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  • Jean-Philippe Feldman : Le droit doit remplacer la législation

    Jean-Philippe Feldman : Le droit doit remplacer la législation

    Dans le Figaro du mercredi 7 mai 2008, un article intéressant de Jean-Philippe Feldman faisait le point sur le Code du travail un an après l’élection présidentielle. Comme je n’ai pas réussi à  le retrouver sur internet pour vous y renvoyer, j’ai pris le temps hier de le recopier. Parce qu’il me semble pertinent, lucide et direct. Il prône une simplification de la législation, pour revenir au droit commun. Trop de règlementation nuit à  la clarté et à  l’utilité du droit. Un appel à  la liberté individuelle qui est passé inaperçu, et qui mérite à  mon sens d’être souligné.

    Jean-philippe Feldman est agrégé de droit, avocat à  la cour de Paris, spécialiste de droit constitutionnel. Il est l’auteur de nombreux ouvrages et articles. Son approche est libérale, au sens noble du terme. Je vous laisse apprécier son article, je n’ai fait que mettre en exergue certaines phrases pour donner un peu de rythme. Bonne lecture !

    Jean-philippe Feldman : « Droit du travail : vers la fin de l’exception française »

    Paru dans Le Figaro du 07 mai 2008
    Quand Nicolas Sarkozy accède à  la présidence de la République, le modèle social français a triste allure : grèves à  répétition, chômage structurel, syndicats opaques et arc-boutés sur la défense des « acquis sociaux ». Le droit du travail a sa lourde part de responsabilité dans cette situation : salariés protégés quasi inamovibles, licenciements complexes et coûteux qui, par contrecoup, découragent les embauches, Code du travail foisonnant et brumeux, miné par l’inflation normative. Un an après le tableau est-il toujours aussi sombre ?
    Le chef de l’Etat est parvenu à  la magistrature suprême, nanti d’un programme centré sur le pouvoir d’achat et la libération des énergies. Travailler plus pour gagner plus. Nicolas Sarkozy a eu le mérite de décomplexer les ambitieux et les courageux. Il a bien perçu l’inspiration largement partagée à  briser le carcan qui entoure l’individu et qui l’empêche de déployer ses talents. Il a également eu le mérite de relier le culte de l’effort avec l’esprit d’entreprise en tentant de faire comprendre à  certains Français que les sociétés ne sont pas forcément le lieu de la « lutte des classes » et de l’exploitation des « travailleurs ». Il s’est bien garder de répéter l’erreur du contrat première embauche, réforme injuste, par surcroît menée à  la hussarde, qui a scellé le destin du premier ministre de l’époque. L’objectif a donc été de réformer de manière pédagogique. Il s’est agi et il s’agit toujours de transformer le système de relations sociales pour favoriser la négociation collective, avec en ligne de mire une « flexisécurité » à  la française.
    Mais, il y a loin de la coupe aux lèvres. Coïncidence : le Code du travail a fait peau neuve en vertu d’une entreprise de recodification lancée bien avant l’arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir. Est-ce un progrès qu’au 1er mai 2008, le nouveau code compte 3652 articles, fussent-ils plus concis, contre 1891 dans l’ancien ? Les employeurs et les salariés ne disposent toujours d’aucun instrument qui leur permette d’anticiper leur situation juridique ; La liberté doit être le leitmotiv : liberté contractuelle, d’embauche et de licenciement.ils continuent d’être tributaires d’une jurisprudence qui, trop souvent, ajoute à  la confusion en renforçant le formalisme des règles.
    Un retour au droit commun s’impose. La liberté doit être le leitmotiv : liberté contractuelle, d’embauche et de licenciement. Les privilèges syndicaux doivent être abolis : suppression du monopole de la représentation, financement sans fonds publics à  rebours du financement des partis politiques. Le président a lancé une profonde réforme du préambule de la Constitution. Ne serait-ce pas l’occasion de supprimer le renvoi au préambule de la Constitution de 1946 ?
    En substance, un droit du travail digne de ce nom doit se substituer à  un magma de normes sociales. Le droit doit remplacer la législation. Or, un an après l’élection présidentielle, aucune véritable réforme de fond n’a été entreprise : les 35 heures subsistent malgré les nouvelles règles – largement incompréhensibles – sur les heures supplémentaires ; Un droit du travail digne de ce nom doit se substituer à  un magma de normes sociales. Le droit doit remplacer la législation.
    le service minimum n’existe toujours pas, encore moins un « service maximum » ; les contrats aidés demeurent alors qu’ils ne font que déplacer des emplois sans en créer ; le smic reste une question taboue.
    La méthode prônée par Nicolas Sarkozy fait aussi débat. Le « gradualisme » dans la réforme proposée, puis expliquée, enfin débattue avec les syndicats, s’impose-t-il ? Il est permis là  encore d’en douter. Depuis longtemps, il existe une coupure au sein du syndicalisme salarial : globalement représentatif, mais le plus souvent passéiste et rétrograde sous couvert de « progressisme » dans le secteur public ; peu ou prou inexistant dans le secteur privé. Quel est dès lors sa légitimité ? L’expérience prouve qu’aucune modernisation n’a été conduite dans un pays démocratique ces trente dernières années en l’absence du triptyque : détermination, thérapie de choc et globalité des réformes. On ne traitera pas du modèle social français si, concomitamment, on ne réduit pas drastiquement la fiscalité, le budget de l’Etat au sens large et les déficits. Tout se tient : dépolitiser, désétatiser, bref mettre fin à  l’ »exception française ». Il ne s’agit pas de liquider mai 68, mais essentiellement de défaire des réformes sociales du Front populaire et de la Libération. Alors, et alors seulement, un droit du travail adviendra en France.

