Interview de Pascal Salin 3/3

Troisième et dernière partie de l’interview de Pascal Salin. Avoir avoir abordé la crise, puis le libéralisme, nous discutons pour finir de la mise en œuvre du libéralisme, et de diverses questions d’actualités.

Sur l’aspect pratique de mise en œuvre du libéralisme, je sais que vous avez souvent pris position sur des aspects précis (suppression du SMIC, flat tax, politique fiscale et monétaire, etc…). Cela renvoie à l’actualité, et à la politique mise en œuvre par le gouvernement : ses adversaires décrivent Sarkozy comme un libéral, ce qui parait moins évident pour ceux qui fréquente les idées libérales, alors question volontairement bête : Sarkozy est-il libéral ?

Certainement pas. Certainement pas. Malheureusement, c’est une histoire qui se répète. Continuellement on a en France des gouvernements ou des présidents de la république de droite, dont on dit donc qu’ils sont libéraux. Or ils échouent évidemment puisqu’ils font des politiques qui ne sont pas libérales, et après on dit : « vous voyez, le libéralisme, ça ne marche pas ! ». L’histoire se répète de ce point de vue là : Giscard d’Estaing, Chirac, Sarkozy, aucun d’eux n’a été libéral. Et c’est une situation tout à fait grave, parce que les gens croient – disent en tout cas – qu’on est allé trop loin dans le libéralisme, et que ça a échoué. Trop loin dans le libéralisme ? Quand on voit que la France est un des pays qui a le taux d’imposition le plus élevé, on est très loin quand même du libéralisme ! 50% et même davantage de ce que créent les individus par leurs efforts passe par les mains de l’Etat, c’est quand même quelque chose de tout à fait effrayant. Pour revenir à votre question, et à ce que fait Sarkozy, il est évident qu’il n’est pas libéral et c’est un motif de déception pour un certain nombre de gens, parce qu’il avait donné le sentiment, dans sa campagne électorale, qu’il était favorable à ce qu’il appelait la rupture. Terme imprécis, mais qui désignait – peut-être – la fin d’un interventionnisme qui avait été croissant. Ce qu’il a fait est très loin de cela. C’est de l’interventionnisme.
Alors, il y a bien eu quelques petites réformes. Prenons un ou deux exemples. Dans le domaine de la fiscalité que nous évoquions auparavant, le bouclier fiscal est une réformette, qui en plus – c’est un comble – a donné des armes aux adversaires de gauche, alors qu’il aurait mieux valu faire face à une opposition sur une vraie réforme de la fiscalité. En plus ces réformes sont compliquées, Une vraie réforme libérale consisterait à diminuer considérablement (ou à supprimer) la progressivité de l’impôt, à supprimer l’ISF et les droits de succession.extrêmement difficiles à comprendre et à mettre en œuvre et souvent injustes. C’est le cas de la détaxation des heures supplémentaires qui ne bénéficie qu’à une partie de la population, les salariés, mais pas aux entrepreneurs ou aux membres de professions libérales dont les « heures supplémentaires » sont frappées par l’impôt progressif. Il aurait été beaucoup plus efficace de baisser les taux marginaux de l’impôt progressif, comme cela a été fait dans plusieurs pays par des gouvernements qui n’étaient pas forcément des gouvernements de droite. On a donc manqué une occasion : une vraie réforme libérale consisterait en particulier à diminuer considérablement (ou à supprimer) la progressivité de l’impôt, à supprimer l’ISF et les droits de succession. Il y a eu un timide changement, mais on ne peut pas parler d’une réforme libérale. Par contre on a créé de nouveaux impôts. Et puis, en parallèle, dans un tas de domaines, on a accru les réglementations de manière impressionnante. C’est tout de même incroyable : à chaque fois que je rencontre quelqu’un qui est dans une profession différente de la mienne, je découvre des nouvelles réglementations qui diminuent la liberté d’action des gens, et qui ont des effets que l’on appelle pervers, mais qui sont en fait prévisibles. Il y a un accroissement terrifiant des contraintes que nous subissons, et toutes les réactions politiques que nous pouvons entendre sont anti-libérales. Par exemple, les réactions à l’égard de la crise : le déficit budgétaire augmente, au lieu de laisser les individus choisir librement l’utilisation qu’ils veulent donner à leur argent, et la France est à la pointe du combat pour le renforcement des règlementations.

