CatĂ©gorie : 🧠 RĂ©flexions

  • RhĂ©torique du conflit

    Rhétorique du conflit

    Faut-il toujours choisir son camp ?

    Les discussions sont Ăąpres sur les rĂ©seaux sociaux. Et heureusement ! Ce n’est pas prĂšs de s’arrĂȘter, d’ailleurs, puisque la ridicule loi Avia vient de se faire sĂ©vĂšrement dĂ©sosser par le Conseil Constitutionnel. Pas de pensĂ©e libre, sans libertĂ© d’expression, et sans confrontation des idĂ©es.
    RĂ©cemment, Philippe Silberzahn, Professeur à  l’EMLyon, spĂ©cialiste des organisations et de l’innovation, a rĂ©agi dans un excellent billet à  ceux qui le sommaient « de choisir son camp ». A juste titre : si sur chaque sujet, on n’a le choix qu’entre deux camps, la rĂ©flexion est morte et il ne reste que le conflit. Se forcer à  intĂ©grer a minima 3 points de vue permet de sortir de cette logique binaire d’affrontement. Tout en Ă©tant d’accord avec tout ce qu’il Ă©crivait, je faisais la remarque qu’il existe des situations oĂč cette logique de « camps », guerriĂšre, Ă©tait adaptĂ©e : notamment les situations oĂč nous nous retrouvons dĂ©signĂ©s comme ennemis à  abattre. De toutes façons, la rĂ©flexion sur les « camps » est rapidement stĂ©rile. On est forcĂ©ment dans un camp, mĂȘme si c’est celui de ceux qui n’en choisissent pas. Les camps, comme le statut d’ennemi, nous sont en gĂ©nĂ©ral assignĂ©s par d’autres.

    Ennemis et adversaires

    Il ne s’agit pas pour autant de nier l’existence des conflits : le conflit, qui prend des formes multiples, fait partie des phĂ©nomĂšnes naturels, dans le rĂšgne animal. De tous temps, le conflit a fait partie de l’humanitĂ©, de ses mythes, de ce qui structure son histoire, de ce qui alimente la rĂ©flexion. Cela m’a rappelĂ© une distinction importante apportĂ© par Mathieu Bock-CĂŽtĂ©, dans son ouvrage « L’empire du politiquement correct » : celle entre adversaire et ennemi.

    Les significations et les imaginaires associĂ©s ne sont pas les mĂȘmes : l’ennemi envoie dans le champ de la guerre, de la haine, de la violence, tandis que l’adversaire renvoie dans le champ du combat politique, de la controverse. On cherche à  Ă©liminer un ennemi, on cherche à  avoir raison contre ses adversaires. Tous les coups sont permis avec un ennemi, on suit des rĂšgles avec un adversaire. Dans son essai, Bock-CĂŽtĂ© fait l’Ă©loge du « conflit civilisé » : le vrai conflit d’idĂ©es, qui frotte, qui fĂąche, et qui permet aux idĂ©es de se structurer, de se bousculer, d’ĂȘtre en concurrence. C’est un des outils indispensables pour rechercher la vĂ©ritĂ©. Celui qui n’est pas d’accord avec vous n’est pas nĂ©cessairement un ennemi, mais simplement un adversaire. Et celui qui est votre ennemi, à  l’inverse, n’a pas ĂȘtre traitĂ© comme un simple adversaire. Ceux qui ne veulent pas discuter, cherchent à  toujours faire voir leurs adversaires comme des ennemis. Comme ça, tous les coups (dĂ©gueulasses, sournois, injustes) sont permis. Et on peut sortir de l’Ă©change d’idĂ©es rationnel, puisque l’interlocuteur n’en est plus un : c’est un ennemi. Attaque ad hominem.

    Ce que m’ont apportĂ© les Ă©changes libres sur Twitter

    GrĂące à  ces Ă©changes instructifs, sur Twitter, j’ai pu lire, et je vous le recommande, l’article de Philippe Silberzahn, me remettre en tĂȘte cette distinction essentielle apportĂ©e par Bock-CĂŽtĂ©. J’ai pu Ă©galement me demander ce que l’on pourrait creuser à  propos de rhĂ©torique du conflit. Logos, Pathos et Ethos du conflit, ça doit permettre d’aller chercher des choses intĂ©ressantes. Le temps de me demander cela, je suis tombĂ© sur l’ouvrage de Julien Freund, « Sociologie du conflit« , qui est, du coup, dĂ©jà  installĂ© sur mon Kindle. Miam. Miam.

  • Ce que la crise rĂ©vĂšle

    Ce que la crise révÚle

    Il est bien connu qu’une maniĂšre de tester un systĂšme, c’est de le mettre « sous stress » : cela rĂ©vĂšle les failles, les problĂšmes – structurels ou non. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la crise sanitaire liĂ©e au Corona Virus (COVID-19) a bien rĂ©vĂ©lĂ© les failles du systĂšme de soin et de la sociĂ©tĂ© française. Voici quelques problĂšmes, quelques choses positives aussi, et quelques enseignements.

