Catégorie : 🧠 Réflexions

  • Le(s) futur(s) à  dire

    Le(s) futur(s) à  dire

    Je viens de terminer le très bon livre de Nicolas Nova, «Futurs ?». Il est sous-titré la panne des imaginaires technologiques.

    Panne des imaginaires et futur

    Le sujet m’intéresse à  double titre : parce que je travaille aussi sur les imaginaires, et parce que le sujet de la prospective m’intéresse beaucoup aussi. Qu’est-ce que le futur ? Objet étrange qui n’existe pas par définition pas, mais qui pourtant fait partie de la réalité via nos représentations.
    J’ai trouvé passionnante la discussion initiale du livre, qui relie la «panne des imaginaires » à  l’idée de progrès, et à  sa déchéance supposée. Il y aurait matière à  débat sur la question, car tout en validant que l’idéal du progrès est mort (voir mon billet à  ce sujet), la plupart des auteurs restent totalement dans une pensée de type progressiste (dans laquelle je me reconnais complètement).
    La panne des imaginaires, c’est en gros le fait que l’on continue à  nous pousser des imaginaires nés pendant la première moitié du 20ème siècle (robots, voitures volantes, IA centralisées, voyages spatiaux, buildings colossaux), alors que les technologie ont amené autre chose, plus proche et plus étrange à  la fois.

    Le(s) futur(s) à  dire plus qu’à  prévoir ?

    L’approche de Nicolas Nova, et les exemples qu’il cite, comme l’excellent The New Aesthetic, m’a fait penser à  celle de Georges Amar : le futur se dessine toujours, émergent, dans le présent, et les imaginaires (les représentations que l’on s’en fait) sont non pas à  prédire ou à  détecter, Les seuls futurs qui se produiront seront ceux qui font sens, et la signification ne saurait naitre sans une narration.mais bien plutôt à  « dire », à  expliciter, à  nommer et à  penser. Les seuls futurs qui se produiront seront ceux qui font sens, et la signification ne saurait naitre sans une explicitation/narration.
    A lire, vraiment : ce livre est une mine d’or d’exemples variés, d’interview d’acteurs rares, et je trouve que l’approche consistant à  parler du futur en appuyant la réflexion sur les auteurs qui en ont fait leur matière première — ceux de la SF — est excellente : qui mieux que les narrateurs peuvent donner du sens à  ces futurs projetés ? Nicolas Nova répond en partie à  cette question : les designers (pris dans le sens plein de concepteurs) et les artistes de tous horizons réfléchissant aux technologies et à  l’impact du numérique sous toutes ses formes.

  • Croyez-vous au progrès ?

    Croyez-vous au progrès ?

    J’ai découvert il y a peu que nous vivions, selon certains du moins, dans une époque post-moderne. Du nom du post-modernisme philosophique, qui est une philosophie critique, qui a déconstruit, et rejeté une forme d’occidentalisme des Lumières basé sur la raison et la technique. Fort bien.

    Se débarrasse-t-on facilement du progrès ?

    Mais cette manière de penser a contribué à  faire jeter à  une partie de la population le bébé avec l’eau du bain. L’eau du bain, c’est le dogmatisme, les superstitions, les modèles simplistes de l’humain et de la société. Mais le bébé, c’est la raison comme outil de la pensée, le progrès comme valeur collective donnant du sens, et la place de la vérité. Par ailleurs, personne ne peut me forcer à  me positionner sur cette question selon ces termes. Le choix devant lequel nous sommes placés n’est pas nécessairement entre une croyance béate et naïve dans un Progrès mythique d’une part, et d’autre part un monde désenchanté, vide de sens rationnel et de toute représentation objective. Le choix n’est pas entre la foi, et le désespoir. Entre la croyance et la raison. Nous y reviendrons.

