Catégorie : 📚 Livres

  • Soumission

    Soumission

    Le dernier roman de Michel Houellebecq, Soumission, raconte l’histoire d’un enseignant chercheur en lettre qui assiste, impuissant, à  l’évolution de la société française. Présentation de l’éditeur :
    Dans une France assez proche de la nôtre, un homme s’engage dans la carrière universitaire. Peu motivé par l’enseignement, il s’attend à  une vie ennuyeuse mais calme, protégée des grands drames historiques. Cependant les forces en jeu dans le pays ont fissuré le système politique jusqu’à  provoquer son effondrement. Cette implosion sans soubresauts, sans vraie révolution, se développe comme un mauvais rêve.
    Les élections, décrites de manière très réaliste, avec des vrais noms de vraies personnes, et de vraies réflexions sur les jeux de forces entre partis politiques, conduisent à  l’arrivée au pouvoir d’un parti « musulman ».

    Triple parcours habilement tissé

    Houellebecq pourrait paraitre un peu tiède sur le sujet, car le roman est en creux : pas de cristallisation sur l’islam, progression très factuelle et réaliste, presqu’en douceur. Un triple parcours structure le roman : un parcours de la société vers cette victoire électorale puis la mise en place des changements, un parcours spirituel du personnage principal, achevant un long chemin en compagnie d’un auteur peu connu, Huysmanns, et la propre évolution psychologique et artistique de cet auteur. Triple évolution, donc : la société, le personnage, et le « héros » du personnage. Je n’en dis pas plus, mais tout cela est superbement bien écrit, fluide, et tissé simplement. Houellebecq est un auteur honnête, direct.

    Soumission ou réaction ?

    Le roman n’est ni immoral, ni moral ou moralisateur, il est amoral en fait. C’est ce qui choque et qui provoque, d’ailleurs. Et en cela, le roman est diablement malin et malicieux. Que provoque la lecture exactement ? à‡a provoque une réaction intéressante : on est choqué par le manque de réaction du personnage (Houellebecq, soumission ?), mais aussi de la société. Par leur soumission. à‡a ne parait pas très réaliste que tout puisse changer aussi vite, et pourtant c’est dit et raconté de manière réaliste. Cela questionne notre identité, et notre perception de la réalité. Serions-nous aussi lâches, soumis, et capables de nous renier nous-mêmes aussi facilement ?
    Qu’est-ce qui, en douceur, changerait dans notre culture avec l’arrivée de l’islam politique au pouvoir ? Ce serait la fin de la liberté de conscience, et aussi et surtout la fin de la liberté pour les femmes. Finalement le personnage, assez répugnant et veule, et qui considère les femmes presque comme des objets (soit sexuels, soit culinaires), et qui n’a pas vraiment envie de se battre pour quoi que ce soit, nous renvoie – et Houellebecq par son entremise – simplement un miroir de ce que nous sommes, collectivement : une société globalement assez passive, qui n’ose plus affirmer sa morale propre, et qui devient de fait très perméable à  l’action de ceux qui affirment une morale.
    Quelle est cette morale occidentale que nous avons tant de mal à  assumer simplement ? Nous sommes des sociétés tolérantes, ouvertes, attachées à  la liberté, à  l’égalité des droits de tous les individus. Nous portons un attachement particulier à  la laïcité (qui disparait avec l’Islam), au doute et à  la libre pensée, ainsi qu’au progrès. Renier ces choses-là , et c’est exactement ce que montre le roman, ce serait se renier nous-mêmes, et favoriser le désastre presque tranquille décrit par Houellebecq. Qu’il soit porté par l’islam ou par autre chose, d’ailleurs. Soumission, de Houellebecq, à  lire absolument !

  • Idéologie et Utopie

    Idéologie et Utopie

    Souvent, je vous conseille des livres et je vous dis de vous jeter dessus. Là , pour le coup, c’est l’inverse : ne lisez surtout pas le livre dont je vais vous parler ! Ce n’est pas qu’il n’est pas intéressant, au contraire, mais il est vraiment difficile à  lire, pour plein de raisons. Donc pour une fois : la lecture de ce billet, consacré à  la recension du livre « Idéologie et Utopie » de Paul Ricoeur, vous servira peut-être plus que la lecture du livre.

