CatĂ©gorie : 📚 Livres

  • Le rĂ©el – traitĂ© de l’idiotie

    Le rĂ©el – traitĂ© de l’idiotie

    Je viens de terminer le formidable livre de ClĂ©ment Rosset « Le rĂ©el« , sous titrĂ© « TraitĂ© de l’idiotie ». Il y parle du rĂ©el, de la rĂ©alitĂ©.
    Remettant en question la quĂȘte obstinĂ©e de la philosophie à  vouloir percer le sens et la raison du devenir et de l’histoire, ClĂ©ment Rosset entend rendre le rĂ©el à  lui-mĂȘme, à  l’insignifiance. Il ne s’agit pas pour lui de dĂ©crire la rĂ©alitĂ© comme absurde ou inintĂ©ressante, mais à  dissiper les faux sens qui l’entoure : il n’y a pas de mystĂšres dans les choses, il y a un mystĂšre des choses. Inutile de creuser les choses pour leur arracher un secret qui n’existe pas, c’est dans leur existence que les choses sont incomprĂ©hensibles.

    Articulation entre représentations et réel

    J’ai trouvĂ© ce livre vraiment jouissif à  lire, profond et sans concession. Il alimente et questionne mes rĂ©flexions sur le sens. Un renversement de perspective me paraitrait intĂ©ressant, puisque la problĂ©matique est tout de mĂȘme bien, pour nous autres pauvres humains, celle de l’articulation entre les reprĂ©sentations et le rĂ©el (Rosset finit son essai par une rĂ©flexion sur le langage qui manque toujours le rĂ©el). Rosset me donne l’impression qu’il pense le rĂ©el comme « le monde sans l’humain » ? De mon point de vue, les reprĂ©sentations du rĂ©el font partie du rĂ©el. Car le rĂ©el est pour moi tout ce qui existe, et je trouve pour cela le dĂ©coupage de Popper utile et intĂ©ressant. Bien sĂ»r, nos reprĂ©sentations manquent toujours la coĂŻncidence exacte avec le rĂ©el (c’est presque un truisme) ; mais nos reprĂ©sentations font partie du rĂ©el (elles existent), et leur seul attribut, ou fonction, n’est pas cette coĂŻncidence avec leur objet. Car restreindre la valeur des reprĂ©sentations au fait qu’elles coĂŻncident avec le rĂ©el, c’est les condamner d’emblĂ©e. Nos reprĂ©sentations surchargent le rĂ©el de sens, certes. Sens qui n’est pas dans le rĂ©el, mais bien contenu dans nos reprĂ©sentations. Je pense pour ma part, et c’est le sens de l’essai que je travaille, que ces reprĂ©sentations et ce sens sont une fonction des humains. Quelles interactions entre nos reprĂ©sentations et le rĂ©el ? A quoi cela peut-il servir de gĂ©nĂ©rer du sens en permanence dans un monde qui en est, à  l’Ă©vidence, dĂ©nuĂ© ? Voilà  les questions qui me viennent naturellement en rebond et dans le prolongement de ce livre incontournable.

  • ModĂ©rĂ©ment moderne

    Modérément moderne

    RĂ©mi Brague est un sage. Érudit, humble, et d’une grande force dans le raisonnement. Son dernier ouvrage, « ModĂ©rĂ©ment moderne », est une compilation de diffĂ©rents articles ou confĂ©rences de l’auteur. PlutĂŽt : une re-composition, un arrangement. Et la densitĂ© de chacun des chapitres montre que nous avons plutĂŽt affaire lĂ   Ă   ce qui aurait pu constituer plusieurs ouvrages, qu’Ă   un simple patchwork.

    Reposer les bonnes questions

    J’ai adorĂ© ce livre. RĂ©mi Brague, philosophe, est spĂ©cialiste de philosophie mĂ©diĂ©vale, et Ă©tudie l’histoire des idĂ©es sur le long terme, notamment en comparant christianisme, judaĂŻsme et islam. Ses rĂ©flexions sont simples et profondes, et les interrogations qu’il soulĂšve sont centrales, et ont trouvĂ© de nombreuses rĂ©sonances avec mes interrogations et mes rĂ©flexions. Je ne peux rĂ©sister au plaisir de vous livrer pour finir un long extrait, qui clĂŽture un chapitre magistral consacrĂ© Ă   la distinction entre instruction et Ă©ducation. Moi, ça m’a secouĂ© un peu la pulpe quand mĂȘme !

