Étiquette : Karl Popper

  • Objets mentaux

    Le thème de mon billet de l’autre jour (Faits & Récits) et le fait de poser les idées par écrit m’a fait avancer dans mon essai. Ce billet partage l’avancement en guise de note plus pour moi-même, pardonnez-moi, chers lecteurs, de partager aussi des brouillons, mais ça aide à progresser.

    Faits, récits, et …

    Je me suis très vite rendu compte, puisqu’un des axes de mon essai était de faire un tri, un rangement, dans les différents objets mentaux que l’on manipule pour penser, qu’il y a bien plus d’objets mentaux que simplement les récits et les faits. Pour bien lutter contre le biais de confusion (utiliser des objets mal identifiés ou mal définis entraîne à coup sûr une pensée confuse), il faut donc être plus systématique dans le « bestiaire » des objets mentaux. Voici mes notes et l’état de ce bestiaire, sans plus de précisions. N’hésitez pas, bien sûr, si cela vous interpelle ou provoque des réflexions, questions, critiques, etc. à les partager en commentaire.

    Les briques élémentaires

    Voici donc un certain nombre d’objets mentaux, que l’on manipule lorsque l’on pense. On peut bien sûr les combiner pour créer des objets plus complexes, mais ceux-là me paraissent avoir des caractéristiques suffisamment notables pour les distinguer. Ce modèle continuera à évoluer bien sûr, mais ça fait une bonne base. Chaque brique est décrite comme suit : une définition (plus ou moins calquée sur celle du dictionnaire, des caractéristiques distinctives, un champ de valeur, un exemple, une description possible de la manière dont cet objet mental existe (au sens de Ferraris Objet=acte inscrit), et une « instanciation » possible de l’objet (une manière de l’utiliser concrètement).

    • Descriptions

      • Définition : Énoncés sur le réel, vérifiables ou réfutables, décrivant objectivement la réalité, les faits.

      • Caractéristiques distinctives : Réfutabilité, objectivité, ancrage empirique.

      • Champ de valeur : Vérité.

      • Exemple : « L’eau bout à 100°C à pression standard. »

      • Inscription : Acte de documenter ou enregistrer un énoncé vérifiable (ex. : noter une observation scientifique dans un journal).

      • Instanciation : Lire ou citer un fait dans une discussion, re-créant sa description objectivement (ex. : expliquer que « l’eau bout à 100°C » lors d’une expérience).

    • Raisonnements

      • Définition : Suite logique de propositions aboutissant à une conclusion, permettant de structurer la pensée.

      • Caractéristiques distinctives : Logique, structure argumentative, cohérence interne.

      • Champ de valeur : Logique, argumentation.

      • Exemple : Démonstration du théorème de Pythagore.

      • Inscription : Acte de formuler ou débattre un enchaînement logique (ex. : énoncer un argument lors d’un débat).

      • Instanciation : Appliquer un raisonnement dans un problème réel, comme démontrer un théorème pour résoudre une équation.

    • Concepts

      • Définition : Représentation mentale abstraite et générale, objective, stable, munie d’un support verbal. Les concepts n’ont pas nécessairement un statut logique.

      • Caractéristiques distinctives : Abstraction, objectivité, stabilité, support verbal.

      • Champ de valeur : Imagination, créativité, abstraction.

      • Exemple : Notion de liberté.

      • Inscription : Acte de nommer ou discuter une idée abstraite (ex. : définir verbalement « liberté » dans une conversation).

      • Instanciation : Utiliser un concept dans une réflexion personnelle, comme penser à « liberté » pour évaluer une situation éthique.

    • Questions

      • Définition : Interrogations, ouvertes ou fermées, qui provoquent la réflexion ou un changement de point de vue.

      • Caractéristiques distinctives : Forme interrogative, stimulation cognitive, absence de réponse définitive.

      • Champ de valeur : Exploration, décentrement.

      • Exemple : « Quel est le sens de la vie ? »

      • Inscription : Acte de poser ou partager une interrogation (ex. : formuler une question dans un dialogue).

      • Instanciation : Poser une question lors d’une discussion, activant une réflexion collective (ex. : « Quel est le sens de la vie ? » dans un débat philosophique).

