Ă l’occasion de la publication de mon modeste article par Without Model (Ă Â propos du Fablab interne comme outil d’innovation), je republie ici le dessin que j’ai fait sur mon Ipad pour illustrer l’article. Sympa, non, l’usine brique de Lego ?
CatĂ©gorie : đĄ Innovation
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Makers – Qu’avez-vous envie de fabriquer aujourd’hui ?
C’est la phrase de conclusion du livre qui m’a servi de titre pour ce billet. Le livre « Makers – La nouvelle rĂ©volution industrielle » de Chris Anderson (journaliste, scientifique, multi-entrepreneur … et bricoleur) est consacrĂ© au mouvement des « makers », c’est-Ă Â -dire – pour faire court – Ă Â tous ceux qui utilisent des imprimantes 3D, dĂ©coupeuses laser, logiciels et matĂ©riels open source pour fabriquer des objets. C’est un peu le prolongement de ce qui s’est passĂ© sur le web avec les communautĂ©s, l’open source, pour les bits, mais transposĂ© dans le domaine physique, rĂ©el, des atomes. Les entreprises makers sont issues du web, appuyĂ©s souvent sur des communautĂ©s de passionnĂ©s/utilisateurs/prosumers, et recourent au web – et Ă Â son efficacitĂ© – pour Ă Â peu prĂšs toutes les opĂ©rations : trouver des fournisseurs, des financements, faire le marketing, livrer, procĂ©der Ă Â une R&D open et communautaire. Costaud et puissant.
C’est passionnant, bien Ă©crit et clair. Par ailleurs, l’Ă©clairage est suffisament large pour intĂ©resser Ă Â la fois un passionnĂ© de technique, comme celui qui voudrait comprendre les implications de ce mouvement dans l’Ă©conomie. Le livre fourmille d’exemples de sociĂ©tĂ©s qui se sont construites au sein du mouvement Makers ; l’auteur y revient Ă©galement sur toutes les possibilitĂ©s qu’il entrevoit pour ces modes de fabrication adaptĂ© pour les petites et moyennes sĂ©ries, pour le sur-mesure plus que pour standard. Il montre aussi comment le mouvement s’est dĂ©jĂ Â amorcĂ© de dĂ©mocratisation de ces outils, Ă Â l’instar des imprimantes Ă Â l’Ă©poque : les premiĂšres Ă©taient des outils de luxes, rĂ©servĂ©es Ă Â des entreprises (il revient sur la premiĂšre imprimante d’Apple, la LaserWriter qui coĂ»tait trĂšs cher, mais qui n’Ă©tait que le dĂ©but d’un mouvement qui a conduit presque chacun d’entre nous Ă Â pouvoir imprimer chez soi, sur sa propre imprimante bon marchĂ© et de bonne qualitĂ©).
J’ai eu la chance de participer Ă Â une exploration de la FING sur le DO IT YOURSELF, et le mouvement des Makers. Autant dire que ce livre ne m’a pas fait dĂ©couvrir ce sujet, mais l’a plutĂŽt cristallisĂ©, renforcĂ©, et a achevĂ© de me convaincre que le mouvement des makers avait dĂ©jĂ Â rempli des interstices du marchĂ© non adressĂ©s par les grandes entreprises, et qu’il allait probablement revisiter un certain nombres des schĂ©mas acquis au sein de l’industrie.
Alors si vous voulez dĂ©couvrir MakerBot, Kickstarter, Etsy, Square, DIYDrones, et autres Quirky (ainsi que leurs histoires respectives), tout en dĂ©couvrant un univers passionnant, foisonant (comme peut l’ĂȘtre le web), en Ă©bulition mĂȘme, courez acheter Makers, vous ne serez pas déçu. Plein de belles perspectives dans ce livre, Ă Â commencer par la plus simple et la plus excellente des promesses : vous pouvez dessiner ce que vous voulez sur votre ordinateur (avec Inkscape, Illustrator, Sketchup ou AutoDesk 123D), et faire rĂ©aliser Ă Â votre imprimante 3D perso ou en ligne (ShapeWays, Ponoko) Ă Â peu prĂšs n’importe quel objet de votre imagination.