    Au fond, la thĂ©ologie serait dans mon Ă©cole, la science fondamentale. Qu’on ne se scandalise pas : il n’y a lĂ   nulle revendication de souverainetĂ©, aucun retour Ă   la situation (lĂ©gendaire) oĂč les sciences auraient Ă©tĂ© les « servantes de la thĂ©ologie ». Dire que la thĂ©ologie est la science fondamentale, ce n’est que constater un postulat sur lequel repose toute Ă©ducation. Il ne s’agirait que d’avoir l’honnĂȘtetĂ© de l’avouer, parce que l’Ă©ducation implique une confiance fondamentale en l’Être, une foi fondamentale en l’identitĂ© de l’Être et du Bien. C’est le cas pour deux raisons. La premiĂšre concerne le mouvement mĂȘme de l’Ă©ducation, qui est de transmettre quelque chose (un savoir, des compĂ©tences, des « valeurs ») aux gĂ©nĂ©rations suivantes. Ce qui suppose, dĂ©jĂ  , qu’il en existe. Avant de transmettre quoi que ce soit, il faut commencer par transmettre la vie. De plus en plus, il dĂ©pend du choix libre, conscient, voire planifiĂ©, de la gĂ©nĂ©ration prĂ©sente, d’appeler ou non Ă   l’existence la gĂ©nĂ©ration qui la suivra. Et pourquoi le ferait-elle, si elle n’est pas convaincue, au moins de façon implicite, que l’existence est, en soi, en derniĂšre instance, quoi qu’il puisse arriver, un bien ?
    La seconde raison concerne le contenu de l’Ă©ducation. Car pourquoi serions-nous obligĂ©s d’admettre ce qui est vrai ? Parce que cela « marche », parce que cela nous permet d’agir ? Mais nous voici revenus Ă   la simple instruction. Alors, pourquoi prĂ©fĂ©rerais le vrai a une agrĂ©able illusion ? La vĂ©ritĂ© pourrait trĂšs bien ĂȘtre laide, haĂŻssable, dĂ©sespĂ©rante. […] L’amour de la vĂ©ritĂ© suppose que la vĂ©ritĂ© est aimable. Il suppose, pour emprunter un terme technique Ă   la philosophie scolastique, que les « transcendentaux », le Vrai, le Bon et le Beau peuvent « s’Ă©changer » (convertuntur) l’un en l’autre. Si ce n’est pas le cas, nous pouvons certes rester honnĂȘtes ; notre derniĂšre vertu sera alors l’honnĂȘtetĂ© intellectuelle. Mais cette vertu peut-elle nous faire vivre ?Pourquoi au juste devrions-nous aimer la vĂ©ritĂ© ? En derniĂšre instance, il s’agit lĂ   d’un impĂ©ratif d’ordre Ă©thique. Nietzsche a eu raison de comprendre notre prĂ©tendu « amour de la vĂ©rité » comme Ă©tant la derniĂšre trace d’une conviction de nature morale qui s’enracine dans Platon et dans le christianisme, ce christianisme que Nietzsche considĂ©rait comme Ă©tant lui-mĂȘme un « platonisme pour le peuple ». Mais est-il si sĂ»r que nous devions dĂ©masquer cette foi ? Ne conviendrait-il pas bien plutĂŽt de l’assumer ?

  • ModĂ©lisation des imaginaires

    Modélisation des imaginaires

    Aujourd’hui, je voudrais vous conseiller une excellentissime collection de petits livres, consacrĂ©s de prĂšs ou de loin aux imaginaires. Issus des confĂ©rences organisĂ©es par la chaire « ModĂ©lisation des imaginaires », ces livres sont synthĂ©tiques, passionnants, et Ă©crits par des auteurs trĂšs prestigieux qui se sont prĂȘtĂ©s, le temps d’une confĂ©rence, à  un exercice de vulgarisation.

    Des livres passionnants, par des auteurs prestigieux

    Je viens de finir avec un grand plaisir celui d’Etienne Klein (« d’oĂč viennent nos idĂ©es ? »), aprĂšs avoir dĂ©vorĂ© ceux de Henri Atlan (« Qu’est ce qu’un modĂšle ? »), François Caron (« Les voies de l’innovation : les leçons de l’histoire » ou encore Jean-Jacques Wunenburger (« L’imagination, mode d’emploi »).
    Les imaginaires, c’est quoi ? Un objet complexe (c’est bien la raison d’ĂȘtre de cette chaire que d’Ă©tudier, sous des angles d’attaques multiples, ce sujet fondamental). En gros, et si l’on veut ĂȘtre schĂ©matique, c’est une partie de l’activitĂ© cĂ©rĂ©brale situĂ©e entre les Ă©motions/perceptions/sensations d’une part, et la raison ou intellection d’autre part. Comme le dit trĂšs bien Jean-Jacques Wunenburger :

    [
] L’imaginaire dĂ©signe une totalitĂ© de reprĂ©sentations mentales qui dĂ©borde sur la perception et l’intellection, qui surcharge la rĂ©alitĂ© de retentissements affectifs, d’analogies et mĂ©taphores, de valeurs symboliques secondes, mais selon des formes et forces trĂšs variĂ©es.