    • Récits

      • Définition : Présentation (orale ou écrite) d’événements (réels ou imaginaires). Constructions narratives organisant des événements ou idées pour créer ou transmettre du sens.

      • Caractéristiques distinctives : Narrativité, structure temporelle, subjectivité, présentation orale ou écrite.

      • Champ de valeur : Sens, transmission, émotion, identité.

      • Exemple : Fable « Le Lièvre et la Tortue ».

      • Inscription : Acte de raconter ou consigner une narration (ex. : écrire ou raconter une histoire).

      • Instanciation : Raconter une fable oralement, re-créant son sens narratif pour un public (ex. : performer « Le Lièvre et la Tortue »).

    • Règles

      • Définition : Prescriptions d’ordre moral ou pratique, plus ou moins impératives, explicites ou implicites, structurant les comportements et les interactions sociales.

      • Caractéristiques distinctives : Prescription, contexte social, normativité, explicite ou implicite.

      • Champ de valeur : Morale, justice, harmonie sociale.

      • Exemple : « Ne pas voler. »

      • Inscription : Acte de codifier ou imposer une prescription (ex. : énoncer une règle dans un contrat ou une loi).

      • Instanciation : Appliquer une règle dans une interaction sociale, comme respecter « ne pas voler » dans la vie quotidienne.

    • Modèles

      • Définition : Système physique, mathématique ou logique représentant les structures essentielles d’une réalité et capable à son niveau d’en expliquer ou d’en reproduire dynamiquement le fonctionnement. Représentations simplifiées du réel, associées à des objets tangibles ou abstraits.

      • Caractéristiques distinctives : Représentation, structure systématique, explication ou reproduction, finalité pratique ou esthétique.

      • Champ de valeur : Utilité, beauté, clarté, adéquation.

      • Exemple : Plan d’une maison.

      • Inscription : Acte de concevoir ou documenter un système représentatif (ex. : dessiner un plan ou formuler un modèle mathématique).

      • Instanciation : Utiliser un modèle pour simuler une réalité, comme tester un plan d’une maison dans un logiciel de simulation.

    • Croyances

      • Définition : Opinions ou représentations que l’on tient pour vraies, souvent non vérifiées empiriquement, et dont le degré d’adéquation au réel peut varier de très incertain à presque sûr.

      • Caractéristiques distinctives : Adhésion subjective, signification, variabilité d’adéquation, résistance à la réfutation.

      • Champ de valeur : Foi, identité, sens.

      • Exemple : Croyance en une vie après la mort.

      • Inscription : Acte de professer ou partager une opinion tenue pour vraie (ex. : déclarer une foi dans un groupe).

      • Instanciation : Vivre une croyance dans un rituel, comme prier pour valider une conviction en une vie après la mort.

    • Connaissances

      • Définition : Ensembles d’informations ou de savoirs validés empiriquement, organisés et utilisables, issus de l’observation, de l’expérience ou de l’analyse.

      • Caractéristiques distinctives : Validation empirique, organisation systématique, utilisabilité, origine observationnelle ou analytique.

      • Champ de valeur : Vérité, compréhension.

      • Exemple : Connaissance de la gravitation universelle.

      • Inscription : Acte de compiler ou enseigner un savoir validé (ex. : rédiger un manuel scientifique).

      • Instanciation : Appliquer une connaissance en pratique, comme utiliser la gravitation pour calculer une orbite.

    • Symboles

      • Définition : Représentations abstraites ou matérielles (signes, images, objets), fait ou élément naturel évoquant, dans un groupe humain donné, par une correspondance analogique, formelle, naturelle ou culturelle, quelque chose d’absent ou d’impossible à percevoir, ou portant un sens conventionnel ou culturel reliant le concret et l’abstrait.

      • Caractéristiques distinctives : Signification évocatrice, contexte culturel, polyvalence sémantique, relie concret et abstrait.

      • Champ de valeur : Signification, identité, expression.

      • Exemple : Une colombe symbolisant la paix.

      • Inscription : Acte de conventionner ou utiliser un signe évocateur (ex. : adopter un symbole dans une communauté).

      • Instanciation : Interpréter un symbole dans un contexte, comme voir une colombe et évoquer la paix lors d’une cérémonie.