Alors : qu’avez-vous envie de fabriquer aujourd’hui ?
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Les postures de l’innovation
La science nous a appris que lâĂȘtre humain est un tout : il nây a pas lâesprit dâun cĂŽtĂ©, et le corps de lâautre. Fini le dualisme, bienvenue Ă Â lâorganisme.
Jâavais Ă©tĂ© trĂšs intĂ©ressĂ© par la lecture (il y a longtemps dĂ©jĂ Â ) du livre « Le sens du Mouvement », dâAlain Berthoz. Jâen ai retenu, entre autres, que lâĂ©tat dâesprit et la posture influencent la maniĂšre de vivre une situation, y compris la maniĂšre dont lâorganisme perçoit son environnement. Le scĂ©nario interne inconscient dĂ©termine ce que lâorganisme va percevoir et utiliser pour son action.
Il y a peu de temps, jâai vu cette vidĂ©o trĂšs intĂ©ressante sur Ted (grĂące Ă Â Max), oĂč Amy Cuddy explicite les liens qui existent entre postures physiques et Ă©tat dâesprit : oui, prendre une posture physique de « puissance » met effectivement en condition dâĂȘtre plus efficace, rĂ©actif, dĂ©tendu, etcâŠ
Et dans le cadre de mon travail, je viens de lire un excellent article de Andrew B. Hargadon (1998) : « Firms as Knowledge Brokers: Lessons in Pursuing Continuous Innovation », California Management Review 40 (3): 209â227. Câest passionnant : il y revient sur lâanalyse de firmes spĂ©cialisĂ©es dans lâinnovation continue, câest-Ă Â -dire de sociĂ©tĂ©s dont la principale et seule activitĂ© est lâinnovation (IDEO, Design Continuum, McKinsey, etcâŠ).
Entre autres choses passionnantes, il y mentionne la âposture du sage » : le fait dâĂȘtre suffisamment confiant et Ă Â la fois pas trop arrogant, et qui permet de partager ses connaissances avec les autres, mais aussi ses problĂšmes et ses doutes. Une clĂ© dans le « knowledge brokering » et le bon fonctionnement des organisations basĂ©es sur cela pour innover en permanence. Ce retour sur une « posture » a fait tilt, car je l’avais dĂ©jĂ Â Ă©voquĂ© avec mon collĂšgue @Mickouku !
Jâai donc envie dâaller chercher et Ă©tudier un peu tout ça : les postures (Ă Â la fois physiques et psychiques), leur typologie et leur impact sur la rĂ©flexion, la crĂ©ativitĂ© et lâinnovation. Jâimagine quâil y a des classifications qui existent et des travaux Ă Â ce sujet. Si vous en connaissez, merci de me le dire en commentaire. Quelles sont les postures ouvertes/fermĂ©es ? Quels liens avec les grandes postures rĂ©flexologiques Ă©voquĂ©es par G. Durand dans « Structures anthropologiques de lâimaginaire » ? Quels liens entre lâespace physique de travail et les postures ? Quel impact ont les postures sur les postures ? quel est lâimpact dâun changement de posture plus ou moins forcĂ© ? quel lien avec les postures fondamentales Ă©voquĂ©es par Laborit et dâautres (lutte, fuite, inhibition de lâaction, jeu, dĂ©couverte) ? Comment une organisation peut favoriser telle ou telle posture ? Je sens que ça va ĂȘtre passionnantâŠet jâaimerais bien que ça dĂ©bouche sur une classification simple et utilisable des « postures de lâinnovation ».
Si vous avez dĂ©jĂ Â des connaissances sur le sujet, ou si vous pouvez mâorienter vers des ressources, des auteurs, etc⊠je suis preneur ! Soyez sages.
