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  • Harmonies Economiques : Premier chapitre

    Voici le deuxième article de la série consacrée au livre d’Harmonie Economique de Frédéric Bastiat. Après l’introduction qui présentait l’idée maîtresse du livre (« les intérêts légitimes sont harmoniques »), voilà  donc les grandes idées du premier chapitre intitulé « Organisation naturelle, organisation artificielle ». C’est un appel à  la vigilance face aux systèmes proposés par les penseurs et politiciens pour mieux organiser la société, un éloge de la liberté. L’idée principale est la suivante : « La vie en société est l’état de nature de l’être humain. L’organisation naturelle d’une société, notamment le jeu des échanges de biens et de services, qui mène a des associations progressives des hommes entre eux (tant que la liberté des actes est garantie), ne doit pas être remise en cause ou contrainte de manière artificielle sans avoir bien réfléchi aux conséquences des changements proposés ». Voyons un peu plus en détail…

    Interactions multiples et échanges indirects

    Bastiat commence par décrire deux exemples que j’aime beaucoup, parce que j’ai souvent pensé à  ça : celui d’un ouvrier et d’un étudiant (peu importe leurs statuts, la réflexion peut se faire avec n’importe qui) qui vivent une journée. L’auteur décrit tout ce que le société – par le biais d’échanges indirects – leur apporte. Par exemple, l’étudiant lit un livre, lequel a été imprimé par d’autres, puis transporté. Ses études sont payées par ses parents, avec de l’argent qui est lui même le fruit d’un échange avec, par exemple, l’industrie chinoise. Et ainsi de suite…J’adore cette mise en abîme : l’avez-vous déjà  faite ? Par exemple, je tape ce texte sur un clavier. Cela implique d’avoir un ordinateur, fabriqué en Chine sur une chaîne de montage, d’avoir de l’électricité produite dans une centrale nucléaire, d’avoir acquis les énormes connaissances techniques et scientifiques que cela implique, d’avoir accès à  Internet pour lire en ligne le livre de Bastiat, que quelqu’un ait pris la peine de le mettre en ligne, etc, etc. Le nombre de personnes indirectement impliqué dans mon acte d’écriture est énorme ! C’est toute l’humanité, passée et présente, toute la société qui est indirectement impliqué dans cette action rendue possible !
    Une chose encore digne de remarque, c’est que dans ce nombre, vraiment incalculable, de transactions qui ont abouti à  faire vivre pendant un jour un étudiant, il n’y en a peut-être pas la millionième partie qui se soit faite directement. Les choses dont il a joui aujourd’hui, et qui sont innombrables, sont l’oeuvre d’hommes dont un grand nombre ont disparu depuis longtemps de la surface de la terre. Et pourtant ils ont été rémunérés comme ils l’entendaient, bien que celui qui profite aujourd’hui du produit de leur travail n’ait rien fait pour eux. Il ne les a pas connus, il ne les connaîtra jamais. Celui qui lit cette page, au moment même où il la lit, a la puissance, quoiqu’il n’en ait peut-être pas conscience, de mettre en mouvement des hommes de tous les pays, de toutes les races, et je dirai presque de tous les temps, des blancs, des noirs, des rouges, des jaunes; il fait concourir à  ses satisfactions actuelles des générations éteintes, des générations qui ne sont pas nées; et cette puissance extraordinaire, il la doit à  ce que son père a rendu autrefois des services à  d’autres hommes qui, en apparence, n’ont rien de commun avec ceux dont le travail est mis en oeuvre aujourd’hui. Cependant il s’est opéré une telle balance, dans le temps et dans l’espace, que chacun a été rétribué et a reçu ce qu’il avait calculé devoir recevoir.
    En vérité, tout cela a-t-il pu se faire, des phénomènes aussi extraordinaires ont-ils pu s’accomplir sans qu’il y eût, dans la société, une naturelle et savante organisation qui agit pour ainsi dire à  notre insu ?
    On parle beaucoup de nos jours d’inventer une nouvelle organisation. Est-il bien certain qu’aucun penseur, quelque génie qu’on lui suppose, quelque autorité qu’on lui donne, puisse imaginer et faire prévaloir une organisation supérieure à  celle dont je viens d’esquisser quelques résultats ?

