Individualisme, source de tous les maux ?

Le mot « individualisme » était utilisé dans un débat comme une sorte de bouc émissaire de tous les maux de notre société. Cela m’a choqué, et paru suspect. Retour sur les arguments qui s’opposent à  cette vision anti-individualiste, et dangereuse.

En entendant un débat à  la radio, j’ai noté que le mot « individualisme » était utilisé par tous les interlocuteurs comme un mot péjoratif. La thèse sous-jacente était que l’affirmation des individus en tant que tels, de leurs actions sont la cause de tous les conflits d’intérêts, et du manque de solidarité. Cela me semble être une idée particulièrement dangereuse, parce qu’elle sous-entend deux choses :

  • les intérêts des individus seraient forcément divergents et sources de conflits
  • l’entité conceptuelle « individu » ne serait pas la bonne pour penser les rapports sociaux. Sous-entendu, il y a forcément besoin de structures qui encadrent ces individus pour les empêcher de se nuire.

Ces deux affirmations sont complètement fausses, et remettent en question la base même des sociétés démocratiques et libérales. Les individus sont bien évidemment les « atomes », les éléments de base, qui constituent les sociétés. Une société est avant tout un groupe d’individus. Leur rapports, la manière dont ils peuvent s’établir constituent les rapports dits « sociaux ». Rejetter l’idée de l’individu comme entité élémentaire est la marque d’un collectivisme très suspect. Nier l’individu, ses particularités, ses droits, sa liberté de chercher son bonheur comme il l’entend, c’est le début de la pensée totalitaire. Je ne dis pas que c’était le propos des interlocuteurs, mais c’était choquant de les entendre mettre tous les maux sur le dos de l’individualisme. En effet, qu’est-ce que l’individualisme ? Regardons dans le dictionnaire…

  1. A. Toute théorie ou tendance qui fait prévaloir l’individu sur toutes les autres formes de réalité, et qui lui décerne le plus haut degré de valeur.
    En particulier :

    1. POL. [P. oppos. à  étatisme, parfois à  communisme] Idéal politique qui accorde le maximum d’importance à  l’individu, à  l’initiative privée et réduit le rôle de l’État au minimum ou même à  rien.
    2. SOCIOL. [P. oppos. à  collectivisme, conformisme, fédéralisme] Doctrine qui met l’accent sur le développement des droits et des responsabilités de l’individu, estimant que l’État et les institutions sociales ne sont là  que pour le bien des individus.
    3. Péj. Tendance à  s’affranchir de toute obligation de solidarité, à  ne vivre que pour soi.
    4. Doctrine d’après laquelle l’explication dernière des faits sociaux se trouve dans l’individu
  2. B. Comportement, esprit d’indépendance, d’autonomie; tendance à  l’affirmation personnelle ou à  l’expression originale.

Source : Dictionnaire en ligne Lexilogos

Au vu de cette définition, il est clair que les intervenants de ce débat utilisaient le mot « individualisme » dans le sens numéro 3. C’est-à -dire associaient un mot de la langue à  une seule de ses acceptions, sans nuancer le moins du monde, et surtout sans rappeler que le sens général du mot, loin d’être péjoratif, est au contraire l’idée même de l’humanisme. L’individualisme est un humanisme. Nier, par approximation discursive, l’humanisme est tout de même bien dangereux, et inexcusable de la part d’intellectuels qui ont le pouvoir de prendre la parole à  l’antenne.

La vrai discussion, encore une fois est évitée, pour faire la propagande de la pensée collectiviste – visant à  organiser la société selon des vues arbitraires (parfois justifiées, mais néanmoins arbitraires) sans laisser de place aux individus -. Cette discussion, Pascal Salin la déroule dans un très beau texte intitulé « Vraie et fausse cohésion sociale », publié initialement dans le Figaro du 2 avril 2004, et disponible intégralement sur le site « Le québécois libre ». Il y décrit clairement la confusion existant (entretenue ?) entre individualisme anarchique et individualisme libéral :

En effet, le débat sur la cohésion sociale souffre malheureusement d’une erreur d’interprétation majeure. L’individualisme y est vu comme la recherche par chacun de son propre intérêt aux dépens des autres et sans se soucier des autres. Si l’individualisme était effectivement cela, il conduirait en effet à  l’anarchie et à  la destruction des sociétés, puisqu’il impliquerait la lutte permanente de tous les individus pour s’approprier les biens d’autrui. Mais, à  cet individualisme anarchique, il faut opposer une notion radicalement contraire et que l’on peut appeler l’individualisme libéral. Ce dernier consiste à  respecter la liberté accordée à  chacun de poursuivre ses propres objectifs, mais dans le respect des droits d’autrui. Cet individualisme-là  est fondamentalement «social» en ce sens qu’il repose sur la reconnaissance des liens sociaux, c’est-à -dire des liens interindividuels. Bien plus, on peut même dire que l’individualisme libéral repose sur le seul principe qui permette effectivement l’émergence et le maintien de la cohésion sociale.

La raison en est simple: si une société est totalement fondée sur le respect des droits d’autrui, elle repose alors sur un principe universel et non contradictoire. À partir du moment où les droits de chacun sont définis, deux personnes ne peuvent pas prétendre en même temps à  la possession d’un bien ou d’un service donnés. Chacun peut alors décider de disposer de ses ressources pour lui-même ou d’exercer son sens de la solidarité de la manière qui lui paraît moralement fondée. Bien sûr, la définition concrète des droits n’est pas toujours facile, mais elle n’est possible que dans la mesure où l’on renonce à  les déterminer de manière arbitraire et où l’on garde constamment à  l’esprit la nécessité de respecter les droits naturels.

Pascal Salin

Voilà  ce qu’il aurait fallu rappeler dans ce débat, au lieu de rejeter l’individualisme, donc l’humanisme. Combien de temps donnera-t-on encore la parole à  ces intellectuels approximatifs, qui viennent défendre leur fond de commerce en berçant des journalistes incompétents dans l’idéologie réconfortante de l’Etat providence ? Combien de temps devront-nous encore entendre ces « penseurs » nous expliquer que nous ne sommes rien (ou alors la source de tous les maux), et que seule une organisation étatique de la société amène une solution aux problèmes qui se posent ? Ne laissons pas ces menteurs nous berner : l’individu est bien l’entité élementaire de toute société, et l’oublier est le meilleur chemin vers la tyrannie. L’individualisme est un humanisme.


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