Catégorie : 🧠 Réflexions

  • Le paradoxe de la connaissance

    Le paradoxe de la connaissance

    C’est une pensée qui m’est restée, et très vive, depuis ma lecture des conférences de Karl Popper. C’est un paradoxe apparent seulement : plus j’apprends, plus j’augmente mes connaissances, et plus j’augmente le nombre de questions sans réponses qui s’ouvrent à  moi. L’étude nous enrichit, et augmente nos connaissances. Mais elle diminue en même temps la part relative de nos connaissances par rapport à  l’inconnu, ou à  la masse de problèmes irrésolus. Plus j’apprends, moins je sais – relativement. Ce n’est pas une pirouette, c’est la vérité.

    La solution d’un problème engendre toujours de nouveaux problèmes, irrésolus. Lesquels sont d’autant plus intéressants qu’était plus difficile le problème initial et plus audacieuse la solution que l’on a cherché à  lui donner. Plus nous en apprenons sur le monde, plus nous approfondissons nos connaissances, et plus est lucide, éclairant et fermement circonscrit le savoir que nous avons de ce que nous ne savons pas, le savoir que nous avons de notre ignorance. [Karl Popper]

  • Le fond et la forme

    Le fond et la forme

    Il y a quelques semaines, j’ai vu passer une vidéo qui appelait à  signer une pétition (pour le Pacte pour la Justice). La vidéo est poignante, puisque l’on y entend un père raconter la mort de son fils, agressé par une bande de voyous et tués à  coups de couteau (vous pouvez aussi voir la conférence de presse donnée récemment par l’IPJ et Joël Censier, le père de la vidéo). A l’origine de cette vidéo et de cette pétition, l’Institut pour la Justice.

    J’ai signé cette pétition, et j’ai fait suivre sur Facebook. Un copain m’a invité à  lire la réaction de Maître Eolas : Attention manip : le « pacte 2012 » de « l’Institut pour la Justice ». J’ai été un peu interloqué à  la lecture de l’article de l’avocat-blogueur.

    D’un côté, il est probable – c’est le domaine de compétence d’Eolas, et je lui laisse – que les avis portés contre la justice dans la vidéo sont faits à  l’emporte-pièce, et critiquables. Est-ce que pour autant le fond est condamnable ?

    Il me parait important de distinguer la forme du fond.

    La forme, ce sont les artifices rhétoriques, l’argumentation sans fin. Le fond, c’est d’analyser le sens de l’action de l’IPJ. Or, dès le début maitre Eolas condamne le sens de cette action. Dès lors, rien n’aura plus de valeur à  ses yeux puisque l’IPJ est classé dans la catégorie des faux-instituts manipulateurs.

    La forme, c’est le jeu sur l’émotion pour faire bouger des lignes, la manipulation. Le fond, c’est une action pour augmenter le nombre de places de prison, et limiter la récidive. Notons au passage que l’on peut très bien voir la vidéo, prendre du recul car on est conscient que l’on joue sur nos sentiments, et néanmoins signer la pétition, parce que l’on juge que cela fera bouger les choses dans le bon sens. C’est mon cas. Commencer par se montrer comme le démonteur de la manipulation, c’est considérer que la plupart de ceux qui ont vu la vidéo n’ont pas cette capacité de prise de recul.

    La forme, c’est la distinction faite par la justice sur le niveau de responsabilité des différents participants à  l’agression. Le fond, c’est de juger des actes comme il se doit. Maitre Eolas, qui a le Droit pour lui, explique que ceux qui n’ont pas porté de coups de couteau ne sont juridiquement pas considérés comme des meurtriers.

    Notez que Joël Censier s’obstine à  parler au pluriel des meurtriers alors qu’il a été depuis longtemps établi que Samson G. a seul porté les coups mortels.