    Méthodes pour promouvoir une nouvelle organisation artificielle

    Bastiat décrit ensuite les mécanismes et les méthodes utilisés par ceux qui veulent promouvoir une nouvelle organisation artificielle :

    1. Ils commencent par décrire les maux de la société en oubliant de rappeler ses aspects positifsAussi les publicistes auxquels je fais allusion, après avoir proclamé avec enthousiasme et peut-être exagéré la perfectibilité humaine, tombent dans l’étrange contradiction de dire que la société se détériore de plus en plus. À les entendre, les hommes sont mille fois plus malheureux qu’ils ne l’étaient dans les temps anciens, sous le régime féodal et sous le joug de l’esclavage; le monde est devenu un enfer. S’il était possible d’évoquer le Paris du dixième siècle, j’ose croire qu’une telle thèse serait insoutenable.
    2. Ils condamnent l’intérêt personnelEnsuite ils sont conduits à  condamner le principe même d’action des hommes, je veux dire l’intérêt personnel, puisqu’il a amené un tel état de choses. Remarquons que l’homme est organisé de telle façon, qu’il recherche la satisfaction et évite la peine; c’est de là , j’en conviens, que naissent tous les maux sociaux, la guerre, l’esclavage, le monopole, le privilège; mais c’est de là  aussi que viennent tous les biens, puisque la satisfaction des besoins et la répugnance pour la douleur sont les mobiles de l’homme. La question est donc de savoir si ce mobile qui, par son universalité, d’individuel devient social, n’est pas en lui-même un principe de progrès.
    3. Ils proposent de s’en débarrasser (pour cela, deux méthodes : la force ou l’assentiment universel, tous deux impossibles)Pour déterminer tous les hommes à  la fois à  rejeter comme un vêtement incommode l’ordre social actuel, dans lequel l’humanité a vécu et s’est développée depuis son origine jusqu’à  nos jours, à  adopter une organisation d’invention humaine et à  devenir les pièces dociles d’un autre mécanisme, il n’y a, ce me semble, que deux moyens: la Force, ou l’Assentiment universel.
      Il faut, ou bien que l’organisateur dispose d’une force capable de vaincre toutes les résistances, de manière à  ce que l’humanité ne soit entre ses mains qu’une cire molle qui se laisse pétrir et façonner à  sa fantaisie; ou obtenir, par la persuasion, un assentiment si complet, si exclusif, si aveugle même, qu’il rende inutile l’emploi de la force.
      Je défie qu’on me cite un troisième moyen de faire triompher, de faire entrer dans la pratique humaine un phalanstère ou toute autre organisation sociale artificielle.
      Or, s’il n’y a que ces deux moyens et si l’on démontre que l’un est aussi impraticable que l’autre, on prouve par cela même que les organisateurs perdent leur temps et leur peine.

    Critique fondamentale du Contrat Social de Rousseau

    Bastiat se livre ensuite à  une critique des fondements philosophiques de Rousseau et son Contrat social, que je ne reprends pas ici, mais qui est très forte (les prémisses de Rousseau sont que la société est un état contre-nature, ce à  quoi Bastiat s’oppose) et aboutit à  cette conclusion :

    Que le lecteur veuille bien excuser cette longue digression, j’ai cru qu’elle n’était pas inutile. Depuis quelque temps, on nous représente Rousseau et ses disciples de la Convention comme les apôtres de la fraternité humaine. — Des hommes pour matériaux, un prince pour mécanicien, un père des nations pour inventeur, un philosophe par-dessus tout cela, l’imposture pour moyen, l’esclavage pour résultat; est-ce donc là  la fraternité qu’on nous promet?
    Il m’a semblé aussi que cette étude du Contrat social était propre à  faire voir ce qui caractérise les organisations sociales artificielles. Partir de cette idée que la société est un état contre nature; chercher les combinaisons auxquelles on pourrait soumettre l’humanité; perdre de vue qu’elle a son mobile en elle-même; considérer les hommes comme de vils matériaux; aspirer à  leur donner le mouvement et la volonté, le sentiment et la vie; se placer ainsi à  une hauteur incommensurable au-dessus du genre humain: voilà  les traits communs à  tous les inventeurs d’organisations sociales. Les inventions diffèrent, les inventeurs se ressemblent.