    Rejet du progrès, problème d’identité

    Il y d’abord un paradoxe : en rejetant en partie la raison pour faire réapparaitre l’irrationnel comme élément constitutif du réel (fort bien), les post-modernes ont rejeté aussi cette foi dans le progrès qui est une des marques idéologique de l’occident judéo-chrétien. En pointant du doigt un excès de rationalité, ces auteurs en sont venus à  détruire et à  casser une valeur assez irrationnelle, et importante. Il y a là  des pensées problématique sur le plan de l’identité. Peut-on déconstruire sans cesser de croire ? Peut-on croire de manière raisonnable ? Déconstruire c’est bien, mais cela ne doit pas conduire à  oublier ce que le temps et les hommes ont assemblé. La notion de progrès (si l’on en exclue une composante naïve ou dogmatique) reste une valeur centrale en occident. Une valeur qui soude et qui unit. Qui transcende les différences. Qui donne du sens au niveau individuel comme collectif.
    Je regarde donc avec une certaine méfiance tout ce qui se revendique « post-moderne ». En général, cette posture consistant à  dénigrer la croyance dans un progrès possible n’est pas uniquement destructrice ou critique, elle masque souvent une croyance positive — elle — dans un autre ordre des choses, et donc un rejet du réel. Les critiques du progrès en tant qu’idéologie sont en général des gens qui pensent que le monde devrait être autrement que ce qu’il est. Ou des polylogistes qui s’ignorent. Cette tension vers un changement est partagée par les partisans du progrès, ce n’est donc pas cela qui est en cause. C’est bien le refus du réel qui est central. Le progressiste ou mélioriste pense qu’il faut travailler AVEC le monde tel qu’il est.

    Il faut construire aussi

    Je me place dans une logique où il est au moins aussi important, dans le domaine de la pensée, de déconstruire que de construire. Je crois, d’une manière ou d’une autre, au progrès, à  l’amélioration possible du monde par l’être humain. Il me semble que c’est une croyance pacifique et humaniste, et je pense qu’elle ne doit pas être présentée comme une foi naïve ou ridicule. Pas plus, pas moins, que toute autre croyance en un quelconque Dieu, ou dans autre chose. Comme toutes les croyances, elle présente des limites. Comme toute croyance, elle donne de la force d’action. Si la question doit être entre la foi et le nihilisme, alors j’ai choisi mon camp et les post-modernes ont tort.

    La réponse est oui. Mais quelle était la question ? [Woddy Allen]

    Mais ce serait restreindre le champ de la pensée que de devoir faire un choix. Ce serait accepter la logique de conflit et de rejet que l’on peut lire dans ces controverses philosophiques. Elles mettent à  nu une incapacité à  embrasser en même temps des points de vue contraire, des positions différentes.

    Construire est une activité naturelle de l’esprit humain : toutes nos représentations sont des constructions, d’une manière ou d’une autre. Elles donnent une capacité d’action, et présentent le risque de masquer le réel. Tout modèle, toute représentation, est une simplification du réel et présente ce risque, et cet avantage : faciliter l’action, manquer en partie le réel – mais peut-on penser le réel sans utiliser de représentation, et donc sans le simplifier ?

    Marier sens du progrès et transmission

    C’est aussi pour cela que la déconstruction est indispensable : fruit du doute et de l’esprit critique, la déconstruction détricote nos représentations, les questionne, et nous force à  nous confronter au réel, à  la réalité des choses factuelles, sans le filtre de nos constructions, ou en proposant des pistes de représentations différentes. Outil indispensable pour rester proche de la réalité, et pour faire évoluer les représentations. Le risque lié à  la déconstruction est de rester dans cette posture et de ne plus construire, de ne plus assembler. Or, il est important de savoir retisser si l’on veut avancer, individuellement comme collectivement. Par ailleurs, ce que l’on a déconstruit a été tissé par d’autres, pour des raisons qu’il convient au moins de comprendre, à  défaut de les partager toutes. Assumer un héritage, des croyances partagées, me semble être une forme d’humilité intellectuelle. C’est assez facile de casser, de manière radicale, toutes les représentations. Mais il faut encore en proposer d’autres à  la place : elles seront nécessairement le prolongement de représentations existantes. L’humilité est donc de rigueur.

    Croire au progrès, cela ne signifie pas croire qu’un progrès a déjà  eu lieu. Sinon ce ne serait pas une croyance. [Franz Kafka]

    Bref : repenser le sens du progrès, individuel comme collectif, me parait être une tâche importante de la pensée occidentale. Il nous faut, je pense, adopter une pensée évolutionniste qui permet d’éviter les deux écueils : le radicalisme de la table rase, et le conservatisme figé. Connaissez-vous des auteurs qui ont pensé ce thème et qui ont essayé de l’actualiser ?