    • Savoirs pratiques

      • Définition : Compétences ou savoir-faire pratiques, acquis par l’expérience ou l’apprentissage, permettant d’agir efficacement dans le monde.

      • Caractéristiques distinctives : Pragmatisme, incorporation, contextualité.

      • Champ de valeur : Utilité, efficacité, maîtrise.

      • Exemple : Savoir-faire d’un artisan pour construire un meuble.

      • Inscription : Acte de démontrer ou transmettre une compétence (ex. : enseigner un savoir-faire artisanal).

      • Instanciation : Exécuter un savoir-faire, comme construire un meuble pour re-créer la compétence en action.

    • Imaginaires

      • Définition : Ensembles de représentations mentales qui débordent sur la perception et l’intellection, qui surchargent la réalité de retentissements affectifs, d’analogies et métaphores, de valeurs symboliques secondes, mais selon des formes et forces très variées.

      • Caractéristiques distinctives : Fictionnalité, débordement cognitif, analogies et métaphores, variété des formes.

      • Champ de valeur : Imagination, créativité, évasion, affectivité, symbolisme.

      • Exemple : L’univers fictif du Seigneur des Anneaux.

      • Inscription : Acte de partager ou évoquer une représentation surchargée (ex. : discuter un monde fictif dans un groupe).

      • Instanciation : Vivre un imaginaire via une visualisation mentale, comme s’immerger dans l’univers du Seigneur des Anneaux lors d’une lecture.

    • Perceptions

      • Définition : Objets mentaux formés par l’interaction entre la conscience et un objet physique, par le biais des sensations, interprétations, et significations, associés à un sentiment plus ou moins précis de la réalité de quelque chose.

      • Caractéristiques distinctives : Interaction sensorielle, interprétation subjective, signification, sentiment de réalité.

      • Champ de valeur : Expérience, subjectivité, connexion au réel.
        Exemple : Perception d’un tableau comme « beau » ou « troublant ».

      • Inscription : Acte de décrire ou partager une expérience sensorielle (ex. : témoigner d’une perception dans une conversation).

      • Instanciation : Revivre une perception en la décrivant, comme évoquer le « beau » d’un tableau dans une discussion.

    Voilà, comme vous le voyez, il y a encore pas mal de boulot. J’ai surtout travaillé sur les briques et leur définition, et j’ai laissé Grok remplir les autres cases, certaines sont bien ficelées et d’autres pas du tout. Mais je pose ça pour garder une trace de cette version. Il en manque selon vous ? J’écrirai un court chapitre sur chacun de ces objets dans mon essai (cette forme de liste à puces n’est pas du tout le format cherché).

  • Des sources de la connaissance et de l’ignorance

    Des sources de la connaissance et de l’ignorance

    C’est le titre d’une conférence donnée en 1960 par Karl Popper, à la British Academy, et édité par Payot.

    Limpide et essentiel

    Rien de nouveau, à vrai dire, puisque j’ai déjà lu quelques essais et conférences de Popper. Mais comme le thème est plus restreint, cela donne un texte d’une grande clarté, démonstratif et à vrai dire magnifique. C’est probablement une excellente manière, d’ailleurs, de découvrir le grand philosophe qu’était Popper.

    Vérité et connaissance

    La recherche de la vérité reste le thème central, ainsi que notre rapport à la connaissance : que pouvons-nous connaître, comment ? Les sources de notre connaissance sont-elles importantes ?
    Je vous partage un ou deux extraits pour vous donner envie, et montrer le style si beau de Popper, dans sa pureté de raisonnement.
    La réponse correcte à la question « De quelle manière pouvons-nous espérer déceler et éliminer l’erreur? » est, à mon avis, la suivante : « Par la critique des théories ou des suppositions formulées par d’autres et – pourvu que nous y soyons entraînés – par celle ne nos propres théories ou conjectures » (cette seconde démarche est tout à fait souhaitable, mais elle n’est pas indispensable, car si nous échouons à critiquer nos théories, il s’en trouvera d’autres pour le faire à notre place). Cette réponse énonce, sous une forme résumée, une position que je propose d’appeler « le rationalisme critique ». Il y a là une conception, une attitude et une tradition que nous avons héritées des Grecs.
    Il cite en fin de conférence un certains nombres de conclusions épistémologiques importantes : sans rentrer dans le détail, les voici listées (elles sont plus détaillées dans la conférence, mais je veux les garder quelque part):

