Interview d'Alain Boyer : deuxième partie

Nous avons vu la dernière fois le parcours politique d’Alain Boyer dans les cercles d’extrême gauche, et notamment son évolution des groupes luxembourgistes vers le PS, dans la mouvance de Michel Rocard. L’interview continue avec des réflexions sur l’économie, le libéralisme, la place du Droit dans la société. Et les problèmes de la gauche avec l’économie de marché et le libéralisme.

BLOmiG : Pour situer, en 1975, tu étais déjà  professeur à  la Sorbonne ?

Alain Boyer : Non, non. J’avais 20 ans. Je rentrais à  Normale Sup’, en 74. En 1975, à  21 ans, j’ai réfléchi et décidé d’abandonner le mythe révolutionnaire. Et là  j’ai milité pendant une dizaine d’années dans les milieux rocardiens. L’idée, là , c’est qu’on abandonne complètement la révolution, on accepte la démocratie représentative, la seule viable, et le marché.

Au passage, j’étais allé avec mes parents en Slovaquie, en 68, en juillet-août. Mon père, évadé d’Autriche en 44 y avait combattu les nazis armes à  la main … Et donc là , j’avais vu le « socialisme réel ». Et j’avais abandonné l’idée précédemment évoquée, selon laquelle, « eux ils avaient l’égalité », mais pas la liberté. Ils n’avaient en fait ni l’égalité, ni la liberté. J’ai découvert le socialisme réel avec effroi. La bureaucratie dominait tout, c’était kafkaïen, et l’économie était totalementt inefficace. C’était pourtant pendant le « Printemps de Prague ». Il y avait l’espoir d’un « socialisme à  visage humain ». Un vieux Professeur russe avec qui mon père, tout jeune, avait combattu, nous avait dit « les Tchèques avec leur printemps de Prague, ils sont naïfs, parce que les Russes vont nous envahir, et j’en mourrai ». Et les Soviétiques ont envahi la Tchécoslovaquie 15 jours après notre départ (le 21 Août 68) et le vieux Professeur à  l’alllure tolstoyenne est mort (le 4 Septembre). Je n’ai jamais pu comprendre que des gens intelligents aient pu demeurer communistes…J’en suis encore ému. Donc j’étais devenu de plus en plus anti-communiste. Et je le demeure. Le mur de Berlin ! on n’avait jamais vu ça dans l’histoire : construire un mur non pas pour empêcher les ennemis de rentrer, mais pour empêcher les citoyens de sortir !!! Je n’ai jamais pu comprendre que des gens intelligents aient pu demeurer communistes… Et maintenant , ils nous font le coup de la « trahison des idéaux » : le communisme réel (qui règne encore à  Cuba ou en Corée du Nord), c’était une caricature, nous , nous allons construire un vrai communisme ! …A d’autres… En 1989, à  Prague, il y avait un très beau slogan, d’un humour corrosif : « le communisme pour les communistes ! » …

Au PS, avant 1981, le milieu rocardien était intéressant, et bouillonnant d’idées. L’idée, c’était de prendre le pouvoir par les élections, pas par la violence, mais en essayant d’amener un système qui soit de marché, mais auto-géré ; les dirigeants seraient élus par les salariés. Ce qui me plaisait, puisque j’avais beaucoup aimé l’idée de conseils ouvriers, d’auto organisation. Si c’était possible, je serais encore pour ! Mais l’expérience a tendance à  montrer qu’il n’y a pas eu beaucoup de succès des expériences d’autogestion, et qu’il n’est pas évident que les salariés d’une entreprise élisent des dirigeants qui soient les meilleurs. Parce que si un candidat dit « je vais être obligé de licencier 10% du personnel », je ne pense pas que les salariés voteront pour lui. C’est là  que je deviens libéral : il n’est pas du tout sûr que l’autogestion soit la solution. Je suis en revanche favorable à  une « participation » des salariés… Des actions pour tous…

Cette question-là  rejoint énormément l’aspect politique : quelqu’un qui se présente en tenant un discours de rigueur, qui dit la vérité « on va se serrer la ceinture », se grève à  la base d’une partie des voix…

Tout à  fait. Mais mentir aux électeurs se paie toujours. Il faut bien sûr donner des espoirs, mais en étant aussi peu démagogique que possible. Et puis, il y a d’autres éléments dans une entreprise. La transparence ne peut pas être totale. Si tout est voté dans une sorte de grand forum ouvert, le concurrent va connaître la stratégie et la politique de l’entreprise. Ce n’est pas possible.

