Il ne faut pas confondre « explication » et « dĂ©cision ». La plupart des gens qui dĂ©ploient des projets de « rĂ©seaux sociaux d’entreprise » ou des « outils collaboratifs » sont conscients des changements culturels profonds qui accompagnent ces mises en place. Du coup, ils incluent dans leur dĂ©ploiement un volet « conduite du changement ». Le problĂšme, c’est qu’ils confondent « conduite du changement » et « accompagnement / pĂ©dagogie du changement ». C’est donner trop d’importance Ă Â la peur de tous ceux qui ne veulent pas que ça bouge. Or, il n’y a aucune raison d’Ă©couter les freins, en tout cas pour formuler des objectifs Ă Â l’action. Expliquer sans cesse pour rassurer, d’accord. Mais aucune concession sur les objectifs. Car si on dĂ©ploie quelque chose, c’est que la dĂ©cision a Ă©tĂ© prise, et que la conduite du changement a dĂ©jĂ Â Ă©tĂ© menĂ©e. Pour ceux qui ne veulent pas lire cet article trop long, vous pouvez vous contentez de l’image ci-dessus (cliquez dessus pour la voir en grande taille) : la partie encadrĂ©e en rouge situe la vraie conduite du changement (et le parcours commence sur le point d’interrogation gris en haut Ă Â gauche).
Conduite du changement : expliquer n’est pas changer
J’avais fait une formation, il y a deux ans, qui s’appelait « conduite du changement ». C’Ă©tait trĂšs intĂ©ressant, et utile : il est toujours important de comprendre comment fonctionnent les choses, dans le monde de l’entreprise. Les jeux d’acteurs, les querelles de clochers, les antagonismes naturels, la maniĂšre de dĂ©ployer pour s’assurer une adhĂ©sion la plus massive possible, etc.
J’avais retenu une chose de cette formation : on peut toujours distinguer plusieurs catĂ©gories de personnes, en fonction de leur degrĂ© d’implication dans le changement, et en fonction de l’impact de ces changements sur eux. Les opposants naturels, les soutiens naturels, et les triangles d’or. Les triangles d’or sont les sceptiques, au sens positif du terme, c’est-Ă Â -dire ceux qui doivent ĂȘtre convaincus d’abord, et qui deviendront ensuite les meilleurs ambassadeurs du changement. Mais dans les triangles d’or, il y a des personnes qui ne sont pas cĂąblĂ©es pour fonctionner de maniĂšre ouverte et transparente. L’Ă©nergie que l’on va dĂ©ployer pour les convaincre est Ă Â mon sens une perte de temps. Car ils nĂ©gocieront l’objectif Ă Â atteindre. Et vous ferez tellement de concessions pour les satisfaire, que vous allez amoindrir l’objectif.
La pédagogie pour expliquer
Au final, les freins sont toujours l’expression de deux choses : l’incomprĂ©hension et la peur. La premiĂšre se combat avec de la pĂ©dagogie. C’est la seule « conduite du changement » Ă Â faire pendant le dĂ©ploiement. Montrer, expliquer, argumenter sur les bĂ©nĂ©fices. La peur, par contre, ne se calme pas avec des arguments. Il n’y a donc absolument pas Ă Â Le moment important de conduite du changement est celui qui prĂ©cĂšde la prise de dĂ©cision.prendre en compte les sentiments de crainte exprimĂ©s dans l’objectif. Par ailleurs, le cheminement dans l’acceptation des changements (toujours stressants) passe par un certain nombre d’Ă©tapes incontournables. Il me semble que ce processus d’acceptation (ou de refus) du changement est un processus personnel. Au nom de quoi devrions-nous nous immiscer dans les pensĂ©es des gens ?
La peur est Ă Â la base des rĂ©ticences. Peur de s’exposer, peur de perdre du pouvoir, peur de changer ses habitudes, la liste est sans fin. J’avais vu un exposĂ© magistral de Benedikt Benenati (Kingfisher) sur la peur : lutter contre la peur doit ĂȘtre une prioritĂ©. Il faut comprendre leur peur, l’inclure comme un Ă©lĂ©ment important dans le dialogue, mais il ne faut certainement pas amoindrir les objectifs pour les rassurer. La peur doit ĂȘtre combattue, mais ce n’est pas pendant le dĂ©ploiement et la mise en place des outils collaboratifs qu’il faut le faire.
Prendre en compte les craintes des dirigeants, des décideurs et des opérationnels lors de la mise en oeuvre ? Non, bien sûr. Sauf si ce qui vous tient à  coeur est votre carriÚre, et que celle-ci passe par la satisfaction de ces dirigeants.
Le changement se fera de toute façon !
La vĂ©ritĂ©, c’est que la modification de fond des structures hiĂ©rarchiques est en cours dans les grosses entreprises. Le moment important de conduite du changement est finalement celui qui prĂ©cĂšde la prise de dĂ©cision. Une fois la dĂ©cision prise, et l’orientation donnĂ©e, le changement est en route. Soit vous freinez, soit vous accompagnez le mouvement. La meilleure conduite du changement, dans une entreprise, c’est quand les dirigeants ont dĂ©cidĂ© de la direction, de la stratĂ©gie, sans possibilitĂ© de la remettre en cause Ă Â chaque instant. C’est pour cela qu’il faut un parrain pour votre projet, quelqu’un de suffisamment puissant pour ouvrir les portes. La conduite du changement, c’est savoir convaincre un parrain, certainement pas diminuer la dose de changement pour ne froisser personne. Parce que la meilleure maniĂšre de ne froisser personne, c’est de ne rien faire.
Ceux qui veulent Ă Â tout prix mettre en place une « conduite du changement » trĂšs sophistiquĂ©e (et postĂ©rieure Ă Â la dĂ©cision) sont en fait pris dans un jeu reliĂ© Ă Â leur ego : ils veulent s’attirer les bonnes grĂąces de tout le monde (ce qui est impossible). Et ils veulent continuer Ă Â se bercer de la douce illusion qu’ils sont effectivement des acteurs importants du changement (qui se fait et se fera de tout façon). La vraie problĂ©matique est d’ĂȘtre rapide et leader, pas de savoir si le changement se fera. Cela ne se fait pas sans bouger un peu les lignes.
Au final, la meilleure conduite du changement, c’est tout ce qui concerne la prĂ©paration Ă Â la prise de dĂ©cision, et c’est de permettre aux bonnes volontĂ©s d’utiliser un rĂ©seau collaboratif / social d’entreprise (RCE ou RSE). L’utilitĂ© se verra naturellement. On ne fera pas adhĂ©rer les gens contre leur volontĂ©. On ne rassure pas avec des arguments rationnels. On peut simplement permettre aux enthousiastes d’utiliser ces outils et de montrer l’exemple. DĂ©cideurs compris, bien entendu !