    1. Il n’existe pas de source ultime de la connaissance
    2. la vraie question consiste à se demander si une assertion est vraie, c’est-à-dire si elle correspond, s’accorde, aux faits
    3. le moyen de faire cela consiste à tester cette adéquation, soit de manière directe, soit en soumettant les conséquences à l’examen et aux tests
    4. les procédures de test d’adéquation entre nos théories et nos observations peuvent être complétées par l’examen de la cohérence interne et la concordance de diverses sources historiques
    5. la tradition représente (en plus de la connaissance innée) la source la plus importante, en qualité comme en quantité, pour notre savoir
    6. si l’anti-traditionalisme est inconséquent, il en est de même du traditionalisme : chaque parcelle de ce savoir se prête à l’examen critique et est susceptible d’être invalidé
    7. la connaissance ne s’élabore jamais à partir de rien. Les progrès du savoir sont essentiellement la transformation d’un savoir antérieur, dans la modification de nos théories
    8. « Nous ne disposons pas de critères de vérité, (…) mais nous possédons bien des critères qui, la chance aidant, peuvent nous permettre de reconnaître l’erreur et la fausseté. La clarté et la distinction ne constituent pas des critères de la vérité, mais des traits tels que l’obscurité ou la confusion sont susceptiblesd’être des indices d’erreur. De même, la cohérence est impuissante à prouver la vérité, mais l’incohérence ou l’incompatibilité servent bel et bien à démontrer la fausseté.
    9. « Ni l’observation, ni la raison ne font autorité. (…) La vocation essentielle de l’observation et du raisonnement, voire de l’intuition et de l’imagination, est de contribuer à la critique des conjectures aventurées à l’aide desquelles nous sondons l’inconnu.
    10. Malgré la symétrie du tableau des idées (voir ci-dessous), il faut bien comprendre que selon Popper, la colonne de gauche (celle des mots et de leur sens) est sans intérêt, et celle de droite (où apparaissent les théories et les problèmes touchant à leur vérité) est d’une importance extrême. Il faut à tout prix éviter les questions qui ne sont que querelles de mots.
    11. « Toute solution d’un problème donne naissance à de nouveaux problèmes qui exigent à leur tour solution ; (…) Plus nous apprenons sur le monde, et plus ce savoir s’approfondit, plus la connaissance de ce que nous ne savons pas, la connaissance de notre ignorance prend forme et gagne en spécificité comme en précision. Là réside en effet la source majeure de notre ignorance : le fait que notre connaissance ne peut être que finie, tandis que notre ignorance est infinie. »

    et voici le tableau dont il question au point 9 :

    les idées, c’est-à-dire
    les désignations, les termes, ou les concepts les énoncés, les propositions ou les théories
    peuvent être exprimées sous forme de
    mots affirmations
    susceptibles d’être
    doués de signification vraies
    et leur
    sens vérité
    peut se réduire grâce à des
    définitions dérivations
    à celui / celle de
    concepts non définis propositions primitives
    vouloir ainsi établir (plus que déterminer par réduction) leur
    sens vérité
    entraîne une régression à l’infini

    Conclusion

    Je laisse comme souvent le mot de la fin à l’auteur, avec le dernier paragraphe de la conférence.
    Il convient, selon moi, de renoncer à cette idée des sources dernières de la connaissance et de reconnaître que celle-ci est de part en part humaine, que se mêlent à elle nos erreurs, nos préjugés, nos rêves et nos espérances, et que tout ce que nous puissions faire est d’essayer d’atteindre la vérité quand bien même celle-ci serait hors de notre portée. On peut convenir que ces tentatives comportent souvent une part d’inspiration, mais il faut se méfier de la croyance, si vivace soit-elle, en l’autorité, divine ou non, de cette inspiration. Si nous reconnaissons ainsi qu’il n’existe, dans tout le champ de la connaissance et aussi loin qu’elle ait pu s’avancer dans l’inconnu, aucune autorité qui soit à l’abri de la critique, nous pouvons alors, sans danger, retenir cette idée que la vérité transcende l’autorité humaine. C’est là une nécessité, car en l’absence de semblable idée, il ne saurait y avoir ni normes objectives de l’investigation, ni critique des conjectures, ni tentatives pour sonder l’inconnu, ni quête de la connaissance.