En revanche, ce que j’ai retenu, maintenant que je suis devenu un libéral-social, disons, et qui est d’ailleurs une idée soutenue par un de mes philosophes préférés, John Rawls (Théorie de la Justice, 1971), c’est l’idée qu’il serait bon d’étendre l’appropriation des moyens de production, comme aurait dit Marx, au plus grand nombre. Par quelque chose que j’aurais trouvé ridicule en mai 68, compte de tenu de mon extrémisme de jeune, mais que De Gaulle proposait, et qui était la participation et l’intéressement aux résultats. L’actionnariat ouvrier. A ce moment là , ce n’est plus utopie, c’est quelque chose de faisable. L’employé, l’ouvrier, le cadre se sentent attachés aux succès de leur entreprise, et non plus utilisés seulement comme moyens. Alors évidemment les marxistes vont dire « c’est un piège ». Mais comme je ne suis plus marxiste, je considère que c’est une solution qui cumule pas mal d’avantages, en particulier la responsabilisation des employés, de toute la hiérarchie, avec cette idée aussi que je trouve parfois scandaleuse que seule la direction possède les actions en très grand nombre, alors que l’ouvrier de base n’a rien.

Je suis donc favorable à  cette idée de répartition de la propriété. Mais avec deux remarques, comme l’avaient argué les économistes autrichiens contre Marx, dès le début du XX siècle, même le socialisme, s’il veut éviter la planification centrale — qui est un échec absolu, ce qu’on peut démontrer théoriquement et empiriquement, on ne peut pas fixer les prix, c’est trop compliqué, ça ne marche pas, et ça abouti à  des catastrophes économiques, et donc humaines, comme tous les systèmes « socialistes » dans le monde — donc si on veut un socialisme avec appropriation des moyens de production, il faut quand même garder l’idée de monnaie (dont Marx voulait se passer) comme moyen d’échange, et d’investissement, de capital. La planification centrale — fixer les prix – abouti à  des catastrophes économiques, et donc humaines, comme tous les systèmes ”socialistes » dans le monde.Il faut garder la notion de capital, qui est consubstantielle à  toute économie, dès lors qu’il faut épargner et investir pour l’avenir. Donc si les travailleurs veulent être co-propriétaires de leurs entreprises, il faudra quand même garder un marché d’actions, une bourse, un système financier. Les seuls revenus des salariés ne pourraient pas suffire. Et deuxièmement la concurrence, qui est un moyen « incitatif » de faire baisser les prix et d’améliorer la qualité, et qui est donc favorable aux consommateurs que sont par ailleurs les travailleurs.

Ce développement de l’extrême gauche au centre-droit me paraît, maintenant que je suis plus âgé, pour ne pas employer un terme plus péjoratif, assez compréhensible. Je ne pense pas avoir totalement renié mes idéaux. Simplement, ils se sont affrontés au réel, à  la critique, et je m’en suis aperçu dès le voyage en Slovaquie par exemple, mais aussi avec le développement terroriste de certains groupes maoïstes. La révolution, en dehors des tyrannies, est une impasse. Mais je pense qu’on peut toujours garder une sensibilité de gauche, au sens des valeurs de la justice sociale. Quand j’étais à  l’extrême-gauche, je n’ai jamais été anarchiste, j’ai toujours pensé que l’on ne pourrait pas se passer de l’Etat, sauf, croyais je naïvement, à  très long terme !, maintenant que je suis centre-droit, pour des raisons que je pourrais expliquer et qui sont liées à  la situation actuelle de la France (je préfèrerais être de centre gauche !), mais actuellement je dis centre-droit, parce que je pense qu’il faut des réformes libérales. On y reviendra. Mais j’aurais peut être pu aller à  un moment jusqu’à  l’anarchisme « de droite », qu’on appelle le « libertarianisme« , défendu par des gens comme le philosophe américain Robert Nozick (même s’il ne va pas jusqu’à  l’anarchisme total, et défend un « Etat ultra-minimal »), ce sont des gens qui disent (et ce sont de bons philosophes, et de bons économistes, ils ont des disciples en France, et des maîtres comme Hayek), ils vont jusqu’au bout de la logique du marché, et ils disent « l’Etat c’est l’ennemi, c’est la bureaucratie ». Ils restent anarchistes, comme Proudhon, en ce sens que l’Etat est un monstre liberticide.