    Beaucoup d’auteurs mobilisés

    Deux facteurs, au moins, pour que ce livre soit réellement pénible à  lire : premièrement, ce n’est pas un livre, c’est un recueil de cours donné en 1975 par Ricoeur à  l’Université de Chicago ; deuxièmement, la manière d’aborder le sujet par Ricoeur — s’appuyer sur des auteurs pour faire une archéologie des concepts, passionnant ! — le conduit à  aller fouiner dans les écrits d’auteurs qui me paraissent vraiment peu intéressants (pour ne pas dire peu rationnels, voire à  moitié fous). Marx, pour commencer. Je n’ai jamais lu Marx, et je sais maintenant que je ne le lirai jamais. Pas clair, utilisant des mots en permanence détournés de leur usage habituel, volontairement abscons. Bref, très lourdingue pour pas grand-chose en sortie.
    Passons. Ricoeur s’appuie, heureusement sur d’autres auteurs beaucoup plus intéressants et rationnels : Mannheim, Weber et Geertz, notamment. Pour ceux qui souhaitent une fiche de lecture détaillée, je vous invite à  aller sur cette page du CNAM qui fait la recension complète du livre. Pour les autres, voici les éléments qui me paraissent utile à  garder.

    Idéologie et utopie : points communs…

    Quelques éléments communs entre les deux concepts d’idéologie et d’utopie :

    • tous les deux décrivent des décalages de la pensée par rapport au réel, dont l’analyse conduit d’abord à  des aspects pathologiques (négation du réel, déformation exagérée de la réalité factuelle, etc…), mais qui comportent des versants positifs également
    • Ricoeur les décrits tous les deux comme des aspects de « l’imagination sociale » (c’est pour cela que j’avais acheté ce livre, car je m’intéresse aux imaginaires)
    • In fine, ces deux notions sont toujours reliées avec la notion de pouvoir, d’autorité. L’idéologie légitime la structure de pouvoir ou de domination existante, et l’utopie en propose une alternative

    …et différences

    Mais ces deux modes de pensée, ou ces deux dynamiques de représentation/modélisation, ont également des différences. Outre le fait que l’idéologie n’est jamais assumée, mais toujours dénoncée ou dévoilée, l’utopie est en général revendiquée par son auteur. L’idéologie est toujours à  dénoncer, dévoiler, démasquer, et l’utopie est plus souvent valorisée comme une invention, une création.
    Ce qui m’a paru vraiment intéressant, c’est le fait de montrer les rapports entre idéologie, utopie et pouvoir. Les apports de Geertz sont très intéressants aussi pour montrer qu’on ne peut pas sortir complètement de l’idéologie, et qu’elle est certainement structurante pour garantir l’identité (individuelle ou collective).

    Mécanismes mentaux ?

    L’analyse de Ricoeur est régressive, comme il le dit. Il commence à  un premier niveau, celui du sens courant de ces termes, puis en creusant il arrive sur les relations au pouvoir, et dans un troisième niveau il atteint la notion d’identité.
    tableau
    Je trouve particulièrement intéressant d’utiliser le troisième niveau comme une description de mécanismes mentaux à  l’oeuvre dans toutes nos réflexions. Ce qu’on pourrait appeler la composante imaginaire, justement. Une forme de dynamique permanente entre le réel et nos représentations du réel, dont certainement le « sens » (pris comme une fonction mentale) est ce qui permet d’évaluer la qualité et la performance. C’est ce que laisse penser la conclusion de Ricoeur, que j’interprète avec mon propre point de vue. Finalement, il faut lire « Idéologie et Utopie », de Paul Ricoeur.

  • Eviter les décisions absurdes

    Eviter les décisions absurdes

    En deux volumes « Les décisions absurdes », Christian Morel dresse un formidable panorama de la « sociologie des erreurs radicales et persistantes ».