  • L’appel de la tribu

    L’appel de la tribu

    Mario Vargas Llosa signe, avec L’appel de la tribu, une belle autobiographie philosophique, centrée sur 7 auteurs qui l’ont influencé. C’est passionnant, bien écrit et rythmé, et c’est une magnifique introduction à  la pensée de ces auteurs variés, mais dont le point commun est d’avoir été des penseurs libéraux.

    Elégance

    J’avais lu et apprécié, il y a quelques années, Le poisson dans l’eau, où Mario Vargas Llosa racontait son parcours en politique et sa candidature à  la présidence du Pérou. Très intéressante plongée dans l’univers étrange de la politique. Varga Llosa, péruvien et naturalisé espagnol, est lauréat du prix Nobel de littérature (2010). Dans son style, et sa manière d’aborder les sujets, il y a une sorte d’alliance de franchise, et de mise en retrait de sa propre personne, qui donne une grande élégance à  son style. Ce n’est pas de la fausse pudeur, ou de l’humilité, c’est plutôt une grande clarté et simplicité. Cette élégance se retrouve dans L’appel de la tribu : tout en éclairant en quoi, et à  quel moment de son parcours ces auteurs l’ont influencé, Vargas Llosa livre un travail à  la fois de biographe intellectuel, mais aussi parfois agrémente ce récit d’anecdotes vécues, car il a rencontré un certain nombre de ces auteurs.

    Introductions

    Chaque chapitre est dense, ramassé, et livre l’essentiel de la pensée des auteurs. Une merveilleuse manière de les découvrir, avec un fil conducteur assez simple finalement : le libéralisme n’est pas un dogme, mais un courant de pensée, avec des facettes multiples, des contradictions, une richesse, très bien éclairées par ces auteurs si variés. C’est un livre d’introductions. J’ai retrouvé avec plaisir des auteurs connus, et eu la joie d’en découvrir d’autres. Dans l’ordre du livre, on peut donc découvrir les pensées et les vies de :

    • Adam Smith (1723-1790) : philosophe et économiste écossais des Lumières. Je n’ai lu que des extraits de Smith, et il faut vraiment que j’aille le lire. Il me semble être un auteur majeur.
    • José Ortega Y Gasset (1883-1955) : philosophe, sociologue, essayiste, homme de presse et homme politique espagnol. Ce qu’en dis Vargas Llosa ne me donne pas plus envie que cela de le découvrir. Si je caricature, plume brillante, et idées peu rigoureuses.
    • Friedrich August Von Hayek (1899-1992) : économiste et philosophe britannique originaire d’Autriche. Je connais déjà  bien l’oeuvre d’Hayek, et j’ai découvert avec plaisir la présentation qu’en fait l’auteur. Vous pouvez retrouver quelques articles consacrés (ou en lien) à  la pensée d’Hayek sur ce lien : Hayek sur BLOmiG
    • Karl Raimund Popper (1902-1994) : enseignant et philosophe des sciences autrichien, naturalisé britannique. Encore un auteur qui m’a nourri. L’éclairage qu’en fait Vargas Llosa est passionnant, sur le personnage comme sur sa pensée, et son style (pas toujours très clair, contrairement aux concepts qu’il a contribué à  forger). Vous pouvez retrouver quelques articles consacrés (ou en lien) à  la pensée de Popper sur ce lien : Popper sur BLOmiG
    • Raymond Aron (1905-1983) : philosophe, sociologue, politologue, historien et journaliste français. Je n’ai lu que les Essais sur les libertés d’Aron et je pense qu’il faut que j’aille découvrir vraiment plus en profondeur cet auteur (abondamment cité par Freund dans Sociologie du conflit). Vargas Llosa le présente, à  juste titre à  mon sens, comme un des intellectuels français, avec Revel (voir ci-dessous), qui a contribué à  éviter l’effondrement complet de la pensée en France.
    • Isaiah Berlin (1909-1997) : philosophe politique et historien des idées sociales letton, naturalisé anglais. Je ne connaissais absolument pas cet auteur, et la présentation qu’en fait Vargas Llosa m’a conduit à  immédiatement commander À contre-courant. Essais sur l’histoire des idées. C’est mon prochain livre. La vie de Berlin est assez incroyable, et sa personnalité également. update : j’ai lu et recensé A contre-courant, splendide essai.
    • Jean-François Revel (1924-2006) : philosophe, écrivain et journaliste français. J’avais adoré La grande parade et Histoire de la philosophie occidentale. Il me semble plus que justifié de trouver Revel dans un panégyrique d’auteurs libéraux.