    Cela me parait moralement discutable. La justice est là  pour faire appliquer la loi, c’est une chose, mais cette loi (ou cet ensemble de lois, de réglementations et de jurisprudence) est là  pour faire respecter un certain nombre de règles de juste conduite. Considérer qu’une bande d’agresseurs, en s’attaquant à  une personne seule, n’est pas en train de mettre en place une dynamique de meurtre, me parait tout à  fait discutable, voire choquant. On est responsable de ce qu’on dit, et de ce qu’on laisse dire. On est responsable de ce que l’on fait, et de ce qu’on laisse faire. Je comprends donc M. Censier quand il appelle ceux ont participé à  l’agresssion sans porter de coups de couteau des « meurtriers » ; et je crois qu’il a raison. C’est bien tout le sens de cette pétition, il me semble : ne pas fermer les yeux sur des actes qui sont inacceptables. Il est inacceptable de tolérer des agressions de ce type, quels qu’en soient les auteurs, quelles qu’en soient les victimes. Les actes commis sont grave, et ils méritent une sanction lourde.

    La forme, c’est le jeu des acteurs qui défendent leurs points de vue : l’IPJ son action pour augmenter les places de prison, Maître Eolas qui se pose en défenseur du système existant. Le fond, c’est la prise de recul et les arguments. Le fond, c’est Eolas qui analyse et évalue la qualité du discours de la vidéo, et qui propose des arguments pour l’évaluer. Le fond, c’est l’IPJ qui oeuvre politiquement, et non pas juridiquement. Et le fond, c’est que le combat politique n’a pas besoin que de vérité pour avancer, mais aussi de force (c’est pour cette raison exactement que je suis un peu en retrait des jeux politiques).

    Ce qui compte à  mes yeux, c’est le fond. Que vise l’IPJ ? Si ce qu’il vise est juste, alors j’accepte ce genre de pétitions. C’est aussi simple, et compliqué, que cela. Ce que Maître Eolas nous explique, c’est qu’il ne veut pas plus de places de prison (j’imagine, puisqu’il ne parle presque pas du fond dans son article). Pour ma part, et pour l’IPJ (je précise que je ne suis pas adhérent de l’IPJ), il en faut plus. Voilà  le vrai débat : que faisons-nous, collectivement, pour éviter les multi-récidives ? Comment fait-on, concrètement, pour éviter que des personnes dangereuses puissent nuire encore et encore ? Je n’ai pas beaucoup d’autres pistes que la mise à  l’écart (la prison) pour le court-terme, et l’éducation et l’amour (dans la famille) pour le long-terme.

    Qu’a donc dans sa besace maitre Eolas qui lui permette de balayer d’un revers de manche le combat de l’IPJ ? Cela n’est pas visible dans son article – par ailleurs remarquable – de juriste. Car le fond de l’action de l’IPJ est politique, pas juridique.

    PS : la forme, c’est aussi de mettre des liens vers les sites / blogs de ceux dont on parle. Maître Eolas n’a pas mis de liens vers la vidéo ou la pétition. Le fond, c’est qu’il méprise totalement l’IPJ, et cela se sent.

  • Peut-on se changer ?

    Peut-on se changer ?

    J’ai animé pendant 5 ans un blog politique, Expression Libre. J’ai décidé récemment, faute de temps et d’énergie, de le fermer. Pour ne pas complètement écraser cette période, j’ai commandé l’impression papier des billets que j’avais publié. Un peu égocentrique, certes, mais intéressant quand même.

    J’ai tout d’abord apprécié la qualité de l’impression et de la reliure des ouvrages réçus (commandés sur Lulu.com). C’est quelque chose quand même, de tenir un ouvrage papier, et de réaliser concrètement la quantité de travail fourni.

    Ensuite, je me suis replongé par curiosité dans les premiers billets du blog, c’est-à -dire dans le début du livre. Et j’ai été frappé tout de suite par une chose : après tout ce temps passé à  réfléchir, à  lire, à  écrire, à  discuter, à  argumenter, je me sens très proche, idéologiquement, de celui qui écrivait les premiers billets sur le blog. Quoi : tout ce travail pour ne pas changer ? Tout ce chemin, pour être aussi prêt du point de départ ?