    Des biais individuels et collectifs…

    Le premier est consacré à  une analyse approfondie de certains accidents, notamment dans l’aviation, la marine ou encore les hôpitaux. Cela permet de comprendre les mécanismes individuels (il cite d’ailleurs les travaux d’Olivier Houdé, que j’ai découvert récemment) mais surtout collectifs qui sont à  l’oeuvre pour que de telles décisions puissent être prises.

    …et des meta-règles pour les éviter

    Le deuxième volume montre les organisations – et surtout les processus – qui ont été mis en place dans les environnements à  haute fiabilité pour contrer ces biais collectifs. Il y a des solutions, et elles sont de l’ordre des méta-règles : non pas des règles supplémentaires valables en toute circonstances, mais plutôt des grands principes qui permettent d’éviter les décisions absurdes. Si vous voulez les découvrir jetez-vous sur ces deux petits livres très bien écrits, dans un langage très loin de tout jargon, et dont le propos dépasse largement le strict champ des organisations à  haute fiabilité, pour s’appliquer, à  mon sens à  tout type d’activité humaine complexe. Pour vous chers lecteurs, voici quelques-unes de ces méta-règles :

    • Hiérarchie restreinte impliquée : dans certaines situations critiques ou à  risque, il est important que le pouvoir de décision se déplace vers la base. Les décisions collégiales sont à  privilégier
    • Avocat du diable : pour une vraie culture du consensus, il est nécessaire d’éviter les pièges que sont les fausses unanimités et les faux consensus. Il faut pour cela privilégier la prise de parole, et favoriser les opinions qui critiquent le consensus
    • Redondance des informations & interaction généralisée : les individus s’informent mutuellement de façon permantente, croisée et redondante. Cela sert aussi à  l’apprentissage et à  la socialisation
    • Système de non-punition et d’apprentissage : pas d’apprentissage si l’on ne partage pas et si on n’analyse pas les échecs. Les remontées et le partage d’expériences anonymisés doivent être la règle pour étudier les mécanismes conduisant aux erreurs, et non rechercher les coupables.

    Une véritable contre-culture à  faire grandir

    Pour finir, je laisse la parole à  l’auteur, dans la conclusion, qui présenter l’ensemble de ces règles comme une véritable contre-culture :
    [Ces méta-règles de lutte contre les décisions absurdes] vont à  l’encontre de la pensée habituelle en matière de décision et d’organisation. C’est une contre-culture vis-à -vis à  la fois de la doctrine classique en management, de la pensée politique courante et des croyances ordinaires du grand public. Notre culture est caractérisée par la priorité donnée à  l’action rapide, alors que la haute fiabilité exige d’avantage de réflexion à  travers le débat contradictoire, les retours d’expérience, la formation aux facteurs humains, la capacité à  renoncer. Notre culture est imprégnée de l’idée que les erreurs doivent être sanctionnées et que les règles n’ont pas à  être questionnées, alors que la culture juste de la fiabilité préconise la non-punition et le débat sur les règles. Notre culture est centrée sur le rôle du chef et la valorisation du consensus, alors que les fondamentaux de la fiabilité mettent l’accent sur la collégialité et les dangers des faux-consensus. Notre culture favorise une communication formée d’innombrables informations schématiques, alors que la fiabilité implique la mise en relief des messages essentiels. Notre culture est marquée par le principe de précaution, la possibilité du risque zéro, la foi dans l’hyperrationalité, alors que l’option opposée de solutions astucieuses et imparfaites se révèle souvent plus sûre et performante.
    Christian Morel termine « Les décisions absurdes » en insistant sur le fait que ce ne sont pas les organisations qu’il faut changer, mais les processus. Intéressant, non ?

  • Le(s) futur(s) à  dire

    Le(s) futur(s) à  dire

    Je viens de terminer le très bon livre de Nicolas Nova, «Futurs ?». Il est sous-titré la panne des imaginaires technologiques.