  • Evidence based journalisme

    Manipulation par les médiasLa fiabilité des démarches médicales ou scientifiques s’appuie sur des études, fondamentales ou cliniques, dont les données, les méthodes et les résultats sont validés : c’est le coeur de la démarche « evidence based » et c’est l’avenir de la recherche et du système de santé qui sont en jeu.

    (suite…)

  • Interview d’Alain Boyer : quatrième partie

    Nous avons vu la dernière fois l’analyse d’Alain Boyer sur la position idéologique du PS, et celle de Sarkozy. Suite de l’interview aujourd’hui, centrée sur le fameux article qu’Alain Boyer avait publié (dans le Figaro) entre les deux tours de la présidentielle pour soutenir Sarkozy. Historique de l’article, réactions, et quelques mots sur l’université. Si vous prenez cette série d’articles en cours de route, je vous conseille de commencer par le début, ça facilitera votre lecture.

    Pour toutes ces raisons, je vois bien pourquoi, avant la campagne, tu avais appelé dans ton article a voter pour Sarkozy ! Cet article, tu l’avais soumis d’abord au Monde, qui l’avait refusé. Quelles raisons t’avaient-ils donné ?

    Aucune. Une lettre impersonnelle disant que l’article était intéressant, mais que les contraintes de la rédaction, etc…Ce qui m’a amusé, parce que ,en 1969, le Monde avait publié un tableau des groupuscules d’extrême gauche en trois groupes : maoistes, trotskistes, anarchistes. Tous les groupes dont j’ai parlé tout à  l’heure, ils les avaient répartis un peu partout. Ils avaient mis l’International situationniste (l’IS …) avec les anars, et puis SouB avec les trotskistes (ils avaient mis également Spartacus parmi les trotskistes). Alors j’avais pris ma plume d’élève de 3ème, et j’avais écrit au rédacteur en chef du service politique du Monde qui ensuite devenu directeur du cabinet de Mauroy, pour leur dire qu’il fallait 4 catégories. Et tout étonné, 8 jours après j’ai reçu une lettre de lui : « Monsieur, vous avez tout à  fait raison… ». La différence est flagrante ; 30 ans après, j’écris en tant que professeur de philosophie politique et cette fois on me répond de manière presque anonyme. Cet article, pourtant à  l’époque, n’avait aucune conclusion politique. Il disait simplement qu’il il fallait des réformes dites « libérales ». Je disais que, tout en ayant des valeurs, des convictions, il est nécessaire d’avoir une morale de la responsabilité. Ce que tu avais rappelé sur ton blog. Essayer de savoir ce que seront les conséquences probables de mon action, et pas seulement se dire « j’ai bien agi, si ça se passe mal, c’est de la faute du monde ou de la société ».

    La morale de la responsabilité, c’est le contraire d’une citation latine « Fiat Justicia, pereat Mundus », et qui veut dire : »qu’advienne la justice, le monde dût-il en périr. » à‡a c’est la morale de la conviction absolue. Et c’est terrible. Non, il faut maintenir le monde en existence, l’améliorer, mais surtout pas le sacrifier au nom de valeurs pures. Il faut avoir des valeurs, mais que ces valeurs soient des sortes de contrôle, si tu vois ce que je veux dire…

    Des garde-fous ?

    Oui, des gardes-fous pour ne pas tomber dans l’immoralisme politique. Mais en même temps, la responsabilité : si je fais les 35 heures, qu’est-ce que ça va donner ? si je garde la retraite à  60 ans, comment financer les retraites dans 20 ans ? ça c’est la morale de la responsabilité, et c’est ce que je voulais dire à  tous les politiques. Je pense que DSK, par exemple, aurait été d’accord. J’avais auparavant envoyé mon article (sans l’appel à  voter Sarko !) à  Michel Rocard, qui m’avait dit qu’il était d’accord. Donc le Monde a refusé cet article pour des raisons que j’ignore.

    Ensuite tu as fait la démarche de le soumettre au Figaro ? entre les deux tours ?