    A déguster sans modération

    Que vous soyez libéral, ou non, il me semble que ce livre permet de découvrir pas mal d’auteurs passionnant, tout en passant en revue leur 7 manières d’être libéral, avec le regard précis et lucide d’un auteur original. Ici ou là , je découvre que Vargas Llosa tombe légèrement dans le politiquement correct (en qualifiant Joseh de Maistre de précurseur du facisme, ou en expliquant que la GB était un pays accueillant, jusqu’au Brexit). Rien de bien gênant, ce ne sont pas des points centraux de son exposé. Pour conclure, je reprends l’extrait du livre partagé par IREF :

    Le libéralisme est une doctrine qui n’a pas réponse à  tout, à  l’inverse du marxisme qui prétend le contraire ; il admet en son sein la divergence et la critique à  partir d’un corpus restreint mains indéniable de convictions. Par exemple, que la liberté est la valeur suprême et qu’elle n’est pas divisible ni fragmentaire, qu’elle est unique et doit se manifester dans tous les domaines — l’économique, le politique, le social, le culturel — dans une société authentiquement démocratique.(…) Le libéralisme n’est pas dogmatique, il sait que la réalité est complexe et que les idées et les programmes doivent souvent s’y adapter pour réussir, au lieu d’essayer de l’assujettir à  des schémas rigides, ce qui d’ordinaire les fait échouer et déchaîne la violence politique.
  • La quête inachevée

    La quête inachevée

    Ce petit livre extraordinaire n’est rien de moins que l’autobiographie philosophique de Karl Popper. « L’autobiographie d’un penseur qui a bouleversé la réflexion sur la science et la philosophie politique », comme le précise le 4ème de couverture de mon édition de poche, « La quête inachevée constitue le meilleur résumé disponible des positions de Karl Popper dans les principaux domaines où s’est exercée de son activité philosophique : épistémologie et méthodologie scientifique, philosophie politique et sociale, philosophie générale, voire métaphysique », comme le dit l’éditeur Calmann-Levy sur son site. Il l’a écrite en 1969, à  67 ans.

    Popper est un de mes penseurs préférés, vous le savez si vous lisez ce blog. Honnête, rigoureux, critique. La quête dont il est question est évidemment la quête de la vérité. J’ai adoré ce livre qui synthétise énormément de choses, toujours de manière accessible. On y découvre en filigrane un homme génial (au sens propre du terme), apprenti ébéniste, puis philosophe, puis spécialiste des sciences et de l’épistémologie, il a pu dialoguer en direct avec les plus grands esprits de son temps (Einstein, Schrödinger, Russell, Hayek et bien d’autres). Emigré en Nouvelle-Zélande un temps, il a fini sa vie en Angleterre.

    Jetez-vous sur ce livre, si vous aimez réfléchir. J’avoue que relire ses réflexions passionnantes m’a amené à  me demander s’il existe des connaissances (au sens scientifique du terme) dans le domaine de la morale. J’ai trouvé cette question si passionnante, que j’ai commencé à  chercher sur internet, et je suis tombé sur un livre de Charles Larmore, datant de 1993, où cette question est traitée. Ce n’est pas un hasard si dès l’intro, Larmore y cite Popper comme un des rares philosophes qui ne se soit pas trompé sur la nature des connaissances et de la philosophie. Le bouquin de Larmore, « Modernité et Morale » est tout simplement époustouflant (je n’en suis qu’au tout début, mais je sens que ça va devenir un de mes livres de chevet).