à‡a me fait penser à  une phrase de Reagan qui disait « L’Etat n’est pas la solution, c’est le problème ».

Oui ! Justement, Reagan, comme Mme Thatcher, était influencé par Hayek. Mais les plus extrémistes d’entre les « libertariens » disent « il faut supprimer l’Etat », et que tout soit auto-organisé par le marché. Ce qui me paraît être aussi une dangereuse utopie. Et puis, du point de vue moral, c’est laisser les plus mal lotis à  leur sort, où la générosité éventuelle des riches, or je crois que l’Etat, comme le disait Karl Popper, « est un mal, mais un mal nécessaire ». Je ne dois pas – même si je suis faible – devoir ma survie, et ma vie correcte, au bon vouloir des forts, mais à  mes droits, garantis par un Etat de Droit. C’est un très bel argument. Je dois avoir les mêmes droits, que si j’étais super intelligent, sportif, top modèle… Il y a les hasards de la naissance, de l’éducation….

On ne peut pas tout baser sur la charité, il faut de la solidarité, en somme ?

Absolument ! C’est le sens du principe de justice sociale de Rawls (principe de différence : une inégalité n’est juste que si elle profite e n fin de compte aux plus mal lotis). Ceux qui ont tiré un mauvais numéro à  la loterie de la vie ne doivent pas attendre qu’on leur tende la main. Je refuse absolument cette idée « paternaliste ». Pour cela, il faut mettre en avant une idée plus essentielle que celle de marché (qui est essentielle, mais qu’il ne faut pas adorer), c’est l’idée que ce qui compte avant tout, et je le pense de manière presque dogmatique, c’est le Droit. Et un Etat qui garantisse le respect de ce Droit. Et il faut que ce Droit soit voté par une majorité des représentants élus, sinon on n’est pas en démocratie.

Je ne l’ai pas évoqué tout à  l’heure, j’ai eu une période également où j’allais aux cours très brillants de Michel Foucault, je me disais … luxembourgiste et foucaldien, pendant les années qui ont suivi 1968, entre 1969 et l’élection de Giscard (74), où le bouillonnement intellectuel était considérable ! Toute la philosophie française était en ébullition, même les sciences. Un des plus grands mathématicien du siècle, Grothendiek, médaille Fields (équivalent du prix Nobel) a tout arrêté pour faire du formage de chèvre dans les Pyrénées…. A 30 ans. Il y a eu des bonnes choses qui en sont sorties: l’écologie, le féminisme. Pas immédiatment de mai 68, mais de la suite. Mais quoi qu’il en soit des aspects positifs de 68, on oubliait le Droit. Le Droit, c’était « l’idéologie bourgeoise » .Et ça, c’était une grande erreur. C’est résumé dans le plus célèbre slogan de 68 : « Il est interdit d’interdire ». Or le Droit, c’est poser des bornes, des limites.

C’est ce qui garantit la liberté

Tout à  fait. C’est ce qu’on appelle en philosophie : la compossibilité des libertés (Kant). Le fait de rendre possible un maximum de liberté, pourvu que l’autre ait la même liberté. Mais pour ça, il faut le règne du Droit (« Rule of Law » : Law en anglais ne veut pas d’abord dire loi mais Droit). Mais le Droit peut être mauvais, je ne suis pas « positiviste juridique ».

C’est pour ça qu’il évolue …

Oui, il y a eu des droits horribles ! des droits esclavagistes, comme le droit français jusqu’en 1848 ! et les lois antisémites de Vichy ! J’en suis arrivé donc à  l’idée que le Droit est très important, mais qu’il fallait qu’il soit fondé sur des valeurs morales. Le Droit romain, par exemple, sur lequel est basé le droit occidental (à  part le droit anglais, qui est différent), tous les juristes connaissent des centaines de proverbes qui viennent du droit romain, est fondé sur des valeurs de liberté, mais il y avait l’esclavage dedans…. Fuyons tout manichéisme !

Nous plaçons donc la morale au dessus du droit ?