    C’est un sentiment complexe que j’éprouve depuis.

    D’un côté, je me dis qu’il est finalement très difficile de se changer soi-même, même s’il y a eu des changements (à  commencer par un changement de métier issu directement de mon activité de blogueur). Comme si une certaine conformation de l’esprit prévalait sur les éléments qu’on peut lui apporter, et sur les efforts qu’on lui fait faire. Plus d’inné que d’acquis ? Tout se joue avant six ans ? Je n’en sais rien. Est-ce simplement la continuité dans le sentiment de moi-même que je constate, ou l’inertie réelle à  se décaler soi-même ?

    D’un autre côté, cela m’évoque un tronc d’arbre, avec l’aubier (la partie vivante) et le duramen (la partie morte). Le duramen peut être plus important en volume que l’aubier, c’est quand même la partie vivante qui importe, mais qui se construit en s’appuyant sur la partie morte. C’est donc une question de valeur : le peu qui a changé pendant ces 5 ans a quand même beaucoup de valeurs à  mes yeux. Les rencontres, ce que j’ai appris, tout cela compte plus que ce que ça a changé en moi. La dynamique est là , et cela fait partie aussi de la joie que j’ai eue à  bloguer sur Expression Libre.

    D’une manière générale, ça rejoint la vieille problématique du « changement » et du « permanent ». Qu’est-ce qui reste constant dans le changement ? Le mouvement et le changement n’ont de sens qu’au regard de quelque chose qui ne change pas. Pour ceux qui seraient curieux (ou pour des lecteurs nostalgiques au point de vouloir commander ces livres) :

  • Changer de point de vue pour prendre du recul

    Changer de point de vue pour prendre du recul

    Dans l’entreprise où je travaille, je dois régulièrement envoyer des mails à  70000 personnes en interne. Autant vous dire que les premières fois, quelques gouttes de sueurs ont coulées le long de mes tempes au moment d’appuyer sur le bouton « envoyer » ! J’ai dû relire une bonne dizaine de fois le mail pour traquer la moindre faute, la moindre erreur de lien. C’est un vrai stress, une vraie responsabilité.

    Et puis, bien sûr, vient la phase où l’on se rend compte qu’il n’est peut-être pas nécessaire d’être dans un tel état de stress pour envoyer un simple mail. En se mettant à  la place des autres, c’est-à -dire de ceux qui vont recevoir ce mail, les choses prennent une tout autre perspective. Chacun des destinataires ne reçoit qu’un mail : ce n’est donc pas 70000 mails que j’envoie, c’est 1 mail à  chaque personne. Et qu’est-ce qu’un mail après tout, dans le flot quotidien ? Une broutille ! Mon objectif doit être de réussir à  rendre le contenu de ce mail attractif, incitatif, stimulant. La peur de la coquille ne fait que me détourner du vrai but à  atteindre.

    Et le simple fait de se mettre à  la place des autres, de changer de point de vue, fait prendre du recul. Je ne considère plus l’action d’envoyer 70000 mails, ou en recevoir un seul. Je regarde d’au-dessus ces deux situations bien différentes, et cela suffit à  faire prendre du recul. La prise de recul détache des émotions, et permet de mieux cerner le sens de l’action.

    Pour prendre du recul, il suffit de changer de point de vue.

  • Une fleur cueillie

    Une fleur cueillie

    Une de mes filles, la plus jeune, s’est réveillée plus tôt que d’habitude l’autre jour.

    Du coup, nous l’avons prise avec nous dans notre lit. Cette petite fille de 2 ans, couchée avec nous, pleine encore de sommeil, c’était un bonheur. Elle me faisait une petite caresse sur le nez dans le noir, et restait tranquillement allongée.