    Larmore et Popper partagent une qualité rare parmi les philosophes : la clarté. Je recopie ici pour finir mon billet la très belle définition qu’en donne Larmore :

    Une position philosophique est claire dans la mesure où l’on spécifie les conditions dans lesquelles on l’abandonnerait. Et cette tâche devient d’autant plus réalisable qu’on situe sa position vis-à -vis des opinions communes sur le sujet. Une certaine solidarité, comme on verra, est donc essentielle à  la clarté.

  • Le(s) paradoxe(s) du réel

    Le(s) paradoxe(s) du réel

    J’avais déjà  partagé sur ce blog ma découverte de la pensée de Karl Popper, vraiment indispensable. Je ne résiste pas à  revenir sur son modèle des « trois mondes ».

    Les 3 mondes de Karl Popper

    Karl Popper, dans ses ouvrages, et aussi dans des conférences, a expliqué qu’il revendique une vision pluraliste de la réalité. Donc ni monisme, ni dualisme. Il détaille donc trois mondes différents (j’ai refait une image en tête d’article pour garder ça quelque part) qui constituent à  eux trois le réel (définit comme l’ensemble de ce qui existe) :

    1. Le « Monde 1 » est celui des phénomènes physico-chimiques. « Par « Monde 1 », j’entends ce qui, d’habitude, est appelé le monde de la physique, des pierres, des arbres et des champs physiques des forces. J’entends également y inclure les mondes de la chimie et de la biologie.»
    2. Le « Monde 2 » est celui de la conscience, de l’activité psychique essentiellement subjective. « Par « Monde 2 » j’entends le monde psychologique, qui d’habitude, est étudié par les psychologues d’animaux aussi bien que par ceux qui s’occupent des hommes, c’est-à -dire le monde des sentiments, de la crainte et de l’espoir, des dispositions à  agir et de toutes sortes d’expériences subjectives, y compris les expériences subconscientes et inconscientes.»
    3. Le « Monde 3 » est celui de la connaissance objective (des « contenus de pensée » ou « idées »). « Par « Monde 3 », j’entends le monde des productions de l’esprit humain. Quoique j’y inclue les oeuvres d’art ainsi que les valeurs éthiques et les institutions sociales (et donc, autant dire les sociétés), je me limiterai en grande partie au monde des bibliothèques scientifiques, des livres, des problèmes scientifiques et des théories, y compris les fausses.»

    Le plus complexe à  saisir est le monde 3, dans son contenu non physique. Un bon exemple pour cela est l’exemple de Jean et Gabriel qui lisent chacun de leur côté la pièce « Hamlet« . Il y a là  deux objets différents du monde 1 (les deux livres physiques), deux ressentis émotionnels différents du monde 2 (Jean et Gabriel n’ont pas le même vécu, ni même le même ressenti en lisant Hamlet), par contre ils lisent tous les 2 le même objet du monde 3 qui est Hamlet, la pièce de Shakespeare. Cet objet du monde 3 est le « contenu de pensée ». Il y a dans ce monde, le schéma en tête d’article le mentionne : des théories, des symphonies, des idées, des objets réels du monde 1 bien sûr.

    Implications sur le réel

    Depuis que je le connais, je trouve ce modèle pluraliste très utile et applicable dans nos réflexions. Voici quelques exemples de ses implications, qui ne sont pas neutres. Ces implications sous-entendent que l’on partage l’idée selon laquelle seul existe le réel.

