Catégorie : 📚 Livres

  • Reinventing Organizations

    Reinventing Organizations

    lalouxDepuis que j’ai lu ce livre, j’en fais la promotion auprès de mes proches, et presque chaque jour dans ma vie professionnelle. Frédéric Laloux signe avec « Reinventing Organizations » un livre majeur, qui concerne tous ceux qui cherchent à  penser au mieux leur activité professionnelle.

    Modèles pour « repenser les organisations »

    Pas question de penser le changement sans modèles, et c’est à  cela que le livre contribue : donner en partage, et décrire des modèles d’organisations. C’est un livre majeur parce qu’il apporte un cadre conceptuel très large pour penser nos entreprises, et qu’il prend le risque de se faire le porteur d’une vision claire, simple, et surtout argumentée de faits : nous sommes dans une période de transformation profonde de la manière de nous organiser (notamment pour travailler), et cette transformation peut être « lue » dans un certain nombre d’exemples d’entreprises pionnières qui ont fait le saut. Frédéric Laloux parle d’un « changement de paradigme », mais attention : pas de grands mots creux ici, car il donne une description précise, en début de livre, de ce qu’il entend par changement de paradigme.

    Il s’agit pour faire – très – rapide, de passer d’entreprises conçue comme des machines (avec pour seul objet d’être extrêmement efficaces et de ramener toujours plus d’argent à  leurs actionnaires, dans des organisations pyramidales laissant peu d’autonomie de décision aux individus), à  des entreprises conçues comme des organismes vivants (avec une raison d’être évolutive, adossée à  une mission humaniste et porteuse de sens pour tous, des organisations beaucoup plus circulaires laissant à  chacun l’opportunité d’être pleinement et authentiquement soi-même dans le travail, libre et responsable). Le premier schéma voit l’extérieur de l’entreprise comme une horrible jungle peuplée de concurrents sanguinaires prêts à  nous manger, quand le deuxième schéma voit plutôt l’entreprise étendue comme évoluant dans un écosystème, peuplé d’alliés et de partenaires pouvant nous aider à  remplir notre mission.

    12 cas concrets de transformation

    Le livre revient en détail sur 12 cas précis, qui vont du monde médical des infirmières en Hollande – Buurtzorg -, au monde de l’industrie automobile – Favi -, en passant par la production d’énergie – AES – ou encore des accompagnateurs de la transformation vers l’auto-gouvernance – Holacracy -. Du concret, du solide, des leaders inspirants et courageux : voilà  ce que l’on trouve dans ce livre très humain et très touchant.
    Je ne vais pas faire ici une recension détaillée, vous pouvez aller lire par exemple celle que l’on peut trouver sur OuiShare Magazine, ou aller regarder en fin d’article la conférence en français qui revient sur les principaux éléments du livre. Je voudrais plutôt revenir sur les points clés qui me restent, quelques semaines après l’avoir terminé, et comment ils transforment ma réflexion et ma vie professionnelle.
    Voici quelques points essentiels que je retiens, et quelques questions ouvertes qui me restent sur les bras :

