La derniĂšre fois, nous avions discutĂ© avec Alain Boyer (qu’il soit remerciĂ© d’ĂȘtre venu participer aux discussions en commentaires) de dĂ©mocratie, de tyrannie, et de libertĂ©. Une valeur fondamentale qui ressortait Ă©tait la nĂ©cessitĂ© d’avoir une Ă©galitĂ© de droit entre les individus. Avec la notion de Justice sous-jacente. Cette thĂ©matique, la tyrannie et la dĂ©mocratie, avait une suite naturelle : la religion et ses excĂšs, notamment Ă Â l’heure actuelle avec l’Islam. Ce sera l’objet de cette partie, ainsi que de la suivante…Bonne lecture, et n’hĂ©sitez pas Ă Â rĂ©agir en commentaire !
On va aborder l’Islam, alors, puisque c’est le sujet suivant. C’est un peu le sens des questions que je voulais poser sur l’Islam : j’ai l’impression qu’on a pu, en France, faire des concessions sur des choses justement qui font partie du socle de valeurs non nĂ©gociables. Qu’en penses-tu ?
Je suis d’accord. Mais c’est un problĂšme extrĂȘmement dĂ©licat. Il est normal, et lĂ Â , je suis popperien, qu’on fasse des erreurs, et qu’on apprenne. On n’a pas de solution toute faite. Il faut avoir cette conviction que quelqu’un qui pratique l’inĂ©galitĂ© des hommes et des femmes est en contradiction avec le Droit français. « Mon tĂ©moignage dâhomme vaut celui de trois femmes », non ! C’est impossible. Mais le problĂšme est complexe. Comme dans tous les problĂšmes moraux et politiques, on utilise des notions plus ou moins floues, en philosophie on appelle ça des « concepts vagues », c’est le contraire de la pensĂ©e scientifique, mais câest inĂ©vitable, et mĂȘme nĂ©cessaire pour que le langage humain soit possible.
Un concept vague, c’est un concept dont les deux pĂŽles (un concept c’est toujours une opposition) sont clairement identifiĂ©s. Par exemple une ville. LĂ Â on est dans une ville, et dans la forĂȘt de Fontainebleau on est clairement Ă Â la campagne. Mais entre les deux, il y a un moment oĂč la question se pose : »est-ce qu’on est dans une ville, ou Ă Â la campagne ? » Il n’y a pas de scission nette. C’est les Grecs qui avaient trouvĂ© ça (ils ont presque tout trouvĂ©), ils appellent ça le paradoxe du « tas » (un « sorite ») : Ă Â partir de combien de grains de sable il y a un tas ? si je prends un tas de grains de sable, et si j’enlĂšve un grain, Ă Â la fin il n’y a plus de tas. A quel moment il n’y a plus de tas ?
Donc les concepts politiques sont souvent nĂ©cessairement vagues. Et le Droit doit trancher dans le vague. Il doit y avoir un moment de convention, ce n’est pas entiĂšrement arbitraire, mais il faut bien dire : lĂ Â on arrĂȘte. OĂč faut-il mettre le curseur ? Interdiction du voile dans les Ă©coles, ou autorisation du voile dans les Ă©coles ? Moi j’ai pas de rĂ©ponse a priori. Il faut des expĂ©riences. Peser le pour et le contre. Par exemple, le « pour » l’interdiction est trĂšs Ă©vident, puisque c’est un symbole dâalĂ©nation ou parfois d’auto aliĂ©nation de la femme, en plus c’est un signe religieux ostentatoire, donc contraire Ă Â l’idĂ©e de laĂŻcitĂ©, mais le « contre », c’est Ă Â discuter, est-ce que ces jeunes filles, il vaut mieux qu’elles reçoivent l’enseignement laĂŻc, ou qu’elles soient envoyĂ©es dans une Ă©cole islamique, oĂč lĂ Â elles n’apprennent que le Coran ? J’ai fini par ĂȘtre pour l’interdiction du voile dans les Ă©coles, Ă Â cause des premiĂšres raisons, mais j’avoue que je n’ai pas de position absolument dogmatique. Ce qui me fait ĂȘtre pour, c’est que je pense que l’islamisme (Ă Â ne pas confondre avec l’islam) dont on connaĂźt les effets, lui, est un ennemi, et lui a une politique. Une politique d’infiltration dans les dĂ©mocraties europĂ©ennes, qui est trĂšs dangereuse. Ils vont profiter de toutes les failles. Et donc il faut mettre un coup d’arrĂȘt.
Ce que je trouve difficile, en terme politique, Ă Â ce niveau lĂ Â , c’est que l’islamisme se sert, dans sa stratĂ©gie d’infiltration, de l’Islam au sens large pour venir pousser. Et c’est lĂ Â oĂč c’est difficile : la rĂ©flexion, avec les arguments que tu Ă©nonçais, ne peut pas se faire uniquement en Ă©voquant le voile par rapport Ă Â un islam modĂ©rĂ©, parce qu’on sait qu’ils se servent du voile pourâŠ
Les barbus sont derriĂšre. Et ils sont trĂšs trĂšs dangereux. La dĂ©mocratie libĂ©rale est fondĂ©e sur l’idĂ©e que il n’y a pas qu’une conception possible du sens de la vie. Nous pouvons vivre en commun, en ayant des conceptions du sens de la vie diffĂ©rentes. Je cite toujours un beau poĂšme d’Aragon (par ailleurs stalinien Ă©pouvantable), mais grand poĂšte, et qui dans « la Rose et le RĂ©sĂ©da », Ă Â propos d’un rĂ©sistant communiste et d’un rĂ©sistant catholique qui s’Ă©taient fait fusiller par les Allemands, dit « celui qui croyait au ciel, et celui qui n’y croyait pas » : tous les deux ont luttĂ© pour la mĂȘme cause. Mon pĂšre Ă©tait chrĂ©tien, mais il y a eu Ă©normĂ©ment de rĂ©sistants communistes. Mais il n’y a pas eu que des rĂ©sistants communistes.