  • Modérément moderne

    Modérément moderne

    Rémi Brague est un sage. Érudit, humble, et d’une grande force dans le raisonnement. Son dernier ouvrage, « Modérément moderne », est une compilation de différents articles ou conférences de l’auteur. Plutôt : une re-composition, un arrangement. Et la densité de chacun des chapitres montre que nous avons plutôt affaire là  à  ce qui aurait pu constituer plusieurs ouvrages, qu’à  un simple patchwork.

    Reposer les bonnes questions

    J’ai adoré ce livre. Rémi Brague, philosophe, est spécialiste de philosophie médiévale, et étudie l’histoire des idées sur le long terme, notamment en comparant christianisme, judaïsme et islam. Ses réflexions sont simples et profondes, et les interrogations qu’il soulève sont centrales, et ont trouvé de nombreuses résonances avec mes interrogations et mes réflexions. Je ne peux résister au plaisir de vous livrer pour finir un long extrait, qui clôture un chapitre magistral consacré à  la distinction entre instruction et éducation. Moi, ça m’a secoué un peu la pulpe quand même !

    Au fond, la théologie serait dans mon école, la science fondamentale. Qu’on ne se scandalise pas : il n’y a là  nulle revendication de souveraineté, aucun retour à  la situation (légendaire) où les sciences auraient été les « servantes de la théologie ». Dire que la théologie est la science fondamentale, ce n’est que constater un postulat sur lequel repose toute éducation. Il ne s’agirait que d’avoir l’honnêteté de l’avouer, parce que l’éducation implique une confiance fondamentale en l’Être, une foi fondamentale en l’identité de l’Être et du Bien. C’est le cas pour deux raisons. La première concerne le mouvement même de l’éducation, qui est de transmettre quelque chose (un savoir, des compétences, des « valeurs ») aux générations suivantes. Ce qui suppose, déjà , qu’il en existe. Avant de transmettre quoi que ce soit, il faut commencer par transmettre la vie. De plus en plus, il dépend du choix libre, conscient, voire planifié, de la génération présente, d’appeler ou non à  l’existence la génération qui la suivra. Et pourquoi le ferait-elle, si elle n’est pas convaincue, au moins de façon implicite, que l’existence est, en soi, en dernière instance, quoi qu’il puisse arriver, un bien ?
    La seconde raison concerne le contenu de l’éducation. Car pourquoi serions-nous obligés d’admettre ce qui est vrai ? Parce que cela « marche », parce que cela nous permet d’agir ? Mais nous voici revenus à  la simple instruction. Alors, pourquoi préférerais le vrai a une agréable illusion ? La vérité pourrait très bien être laide, haïssable, désespérante. […] L’amour de la vérité suppose que la vérité est aimable. Il suppose, pour emprunter un terme technique à  la philosophie scolastique, que les « transcendentaux », le Vrai, le Bon et le Beau peuvent « s’échanger » (convertuntur) l’un en l’autre. Si ce n’est pas le cas, nous pouvons certes rester honnêtes ; notre dernière vertu sera alors l’honnêteté intellectuelle. Mais cette vertu peut-elle nous faire vivre ?Pourquoi au juste devrions-nous aimer la vérité ? En dernière instance, il s’agit là  d’un impératif d’ordre éthique. Nietzsche a eu raison de comprendre notre prétendu « amour de la vérité » comme étant la dernière trace d’une conviction de nature morale qui s’enracine dans Platon et dans le christianisme, ce christianisme que Nietzsche considérait comme étant lui-même un « platonisme pour le peuple ». Mais est-il si sûr que nous devions démasquer cette foi ? Ne conviendrait-il pas bien plutôt de l’assumer ?

  • Le réel et son double

    Le réel et son double

    Une thèse puissante : le réel est ce qui est sans double

    La thèse de ce magnifique petit livre, Le réel et son double de Clément Rosset, tient en quelques mots (merci pour le travail réalisé par les contributeurs de wikipedia!) : « la difficulté de penser le réel tient à  ce qu’il ne manque de rien, qu’il se suffit à  lui-même, qu’il se passe de tout fondement (car au fond, il n’y a rien à  expliquer, rien à  comprendre). D’où la thèse majeure du Réel et son double : le réel est ce qui est sans double et le fantasme du double trahit toujours le refus du réel. L’ontologie du réel sur laquelle débouche cette réflexion a la particularité de ne pas reposer sur la pensée de son être ou de son unité, mais de s’en tenir à  sa seule singularité, ce qui n’est possible que par la grâce d’une joie sans raison. Le réel auquel j’ai accès, aussi infime soit-il, en rapport de l’immensité qui m’échappe, doit être tenu pour le bon ».
    Clément Rosset analyse en détail et en finesse de quelle manière la structure du double est toujours un refus du réel, singulier. La démonstration est claire, magistral et d’une finesse jouissive à  découvrir. Magnifique petit essai !