    • Mission & Sens : il n’y a pas moyen de donner du sens si on ne formule pas de manière claire et ambitieuse la mission de l’entreprise (cela rejoint d’ailleurs les SOSE évoqués par Segrestin & Hatchuel dans « Refonder l’entreprise« ) : par exemple, chez Buurtzorg, groupement d’infirmièr(e)s de quartier, la mission a été clairement formulée comme « aider les personnes à  redevenir autonomes » ; cela a permis de sortir d’une logique productiviste destructrice de valeur (avec des infirmières n’ayant plus la latitude pour vraiment accompagner pleinement leur malades), et de retrouver le sens, pour chacun, de son engagement dans ce métier de soin (aider les autres)
    • Liberté et responsabilité : dans les sociétés étudiées en détail par Laloux, les structures de décision ont été radicalement modifiées. Le PDG, les dirigeants, et les managers ne sont plus au centre de convergences de faisceaux de décision. Chacun peut, et doit, prendre les décisions à  son niveau, de manière autonome, libre et responsable. Cela allège la charge du management, rend les décisions plus sensées (puisque prise par des gens qui connaissent les dossiers), et redonne un vrai engagement à  chacun dans son job. Comment se prennent les décisions ? Bien sûr, pas de manière solitaire. La responsabilisation ne veut pas dire décider dans son coin, au contraire ! Les décisions se prennent par sollicitation d’avis. Le principe est simple : je vais solliciter l’avis, au moment d’une décision, de ceux qui sont concernés par cette décision. Je sollicite non pas leur accord, mais leur avis. Qu’il s’agit d’écouter et d’intégrer de manière responsable à  ma décision. Cela parait si naturel qu’on se demande pourquoi ce n’est pas déjà  le mode le plus répandu…Plus la décision est importante, et plus je devrais consulter de personnes différentes pour pouvoir intégrer les avis pertinents.
    • Nouveaux rôles : De nouveaux rôles émergent de ce fait au sein de ces entreprises pionnières : des facilitateurs aux coachs, en passant par le rôle du pdg qui est radicalement transformé. Des facilitateurs pour aider les petites équipes autonomes à  prendre leur décision difficile, par exemple, ou pour aider à  gérer des conflits de manière responsable et autonome. Le rôle du pdg, transformé, devient plutôt celui d’un garant de l’espace (il garantit qu’on ne va pas, au moindre problème, revenir par peur aux anciens modes de fonctionnement), celui d’incarner l’autogouvernance, enfin d’être à  l’écoute de la raison d’être évolutive
    • Ma principale interrogation : Laloux explique que ce genre de changements ne sont pas possibles s’ils ne sont pas impulsés par le PDG, et soutenus par le conseil d’administration. Or, j’observe au quotidien qu’une partie des dirigeants des entreprises laissent de l’autonomie (heureusement) à  leurs équipes, et qu’un certain nombre de changements arrivent par la base. Suis-je un doux rêveur à  vouloir porter ce genre de changement sans avoir une idée du soutien d’un PDG ?

    Impacts sur mon activité

    Avant de conclure, voici quelques éléments que je vais essayer d’intégrer dans mon boulot rapidement, car j’ai la chance d’être dans une période de changement (mobilité interne). Ma mission, dans un secteur qui porte la transformation digitale (faisons comme si – et je le crois – c’était la même que celle dont parle Frédéric Laloux, et la même que celle dont parlent les Hacktivateurs), est de monter et d’animer un lieu d’innovation et d’apprentissage – une sorte de Lab – avec des partenaires.

    • je vais essayer de faire en sorte que ce lieu multipartenaire soit autogouverné, au moins en partie
    • je vais essayer d’y porter la voix de mon entreprise en faisant passer d’abord sa raison d’être évolutive
    • une des missions explicites du lieu sera d’être une structure d’apprentissage, ouverte, évolutive, et qui visera entre autres à  la création de communs, mais aussi pourquoi pas, en charge d’inventer son propre business model
    • un certain nombre de rituels et de codes devront permettra à  chacun de s’y sentir pleinement lui-même, en confiance, et libre d’agir, d’interagir, d’apprendre, etc…

    Pour finir, le meilleur moyen de découvrir le merveilleux bouquin de Frédéric Laloux, c’est de commencer par regarder cette longue et passionnante conférence. Une très belle introduction au livre.

  • Situation de la France

    Situation de la France

    Grâce au commentaire d’un de mes lecteurs (Quentin, pour ne pas le nommer), j’ai découvert et dévoré l’excellent bouquin de Pierre Manent, « Situation de la France« . L’auteur y revient sur les problèmes d’identité qui peuvent se poser aux français, en 2016. Des problèmes qui tournent bien sûr, comme toujours lorsque l’on parle d’identité et de culture (ou de civilisation), autour de la question religieuse, et du fait religieux.

    Situation de la France

    C’est un livre fort, dense, que nous livre Pierre Manent, et qui présente beaucoup de points vraiment positifs et stimulants.