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Innover pour survivre
« Innovate or die » aurait pu ĂȘtre le sous-titre du livre de Pascal Picq « Un palĂ©oanthropologue dans lâentreprise ». A la place, il a mis « Sâadapter et innover pour survivre », ce qui est plus juste. Pascal Picq est un Ă©minent membre du CollĂšge de France, et il oeuvre depuis une quinzaine dâannĂ©es pour introduire des notions rapportĂ©es de la thĂ©orie de lâĂ©volution darwinienne dans lâentreprise (avec lâAPM, ou lâAcadĂ©mie des Entrepreneurs). Son livre est facile Ă Â lire, bourrĂ© de notions et dâidĂ©es de tous les horizons, et câest ce qui en fait la richesse. On y voit Ă Â lâoeuvre non un spĂ©cialiste, mais un passeur, un jongleur, prĂȘt Ă Â faire des raccourcis pour faire bouger les lignes. Câest un livre enthousiasmant, Ă©clairant, jubilatoire. Le parallĂšle dressĂ© entre « capacitĂ© dâadaptation » (pour des individus et des espĂšces) et « innovation » (pour les entreprises et les sociĂ©tĂ©s) est puissant.
Je nâai pas appris grand-chose sur la thĂ©orie de lâĂ©volution (que je connaissais dĂ©jĂ Â un peu), mais jâai par contre dĂ©couvert avec un grand plaisir que ce champ de connaissance ramenĂ© dans lâentreprise vient renforcer un certain nombre de thĂšmes que lâinnovation fait Ă©merger aussi :- la notion de reine rouge (image repiquĂ©e par la biologie Ă Â Lewis Carroll) : dans un environnement mouvant, il faut bouger pour ĂȘtre immobile ; les entreprises doivent ĂȘtre capables dâĂ©voluer pour rester adaptĂ©es dans un monde en perpĂ©tuelle Ă©volution. De cela dĂ©coule la notion de coĂ©volution : il est prĂ©fĂ©rable de travailler avec son Ă©co-systĂšme (y compris les concurrents) pour continuer Ă Â sâadapter. Sans concurrents, lâillusion dâun environnement fixe revient rapidement, et lâentreprise perd sa capacitĂ© dâadaptation, dâinnovation.
- lâimportance dâune culture faisant la part belle Ă Â lâessai / erreur. Notre culture europĂ©enne, et particuliĂšrement la culture française, est encore trop attachĂ©e Ă Â des structures de dĂ©cisions et opĂ©rationnelles verticales, oĂč « lâĂ©chec » est vĂ©cu comme une catastrophe. Lâinnovation, comme lâadaptation Ă Â lâenvironnement, ne passe que par le fameux couple « variation / sĂ©lection ». Il faut gĂ©nĂ©rer de la diversitĂ© (variation), et la pression de lâenvironnement fera Ă©merger ce qui fonctionne (sĂ©lection).
- lâarrivĂ©e en force de la ResponsabilitĂ© Sociale de lâEntreprise, et du dĂ©veloppement durable. Cela converge admirablement avec les thĂšses de SĂ©grestin & Hatchuel. Ce serait dâailleurs une maniĂšre intĂ©ressante de pousser ce sujet que de les faire se rencontrerâŠ
- la nĂ©cessaire porositĂ© avec le monde extĂ©rieur au sein des entreprises : les dirigeants ont intĂ©grĂ©s que lâĂ©volution dĂ©pend de facteurs internes, mais ils oublient parfois Ă Â quel point elle dĂ©pend aussi de facteurs externes. Je ne peux quâapplaudir des deux mains Ă Â ce constat simple, mais Ă Â rappeler en permanence, surtout avec celui de la nĂ©cessaire co-Ă©volution : les autres acteurs, y compris les concurrents, ne sont pas des ennemis, mais les membres dâun Ă©cosystĂšme commun.
Pour en découvrir un peu plus je vous invite à  regarder cette conférence de Pascal Picq, et bien sûr à  aller acheter cet excellent bouquin !
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Un individu dans l’innovation
A l’heure oĂč tout ce qui s’est construit sur le web impacte pleinement les entreprises (pour le meilleur souvent), et la sociĂ©tĂ© en gĂ©nĂ©ral, je suis empli – plus que jamais – de doutes. Est-il encore permis de douter, tout en agissant ? Je l’espĂšre !