Oui. Je ne crois pas du tout à  la thèse de l’autonomie du Doit par rapport à  l’éthique. Si on interdit le viol, c’est parce que cet acte horrible est pour nous absolument immoral. Même si l’on accepte la contradiction dans les temes que signifie le slogan poétique « il est interdit d’interdire » (cet interdit étant lui même… interdit : c’est une phrase « auto-référentielle », comme on dit en logique, et qui de plus se nie elle-même), on peut et on doit le refuser pour des raisons morales : il y a des actes possibles qui sont moralement condamnables, et qui doivent donc être juridiquement interdits, et la transgression de ces interdits punie. Mais il reste à  définir cette morale. Il faut une morale minimale, pour que nous puissions tous nous mettre d’accord sur un certain nombre de valeurs — un socle — qui permette la vie en commun. Voilà  un peu mon évolution.

Ce qui fait que je suis passé du centre gauche (rocardien) au centre droit, je ne vais pas me cacher derrière les mots, c’est la situation de la gauche française qui n’a pas su évoluer comme les gauches européennes dans le sens que Michel Rocard proposait, c’est à  dire, on accepte le marché, parce que sinon c’est la planification centrale, une absurdité liberticide, mais un marché régulé par le Droit et qui donne des garanties de sécurité aux travailleurs ou aux « inactifs ». La gauche française a toujours un problème avec le marché, le libéralisme économique. Le libéralisme est un gros mot. « Tu es devenu libéral !!! Horreur ! », me disent certains amis. Oui, et je l’assume tout à  fait. Je suis pour la maximisation de la liberté individuelle, dans le cadre de lois justes. Le capitalisme, n’en parlons pas, c’est voué aux gémonies par la gauche. Mais même un système socialiste d’autogestion aurait besoin du marché et de la concurrence. La gauche française n’a jamais su se réconcilier avec l’économie de marché. Qui est la seule qui fonctionne.

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13 réponses à “Interview d'Alain Boyer : deuxième partie”

  1. Avatar de BLOmiG
    BLOmiG

    Salut Alain,

    je ne sais pas si tu auras le temps de répondre, mais en relisant cette partie de l'interview, une question me saute à l'esprit.

    L'argument qui t'empêche d'adhérer aux idées libertariennes est le fait que les plus démunis ne doivent pas attendre leur "salut" d'une main tendue, et du bon vouloir des plus riches.

    En quoi une main tendue par une association, une oeuvre caritative ou une fondation privée serait-elle moins noble que la main tendue par l'état ?

    C'est la seul différence entre la charité et la solidarité, et un libertarien comme Pascal Salin dirait que ce qui les différencie, c'est que la charité ressort du "don" et donc de la liberté des individus, tandis que la solidarité étatique est le fruit de la contrainte. Ce qui compte c'est l'efficacité de l'un ou de l'autre, non ? et si on met en ligne de compte leurs fondements idéologiques, il me semble que la charité est plus justifiable, parce que c'est une forme de solidarité basée sur la liberté d'action. Qu'en penses-tu ?

  2. […] par les groupes d’extrême gauche en mai 68, jusqu’au PS de Michel Rocard en 1974. Deuxième partie (en ligne) : Suite du parcours. Réflexions sur le PS, l’économie de marché, le […]

  3. Avatar de pap
    pap

    quelle chance que cette libre parole d'Alain Boyer dans laquelle je retrouve les dates de ma vie personnelle: mai 68, prague, et la compréhension de la manipulation idéologique des pires réactionnaires déguisés en hommes de gauche. Centre droit-centre gauche? Qui peut croire que Bayrou serait le centre gauche et que bockel ou amara seraient le centre droit? Il faut cesser de définir le paysage politique français à partir des termes de droite et de gauche. Là se situe un des principaux freins à l'évolution politique de notre pays.

  4. Avatar de BLOmiG
    BLOmiG

    salut Pap,

    oui je te rejoins là-dessus (la nécessité de passer à autre chose que droite-gauche)…

    Alain Boyer rappelais une autre distinction possible entre responsabilité et conviction, mais plusieurs autres sont possibles : réformateurs / conservateurs, libéral / constructiviste, pragmatique / idéologue…

    On voit surtout, dans les discours et dans les actes, ceux qui sont de bonne volonté, et ceux qui manipulent pour asseoir un pouvoir personnel.

    à bientôt !