    • en quelques cent pages, il dresse un constat sans appel d’un certain nombre de problème posés par l’islam dans une société chrétienne, en termes de chocs de valeurs. Pas de chichis, pas de politiquement correct pour se protéger de – fort prévisibles – attaques de la bien-pensance. C’est clair, à  la fois respectueux des personnes, et sans concession pour les idées.
    • Pierre Manent amène des idées fortes, et des questions clés à  cette question épineuse. Il constate par exemple que la laïcité, sous la forme qu’on lui connait, c’est-à -dire sous une forme ayant consisté à  vider l’espace public du « fait religieux », n’est pas efficace pour « réformer » l’islam. Force est de lui donner raison, même si pour ma part, je mettrais un bémol. Il me semble qu’une conception stricte de la laïcité, libérale, vise simplement à  séparer le politique du religieux, et non pas à  cacher, ou à  empêcher l’expression religieuse dans l’espace public. Notre société, en partie d’ailleurs, sous les provocations de radicaux, a eu tendance récemment à  vouloir lutter contre cette radicalisation par une sorte d’oubli des signes religieux (ce qui se défend), mais aussi à  une forme d’effacement du religieux.
    • Cet effacement du fait religieux a conduit à  nier longtemps le problème posé par l’islam. Ce n’est pas que nous ne voulions pas, collectivement, voir les problèmes posées par l’idéologie islamique, c’est simplement que nous ne voyions pas cela comme une religion, c’est-à -dire à  la fois comme élément identitaire fort, et comme corpus idéologique structuré
    • Il propose des éléments intéressants également sur nos racines et notre culture : assumons donc d’être une culture chrétienne, qui accueille un certain nombre de cultures différentes, mais qui pour autant n’en demeure pas moins chrétienne. assumons que notre histoire, et nos valeurs peuvent nous permettre d’assumer que la Nation joue un rôle intégrateur, en tant qu’idéal, à  la fois structurant et inclusif.
    • Les pistes proposées par Pierre Manent sont vigoureuses, et « simples » : l’Etat et la Nation doivent « forcer » (« commander » est le terme qu’il utilise) les responsables musulmans à  couper les ponts avec toutes les sources de financement extérieures. Par ailleurs, la communauté musulmane et le reste du pays doivent faire une sorte de « pacte », une sorte de geste de bonne volonté, de main tendue de part et d’autre. Pour cela, un certain nombre de concessions doivent être faites, de part et d’autres, et un certain nombre d’éléments fondamentaux, non négociables, doivent être rappelés. Liberté de conscience, bien sûr. Et d’autres éléments fondateurs d’une société ouverte et libre. Cela me rappelle un de mes billets, parlant d’un Sanhédrin de l’Islam.

    Je ne saurais assez vous recommander la lecture de ce livre indispensable pour alimenter la réflexion politique, la vraie. Pas celle des courses de lévriers électorales, mais celle qui touche à  l’identité, à  ce que nous voulons construire, ensemble, comme société.

    Concessions, ou Egalité ?

    Deux points me posent problème dans le livre de Manent, et mériteraient d’être approfondis par des échanges (en commentaire?). D’une part, Pierre Manent semble prêt à  des concessions sur la place de la femme chez les musulmans, et cela me parait, à  moi, inacceptable. Et incompatible avec l’idée que je peux me faire d’un pays dont la devise comporte le mot ambitieux et exigeant d’ »Égalité ». Et d’autre part, après avoir constaté que la laïcité ne permet pas d’aider l’islam à  se réformer, Pierre Manent semble considérer que la Nation peut le faire. Cela soulève bien des questions, car il me semble que notre Nation, et notre culture française, comporte justement dans ses gènes une forme de laïcité (qui peut être un outil). De plus, après décrit l’Etat et ses institutions comme passablement affaiblis, ils semblent finalement capable de réaliser un tour de force exceptionnel, que seuls une volonté forte et une capacité d’action durable peuvent rendre possible.
    Un dernier point aveugle dans l’ouvrage (mais ce n’est pas une critique, c’est un appel) : si une telle évolution – souhaitable – était possible, elle ne pourrait se faire qu’en ayant au préalable ou en parallèle réduit fortement les flux migratoires entrants dans notre pays. Comment intégrer bien si l’on est trop ouvert ? Qu’en pensez-vous ? L’islam peut-il, en France, se réformer ? Nos institutions sont-elles suffisantes ? Quelles modalités de mise en France ? N’hésitez pas à  partager vos commentaires, idées et suggestions en commentaire !

  • Pas d’excuses : deux grands livres gratuits

    Pas d’excuses : deux grands livres gratuits

    C’est pour partager deux liens passionnants que je fais ce court article aujourd’hui. Plus que des liens, ce sont deux livres accessibles gratuitement en ligne. De grands ouvrages du libéralisme : Harmonies économiques (Bastiat) et L’action humaine (Von Mises). Les deux sont des ouvrages d’économie, mais pas d’économie au sens technique du terme. Non : simplement des ouvrages qui parlent de l’action humaine, et des choses que l’on sait sur cette action, sur les éléments qui influencent les choix des individus, et sur les phénomènes qui en résultent.