Si vous ĂȘtes certain, vous vous trompez certainement, parce que rien nâest digne de certitude ; et on devrait toujours laisser place Ă Â quelque doute au sein de ce quâon croit ; et on devrait ĂȘtre capable dâagir avec Ă©nergie, malgrĂ© ce doute. â Bertrand Russell
Idéalisme et action intraprenariale
J’ai la chance de faire un mĂ©tier passionnant, centrĂ© sur l’innovation (donc sur la structuration de l’inconnu, la conduite du changement, et l’humain au sens large). Et j’ai la chance d’avoir une activitĂ© qui mĂȘle les non-spĂ©cialistes aux spĂ©cialistes, et qui questionne la capacitĂ© Ă Â faire (Refaire?).
Etant idĂ©aliste, j’ai une tendance naturelle Ă Â voir le rĂ©sultat escomptĂ© avant les embĂ»ches : je pense qu’il est possible d’imaginer, et de construire, une sociĂ©tĂ© oĂč les humains puissent vivre librement, en sĂ©curitĂ©, et rechercher comme ils l’entendent leur bonheur, en respectant ce mĂȘme droit pour les autres. Je pense Ă©galement qu’il possible d’imaginer, et de construire, des entreprises (des firmes) oĂč il fait bon travailler, dans la joie, le respect et la transparence.
Le propre de l’idĂ©alisme, c’est d’ĂȘtre dĂ©calĂ© du monde rĂ©el. L’idĂ©aliste se construit dans l’espace qui sĂ©pare sa vision de la rĂ©alitĂ©. L’idĂ©aliste non dogmatique se nourrit des difficultĂ©s (le sage aussi, mais sans en souffrir). Ma souffrance au quotidien (souffrance toute spirituelle) consiste Ă Â mesurer l’Ă©cart entre ma visĂ©e, et ce qui est la rĂ©alitĂ© au quotidien. Je suis donc pour cela (et aussi un peu par choix/nĂ©cessitĂ©) enclin au doute. Et comme je pense qu’il est plus profitable de partager ses doutes que ses convictions, j’ai envie d’en partager quelques-uns.
Les grandes entreprises sont-elles prĂȘtes Ă Â jouer le jeu de l’innovation ?
Pour le vivre au quotidien, je crois que le vrai problĂšme de l’innovation dans les grandes entreprises est l’articulation entre les activitĂ©s de conception innovante et les celles de conception rĂ©glĂ©e (je ne parle pas comme chercheur, mais sur la base d’un retour d’expĂ©rience de terrain, donc non gĂ©nĂ©ralisable). Mettre en place des structures de conception rĂ©glĂ©e pour mener Ă Â bien des exploits industriels, beaucoup d’entreprises l’ont fait, et savent trĂšs bien le faire. Mener Ă Â bien des activitĂ©s de conception innovante, beaucoup d’entreprises aussi l’ont fait. Mais articuler ces deux activitĂ©s relativement diffĂ©rentes (dans leurs modes de raisonnements, dans leur pilotage, dans la maniĂšre de les Ă©valuer), au sein d’une mĂȘme structure, voilĂ Â qui est plus complexe. Certaines entreprises ont montrĂ© des voies possibles : Apple, Google, Pixar, mais aussi 3M, Seb, et bien d’autres. Articuler ces deux types d’activitĂ©s conduit Ă Â faire se parler deux mondes :
1° comment rendre appropriables par le monde de la conception rĂ©glĂ©e les sorties de l’activitĂ© de conception innovante ? L’exploration de la valeur (au sens plein du terme) parait ĂȘtre le chemin commun. En voyez-vous d’autres ?
2° comment intĂ©grer les contraintes de la conception rĂ©glĂ©e Ă Â l’activitĂ© de conception innovante ?