    Panne des imaginaires et futur

    Le sujet m’intéresse à  double titre : parce que je travaille aussi sur les imaginaires, et parce que le sujet de la prospective m’intéresse beaucoup aussi. Qu’est-ce que le futur ? Objet étrange qui n’existe pas par définition pas, mais qui pourtant fait partie de la réalité via nos représentations.
    J’ai trouvé passionnante la discussion initiale du livre, qui relie la «panne des imaginaires » à  l’idée de progrès, et à  sa déchéance supposée. Il y aurait matière à  débat sur la question, car tout en validant que l’idéal du progrès est mort (voir mon billet à  ce sujet), la plupart des auteurs restent totalement dans une pensée de type progressiste (dans laquelle je me reconnais complètement).
    La panne des imaginaires, c’est en gros le fait que l’on continue à  nous pousser des imaginaires nés pendant la première moitié du 20ème siècle (robots, voitures volantes, IA centralisées, voyages spatiaux, buildings colossaux), alors que les technologie ont amené autre chose, plus proche et plus étrange à  la fois.

    Le(s) futur(s) à  dire plus qu’à  prévoir ?

    L’approche de Nicolas Nova, et les exemples qu’il cite, comme l’excellent The New Aesthetic, m’a fait penser à  celle de Georges Amar : le futur se dessine toujours, émergent, dans le présent, et les imaginaires (les représentations que l’on s’en fait) sont non pas à  prédire ou à  détecter, Les seuls futurs qui se produiront seront ceux qui font sens, et la signification ne saurait naitre sans une narration.mais bien plutôt à  « dire », à  expliciter, à  nommer et à  penser. Les seuls futurs qui se produiront seront ceux qui font sens, et la signification ne saurait naitre sans une explicitation/narration.
    A lire, vraiment : ce livre est une mine d’or d’exemples variés, d’interview d’acteurs rares, et je trouve que l’approche consistant à  parler du futur en appuyant la réflexion sur les auteurs qui en ont fait leur matière première — ceux de la SF — est excellente : qui mieux que les narrateurs peuvent donner du sens à  ces futurs projetés ? Nicolas Nova répond en partie à  cette question : les designers (pris dans le sens plein de concepteurs) et les artistes de tous horizons réfléchissant aux technologies et à  l’impact du numérique sous toutes ses formes.

  • Le réel – traité de l’idiotie

    Le réel – traité de l’idiotie

    Je viens de terminer le formidable livre de Clément Rosset « Le réel« , sous titré « Traité de l’idiotie ». Il y parle du réel, de la réalité.
    Remettant en question la quête obstinée de la philosophie à  vouloir percer le sens et la raison du devenir et de l’histoire, Clément Rosset entend rendre le réel à  lui-même, à  l’insignifiance. Il ne s’agit pas pour lui de décrire la réalité comme absurde ou inintéressante, mais à  dissiper les faux sens qui l’entoure : il n’y a pas de mystères dans les choses, il y a un mystère des choses. Inutile de creuser les choses pour leur arracher un secret qui n’existe pas, c’est dans leur existence que les choses sont incompréhensibles.

    Articulation entre représentations et réel

    J’ai trouvé ce livre vraiment jouissif à  lire, profond et sans concession. Il alimente et questionne mes réflexions sur le sens. Un renversement de perspective me paraitrait intéressant, puisque la problématique est tout de même bien, pour nous autres pauvres humains, celle de l’articulation entre les représentations et le réel (Rosset finit son essai par une réflexion sur le langage qui manque toujours le réel). Rosset me donne l’impression qu’il pense le réel comme « le monde sans l’humain » ? De mon point de vue, les représentations du réel font partie du réel. Car le réel est pour moi tout ce qui existe, et je trouve pour cela le découpage de Popper utile et intéressant. Bien sûr, nos représentations manquent toujours la coïncidence exacte avec le réel (c’est presque un truisme) ; mais nos représentations font partie du réel (elles existent), et leur seul attribut, ou fonction, n’est pas cette coïncidence avec leur objet. Car restreindre la valeur des représentations au fait qu’elles coïncident avec le réel, c’est les condamner d’emblée. Nos représentations surchargent le réel de sens, certes. Sens qui n’est pas dans le réel, mais bien contenu dans nos représentations. Je pense pour ma part, et c’est le sens de l’essai que je travaille, que ces représentations et ce sens sont une fonction des humains. Quelles interactions entre nos représentations et le réel ? A quoi cela peut-il servir de générer du sens en permanence dans un monde qui en est, à  l’évidence, dénué ? Voilà  les questions qui me viennent naturellement en rebond et dans le prolongement de ce livre incontournable.