    Harmonies économiques : la valeur est subjective

    Le premier est le magnifique « Harmonies économiques« , de Frédéric Bastiat. Profond, enthousiaste, optimiste et écrit dans un français vraiment beau et précis. Dans cet ouvrage (mais il faut lire tout Bastiat), Bastiat livre sa vision de la société et pose les bases, en partie, de ce qu’on appellera par la suite l’école autrichienne d’économie. Quelques points saillants (communs aux deux auteurs je trouve, et c’est pourquoi ils sont dans une même école de pensée) :

    • la société est harmonique, c’est-à -dire qu’un certain nombre de mécanismes auto-régulent une bonne partie des phénomènes à  l’oeuvre dans une société de droit, pour autant que l’on respecte de manière stricte la liberté d’action (liberté étant entendu au sens de « libre dans le cadre de la loi »). Cette vision est explicitement opposée à  une vision socialiste ou communiste, et avant que Marx ne sévisse, Bastiat avait déjà  démonté une bonne partie de la doxa socialiste/communiste.
    • la valeur est toujours subjective : toute tentative pour décrire une valeur absolue est par principe vouée à  l’échec. La valeur, c’est ce que chaque individu va associer, dans un contexte donné, à  telle ou telle action ou choix. La valeur c’est toujours une préférence dans l’action. Rien d’immuable ou de constant ou d’objectif, donc. La valeur est subjective.

    L’action humaine, traité de praxéologie

    Le second livre est le non moins important traité de « L’action humaine« , de Ludwig Von Mises. Ce fabuleux livre, clair, concis et direct apporte des éléments fondamentaux pour comprendre ce qui distingue, comme science, l’économie des autres autres sciences. L’économie, ce n’est pas l’histoire, ce n’est pas la biologie, ce n’est pas la philosophie, c’est une science de l’action humaine (praxéologie).
    La praxéologie traite de l’action humaine en tant que telle, d’une façon universelle et générale. Elle ne traite ni des conditions particulières de l’environnement dans lequel l’homme agit ni du contenu concret des évaluations qui dirigent ses actions. Pour la praxéologie, les données sont les caractéristiques psychologiques et physiques des hommes agissants, leurs désirs et leurs jugements de valeur, et les théories, doctrines, et idéologies qu’ils développent pour s’adapter de façon intentionnelle aux conditions de leur environnement et atteindre ainsi les fins qu’ils visent.
    (Ludwig von Mises, L’Action humaine, 1949)

    Je ne saurais assez vous recommander la lecture de ces deux ouvrages. Commencez par le Bastiat, plus simple, et antérieur dans le temps. Harmonies économiques devrait être au programme d’étude du cycle normal de tout lycéen. Découvrir ce qu’est la valeur, l’échange, la monnaie, la propriété, au travers de textes courts, bien écrits, riches philosophiquement tout en étant limpides : voilà  une mission qui devrait être remplie par tout système éducatif bien pensé.
    Donc, vous ne savez pas ce qu’est l’économie, ni par où prendre le morceau ? Il y a des ressources merveilleuses en ligne, gratuitement accessibles: Pas d’excuses !

    >> Harmonies économiques
    >> L’action Humaine

  • Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction

    Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction

    C’est avec un livre curieux, original, que j’ai commencé mes lectures de vacances. Il s’agit d’un livre publié en 1884, « Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction » (ré-édité chez Allia Editions), de Jean-Marie Guyau (livre intégral disponible en ligne). Philosophe, poète, et enseignant, Jean-Marie Guyau est mort à  33 ans de la tuberculose.

    Fonder la morale sur les connaissances

    Ce livre est un essai captivant pour « fonder » la morale sur les connaissances plutôt que sur des sentiments. C’est une belle réflexion, dans une langue magnifique, et portée par un esprit visiblement génial et rigoureux, et au fait de l’état des connaissances humaines de son époque. Ce qui est étonnant, c’est l’effort pour tout penser de manière rationnelle ; c’est étonnant, parce qu’en lisant ces lignes on découvre un esprit visiblement athée, mais aussi ayant une foi profonde dans l’humain et dans le progrès possible. La démarche visant à  vouloir décorréler la morale de ses fondements « spirituels » ou religieux surprend. A tout le moins, c’est un point qui mériterait d’être discuté et creusé. J’ai le sentiment que Guyau cherchait à  construire une « science du comportement moral », ou une « science du comportement social », et j’ai le sentiment que s’il avait assumé de ne rien pouvoir « fonder » sans recourir à  un certain nombre de concepts « religieux », il aurait pu aller plus loin et créer, avec d’autres, des éléments de la « science de l’action humaine », c’est-à -dire devenir économiste (au sens de Mises par exemple). Les idées, principes, concepts des religions font aussi partie de nos connaissances.