Comment fait-on la transition entre la situation actuelle – fortement ancrée dans le socialisme – et une situation libérale ? Comment finance-t-on la transition ? Imaginons un homme politique libéral et courageux, que faudrait-il faire ?

La question est difficile. Le problème de l’émergence d’un homme politique libéral, c’est que l’on baigne dans un environnement non-libéral. Il faut effectivement l’arrivée d’un vrai libéral, et qui soit courageux. Les médias répercutent beaucoup les discours politiques (collectivistes). Par ailleurs, nous avons une situation en France qui est grave, car l’Etat a le monopole de la formation des esprits. Nous sommes dans un pays où il est interdit d’ouvrir une université privée ! Cela nous renvoie à une réforme (celle de l’Université en 2007) qui comportait initialement des caractéristiques pas trop mauvaises, mais qui loupait l’essentiel, à savoir la possibilité d’une vraie concurrence. Par ailleurs, deux aspects intéressants de Nous avons une situation en France qui est grave, car l’Etat a le monopole de la formation des esprits.cette réforme avortée (libéralisation des droits d’inscription et sélection à l’entrée) ont été supprimés dès qu’une pression a été mise sur les politiciens par le syndicalisme étudiant. La réforme semble donc difficile et demander du temps. Mais je reste optimiste, car il y a des surprises en politique : personne n’aurait pu prévoir l’arrivée de Thatcher ou de Reagan, tous deux pétris d’idées vraiment libérales. On n’est pas à l’abri d’une bonne surprise !
Je ne suis pas naïf cependant : je ne pense pas voir une authentique société libérale émerger durant ma vie. Mais je garde espoir, grâce notamment aux réseaux libéraux sur le net, de voir nos idées progresser.

Je me souviens d’une phrase de Hayek qui m’avait marqué. Il m’avait dit, en évoquant un petit groupe d’économistes libéraux : « vous êtes une partie de l’espoir que j’ai pour l’avenir ». Eh bien, je pense que les gens comme vous, vous êtes mon espoir pour l’avenir. Le phénomène des réseaux est un phénomène très récent, mais on constate que le libéralisme est très actif sur internet et cela permet d’être confiant dans la progression des idées libérales. Je reste optimiste !

Pensez-vous qu’un texte de loi contre le port de la burqa serait justifié ?

Il faut, me semble-t-il, partir du principe que chacun a le droit de s’habiller comme il le veut, mais, bien sûr, à condition de ne pas porter atteinte à des droits légitimes d’autrui. Cela signifie que, dans un espace privé, celui qui a des droits sur cet espace, par exemple comme propriétaire ou locataire, peut accepter qui il veut dans les conditions qu’il veut. Il est donc tout aussi légitime de refuser l’entrée de son propre espace privé à quelqu’un qui porte une burqa que de l’accepter. La loi ne doit pas sanctionner des intentions, mais seulement les atteintes aux droits légitimes.Mais le problème se pose évidemment dans des termes plus complexes pour les espaces publics pour lesquels les droits des uns et des autres sont nécessairement flous. Nous nous trouvons alors de nouveau dans une situation de second best ». Si l’on songe à interdire la burqa pour des raisons de sécurité, à savoir pour éviter que quelqu’un cache son visage afin de faire un mauvais coup sans pouvoir être facilement repéré, il n’y a pas de raison de limiter l’interdiction de cacher son visage au cas de la burqa. Et d’ailleurs il existe en France, me semble-t-il, une interdiction générale de circuler masqué. On invoque par ailleurs le fait que le port de la burqa serait une affirmation de communautarisme contraire aux principes républicains de laïcité. La loi ne doit cependant pas sanctionner des intentions (à savoir les motifs pour lesquels telle ou telle femme porte une burqa), mais seulement, une fois de plus, les atteintes aux droits légitimes. Peut-on dire qu’il existe un principe général selon lequel les citoyens auraient un droit légitime à ne pas voir de burqa dans la rue ? Ce n’est certainement pas le cas.

Un grand merci à Pascal Salin pour ses réponses !


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