  5. Interview d’Alain Boyer, deuxième acte…
    Retrouvez cet article et ses commentaires sur AgoraVox…

  6. Avatar de Boyer
    Boyer

    Cher Lomig

    Ta question est très pertinente ! Je n'ai rien contre le don, et cotise d'ailleurs à plusieurs ONG intervenant aussi en France ; c'est formidable, en géneral, ce qu'elles font, et elles sont absolument nécessaires. Mais je pense qu'elles ne suffisent pas (elles sont d'ailleurs souvent aussi aidées par l'Etat ou les collectivités locales) et qu'il revient à l'Etat de garantir un minimum de vie décente, par l'usage de l'impôt. Les plus mal lotis ne doivent pas dépendre uniquement de la charité, mais avoir des droits réels à ce minimum : ce qui incarne l'idée de solidarité de l'ensemble de la nation, et non seulement des donateurs privés altruistes. D'ailleurs, les "mieux lotis" doivent comprendre que leur heureuse situation est due non seulement au mérite, mais aussi aux aléas de la nature et de l'histoire : ils auraient pu, et peuvent (faillite..) se retrouver parmi les plus mal lotis, et ils doivent comprendre que la nation (voire le monde) est un tout, et que leur richesse dépend aussi du fait que d'autres travaillent pour eux, et que les chômeurs sont . Je ne partage pas l'idée libertarienne selon laquel ce devoir de solidarite serait un "vol". D'autre part, la charité privée peut connaître des aléas, en cas de crise, et les mal lotis se retrouver sans rien…. En revanche, même si j'étais à l'origine favorable pour des raisons morales à l'ISF, j'a i changé d'avis (seuls les imbécilles…), à cause de ses effets pervers. J'ai lu hier que le socialiste Zapatero voulait l'abolir en Espagne….

    Amitiés et merci!

    Alain

  7. Avatar de Boyer
    Boyer

    Salut Pap, et merci!

    Je pense que en gros pour tout problème politique et social, quatre attitudes sont possibles : réactionnaire, conservatrice, réformiste et révolutionnaire. Et l'on s'paerçoit que soi meme on est amené souvent à adopter l'une ou l'autre des attitudes. On ne peut pas être réformiste eu égard à des traditions telles que l'excision et les mariages forcées : il faut militer pour leur abolution absolue. De même pour la tyrannie.Mais en démocratie, l'attitude réformiste est à mes yeux la meilleure. Et bien des gens de gauche sont en fait conservateurs : ils refusent des réformes nécessaires au bien public. Malgré tout, il faut absolument qu'en démocratie, l'alternance soit possible, et c'est pour cette raison que l'existence d'une gauche moderne et responsable me paraît saine. Tout pouvoir doit être soumis à la critique publique, et il est bon qu'une autre équipe soit en mesure de succéder à celle qui gouverne. La bipolarisation ne me gêne pas, a u contraire, mais le problème en France me paraît résider dans la capacité de nuisance des extrêmes. Je souhaite que la gauche responsable cesse de dépendre de l'extrême gauche léniniste, et que la droite cesse de dépendre du FN : sur ce point, je crois que Sarko a réussi, mais en histoire, il faut se garder de faire des prédictions hätives. Si une crise économique majeure, type 20, survenait, les extrêmes remonteraient, à droite comme à gauche, et il y aurait un risque de quasi guerre civile, l'horreur…

    Alain

  8. Avatar de BLOmiG
    BLOmiG

    salut Alain (Boyer),

    merci de venir participer à la discussion.

    je voulais revenir sur un point : j'avais publié ton interview sur un site web (Agoravox) pour lui faire de la pub…au vu des réactions hallucinantes que tu as pu y découvrir (décharge d'agressivité en gros), je ne referais plus l'experience. Dommage. Il semble que même une interview paisible, pour discuter tranquillement, et aller un peu plus au fond des questions que ce qui se fait habituellement provoque des réactions viscérales ! J'en déduis donc que certains pensent avec leur tripes, et ce n'est pas le genre de discussion que je recherche.

    Concernant la différence entre solidarité / charité (évergétisme?), je trouve que ce qui compte, c'est l'efficacité de l'aide. Un exemple ou deux comme celui de Bill Gates, avec sa fondation, suffisent à remettre en cause beaucoup de nos certitudes sur ce point là, non ? La grosse différence à mes yeux réside dans le fait qu'un individu, ou un groupe d'individu, qui décide de consacrer du temps et des moyens pour aider sera plus efficace dans son action du fait que c'est SON argent qui est mis en jeu. Mais je suis peut-être naïf.

    Et par ailleurs, la solidarité organisée me semble devoir aller avec une transparence et une évaluation claire des buts, et des résultats des différentes associations caritatives. On sait bien qu'en France, une part de l'argent des contribuables sert à financer des associations dont le travail réel sur le terrain est plus qu'opaque. Cela rend la solidarité moins juste, et d'autant plus à mettre au regard de l'évergétisme/mécénat/charité. ça n'est que mon avis.