    Plume sublime plus que philosophe important

    Je vous recommande ce livre très vivement, non pas pour les réflexions philosophiques que je trouve un peu décousue, mais plutôt pour découvrir une plume fantastique, et un pouvoir d’évocation de la condition humaine très rare : il y a des pages magnifiques, spirituelles, sur ce que sont les humains, sur leur condition de finitude dans l’infini, sans jamais que cette évocation soit le moins du monde désespérée ou noire. Simplement magnifique. S’il avait pu vivre plus longtemps, Jean-Marie Guyau aurait pu écrire de splendides romans.
    Je ne peux résister à  recopier ici les paragraphes de conclusion. Bonne lecture !
    En somme, c’est la puissance de la vie et l’action qui peuvent seules résoudre, sinon entièrement, du moins en partie, les problèmes que se pose la pensée abstraite. Le sceptique, en morale comme en métaphysique, croit qu’il se trompe, lui et tous les autres, que l’humanité se trompera toujours, que le prétendu progrès est un piétinement sur place ; il a tort. Il ne voit pas que nos pères nous ont épargné les erreurs mêmes où ils sont tombés et que nous épargnerons les nôtres à  nos descendants ; il ne voit pas qu’il y a d’ailleurs, dans toutes les erreurs, de la vérité, et que cette petite part de vérité va peu à  peu s’accroissant et s’affermissant. D’un autre côté, celui qui a la foi dogmatique croit qu’il possède, à  l’exception de tous les autres, la vérité entière, définit et impérative : il a tort. Il ne voit pas qu’il y a des erreurs mêlées à  toute vérité, qu’il n’y a encore rien dans la pensée de l’homme d’assez parfait pour être définitif. Le premier croit que l’humanité n’avance pas, le second qu’elle est arrivée ; il y a un milieu entre ces deux hypothèses : il faut se dire que l’humanité est en marche et marcher soi-même. Le travail, comme on l’a dit, vaut la prière ; il vaut mieux que la prière, ou plutôt il est la vraie prière, la vraie providence humaine: agissons au lieu de prier. N’ayons espoir qu’en nous-mêmes et dans les autres hommes, comptons sur nous. L’espérance, comme la providence, voit parfois devant elle (providere). La différence entre la providence surnaturelle et l’espérance naturelle, c’est l’une prétend modifier immédiatement la nature par des moyens surnaturels comme elle, l’autre ne modifie d’abord que nous-mêmes; c’est une force qui ne nous est pas supérieure, mais intérieure: c’est nous qu’elle porte en avant. Reste à  savoir si nous allons seuls, si le monde nous suit, si la pensée pourra jamais entraîner la nature; – avançons toujours. Nous sommes comme sur le Léviathan dont une vague avait arraché le gouvernail et un coup de vent brisé le mât. Il était perdu dans l’océan, de même que notre terre dans l’espace. Il alla ainsi au hasard, poussé par la tempête, comme une grande épave portant des hommes; il arriva pourtant. Peut-être notre terre, peut-être l’humanité arriveront-elles aussi à  un but ignoré qu’elles se seront créé à  elles-mêmes. Nulle main ne nous dirige, nul oeil ne voit pour nous; le gouvernail est brisé depuis longtemps ou plutôt il n’y en a jamais eu, il est à  faire: c’est une grande tâche, et c’est notre tâche.

  • L’âge du Faire

    L’âge du Faire

    Pendant un an, Michel Lallement, chercheur au CNAM, est allé s’immerger dans les hackerspaces de la Silicon Valley. Impressionnante plongée dans un monde « middleground » (voire underground), et dans l’univers d’idéalistes (?) qui veulent changer le rapport au travail, le rapport à  la technique, et y remettre de la passion, du Faire, et de la liberté. Le sous-titre du livre L’âge du Faire: hacking, travail, anarchie.

    C’est quoi un hackerspace ?

    C’est quoi un hackerspace, ou un makerspace, ou encore un hacklab ? C’est un lieu de travail, opéré par une communauté qui se retrouve autour d’un intérêt commun pour l’informatique, la science, la technologie, le prototypage, les arts digitaux. Et pour la fabrication (au sens large : faire des choses), le « Faire« . Le hacking est à  distinguer du cracking. Le hacker est un bidouilleur qui cherche à  créer des choses, à  détourner des objets de leurs usages initiaux, là  où le craker est un pirate – informatique le plus souvent-, qui cherche à  voler des données, à  casser, et au final à  agir hors-la-loi. Le livre s’intéresse à  ceux qui peuplent les hackerspaces, majoritairement des hackers.