    Association progressive et volontaire

    Parmi les arrangements nouveaux auxquels les faibles humains sont conviés, il en est un qui se présente en termes qui le rendent digne d’attention. Sa formule est: Association progressive et volontaire.
    Mais l’économie politique est précisément fondée sur cette donnée, que société n’est autre chose qu’association (ainsi que ces trois mots le disent), association fort imparfaite d’abord, parce que l’homme est imparfait, mais se perfectionnant avec lui, c’est-à -dire progressive. Veut-on parler d’une association plus étroite entre le travail, le capital et le talent, d’où doivent résulter pour les membres de la famille humaine plus de bien et un bien-être mieux réparti ? À la condition que ces associations soient volontaires; que la force et la contrainte n’interviennent pas; que les associés n’aient pas la prétention de faire supporter les frais de leur établissement par ceux qui refusent d’y entrer, en quoi répugnent-elles à  l’économie politique ? Est-ce que l’économie politique, comme science, n’est pas tenue d’examiner les formes diverses par lesquelles il plaît aux hommes d’unir leurs forces et de se partager les occupations, en vue d’un bien-être plus grand et mieux réparti? Est-ce que le commerce ne nous donne pas fréquemment l’exemple de deux, trois, quatre personnes formant entre elles des associations ? Est-ce que le métayage n’est pas une sorte d’association informe, si l’on veut, du capital et du travail ? Est-ce que nous n’avons pas vu, dans ces derniers temps, se produire les compagnies par actions, qui donnent au plus petit capital le pouvoir de prendre part aux plus grandes entreprises ? Est-ce qu’il n’y a pas à  la surface du pays quelques fabriques où l’on essaye d’associer tous les co-travailleurs aux résultats? Est-ce que l’économie politique condamne ces essais et les efforts que font les hommes pour tirer un meilleur parti de leurs forces ? Est-ce qu’elle a affirmé quelque part que l’humanité a dit son dernier mot ? C’est tout le contraire, et je crois qu’il n’est aucune science qui démontre plus clairement que la société est dans l’enfance.
    Mais, quelques espérances que l’on conçoive pour l’avenir, quelques idées que l’on se fasse des formes que l’humanité pourra trouver pour le perfectionnement de ses relations et la diffusion du bien-être, des connaissances et de la moralité, il faut pourtant bien reconnaître que la société est une organisation qui a pour élément un agent intelligent, moral, doué de libre arbitre et perfectible. Si vous en ôtez la liberté, ce n’est plus qu’un triste et grossier mécanisme.

    La suite pour bientôt !

    Désolé pour tous ces extraits un peu long, mais je trouve le style de Bastiat vraiment admirable, et je ne résiste pas au plaisir de partager avec vous ces morceaux de son texte. Je ne peux que vous conseiller d’aller lire cet excellent ouvrage !
    J’essayerais de synthétiser régulièrement des chapitres de cet excellent livre, disponible en ligne et intégralement sur Bastiat.org. Le prochain s’intitule « Besoins, efforts, satisfactions ». Tout un programme !

  • Citation #24

    La Loi, c’est la force commune organisée pour faire obstacle à  l’Injustice.
    Frédéric Bastiat

  • Harmonies économiques : Introduction

    Voici le premier d’un série d’articles sur l’ouvrage « Harmonies économiques » de Bastiat. Comme je trouve ce texte admirable, je ferais un billet de résumé/extraits sur chacun des chapitres, au fur et à  mesure de mes lectures, et du temps disponible sur mes soirées et mes week-end ! J’utiliserai abondamment les longs extraits de texte, parce que c’est la beauté du texte, son aspect pédagogique et clair qui m’a donné envie de faire ces billets (…et aussi parce que ça va plus vite :smile: ).

    Les intérêts sont harmoniques

    Je commence donc avec l’introduction du livre, intitulée « A la jeunesse Française ».
    Il part sur cette idée très forte, qui résume l’ensemble de l’ouvrage (il se fixe comme ojectif de le démontrer) : « Tous les intérêts légitimes sont harmoniques ». Il discute dans cette introduction de la « solution » au problème social.

    Or, cette solution, vous le comprendrez aisément, doit être toute différente selon que les intérêts sont naturellement harmoniques ou antagoniques.
    Dans le premier cas, il faut la demander à  la Liberté; dans le second, à  la Contrainte. Dans l’un, il suffit de ne pas contrarier; dans l’autre, il faut nécessairement contrarier.
    Mais la Liberté n’a qu’une forme. Quand on est bien convaincu que chacune des molécules qui composent un liquide porte en elle-même la force d’où résulte le niveau général, on en conclut qu’il n’y a pas de moyen plus simple et plus sûr pour obtenir ce niveau que de ne pas s’en mêler. Tous ceux donc qui adopteront ce point de départ: Les intérêts sont harmoniques, seront aussi d’accord sur la solution pratique du problème social: s’abstenir de contrarier et de déplacer les intérêts.
    La Contrainte peut se manifester, au contraire, par des formes et selon des vues en nombre infini. Les écoles qui partent de cette donnée: Les intérêts sont antagoniques, n’ont donc encore rien fait pour la solution du problème, si ce n’est qu’elles ont exclu la Liberté. Il leur reste encore à  chercher, parmi les formes infinies de la Contrainte, quelle est la bonne, si tant est qu’une le soit. Et puis, pour dernière difficulté, il leur restera à  faire accepter universellement par des hommes, par des agents libres, cette forme préférée de la Contrainte.

