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  • Citation #173

    Citation #173

    Dans chaque forme de savoir se cache un pouvoir vécu comme négatif, de sorte que le savoir, au lieu d’être relié à l’émancipation, se présente comme un instrument d’asservissement. Cet esprit anti-Lumières est l’âme ténébreuse de la modernité, le refus de l’idée de de progrès, la méfiance envers la connexion entre savoir et émancipation (…). Cette émancipation exige encore aujourd’hui de choisir son camp, d’avoir confiance dans l’humanité. Elle n’est pas une race déchue en besoin de rédemption, elle est une espèce animale qui évolue et qui, dans son progrès, s’est dotée de raison.

    Maurizio Ferraris (1956)
    philosophe italien.

  • Manifeste du nouveau réalisme

    Manifeste du nouveau réalisme

    Je travaille un essai sur le thème du réel / réalisme philosophique, et dans ce contexte j’ai la chance d’être tombé sur Maurizio Ferraris. C’est un philosophe italien, de l’université de Turin, et qui visiblement est dans une veine tout à fait proche de ce que je cherchais à élaborer comme réflexion.

    Peine et joie

    La lecture du « Manifeste du nouveau réalisme » s’est donc révélé être à la fois une – petite – peine (ce que je voulais écrire a déjà été écrit) et une grande joie (je ne suis pas seul). Maurizio Ferraris revient en détail sur ce qu’est le post-modernisme, en quoi il a constitué en partie une impasse philosophique, et pourquoi il est nécessaire de revenir à une conception plus claire du « réalisme » en philosophie. En clair, et comme l’expose très bien le 4ème de couverture, le projet est de réhabiliter les notions de vérité et de réalité, indispensables.
    La réalité serait-elle socialement construite et infiniment manipulable ? Et la vérité une notion inutile ? Non. On ne peut se passer du réel, il faut l’affronter et négocier avec lui. Il résiste ou insiste, maintenant et toujours, comme un fait qui ne supporte pas d’être réduit à interprétation.
    Le « nouveau réalisme » est la prise d’acte d’un changement de situation. Les populismes médiatiques, les guerres de l’après 11 septembre et la récente crise économique ont démentis deux dogmes fondamentaux du postmodernisme : la réalité n’est pas socialement construite et infiniment manipulable ; la vérité et l’objectivité ne sont pas des notions inutiles.
    Ce qui est nécessaire n’est pas une nouvelle théorie de la réalité, mais un travail qui sache distinguer, avec patience et au cas par cas, ce qui est naturel, ce qui est culturel, ce qui est construit et ce qui ne l’est pas. Ainsi, s’ouvrent de grands défis éthiques et politiques et se dessine un nouvel espace pour la philosophie.

    Ranger les différents objets qui peuplent le réel

    On trouve dans l’essai une description assez proche de l’endroit où en est arrivé mon essai, en termes de projet : « faire une distinction entre les régions d’être qui sont socialement construites et celles qui ne le sont pas ; à établir pour chaque région d’être des modalités spécifiques d’existence ; et enfin à attribuer au cas par cas une région d’être à chaque objet. » Il propose un découpage des objets en trois catégories (objets naturels, objets sociaux, et objets idéaux) qui rejoint en partie le découpage de Popper que j’utilise dans mon essai, et qui va me permettre de préciser un certain nombre de choses de manière plus précise.

    Le réalisme de Maurizio Ferraris

    Le livre est très complet, très clair et très riche. Je ne peux ici le résumer, mais il me semble intéressant de partager les 3 grands axes de description utilisés par l’auteur pour décrire ce qu’il appelle le réalisme philosophique ; ces 3 axes reposent sur la dénonciation de trois confusions qui ont été plus ou moins consciemment entretenues par les postmodernes (trois « falsifications »). J’ai trouvé que la traduction, à plusieurs endroits, laissaient à désirer car des phrases peu claires peuvent être lues dans un texte par ailleurs d’une très grande clarté.

    Ontologie

    Dans une grande partie intitulée « Réalisme », Ferraris revient sur le fait que le réel est, avec ses lois, indépendamment de nos langages, schémas et catégories.
    A un certain point, il y a quelques chose qui nous résiste. C’est ce que j’appelle « inamendabilité », le caractère saillant du réel. Il peut certes être une limitation, mais il nous donne en même temps le point d’appui qui nous permet de distinguer le rêve de la réalité et la science de la magie.
    Ferraris dénonce dans ce chapitre la « falsification de l’être-savoir », la « confusion entre ontologie et épistémologie, entre ce qu’il y a et ce que nous savons concernant ce qu’il y a« .