    Passionnante immersion chez les makers

    Michel Lallement signe un ouvrage très facile à  lire, passionnant et très immersif. Nous sommes vraiment plongés, grâce à  son talent de narrateur, dans ces lieux étonnants et bigarrés. Il a choisi de se concentrer sur Noisebridge, et aussi fricoté un peu avec des membres de BioCurious et HackerDojo. Tout un vocabulaire, un jargon presque, et qui peut être très nouveau, arrive avec cette immersion. Les hackers construisent ce que les crakers détruisent. Le Hacker bidouille pour construire.
    A Noisebridge, on découvre la manière de fonctionner très particulière de ces « communautés », et les problèmes qu’ils ont à  gérer au quotidien. Leur règle d’or ? « Be excellent to each other ». Leur manière de gérer ? Une réunion hebdomadaire ouverte à  tous, animée et structurée, qui permet de décider par consensus collectif, des orientations/décisions à  prendre. Exigeant, complexe inutilement parfois, mais très socialisant.
    La plongée historique dans les racines de ces hackerspaces est passionnante aussi. Le fondateur de Noisebridge, Mitch Altman, a été notamment très influencé par le Chaos Computeur Club allemand.
    Ce livre est à  lire, à  mon sens, par tous ceux qui de près ou de loin sont intéressés par l’essor de ce type de lieux, que ce soit à  l’intérieur des entreprises, ou dans la société civile sous des formes associatives ou commerciales (comme les Techshop, le FabClub ou Usine.io par exemple). C’est pour ça que le livre s’est retrouvé sur le sommet de la pile : nous sommes en train, avec Mickaël Desmoulins, mon binôme/compagnon d’aventure, – et avec toute une communauté ! – d’accompagner/penser la mise en place d’un lieu de ce type à  l’intérieur de l’entreprise dans laquelle nous travaillons. C’est passionnant, et aussi inconfortable, puisque nous devons en permanence apporter des éléments de compréhension de la valeur d’un tel dispositif, tout en étant en train de le découvrir nous-mêmes, et de maintenir dans ses gènes une forte capacité à  l’adaptation permanente, à  l’apprentissage.

    Réflexions et critiques

    Je voudrais livrer ici quelques réflexions que le livre a pu provoquer/susciter/prolonger. J’ai une conscience très nette du peu de structuration de ces réflexions, comparées aux apports de Michel Lallement dans son bouquin. Disons que je voudrais éclairer son travail de chercheur par un apport de praticien expérimentateur. Et partager quelques doutes aussi (c’est pas marrant sinon).
    Une chose frappante dans la comparaison implicite entre NoiseBridge et le Creative People Lab que nous animons, c’est la similitude. C’est normal, puisque nous nous sommes inspirés en partie des FabLab et des hackerspaces pour imaginer notre lieu/communauté, et ses modes de fonctionnement. Nous avons également eu la chance de croiser la route de Nicolas Bard et d’ICI Montreuil, pour des échanges et pour des formations. Et il y a aussi, c’est naturel, des différences, puisque les contraintes et le contexte d’un hackerspace ne sont pas exactement ceux d’un « fablab/hackerspace interne ».

    Rapport au travail

    Le fondement des tiers-lieux de type hackerspace ou FabLab, c’est d’abord et avant tout le volontariat, la libre participation. C’est une excellente et très frugale manière de s’assurer que les membres sont a minima engagés et curieux. Et qu’ils trouvent dans le travail un peu de plaisir. Cette libre participation garantie au même titre une forme assez solide d’ouverture, et de brassage permanent des personnes, des compétences.
    Il y a ensuite une volonté commune d’apprendre et de faire. D’apprendre pour soi, d’apprendre aux autres, de partager. Et de faire : ne pas rester dans le monde des idées, mais se confronter au réel, toucher du doigt certaines technos, apprendre par des projets concrets.
    Tout cela dessine un rapport au travail particulier, très bien analysé par Michel Lallement, qui se déplace du travail « hétéronome » vers le travail « autonome ». La manière d’en discuter de Michel Lallement, citant André Gorz, puis Habermas, me laisse plus dubitatif. Je ne pense pas, et ne crois pas vraiment, au travail « qui trouve en lui-même sa propre finalité ». C’est une vue d’intellectuel, très belle sur le papier, mais qui me semble manquer un certain nombre de motivations humaines, de nécessités humaines.
    La reconnaissance par les pairs, également, tient une place plus importante que les médailles décernées par les chefs comme « rétribution sociale ». Ces simples mécanismes de reconnaissance par les pairs suffisent il me semble à  prouver que le travail n’est jamais uniquement une fin en soi.