    Pour aller plus loin

    Pour en savoir plus, vous pouvez aller écouter l’interview de Clément Rosset sur le site de France Culture. Vous pouvez également lire la recension que j’ai faite de son autre livre sur le thème : Le réel – traité de l’idiotie.
    Cet essai m’a refait penser à  une citation dans un champ différent (la politique), mais qui décrit finalement un peu le même phénomène mental :

    ”L’utopie n’est astreinte à  aucune obligation de résultats. Sa seule fonction est de permettre à  ses adeptes de condamner ce qui existe au nom de ce qui n’existe pas. » Jean-François Revel, La Grande parade, 2000, p. 33

    Il me semble utile de toujours méditer cela, surtout lorsque – comme moi – on est idéaliste, donc en partie utopiste : comment faire co-exister la nécessaire acceptation du réel, avec l’action portée et orientée vers une vision, un double du réel (pour reprendre les mots de Rosset) ?

  • Petit traité de vie intérieure

    Petit traité de vie intérieure

    vie_interieure_pocheLa spiritualité n’est pas un gros mot. Cela parait évident, et pourtant il est rare de pouvoir accéder à  une intimité suffisamment grande avec quelqu’un pour parler « spiritualité ». Frédéric Lenoir offre dans ce petit livre facile à  lire un condensé de notions, d’expériences, qu’il a trouvé utile pour vivre mieux. C’est un remarquable petit livre, plaisant, drôle parfois, très personnel, et qui revient de manière directe et humble sur un certain nombre de notions centrales pour bien « penser sa vie, et vivre sa pensée ». Jetez-vous dessus !

  • Résolutions 2014

    Résolutions 2014

    Je souhaite à  tous les lecteurs occasionnels ou assidus de ce blog une bien belle année 2014, pleine de santé, de joie et de surprises. En ce début d’année, j’ai voulu partager avec vous quelques résolutions. Un de mes collègues et ami, JM, m’a en effet expliqué son mode de fonctionnement concernant les bonnes résolutions et cela m’a motivé à  utiliser cela aussi. Comme outil de « pilotage de soi ».

    Dessin…

    En 2014, je veux me consacrer un peu plus au dessin et à  la philosophie. Je vais donc m’efforcer de faire 3 ou 4 dessins par semaine. J’ai trouvé un super moyen, qui me motive, et présente l’avantage de ne nécessiter que peu de préparation et de matériel : dessiner sur l’appli Paper (53) sur Ipad. Oui c’est moins bien que du papier. Oui, c’est limité comme taille de feuille. Oui le stylet pour Ipad est grossier et peu précis. Mais c’est tellement simple d’attraper l’Ipad et de commencer à  dessiner ! L’Ipad, pour un dessinateur, c’est un peu comme la guitare pour un musicien. ça traine là , et on peut l’empoigner quand on veut. Voici un petit exemple.

    magician

    Autre avantage, il est facile de partager et de mettre en ligne ses dessins grâce à  l’interconnexion entre l’appli de dessin et la plateforme de microblogging Tumblr. J’ai donc créé ce petit Tumblr de partage : http://lomig.tumblr.com. Très sympa de se retrouver plongé instantanément dans une communauté qui partage notre goût et nos préoccupations. Je découvre chaque jour les dessins des autres et réciproquement. Top !

    …et philosophie

    En ce qui concerne la philosophie, je vais continuer à  en lire, mais je vais surtout essayer de passer une soirée par semaine à  écrire mes idées, et à  travailler sur mon petit essai. Je vous en reparlerai très prochainement.

    Du côté « pratique pro », j’ai pris la décision de bloquer une demi-journée par semaine pour une séance de réflexion avec le PC éteint. Pas de mail, pas de documents informatiques. Juste les sujets, du papier, un stylo, et des réflexions. On le fait trop peu, et à  chaque fois que l’occasion s’est présentée l’an dernier, j’ai trouvé l’exercice plus que profitable : indispensable pour respirer et travailler à  la bonne vitesse, et au bon niveau de qualité.

    Et vous ? Avez-vous pris des résolutions ? N’hésitez pas à  les partager en commentaire !