    à bientôt !

  9. Avatar de pap
    pap

    Cher Boyer,

    merci de tes interventions. J'ai un souvenir ému de la tribune que tu as publiée dans le figaro avant les élections pour dire tout haut ce que je pensais tout bas: si on est de gauche il faut voter sarko.

    1- Bravo. mais j'ai écrit "pensais tout bas" parceque je suis persuadé que parler de gauche et de droite est une erreur qui cloue la France au pilori des extrêmes. Si la droite et la gauche sont légitimes, compréhensibles, alors l'extrême gauche et l'extrême droite ont un sens. Peut on imaginer l'extrême démocrate? ou l'extrême républicain? ou l'extrême conservateur, ou l'extrême social démocrate, ou l'extrême jacobin ou l'extrême montagnard? Non! Parce que ces concepts sont cohérents alors que la droite et la gauche sont des concepts vides à partir desquels tout est imaginable, interprétable, déformable, pour dire tout et son contraire. On est dans l'ordre du symblole ou du phantasme et non dans celui de la réalité. Il faut en avoir conscience et, par devoir politique, cesser d'utiliser ces termes de droite et de gauche qui sont des catalyseurs des dérapages médiatiques et de la réduction du champ de conscience politique et économique de nos concitoyens. Faisons comme les peuples politiquement mûrs et usons exclusivement de termes qui identifient clairement l'idéologie économique et morale sous jacente.

    2- La capacité de nuisance des extrêmes me semble être une partie intégrante de ce que l'on nomme "l'exception française". Dans quel pays européen peut on imaginer une "extrême droite" à 18% des voix et autant pour "l'extrême gauche"? L'exception française, qui se veut culturelle, n'est en fait que médiatique. Observons le journalisme "à la française", ce creuset de l'idéologie dominante, du politiquement correct et de la bonne conscience: la règle n'est jamais de parler, de décrire ou de magnifier ce qui est "normal", ou majoritaire ou commun, mais au contraire ce qui est exceptionnel, rare, ou marginal. C'est le fond de commerce du journalisme "à la française" car, alors, il devient possible pour le journaliste d'exister avec sa propre sensibilité. Dans le journalisme anglo saxon, c'est l'inverse et le journaliste, s'il veut se faire valoir doit s'oreinter vers un travail d'investigation et de vérification. Sa sensibilité, il la met de coté car il travaille à l'émergence de la vérité. Ainsi les journalistes français on littéralement fabriqué Le Pen en le récusant: eux seuls en parlaient. Même chose avec Besancenot, robin des bois de nains économiques et autres marginaux. Il faut dire que si le paysage se défini en droite et gauche alors il est facile de vouloir apparaître "objectif" en présentant les extrêmes. Avec des critères aussi vagues que droite et gauche il est impossible de faire des études chiffrèes pour mesurer la distribution des temps de paroles entre les véritables courants idéologiques. Le journaliste tirant dans les coins et abandonnant la majorité (économique, morale, religieuse, politique, sociale etc…) donne une vision totalement fausse de la situation réelle du pays. Un exemple typique pourrait être donné par le nombre de reportages (tous médias confondus) qui parlent de conduites sexuelles marginales ou très minoritaires, par rapport aux reportages consacrés aux conduites sexuelles largement majoritaires. La distorsion est évidente. Et à force de médiatiser des conduites ou des situations marginales on détruit le socle commun. De là viennent les extrêmes en politique et leur réelle capacité de nuisance. Qui aura la force de rappeler et d'illustrer l'importance de toutes les valeurs majoritaires qui fondent les sociétés? Française y compris.

    3- Boyer, tu évoques en le redoutant, le spectre de la grande crise économique. Tu as raison, mais ne faudrait-il pas imaginer les mêmes atrocités si la crise n'était "que" morale ou identitaire? A l'heure ou le monde a maîtrisé la production de masse (au point que l'obésité devient la première maladie dans le monde) la principale crise à redouter n'est-elle pas la crise identitaire?