Pour l’une comme pour l’autre de ces questions, il parait Ă©vident que le plus simple est de mĂ©langer des acteurs de ces deux mondes, et les faire travailler ensemble. Plus facile Ă Â dire qu’Ă Â faire. Les projets temps libres sont une vraie piste pour cela (sortir les gens de leurs missions au sein de la firme), et les « tiers-lieu » permettent de formaliser cette transversalitĂ©, et de favoriser un mĂ©lange rĂ©ussi entre les mĂ©tiers, avec une organisation diffĂ©rente de l’activitĂ©. Les grandes entreprises sont-elle prĂȘtes pour ce jeu-lĂ Â ? J’en doute, tant les effets de la « corporate governance », mĂȘlĂ©s Ă Â ceux de la crise, tendent la situation interne.Une rĂ©volution, ça tourne…et ça revient !
Il est toujours dangereux de parler de « changement de paradigme », de « rĂ©volution ». Notre point de vue est si temporellement dĂ©fini que les effets de distorsion sont inĂ©vitables. VoilĂ Â un doute de plus : je doute sincĂšrement du fait que nous soyons en plein changement de paradigme. Je crois que beaucoup de monde se gargarise avec ces grands mots, qui cachent facilement les petites lĂąchetĂ©s et la paresse intellectuelle. La bascule des produits vers les services, nouvelle ? Mais IBM l’a dĂ©jĂ Â rĂ©alisĂ©e ! L’arrivĂ©e des Big Datas, nouvelle ? Mais Google s’est justement construite sur la structuration des informations, et sur leur utilisation appropriĂ©e ! Dans un cas comme dans l’autre, parler de rĂ©volution, c’est bien, mais cela masque surtout un manque de capacitĂ© Ă Â intĂ©grer ces exemples au jour le jour dans nos pratiques. Qu’en pensez-vous ? Sommes-nous rĂ©ellement dans un « changement de paradigme » ?
L’humain au centre de tout ça
VoilĂ Â qui nous ramĂšne directement Ă Â l’humain, et aux individus. Jusqu’Ă Â preuve du contraire, une entreprise, un Ă©tat, une nation, une communautĂ©, ça ne parle pas, ça ne pense pas ; les individus oui. Les acteurs sont les individus. Et le fait que leurs actions et leurs pensĂ©es puissent ĂȘtre structurĂ©es par des facteurs externes n’y change pas grand-chose. Les acteurs sont les individus.
VoilĂ Â encore un doute qui me traverse au quotidien. Aucune idĂ©e n’avance seule ; les idĂ©es avancent parce que des porteurs y mettent leur Ă©nergie, leurs tripes parfois, et parce que cela rencontre un Ă©cho chez les autres. Qu’ils soient des acteurs Ă Â fĂ©dĂ©rer, des clients Ă Â combler ou Ă Â titiller, des partenaires Ă Â sĂ©duire (dans le bon sens du terme). VoilĂ Â un autre doute qui m’anime, liĂ©e Ă Â notre contexte français : les gens sont-ils prĂȘts Ă Â accepter une sociĂ©tĂ© plus ouverte, avec une place accrue de la sociĂ©tĂ© civile, avec une mise en avant plus forte de la responsabilitĂ© individuelle ? Je suis un ferme partisan d’une vraie subsidiaritĂ© : avant de prĂ©voir des plans pharaoniques nĂ©cessitant un recours souvent brutal au financement des contribuables, il convient de balayer devant sa porte. En commençant Ă Â la brique Ă©lĂ©mentaire, l’individu. Nous avons un penchant culturel Ă Â toujours vouloir rĂ©gler les problĂšmes par le haut, au lieu de commencer Ă Â retrousser les manches au niveau local pour gĂ©rer nous-mĂȘmes les choses. Le systĂšme (qu’il soit celui de l’entreprise, ou la sociĂ©tĂ© en gĂ©nĂ©ral) ne peut se changer qu’au quotidien, avec un peu de courage, de libertĂ© et de vĂ©ritĂ©. Cela implique une ambiance de confiance totale ; c’est ce qu’Ed Catmull -co-fondateur de Pixar- avait bien compris. La premiĂšre rĂšgle formelle chez Pixar est : chacun est libre de s’adresser Ă Â n’importe qui. Cette simple rĂšgle serait rĂ©volutionnaire si on l’appliquait dans beaucoup d’organisme. La confiance est une clĂ©. La convivialitĂ© aussi. Le goĂ»t du dĂ©bat, voire de la controverse, de l’argumentation font partie de tout cela. Un soldat au garde-Ă Â -vous est utile pour que l’armĂ©e soit opĂ©rationnelle ; est-ce une attitude bien utile dans une entreprise innovante ? VoilĂ Â un ensemble de valeur dont j’entends souvent parler, mais qui demandent, pour ĂȘtre dĂ©fendue au quotidien, pas mal d’efforts, et d’idĂ©alisme. Qu’en pensez-vous? Ces doutes exprimĂ©s vous parlent-ils ? Vous paraissent-ils ridicules ? La section commentaire est lĂ Â pour en discuter ! -