Mais, donc, la conception du sens de la vie d’une chrĂ©tien, n’est pas la mĂȘme que celle d’un athĂ©e, c’est Ă©vident. Pour un chrĂ©tien, il y a une vie aprĂšs la mort. Ă âĄa change fondamentalement l’attitude par rapport Ă Â la mort, par rapport Ă Â l’amour. Par exemple l’avortement, ça peut changer totalement selon quâon est chrĂ©tien ou pas. Mais il faut trouver entre ces conceptions ce que John Rawls appelle un « overlaping concensus », un recouvrement, un « consensus par recoupement ». Les conceptions du bien sont diffĂ©rentes, mais il faut qu’elles aient une intersection commune. Ce qui n’est pas le cas avec le nazi. Sur les principes fondamentaux, il n’y a pas de consensus possible avec un nazi. Et avec un islamiste radical, non plus !
Par ailleurs, tu disais Ă Â juste titre qu’ils profitaient de l’Islam pour le radicaliser, mais ils profitent aussi de la dĂ©mocratie ! Comme tous les extrĂ©mistes ! C’est formidable pour les extrĂ©mistes, la dĂ©mocratie, puisqu’on leur permet de s’exprimer. Dans une tyrannie, ils n’auraient pas de droit au chapitre. On le voit en Irak : les Chiites, qui s’opposent aux AmĂ©ricains Ă Â l’heure actuelle, par exemple Moktadar al Sadr (dont le pĂšre a Ă©tĂ© fusillĂ© par Saddam Hussein !), n’avaient pas le droit Ă Â la parole sous Saddam Hussein. Mais maintenant qu’il y a un « dĂ©but de dĂ©mocratie », par exemple la libertĂ© de la presse, ou des Ă©lections (je ne soutiens pas la politique amĂ©ricaine, mais je dĂ©cris les faits), ils en profitent pour faire ce qu’ils ne pouvaient pas faire. La dĂ©mocratie permet aux extrĂȘmes anti-dĂ©mocrates de s’exprimer. Et lĂ Â encore, c’est une question de concept vague, et de seuil : Ă Â quel endroit faut-il placer le curseur ? De la mĂȘme maniĂšre, c’est pour moi un problĂšme ouvert, j’avais fait il y a quelques annĂ©es un cours sur politique et religion, et j’avais dans la salle des musulmans, des juifs, des catholiques, c’est Ă Â dire qu’il fallait que je fasse trĂšs attention pour ne pas blesser, et en mĂȘme temps dire ce que je pense. OĂč placer le curseur entre la libertĂ© d’expression (qui est aussi quelque chose sur laquelle on ne peut pas transiger, ça fait partie du socle, de l’intersection commune) et qui comprend la rĂ©ciprocitĂ© (tu m’autorises Ă Â m’exprimer si et seulement si je t’autorises Ă Â t’exprimer), oĂč placer le curseur donc entre cette libertĂ© d’expression, et le respect des croyances diffĂ©rentes ?
On ne peut interdire le blasphĂšme, on ne peut revenir Ă Â l’Ancien RĂ©gime. Mais doit-on accepter qu’une communautĂ© se sente attaquĂ©e dans ses croyances, dans ses convictions « non-ouvertes », les plus profondes ? Personnellement, je n’aurais pas publiĂ© les caricatures de Mahomet. Mais je pense quâune religion adulte devrait absolument tolĂ©rer ce genre de choses ; il se trouve que ce n’est pas le cas, alors ne jetons pas de l’huile sur le feu ! Je sais que j’ai des amis qui me disent : « si tu soutiens cette position, tu trahis la libertĂ© dâexpression ! »
A nouveau !
Mais je serais descendu dans la rue si Charlie Hebdo avait Ă©tĂ© condamnĂ©, par exemple. Les caricatures n’Ă©taient pas drĂŽles, d’ailleurs. Sauf une, sur Mahomet qui accueille les martyrs en disant « dĂ©solĂ©, on n’a plus de vierges au Paradis » !
On peut parler un peu d’Islam si tu veux, je ne suis pas spĂ©cialiste, mais j’ai quelques petites idĂ©esâŠ
Il faut tout d’abord distinguer l’Islam, religion tout Ă Â fait respectable comme toutes les autres, et l’islamisme. ça rejoint ce que je disais sur la gauche qui Ă©tait traversĂ©e par des tendances totalitaires, c’est la mĂȘme chose avec le religions. Toutes les religions sont traversĂ©es plus ou moins par des tendances totalitaires. Simplement, en ce moment, c’est le fondamentalisme musulman qui est le plus violent. Mais il y aussi un fondamentalisme en IsraĂ«l, qui est extrĂȘmement violent, et qui veut chasser les Arabes de la « terre sainte » donnĂ©e par Dieu aux seuls Juifs, il y a un fondamentalisme chrĂ©tien qui peut ĂȘtre aussi violent et raciste. Il ne faut pas uniquement parler de l’Islam. Je suis trĂšs prudent, parce que je ne suis pas musulman, et pas spĂ©cialiste de l’Islam. Contrairement Ă Â mon homonyme, qui Ă©crit sur l’islam et sur le judaĂŻsme. J’en parle librement, sans ĂȘtre spĂ©cialiste. Il faut dâabord revenir au christianisme, qui est une hĂ©rĂ©sie du judaĂŻsme. Et, entre parenthĂšses, l’Islam sur bien des points que je pourrais dĂ©tailler, est plus proche du judaĂŻsme que du christianisme. [âŠ]
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