    Collection à  découvrir

    Les imaginaires sont aussi structurĂ©s, probablement en lien avec les postures rĂ©flexes de l’ĂȘtre humain. C’est ce que montre Gilbert Durand dans son (gros) livre : des rĂ©gimes d’imaginaires peuvent ĂȘtre dĂ©taillĂ©s et dĂ©crits, de maniĂšre transverse aux diffĂ©rentes cultures. Il y a des invariants, des structures communes de mythes, de symboles, qui plongent leurs racines dans la maniĂšre d’ĂȘtre vivants des humains. Passionnant.Et cela peut apporter beaucoup de choses dans le domaine de l’innovation, bien sĂ»r.
    Bref : jetez-vous les yeux fermĂ©s sur cette collection, c’est du bonheur. J’ai pour ma part prĂ©vu d’aller m’en acheter quelques autres, notamment celui de Jean-Marc Levy-Leblond (ça me rappellera des souvenirs, j’avais adorĂ© son livre « L’esprit de sel »).

  • Nouvelles orientales

    Nouvelles orientales

    Je n’aime pas trop les nouvelles. Mais là , je dois reconnaitre que l’on a affaire à  des textes magnifiques, au sens presque musical du terme. Dans les « Nouvelles Orientales », de Marguerite Yourcenar, tout est ciselĂ©, travaillĂ©, peaufinĂ©, et d’une beautĂ© à  la fois brute et cruelle proche des contes. Ce petit recueil est paru en 1938 (puis retravaillĂ© et republiĂ© en 1963). Si vous n’ĂȘtes pas encore tentĂ©, ouvrez-le la prochaine fois que vous irez dans une – bonne – librairie, et commencez à  lire la premiĂšre nouvelle, un des plus belles : « Comment Wang-FĂŽ fut sauvé ». Vous ne pourrez plus lĂącher le livre. C’est une vraie jouissance de lire des textes aussi bien Ă©crits. ça m’a donnĂ© envie d’aller lire autre chose de Marguerite Yourcenar, que je dĂ©couvrais.

  • Le rĂ©el et son double

    Le réel et son double

    Une thÚse puissante : le réel est ce qui est sans double

    La thĂšse de ce magnifique petit livre, Le rĂ©el et son double de ClĂ©ment Rosset, tient en quelques mots (merci pour le travail rĂ©alisĂ© par les contributeurs de wikipedia!) : « la difficultĂ© de penser le rĂ©el tient à  ce qu’il ne manque de rien, qu’il se suffit à  lui-mĂȘme, qu’il se passe de tout fondement (car au fond, il n’y a rien à  expliquer, rien à  comprendre). D’oĂč la thĂšse majeure du RĂ©el et son double : le rĂ©el est ce qui est sans double et le fantasme du double trahit toujours le refus du rĂ©el. L’ontologie du rĂ©el sur laquelle dĂ©bouche cette rĂ©flexion a la particularitĂ© de ne pas reposer sur la pensĂ©e de son ĂȘtre ou de son unitĂ©, mais de s’en tenir à  sa seule singularitĂ©, ce qui n’est possible que par la grĂące d’une joie sans raison. Le rĂ©el auquel j’ai accĂšs, aussi infime soit-il, en rapport de l’immensitĂ© qui m’échappe, doit ĂȘtre tenu pour le bon ».
    ClĂ©ment Rosset analyse en dĂ©tail et en finesse de quelle maniĂšre la structure du double est toujours un refus du rĂ©el, singulier. La dĂ©monstration est claire, magistral et d’une finesse jouissive à  dĂ©couvrir. Magnifique petit essai !

    Pour aller plus loin

    Pour en savoir plus, vous pouvez aller Ă©couter l’interview de ClĂ©ment Rosset sur le site de France Culture. Vous pouvez Ă©galement lire la recension que j’ai faite de son autre livre sur le thĂšme : Le rĂ©el – traitĂ© de l’idiotie.
    Cet essai m’a refait penser à  une citation dans un champ diffĂ©rent (la politique), mais qui dĂ©crit finalement un peu le mĂȘme phĂ©nomĂšne mental :

    ”L’utopie n’est astreinte à  aucune obligation de rĂ©sultats. Sa seule fonction est de permettre à  ses adeptes de condamner ce qui existe au nom de ce qui n’existe pas. » Jean-François Revel, La Grande parade, 2000, p. 33

    Il me semble utile de toujours mĂ©diter cela, surtout lorsque – comme moi – on est idĂ©aliste, donc en partie utopiste : comment faire co-exister la nĂ©cessaire acceptation du rĂ©el, avec l’action portĂ©e et orientĂ©e vers une vision, un double du rĂ©el (pour reprendre les mots de Rosset) ?

  • Petit traitĂ© de vie intĂ©rieure

    Petit traité de vie intérieure

    vie_interieure_pocheLa spiritualitĂ© n’est pas un gros mot. Cela parait Ă©vident, et pourtant il est rare de pouvoir accĂ©der Ă   une intimitĂ© suffisamment grande avec quelqu’un pour parler « spiritualité ». FrĂ©dĂ©ric Lenoir offre dans ce petit livre facile Ă   lire un condensĂ© de notions, d’expĂ©riences, qu’il a trouvĂ© utile pour vivre mieux. C’est un remarquable petit livre, plaisant, drĂŽle parfois, trĂšs personnel, et qui revient de maniĂšre directe et humble sur un certain nombre de notions centrales pour bien « penser sa vie, et vivre sa pensĂ©e ». Jetez-vous dessus !