    Pas exactement. Dans la foulée, un an avant sa parution, je l’ai envoyé au Figaro, juste après le refus (immédiat) du Monde, et le journaliste du Figaro, tous les mois, m’écrivait « je n’ai pas encore pu le faire publier, etc. etc.. ». J’ai donc fini par abandonner l’espoir d’être publié. Et puis, le journaliste a changé, c’est tout à  fait contingent comme histoire, et deux autres journalistes ont repris cette page « débats opinions », et c’est eux qui, un jeudi matin m’ont téléphoné, entre les deux tours : « On prend votre article, si vous rajoutez la conséquence logique qui est : votez Sarkozy. » Comme je m’apprêtais à  voter Sarkozy, c’était logique, mais j’ai malgré tout hésité, mais ils m’ont donné une demi-heure. Je n’ai pas hésité longuement, puisque après tout c’était ce que je pensais. Je l’avais dit à  tous mes amis, que je voterai Sarkozy et pas Ségolène. C’aurait été DSK, j’aurais attendu les débats, et j’aurais jugé « sur pièce ». Mais là , il m’apparaissait franchement que Ségolène n’avait pas de cohérence idéologique et politique. J’essaye, ce qui normalement est une qualité que doit avoir tout philosophe, d’être conséquent. C’est Kant qui disait ça, c’est trivial en un sens, conséquent avec soi-même. Quand on a une idée, il faut la poursuivre et en tirer les conséquences logiques. Et la conséquence logique, c’était d’appeler à  voter Sarkozy, puisque Bayrou avait un programme qui correspondait un peu à  ma vision, mais qu’il n’était pas au deuxième tour. Je le citais d’ailleurs dans l’article. Le programme économique de Bayrou a été fait en partie par quelqu’un que je connaissais depuis la fin des années 70, dans les milieux rocardiens : Jean Perlevade. Qui était rocardo-mauroiste, puis conseiller de Mauroy. Il a été également patron du Crédit Lyonnais. C’est quelqu’un qui connaît l’entreprise, et l’économie. Et les coups durs. Donc Perlevade avait concocté, avec d’autres, le programme économique de Bayrou qui était plus libéral que celui de Sarkozy ! Il proposait tout simplement d’interdire le déficit budgétaire, ce qui est d’ailleurs, me semble-t-il, excessif. Ce qui m’a fasciné dans cette campagne, c’est de voir que la politique vraiment politicienne l’a emporté contre le débat d’idées, parce que cette idée d’alliance Ségolène-Bayrou entre les deux tours, avec leur sorte de tango, était idéologiquement inconsistante. Puisque le programme de Bayrou était plus libéral que celui de Sarkozy…

    Avec le peu de recul que j’ai, je le vois comme ça : face à  la solidité et à  la cohérence du programme de Sarkozy, ceux qui restent essayent de s’associer pour récupérer les miettes, sans cohérence idéologique.

    Oui c’est ça, et ça n’a pas marché d’ailleurs. Les électeurs n’y ont pas cru. Et donc voilà  pourquoi j’ai publié cet article ; j’ai réfléchi une demi-heure, et j’ai rajouté le titre et la conclusion.

    Je reviens ce sur que tu avais dit sur le blog : tu disais t’être fait des ennemis en te positionnant pour Sarkozy ?

    J’exagère. Disons qu’un certain nombre d’amis ne me parlent plus, ou plus comme avant, ou avec une certaine distance. Pas d’ennemis, donc, mais une forme d’éloignement, de déception de la part de gens qui doivent penser : « oh là  là  lui aussi !  » comme si j’allais à  la soupe, alors que je ne demande aucun poste. J’en serais d’ailleurs bien incapable…. Je ne sais qu’enseigner la philo, avec mon style personnel, et qu’écrire dans ce domaine.

    Et parmi les universitaires ? j’ai une vision, certainement déformée, d’une université assez ancrée à  gauche, et de manière plutôt dogmatique. Comment a été perçue cette prise de position dans ton environnement à  l’Université, parmi tes collègues ?

    Cela a quand même évolué depuis 20 ans. A l’Université, l’opposition frontale entre la bonne gauche qui a toutes les qualités, et la mauvaise droite qui a tous les défauts, bien des gens se rendent compte que c’est quand même plus compliqué. Les universitaires, il y en a qui sont socialistes, d’autres centristes, d’autres proches de l’UMP, et on arrive à  travailler ensemble pour transmettre, chacun à  sa manière, les « fondamentaux » nécessaires. Même si elle en train de connaitre un petit renouveau, la pensée marxiste révolutionnaire a quand même largement disparu. Mais la sensibilité « de gauche », à  laquelle je me sens toujours attaché (la justice sociale), est assez dominante, mais de manière plus ouverte. Quand j’ai fait mes études à  la Sorbonne, on savait que tel ou tel Prof était communiste, trotskiste ou « mao » ou « de droite ». Maintenant c’est plutôt plus modéré. Et c’est un bienfait pour la liberté et la démocratie. Le pluralisme, le débat, le refus de la violence et de l’intimidation, la compréhension de la nécessité des réformes (par définition discutables, mais que l’autorité démocratiquement élue a le droit et le devoir de faire passer) sont en train, je l’espère, de faire des progrès.

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