    Critique

    L’auteur soutient ensuite que le fait de regarder le réel tel qu’il est, le décrire, n’est en aucun cas une justification ou une acceptation de cette réalité. Contre les manipulateurs qui voudraient faire taire ceux qui veulent partir du réel, il convient de dénoncer la « falsification du vérifier-accepter ». Vérifier un fait n’est pas l’accepter comme juste.
    (…) le réalisme est la prémisse de la critique, tandis que l’acquiescement est inhérent à l’irréalisme, la fable qu’on raconte aux enfants pour qu’ils s’endorment. (…) Au contraire, il reste des possibilités au réaliste : la possibilité de critiquer (à condition qu’il le veuille) et de transformer (s’il le peut), pour la banale raison que le diagnostic est la prémisse de la thérapie.

    Lumières

    La dernière falsification est celle du « savoir-pouvoir » :
    Dans chaque forme de savoir se cache un pouvoir vécu comme négatif, de sorte que le savoir, au lieu d’être relié à l’émancipation, se présente comme un instrument d’asservissement. Cet esprit anti-Lumières est l’âme ténébreuse de la modernité, le refus de l’idée de de progrès, la méfiance envers la connexion entre savoir et émancipation (…). Cette émancipation exige encore aujourd’hui de choisir son camp, d’avoir confiance dans l’humanité. Elle n’est pas une race déchue en besoin de rédemption, elle est une espèce animale qui évolue et qui, dans son progrès, s’est dotée de raison.

    Auteur majeur

    Je suis très heureux d’avoir découvert cet auteur majeur pour moi. Et j’ai hâte de commencer « Post-vérité et autres énigmes » (du même auteur). Je ne peux que vous recommander la découverte de Maurizio Ferraris. Je sais que je relirai cet essais magistral, en forme de manifeste, bourré de passages très intéressants, et de citations que j’ajoute à ma collection.

  • A la recherche d’un monde meilleur

    A la recherche d’un monde meilleur

    Pour découvrir Karl Popper, je vous recommande de faire ce que j’ai fait : lire le très bon recueil de conférences « A la recherche d’un monde meilleur ». On y découvre dans un style très simple et facile à  suivre des exposés de Karl Popper sur toutes sortes de sujets. Philosophie politique, théorie de la connaissance, éthique, art : Karl Popper sait rendre compréhensible sa pensée, et met même un point d’honneur à  le faire.

    Autant vous dire que ce que l’on peut découvrir de la pensée de Karl Popper m’a complètement séduit : humble, rigoureux, détestant le bla-bla philosophico-philosophique, épris de doute et de la recherche de la vérité, travailleur (on voit qu’il connait les théories scientifique bien mieux que la plupart des scientifiques).

    Je retiendrais son attitude ouvertement « dans la tradition des Lumières », et son goût du pluralisme. Il oppose à  très juste titre le relativisme qui « issu d’une tolérance lâche, conduit au règne de la violence » et le pluralisme critique qui « peut contribuer à  la domestication de la violence ». (Il l’applique d’ailleurs dans tous les domaines, politique, éthique ou scientifique).

    Le pluralisme critique est la position selon laquelle, dans l’intérêt de la recherche de la vérité, toute théorie – et plus il y a de théories, mieux c’est – doit avoir accès à  la concurrence entre les théories. Cette concurrence consiste en la controverse rationnelle entre les théories et en leur élimination critique.

    J’ai également été passionné par sa description du monde en 3 sous-mondes. Pour faire simple (il rentre beaucoup plus dans le détail, notamment de la description des relations entre les 3) : 

    1. le monde 1 est le monde des corps matériels (non vivants et vivants)
    2. le monde 2 est le monde des vécus (conscients ou inconscients)
    3. le monde 3 est le monde des produits objectifs de l’esprit humain (matériels ou non)

    Popper considère que ces trois mondes sont réels et en interaction entre eux. Il décrit cela en détail et c’est complètement passionnant, et riche. Vous pouvez lire une conférence consacrée à  ces trois mondes (en anglais), sur le site Tanner Lectures : Three Worlds – Karl Popper.

    Bref : si vous voulez réflechir avec un grand philosophe, qui vulgarise magnifiquement, jetez-vous sur ce livre !