  • Modérément moderne

    Modérément moderne

    Rémi Brague est un sage. Érudit, humble, et d’une grande force dans le raisonnement. Son dernier ouvrage, « Modérément moderne », est une compilation de différents articles ou conférences de l’auteur. Plutôt : une re-composition, un arrangement. Et la densité de chacun des chapitres montre que nous avons plutôt affaire là  à  ce qui aurait pu constituer plusieurs ouvrages, qu’à  un simple patchwork.

    Reposer les bonnes questions

    J’ai adoré ce livre. Rémi Brague, philosophe, est spécialiste de philosophie médiévale, et étudie l’histoire des idées sur le long terme, notamment en comparant christianisme, judaïsme et islam. Ses réflexions sont simples et profondes, et les interrogations qu’il soulève sont centrales, et ont trouvé de nombreuses résonances avec mes interrogations et mes réflexions. Je ne peux résister au plaisir de vous livrer pour finir un long extrait, qui clôture un chapitre magistral consacré à  la distinction entre instruction et éducation. Moi, ça m’a secoué un peu la pulpe quand même !

    Au fond, la théologie serait dans mon école, la science fondamentale. Qu’on ne se scandalise pas : il n’y a là  nulle revendication de souveraineté, aucun retour à  la situation (légendaire) où les sciences auraient été les « servantes de la théologie ». Dire que la théologie est la science fondamentale, ce n’est que constater un postulat sur lequel repose toute éducation. Il ne s’agirait que d’avoir l’honnêteté de l’avouer, parce que l’éducation implique une confiance fondamentale en l’Être, une foi fondamentale en l’identité de l’Être et du Bien. C’est le cas pour deux raisons. La première concerne le mouvement même de l’éducation, qui est de transmettre quelque chose (un savoir, des compétences, des « valeurs ») aux générations suivantes. Ce qui suppose, déjà , qu’il en existe. Avant de transmettre quoi que ce soit, il faut commencer par transmettre la vie. De plus en plus, il dépend du choix libre, conscient, voire planifié, de la génération présente, d’appeler ou non à  l’existence la génération qui la suivra. Et pourquoi le ferait-elle, si elle n’est pas convaincue, au moins de façon implicite, que l’existence est, en soi, en dernière instance, quoi qu’il puisse arriver, un bien ?
    La seconde raison concerne le contenu de l’éducation. Car pourquoi serions-nous obligés d’admettre ce qui est vrai ? Parce que cela « marche », parce que cela nous permet d’agir ? Mais nous voici revenus à  la simple instruction. Alors, pourquoi préférerais le vrai a une agréable illusion ? La vérité pourrait très bien être laide, haïssable, désespérante. […] L’amour de la vérité suppose que la vérité est aimable. Il suppose, pour emprunter un terme technique à  la philosophie scolastique, que les « transcendentaux », le Vrai, le Bon et le Beau peuvent « s’échanger » (convertuntur) l’un en l’autre. Si ce n’est pas le cas, nous pouvons certes rester honnêtes ; notre dernière vertu sera alors l’honnêteté intellectuelle. Mais cette vertu peut-elle nous faire vivre ?Pourquoi au juste devrions-nous aimer la vérité ? En dernière instance, il s’agit là  d’un impératif d’ordre éthique. Nietzsche a eu raison de comprendre notre prétendu « amour de la vérité » comme étant la dernière trace d’une conviction de nature morale qui s’enracine dans Platon et dans le christianisme, ce christianisme que Nietzsche considérait comme étant lui-même un « platonisme pour le peuple ». Mais est-il si sûr que nous devions démasquer cette foi ? Ne conviendrait-il pas bien plutôt de l’assumer ?