    J’ai réalisé à  nouveau à  quel point ces moments sont merveilleux, à  quel point j’ai de la chance d’avoir une famille, et des enfants. Et à  quel point les enfants, clairement, donnent un sens à  la vie. Il est sûr que je dois faire tout mon possible pour que mes enfants puissent être heureux. Cela implique d’être heureux soi-même, bien sûr, et de les aider à  se construire et peu à  peu à  s’émanciper. Å’uvrer aussi pour un monde meilleur, à  tous les niveaux. Dans la joie, et en leur donnant tout l’amour du monde. Chaque enfant mérite tout l’amour du monde ; je crois qu’en fin de compte, tout le Mal vient du manque d’amour. C’est en quoi le message de Jésus est universel, en tout cas en quoi il me touche profondément.

    Et ce sens là , formidable, il faut être capable d’y intégrer aussi un peu de raison. Tout ce bonheur, toute cette douceur et toute cette joie, peuvent disparaitre du jour au lendemain. Personne n’est à  l’abri. Je ne peux même pas imaginer ce que cela signifierait en termes de douleur, de chagrin et de désespoir ; mais je sais que c’est aussi une part de la vérité. Il est possible de la fuir, au point de l’oublier. Je ne suis pas sûr que cela soit souhaitable. J’ai choisi de mettre du sens dans quelque chose de fragile. Comment pourrait-il en être autrement, d’ailleurs ? Ce qui est beau, et bon, est souvent fragile et difficile.

    Le bonheur n’est pas un but qu’on poursuit âprement, c’est une fleur que l’on cueille sur la route du devoir. John Stuart Mill

  • Doute et décision

    Doute et décision

    Je vous recommande la lecture du très bon article de Maria Konnikova (trouvé via l’excellent Inaki Escudero et son compte twitter @inakiescudero) : « Lessons from Sherlock Holmes : don’t decide before you decide« .

    C’est un rappel très clair des biais cognitifs qui peuvent faire prendre des décisions – non pas basées sur des faits et l’analyse – mais sur des idées préconçues. Il est toujours bon de rappeler que le doute est important. Trouver des éléments qui permettent de confirmer sa théorie est bien l’inverse de la démarche scientifique, qui consiste au contraire à  chercher à  mettre en défaut sa théorie. C’est ce qu’avait synthétisé Karl Popper en décrivant le critère de falsifiabilité (en résumé, est « scientifique » toute proposition qui peut être contredite – au moins en imagination – par des faits ou par les résultats d’une expérience).

    Mais cet article m’a interpellé pour une autre raison. Il y est question de prise de décision. Et cela fait résonner mon petit article de l’autre jour, et me fait penser à  ceci : il y a un équilibre à  trouver entre le temps de la réflexion, de l’analyse, et le temps de la décision. Bien sûr, il ne faut pas décider à  la hâte, sur la base de théories à  peine testées, ou pire validées par des faits retenus dans ce but. Mais il faut aussi, en l’absence de certitudes, prendre des décisions.

    L’article « Don’t decide before you decide » est donc valable pour la réflexion policière, pour la démarche scientifique, en somme pour tout ce qui concerne la recherche de la vérité. Qui ne se nourrit pas de rapidité, de précipitation, mais au contraire d’analyse, de réflexion, de tests, d’allers-retours entre la théorie et l’expérience. Mais ce n’est pas valable complètement en ce qui concerne l’action : dans l’action, dans la mise en oeuvre, la décision est nécessaire y compris lorsque les informations sont parcellaires. La prise de risque fait partie de l’acte de décision d’action. Il faut être capable d’agir malgré le doute. Prendre des risques et avancer, sans pour autant cristalliser à  outrance son jugement. C’est un équilibre difficile à  trouver.

    Si vous êtes certain, vous vous trompez certainement, parce que rien n’est digne de certitude ; et on devrait toujours laisser place à  quelque doute au sein de ce qu’on croit ; et on devrait être capable d’agir avec énergie, malgré ce doute. — Bertrand Russell