Refonder l’entreprise
Le titre est ambitieux, et le livre pas moins. Blanche Segrestin et Armand Hatchuel (tous deux professeurs à MinesParisTech) viennent de cosigner un remarquable petit livre. Remarquable par son écriture ciselée, son sens de la pédagogie, mais surtout par l’ampleur du propos. Le thèse est simple et très bien étayée :
- l’apparition de la notion d’entreprise est intimement liée, historiquement, à la structuration des firmes autour de leur capacités d’innovation. L’apparition de l’entreprise correspond à une époque, il y a à peu près un siècle, où son objectif est devenu l’organisation de l’activité inventive (en mobilisant une démarche scientifique).
- la diffusion rapide de la doctrine de la corporate governance, à partir de la fin des années 80, a perverti l’entreprise (au sens d’aventure collective innovante, ou de projet de création collective), et a conduit à ne penser l’entreprise qu’au sens de la stricte activité ayant pour but de maximiser les profits. Le rôle des dirigeants, notamment, a été modifié : de dirigeant qui pilote l’activité inventive, les patrons sont devenus, au sens juridique du terme, des agents des actionnaires.
- sur cette base, les deux auteurs soulignent le vide juridique qui entoure l’entreprise, et proposent une refondation de celle-ci (en explorant plusieurs pistes, et en s’appuyant sur des exemples passionnants allemands ou américains). Ils placent le coeur de leur réflexion sur le fait d’avoir des dirigeants non plus « mandatés » par les actionnaires, mais « habilités » par un collectif (le conseil d’administration) qui peut comprendre à la fois des actionnaires, mais aussi des salariés (c’est le cas en Allemagne), voire des partenaires ou des parties prenantes de la mission que s’est fixée l’entreprise.
Voilà un résumé bien rapide de ce petit livre très dense, très riche et extrêmement stimulant. J’ai adoré le passage sur la solidarité d’action collective, où les auteurs rappellent ce qu’est, en droit maritime, la règle des avaries communes. La capitaine d’un navire est « habilité » à jeter des marchandises par-dessus bord, si ce « jet » peut sauver le navire. Ces sacrifices sont des « avaries communes », parce qu’elle sont réalisées « pour la sécurité commune dans le but de préserver d’un péril les propriétés engagées dans une aventure maritime commune ». Le principe de solidarité est original : « Tous les marchands participant à l’expédition sont tenus de contribuer aux dommages correspondants proportionnellement à la valeur respective de leur biens arrivés à bon port. » Bien sûr, le dirigeant d’une entreprise n’est pas un capitaine de navire. Mais ce principe de solidarité serait tout à fait utilisable pour faire évoluer les règles de fonctionnement de nos entreprises. Pour finir, les auteurs proposent plusieurs pistes très intéressantes d’évolutions du statut des entreprises, de nouvelles normes en quelques sortes (de la simple modification des statuts, permettant de revenir sur un projet orienté vers une « mission », jusqu’à un nouveau « contrat d’entreprise »). Si vous voulez découvrir une réflexion sur l’organisation des sociétés, en évitant les poncifs habituellement servis par les radicaux d’un bord ou de l’autre, je ne saurais trop vous conseiller de vous ruer sur ce petit livre plein d’un souffle salutaire. Car rigoureux, et fruit d’un travail collectif entre le CGS de MinesParisTech et le Collège des Bernardins. Super bouquin !