    Mode d’organisations

    Horizontal, communautaire et consensuel, le mode d’organisation privilégie le consensus et la doOcratieEn terme d’organisation, les hackerspaces secouent les puces de la manière de faire des entreprises « classiques ». Très horizontal, communautaire et consensuel, le mode d’organisation privilégie le consensus (intense) et la do-ocratie (soumise à  la régle du « Be excellent to each other ») : la doocracy, qu’est-ce que c’est ? Une structure organisationnelle dans laquelle les individus choisissent librement leurs rôles et leurs tâches et les exécutent. Est légitime et responsable celui qui fait, pas celui qui a un titre ou une fonction.
    Il nous reste à  inventer le mode de fonctionnement durable de ce genre de choses dans une entreprise, mais on voit bien que ça fait sens dans toutes fonctions connexes à  l’innovation. Logique d’agilité, de créativité et de connexion entre les gens, et les entités, porosité entre l’interne et l’externe, logique de test&learn.

    engineering_2_640px

    Critiques … constructives

    Je redis tout le bien que je pense de l’ouvrage de Michel Lallement ; agréable à  lire, riche, éclairant, documenté, c’est vraiment pour le lecteur une belle immersion dans un univers nouveau à  plein d’égards. J’ai deux petites critiques à  formuler. L’une concerne la grille d’analyse des motivations des membres, l’autre le choix du terrain.
    Sur la lecture des motivations des membres, il me semble que l’analyse de Michel Lallement se retrouve à  certains moments en pleine contradiction, ce qu’il note très honnêtement, mais sans prendre conscience que la contradiction n’est que le fruit d’un cadre d’analyse relativement teinté d’anti-capitalisme. En effet, il n’y a pas de contradiction à  vouloir travailler autrement, y compris sur les modalités de rétribution, à  vouloir faire évoluer l’existant, à  y réinjecter des valeurs un peu différentes, ET le fait de s’insérer dans une logique d’économie libérale.
    Vouloir faire croire que le fait de créer une communauté d’intérêt serait déjà  en soi un acte de « contre-culture » vis-à -vis du capitalisme est un contre sens absolu.Le libéralisme et le capitalisme n’excluent en aucune manière des actions désintéressées économiquement, et ne sont pas des pensées qui font la promotion d’une sorte d’individualisme exacerbé, obsédé par les gains financiers. Si des dérives ont eu lieux, elles ne sont pas à  mon sens des raisons de jeter le bébé avec l’eau du bain. Les libéraux historiques ont toujours défendu la libre association, les syndicats, et liberté des humains de s’organiser comme bon leur semble. Après, les humains restent des humains, et il leur faut bien être responsables de leurs actes. Si je veux travailler librement sur des sujets qui me plaisent, et orientés uniquement par moi, il faudra bien quand même je trouve de quoi manger. Et donc inventer un business model (mécénat, dons, participations, création d’entreprise lucrative, etc…) qui me permettra de concilier toutes mes exigences. Les hackers sont à  la même enseigne que les autres humains.
    Vouloir faire croire que le fait de créer une communauté d’intérêt serait déjà  en soi un acte de « contre-culture » vis-à -vis du capitalisme est un contre sens absolu. Mais nous avons tellement pris l’habitude que tout le monde parle du libéralisme et du capitalisme (sans savoir ce que c’est) comme s’il s’agissait de monstreuses idéologies que nous ne prenons plus la peine de le noter. Je dois être un peu rigide pour ne pas vouloir tomber dans le mainstream « anticapitaliste » et « antilibéral » (antilibéral=totalitaire?). Pour le dire plus directement, on peut très bien s’épanouir dans un lieu de type hackerspace, sans pour autant rejeter la société capitaliste/libérale. Pourquoi le faudrait-il ?

    Nous arrivons à  la deuxième « critique ». Je comprends pourquoi Michel Lallement a choisi Noisebridge comme terrain d’étude. C’est un des plus emblématiques des hackerspaces, porté par des gens vraiment charismatiques, très idéalistes, et cela permet d’aller toucher certaines racines des motivations, et du système alternatif qui est proposé. Mais il y a une logique de « pureté » qui me dérange un peu là -dedans : un hackerspace dont l’objectif serait d’avoir un business model viable, ne reposant pas forcément sur le mécénat et les dons, et ne visant pas forcément à  transformer de manière radicale la société, n’est-il pas aussi un hackerspace ? Ma réponse, clairement, est oui. Et je dirais même plus : Noisebridge tourne presque en vase clos dans l’under/middle ground, là  où d’autres sont plus riches en termes de croisement hétéroclites (ce qui est un gage de richesse en termes de créativité, il me semble). Faire le pont, la traduction entre des univers différents, me semble être aussi un des éléments apportés par de tels lieux/communautés. Ce qui se passe aux interstices entre les différents éco-systèmes est toujours utile à  penser et à  observer.
    Ce ne sont là  que des critiques – mineures – de quelqu’un qui a vraiment aimé le bouquin : le livre est tellement bien, que je suis frustré de ne pas pouvoir lire une autre immersion dans un autre espace et une autre communauté. Vite : la suite !