    • Une manière « simple » de distinguer les animaux et les humains, c’est peut-être de dire que les animaux n’ont pas le capacité à  discuter d’objets du monde 3, car ils sont liés à  l’apparition d’un « langage argumentatif »
    • En prenant la définition de Wunenburger, on peut positionner les imaginaires comme étant la zone à  cheval entre monde 2 et monde 3. Les contenus imaginaires ne sont donc pas ce qui n’existe pas (comme le langage semble nous l’indiquer, qui oppose réel et imaginaire), mais ce qui, dans un registre symbolique, déborde du strict monde 3 et chevauche dans le monde 2.
    • mes représentations du réel font partie du réel. Cette petite phrase est lourde de conséquence. Je peux donc modifier le réel par la pensée, de manière très factuelle. A partir du moment où une pensée est exprimée sous forme de mots, elle m’échappe en partie puisqu’elle devient partageable, et peut faire l’objet d’une critique intersubjective.
    • Il y a une forme de brouillage de frontière entre le réel et moi (nous avons l’habitude de nous penser comme une entité séparée du réel, nous habitons le réel). Je fais partie du réel, et le réel fait partie de moi (par le biais de chacun des trois mondes). La frontière entre moi et le monde n’est pas discontinue, mais bien continue.
    • Le meilleur pour la fin. Puisque Dieu, indubitablement, fait l’objet de croyances, et que l’on peut en donner une description dans le monde 3, alors Dieu existe bien sûr (fait partie du réel). C’est évident, mais ça va mieux en le disant. La(les) bonne(s) question(s) n’est donc pas « Est-ce que Dieu existe ? » (c’est une évidence dans ce modèle), mais bien « Qu’est-ce que cet objet du monde 2 et 3 a comme impact ? pour qui ? dans quel monde ? »

    Voilà , voilà . Qu’en pensez-vous ? Intéressant ? stimulant ? Personnellement, je trouve Popper indispensable.
    Modification : suite aux commentaires très justes et pertinents des lecteurs, je viens de relire la conf de Popper, et de mettre à  jour le schéma, qui était complètement faux ! Merci, donc aux lecteurs, et j’espère que du coup les choses seront plus claires. Le schéma ci-dessus, reprend la synthèse que Popper fait en fin d’article. Dans le monde 1, il parle du monde du vivant, qui a produit en évoluant, des organismes avec des expériences de consciences (monde 2). Dans ce monde 2, Popper parle des humains, qui ont produit en évoluant, des contenus de pensées, adossés à  des langages, et pour certains susceptibles de critique rationnelle. Chaque monde a un énorme feedback (effet retour) vers le monde dont il est issu.

  • A la recherche d’un monde meilleur

    A la recherche d’un monde meilleur

    Pour découvrir Karl Popper, je vous recommande de faire ce que j’ai fait : lire le très bon recueil de conférences « A la recherche d’un monde meilleur ». On y découvre dans un style très simple et facile à  suivre des exposés de Karl Popper sur toutes sortes de sujets. Philosophie politique, théorie de la connaissance, éthique, art : Karl Popper sait rendre compréhensible sa pensée, et met même un point d’honneur à  le faire.

    Autant vous dire que ce que l’on peut découvrir de la pensée de Karl Popper m’a complètement séduit : humble, rigoureux, détestant le bla-bla philosophico-philosophique, épris de doute et de la recherche de la vérité, travailleur (on voit qu’il connait les théories scientifique bien mieux que la plupart des scientifiques).

    Je retiendrais son attitude ouvertement « dans la tradition des Lumières », et son goût du pluralisme. Il oppose à  très juste titre le relativisme qui « issu d’une tolérance lâche, conduit au règne de la violence » et le pluralisme critique qui « peut contribuer à  la domestication de la violence ». (Il l’applique d’ailleurs dans tous les domaines, politique, éthique ou scientifique).

    Le pluralisme critique est la position selon laquelle, dans l’intérêt de la recherche de la vérité, toute théorie – et plus il y a de théories, mieux c’est – doit avoir accès à  la concurrence entre les théories. Cette concurrence consiste en la controverse rationnelle entre les théories et en leur élimination critique.

    J’ai également été passionné par sa description du monde en 3 sous-mondes. Pour faire simple (il rentre beaucoup plus dans le détail, notamment de la description des relations entre les 3) : 

    1. le monde 1 est le monde des corps matériels (non vivants et vivants)
    2. le monde 2 est le monde des vécus (conscients ou inconscients)
    3. le monde 3 est le monde des produits objectifs de l’esprit humain (matériels ou non)

    Popper considère que ces trois mondes sont réels et en interaction entre eux. Il décrit cela en détail et c’est complètement passionnant, et riche. Vous pouvez lire une conférence consacrée à  ces trois mondes (en anglais), sur le site Tanner Lectures : Three Worlds – Karl Popper.

    Bref : si vous voulez réflechir avec un grand philosophe, qui vulgarise magnifiquement, jetez-vous sur ce livre !