont une vraie piste pour cela (sortir les gens de leurs missions au sein de la firme), et les « tiers-lieu » permettent de formaliser cette transversalitĂ©, et de favoriser un mĂ©lange rĂ©ussi entre les mĂ©tiers, avec une organisation diffĂ©rente de l’activitĂ©. Les grandes entreprises sont-elle prĂȘtes pour ce jeu-lĂ Â ? J’en doute, tant les effets de la « corporate governance », mĂȘlĂ©s Ă Â ceux de la crise, tendent la situation interne.
Une rĂ©volution, ça tourne…et ça revient !
Il est toujours dangereux de parler de « changement de paradigme », de « rĂ©volution ». Notre point de vue est si temporellement dĂ©fini que les effets de distorsion sont inĂ©vitables. VoilĂ Â un doute de plus : je doute sincĂšrement du fait que nous soyons en plein changement de paradigme. Je crois que beaucoup de monde se gargarise avec ces grands mots, qui cachent facilement les petites lĂąchetĂ©s et la paresse intellectuelle. La bascule des produits vers les services, nouvelle ? Mais IBM l’a dĂ©jĂ Â rĂ©alisĂ©e ! L’arrivĂ©e des Big Datas, nouvelle ? Mais Google s’est justement construite sur la structuration des informations, et sur leur utilisation appropriĂ©e ! Dans un cas comme dans l’autre, parler de rĂ©volution, c’est bien, mais cela masque surtout un manque de capacitĂ© Ă Â intĂ©grer ces exemples au jour le jour dans nos pratiques. Qu’en pensez-vous ? Sommes-nous rĂ©ellement dans un « changement de paradigme » ?
L’humain au centre de tout ça
VoilĂ Â qui nous ramĂšne directement Ă Â l’humain, et aux individus. Jusqu’Ă Â preuve du contraire, une entreprise, un Ă©tat, une nation, une communautĂ©, ça ne parle pas, ça ne pense pas ; les individus oui. Les acteurs sont les individus. Et le fait que leurs actions et leurs pensĂ©es puissent ĂȘtre structurĂ©es par des facteurs externes n’y change pas grand-chose. Les acteurs sont les individus.
VoilĂ Â encore un doute qui me traverse au quotidien. Aucune idĂ©e n’avance seule ; les idĂ©es avancent parce que des porteurs y mettent leur Ă©nergie, leurs tripes parfois, et parce que cela rencontre un Ă©cho chez les autres. Qu’ils soient des acteurs Ă Â fĂ©dĂ©rer, des clients Ă Â combler ou Ă Â titiller, des partenaires Ă Â sĂ©duire (dans le bon sens du terme). VoilĂ Â un autre doute qui m’anime, liĂ©e Ă Â notre contexte français : les gens sont-ils prĂȘts Ă Â accepter une sociĂ©tĂ© plus ouverte, avec une place accrue de la sociĂ©tĂ© civile, avec une mise en avant plus forte de la responsabilitĂ© individuelle ? Je suis un ferme partisan d’une vraie subsidiaritĂ© : avant de prĂ©voir des plans pharaoniques nĂ©cessitant un recours souvent brutal au financement des contribuables, il convient de balayer devant sa porte. En commençant Ă Â la brique Ă©lĂ©mentaire, l’individu. Nous avons un penchant culturel Ă Â toujours vouloir rĂ©gler les problĂšmes par le haut, au lieu de commencer Ă Â retrousser les manches au niveau local pour gĂ©rer nous-mĂȘmes les choses. Le systĂšme (qu’il soit celui de l’entreprise, ou la sociĂ©tĂ© en gĂ©nĂ©ral) ne peut se changer qu’au quotidien, avec un peu de courage, de libertĂ© et de vĂ©ritĂ©. Cela implique une ambiance de confiance totale ; c’est ce qu’Ed Catmull -co-fondateur de Pixar- avait bien compris. La premiĂšre rĂšgle formelle chez Pixar est : chacun est libre de s’adresser Ă Â n’importe qui. Cette simple rĂšgle serait rĂ©volutionnaire si on l’appliquait dans beaucoup d’organisme. La confiance est une clĂ©. La convivialitĂ© aussi. Le goĂ»t du dĂ©bat, voire de la controverse, de l’argumentation font partie de tout cela. Un soldat au garde-Ă Â -vous est utile pour que l’armĂ©e soit opĂ©rationnelle ; est-ce une attitude bien utile dans une entreprise innovante ? VoilĂ Â un ensemble de valeur dont j’entends souvent parler, mais qui demandent, pour ĂȘtre dĂ©fendue au quotidien, pas mal d’efforts, et d’idĂ©alisme. Qu’en pensez-vous? Ces doutes exprimĂ©s vous parlent-ils ? Vous paraissent-ils ridicules ? La section commentaire est lĂ Â pour en discuter !