  10. Avatar de Boyer
    Boyer

    Cher Pap

    Je suis d'accord avec beaucoup de choses que tu dis, mais je serais plus …modéré

    Je me répète : il faut une opposition, moderne et modérée, capable de (re) venir aux affaires. Les termes gauche/droite sont issus de notre tradition (fin 1789), et on ne peut les abolir par décret. Les autres pays non plus n'ont pas des partis dont le nom désigne toujours clairement l'idéologie : par ex, aux USA, "démocrates" et "répubicains" sont des appellations qui à elles seules ne permettent absolument pas de cerner leur doctrines. Et en France, aucun parti ne comporte dans son nom les termes de droite et de gauche, même si certains voudraient s'appeler juste "Parti de la gauche", pour éviter les connotations devenues négatives de "socialisme" et surtout "communisme". Par ailleurs, l'extrême droite ne fait PLUS 18 %, depuis cette année, et l'extrême gauche n'a jamais fait plus de 10%, ce qui est bien sûr encore trop . Je prends l'exemple du risque de crise économique (sans parler de celui de catastrophe écologique!), car c'est elle qui, comme en 29, peut provoquer d'énormes dégâts sociaux, et des risques de guerre civile. On n'en est pas à l'abris, et l'avenir n'est pas rose, même s'il faut demeurer optimiste et ne pas tomber dans le nihilisme.

    La crise d'identité me paraît grave, mais elle a toujours existé, sous des formes diverses. Elle est surmontable, à mon avis. Mais cela passe par un retour de la croissance, une baisse du chômage, et une nouvelle politique de l'éducation, et une vraie lutte contre les discriminations raciales à l'embauche, compatible avec une lutte ferme contre les fanatismes religieux et contre les gangs de traficants dans certains quartiers.

    Par aileurs, on peut parfaitement parler d'extrêmes Montagnards ! Ils s'appelaient les hébertistes et les enragés (terme repris par les situs et anars en mars 68 à Nanterre), et furent guillotinés par Robespierre, Montagnard "centriste", si j'ose dire , puisque !l fit aussi guillotiner les montagnard plus modérés (Danton)…

    Ma thèse est que l'opposition modérés/extrémistes, connue depuis les Grecs, est plus importante que l'opposition gauche/droite, qu'elle traverse. Ou encore l'opposition démocrates libéraux pluralistes/partisans d'un parti unique.

    Par ailleurs, que je sache, les temps de parole ne sont pas déterminés par les temes vagues gauche/droite, mais par le critère plus objectif majorité/opposition.

    Pour la gauche, elle a à son actif bien des légitimes conquêtes sociales, depuis le droit de grève et l'interdiction du travail des enfants jusqu'à l'abolition de l'esclavage en 1848. A l'époque où ceux qui se définissaient comme "de droite" étaient souvent de vrais réacs… Le mouvement ouvrier (relis Dickens ou Zola) a été profondément légitime, même s'il s'est laissé "avoir" par des utopies très dangereuses, sauf en GB.

    C'est pour cela que je ne saurais jamais oublier que mon "cœur est à gauche" (non communiste), viscéralement attaché aux valeurs de liberté et de justice sociale, tout en sachant critiquer mes émotions par la raison, la moindre des choses pour un "philosophe"… Et que lutter contre les injustices ne se ramène pas à hurler des slogans éculés et naïfs comme "les riches peuvent payer"…

    Tibi

    AB

  11. Avatar de BLOmiG
    BLOmiG

    Je laisse Pap, bien entendu répondre s'il le souhaite.

    Je voudrais juste pour ma part faire une remarque : un des points fondamentaux que tout parti politique devrait définir clairement et précisemment est le périmètre d'action qu'il souhaite installer pour l'Etat. Beaucoup d'autres problèmes découlent de cela. L'Ecole doit-elle être un monopole d'Etat ? L'université doit-elle être un monopole d'Etat ? La santé doit elle être organisée de manière centralisée et étatique.

    Ces questions sont à mon avis cruciales, car elles permettent de définir le niveau d'imposition et la masse salariale de la fonction publique. Plus d'Etat, égal plus de fonctionnaires, égal plus d'impôts. On peut défendre une société avec plus d'Etat, mais il faut préciser ce que ça implique, et ce que ça coute aux contribuables / citoyens.

    à bientôt, merci à vous deux de prolonger cette interview par une discussion très intéressante et posée.

  12. Avatar de Gontman
    Gontman

    Super discussion ! Bravo!!

    Gont

  13. […] Deuxième partie (en ligne) : Suite du parcours. Réflexions sur le PS, l’économie de marché, le libéralisme, et les problèmes qu’a la gauche actuelle avec tout cela ! […]

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