    La suite sur la page suivante !

  • Un grand auteur français méconnu : Frederic Bastiat

    J’ai découvert il y a peu l’auteur Frédéric Bastiat. C’était un économiste et un pamphlétaire, esprit libre. Sur l’excellent site Bastiat.org, on trouve ses principaux textes (deux ouvrages sont disponibles en intégralité : « Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas«  et « Harmonies économiques« ) et pas mal de liens vers d’autres ressources.
    C’est un auteur lumineux, qui écrit un beau français, simple, direct. Ses textes sont animés par un grand sens pédagogique et sont d’une modernité étonnante. On s’étonne qu’il ne soit pas au programme du collège et du lycée : combien de temps forceront nous les enfants à  bouffer du Flaubert à  tour de bras, et à  rester des incultes économiques ? Mais il vrai qu’un penseur libéral (horreur!) n’a rien à  faire au programme d’une démocratie libérale, basé sur l’économie de marché ! Il est inutile de comprendre les rouages du jeu économique, dans le monde actuel.
    Pour finir, une petite citation du chapitre sur la concurrence, dans « Harmonies Economiques » :

    Et après tout, qu’est-ce que la Concurrence? Est-ce une chose existant et agissant par elle-même comme le choléra? Non, Concurrence, ce n’est qu’absence d’oppression. En ce qui m’intéresse, je veux choisir pour moi-même et ne veux pas qu’un autre choisisse pour moi, malgré moi; voilà  tout. Et si quelqu’un prétend substituer son jugement au mien dans les affaires qui me regardent, je demanderai de substituer le mien au sien dans les transactions qui le concernent. Où est la garantie que les choses en iront mieux? Il est évident que la Concurrence, c’est la liberté. Détruire la liberté d’agir, c’est détruire la possibilité et par suite la faculté de choisir, de juger, de comparer; c’est tuer l’intelligence, c’est tuer la pensée, c’est tuer l’homme. De quelque coté qu’ils partent, voilà  où aboutissent toujours les réformateurs modernes; pour améliorer la société, ils commencent par anéantir l’individu, sous prétexte que tous les maux en viennent, comme si tous les biens n’en venaient pas aussi.

    A lire absolument donc : c’est un régal de limpidité !

  • Citation #20

    Des dizaines d’années avant l’apparition des premiers partis communistes et même des premiers théoriciens socialistes, ce sont les libéraux du XIXe siècle qui ont posée, avant tout le monde, ce que l’on appelait alors la ”question sociale » et qui y ont répondu en élaborant plusieurs des lois fondatrices du droit social moderne. C’est le libéral François Guizot, ministre du roi Louis-Philippe qui, en 1841, fit voter la première loi destinée à  limiter le travail des enfants dans les usines. C’est Frédéric Bastiat, cet économiste de génie que l’on qualifierait aujourd’hui d’ultralibéral forcené ou effréné, c’est lui qui, en 1849, député à  l’Assemblée législative intervint, le premier dans notre histoire, pour énoncer et demander que l’on reconnaisse le principe du droit de grève. C’est le libéral Émile Ollivier qui, en 1864, convainquit l’empereur Napoléon III d’abolir le délit de coalition, ouvrant ainsi la voir au syndicalisme futur. C’est le libéral Pierre Waldeck-Rousseau qui, en 1884 (…) fit voter la loi attribuant aux syndicats la personnalité civile.
    Jean-François Revel La Grande parade, p. 48-49
  • Frédéric Bastiat contre la démagogie !

    Voilà  la fin du texte de Bastiat sur l’Etat :
    Citoyens, dans tous les temps deux systèmes politiques ont été en présence, et tous les deux peuvent se soutenir par de bonnes raisons. Selon l’un, l’État doit beaucoup faire, mais aussi il doit beaucoup prendre. D’après l’autre, sa double action doit se faire peu sentir. Entre ces deux systèmes il faut opter. Mais quant au troisième système, participant des deux autres, et qui consiste à  tout exiger de l’État sans lui rien donner, il est chimérique, absurde, puéril, contradictoire, dangereux. Ceux qui le mettent en avant, pour se donner le plaisir d’accuser tous les gouvernements d’impuissance et les exposer ainsi à  vos coups, ceux-là  vous flattent et vous trompent, ou du moins ils se trompent eux-mêmes.
    Quant à  nous, nous pensons que l’État, ce n’est ou ce ne devrait être autre chose que la force commune instituée, non pour être entre tous les citoyens un instrument d’oppression et de spoliation réciproque, mais, au contraire, pour garantir à  chacun le sien, et faire régner la justice et la sécurité.