    Quelques doutes et questions ouvertes

    Tout cette plongée dans Noisebridge m’a passionné. Les valeurs portées par les membres me touchent. La charte de Noisebridge est à  ce titre exemplaire et tape très fort : Vision.

    Je suis en phase avec ces idéalistes qui veulent avoir de la joie au travail. Comment penser autrement une activité dans laquelle on investit du temps et de l’énergie ? J’ai souvent le sentiment de porter cette manière de vivre son travail au sein de notre Lab interne, et qu’elle trouve un écho chez les membres de notre communauté. Et même temps, je mesure la chance que j’ai, et le décalage avec le reste du mode de fonctionnement de l’entreprise. Il nous reste à  réussir à  faire le pont entre deux mondes, celui de l’exploration, de la créativité, du « potentiel » mis en place sans garantie de succès, et le monde de l’exploitation, des KPI, des résultats qui doivent tomber à  date fixe, des comptes à  rendre. Comment faire ce pont sans perdre ce qui fait la force d’un lieu très ouvert comme celui-là  ? A-t-il à  terme une chance d’exister à  l’intérieur de l’entreprise, et transformer sa culture, ou serait-il plus pertinent en dehors des contraintes habituelles ? L’ambidextrie organisationnelle est-elle possible ? Certaines entreprises ont imaginé des structures de ce type à  l’extérieur, pour de bonnes raisons aussi (Ilab d’AirLiquide, Big de Pernod-Ricard). Questions passionnantes, et ouvertes. Comme tout ce qui est passionnant. Nous avons choisi de faire exister ce hackerspace, ce « garage » – le Creative People Lab – DANS l’entreprise, et avec les mêmes visées de formation, et de partage créatif que les hackerspaces. C’est en rupture, c’est plutôt nouveau ; et c’est aussi ce qui est passionnant.

  • Petit lexique des idées fausses sur les religions

    Petit lexique des idées fausses sur les religions

    C’est sous ce titre très long et très factuel qu’Odon Vallet nous emmène faire un voyage spatial et temporel dans notre monde, via le prisme des religions. Ce petit livre est vraiment un régal : court, dense, drôle parfois, il apporte des éléments riches et variés sur des thèmes nombreux. Odon Vallet est extrêmement cultivé, et pour cause : c’est un spécialiste des religions. Il traque les idées fausses, ou approximatives. C’est aussi, et je vous conseille d’aller lire sa biographie sommaire sur Wikipedia, un altruiste qui a créé – grâce à  la totalité de l’héritage de son père – une fondation qui vise à  favoriser l’éducation.

    Simple et efficace, mais érudit

    La structure des petits textes est toujours la même : un mot, une idée « fausse », et un petit texte pour expliquer en quoi l’idée est fausse et/ou partiellement juste. Pas de bla-bla, pas d’étalage de culture. Avec Odon Vallet, on est dans la langue de vérité, qui passe souvent par l’étymologie pour clarifier et questionner (j’adore). Les textes sont courts, dynamiques, ciselés et percutants. A lire absolument. Pour vous en faire goûter un peu quand même, je vous recopie ici une entrée prise au hasard, en ne vous donnant que les premières lignes et la conclusion. A vous d’aller chercher le reste.

    Clergé
    « L’islam n’a pas de clergé »

    C’est partiellement vrai pour les sunnites, et totalement faux pour les chiites. L’islam majoritaire, celui de la sunna (tradition), est dirigé non par des clercs consacrés mais par des chefs de prière désignés. Mais ces imams jouent, dans l’islam de la « scission », le chiisme, un rôle essentiel. L’islam est donc à  la fois une religion peu et très cléricale. […]
    Dans le rôle plus ou moins charismatique confié aux clercs, le chiisme s’oppose au sunnisme comme le catholicisme au protestantisme (le primat de l’Ecriture réduit le rôle des ecclésiastiques) : chiisme et catholicisme accordent un rôle considérable et des pouvoirs surnaturels à  leur clergé alors que sunnisme et protestantisme font de leurs ministres du culte des serviteurs de l’Ecriture.