    Les problÚmes (re)révélés

    Crise des élites

    La crise des Ă©lites françaises, d’abord, si bien dĂ©crite par Pierre Mari, a Ă©tĂ© flagrante : gesticulation mĂ©diatique du pouvoir, navigation à  vue, discours plats du prĂ©sident. Chacun a pu observer cela. J’en reparlerai en conclusion.

    Territoires pas perdus pour tout le monde

    Il n’y avait pas de raisons que pour que cela change, mais dĂšs le dĂ©but du confinement on a pu vĂ©rifier qu’il y a dĂ©sormais plusieurs sortes de territoires en France, sĂ©parĂ©s, et n’obĂ©issant pas aux mĂȘmes rĂšgles (qui ne sont pas imposĂ©s par l’Etat). Cette rĂ©alitĂ©, montrĂ©e timidement, a vite Ă©tĂ© oubliĂ©e (heureusement certains mĂ©dias continuent à  parler du rĂ©el et il y a des sources alternatives partout sur Twitter).

    Politisation de la société

    La politisation de la justice, manipulĂ©e par des lobbys anticapitalistes et multiculturalistes a Ă©galement Ă©tĂ© bien visible (affaire Amazon, qui n’a fait que confirmer ce que l’on avait pu voir au moment de l’affaire du mur des cons, des cabales contre Zemmour, ou de l’affaire Fillon. Cette politisation est Ă©galement perceptible dans le domaine scientifique avec l’affaire Raoult : mĂ©langer science et politique est monnaie courante et devrait toujours alerter les esprits critiques. Raoult n’est pas certainement pas le sauveur que certains ont voulu voir, mais ses arguments tiennent la route, et la mise en place de tests massifs dans son IHU devraient à  minima imposer une forme de respect de la personne.

    Inflation administrative et bureaucratique

    Les deux problĂšmes mentionnĂ©s ci-dessus, ressortant d’une extension de la « politisation » de tous le sujets, me semble avoir une cause commune : l’inflation permanente du champ d’action de l’Etat. Cette inflation administrative, normative, bureaucratique, conduit à  une « soviĂ©tisation » de l’Ă©conomie française, et à  beaucoup d’inepties.
    Notamment, visible en ces temps de crises, des Ă©lĂ©ments de manque de rĂ©activitĂ© et de comprĂ©hension des prioritĂ©s. Scandaleux. Et comme les couches du mille-feuille sont multiples, on aboutit forcĂ©ment à  des dĂ©cisions arbitraires, sans vision d’ensemble : pourquoi les hyper-marchĂ©s peuvent ĂȘtre ouvert, et pas les petits commerces ?

    Classe politique globalement indigente

    Les membres de la classe politique ont montrĂ©, dans leur grand majoritĂ©, qu’ils n’incarnaient plus aucune forme de « stratĂ©gie », ou de hauteur de vue. Globalement incapables de s’inspirer de ce qui marche dans les autres pays, ou d’appeler au refus des actions idiotes (Ă©lections rĂ©gionales, avec confinement le lendemain). Je ne parle mĂȘme pas des rĂ©actions du monde syndical, tant il nous avait dĂ©jà  montrĂ© à  quel point ils Ă©taient hors de la rĂ©alitĂ© vĂ©cue par les français.

    Idéologisation des esprits et utopie

    La difficultĂ© à  ĂȘtre dans le rĂ©el, justement, et à  rĂ©soudre les problĂšmes qui se posent à  nous, ici et maintenant, fait partie de ce qui est ressorti de plus pĂ©nible. Obsession de l’idĂ©al, et de l’aprĂšs, trĂšs bien dĂ©crite et analysĂ©e par Philippe Silberzahn. Cette forme d’obsession utopique, et de prĂ©fĂ©rence pour les idĂ©aux, me semble ĂȘtre dans le mĂȘme registre passif que la « vĂ©nĂ©ration/dĂ©testation » des dirigeants : on a passĂ© plus de temps à  commenter les discours de Macron, dans la sphĂšre mĂ©diatique, qu’à  rĂ©flĂ©chir aux moyens qui pourraient ĂȘtre mis en oeuvre pour pallier à  nos manques.
    Dans ce monde hors-sol, il est logique que les constructivistes aux manettes continuent à  utiliser les mĂȘmes leviers, addictifs, que d’habitude : l’argent sort de terre (ou plutĂŽt de la planche à  billet), pourquoi ne pas en distribuer à  tout le monde ? Nous continuons de prĂ©parer la prochaine crise financiĂšre.

    Quelques sources d’espoir

    Solidarité et entraide spontanées

    Il y a malgrĂ© tout, quelques signes encourageants. La capacitĂ© des gens à  spontanĂ©ment s’organiser a Ă©tĂ© remarquable. J’applaudis à  ma fenĂȘtre, et je suis content de voir mes voisins et les saluer. Je n’applaudis pas les soignants, mais l’ensemble des gens qui sont en premiĂšre ligne, sans masques, depuis plusieurs semaines (livreurs, policiers, vendeurs, etc.). J’ai Ă©galement trouvĂ© salutaire l’effervescence de production et de partage de blagues sur le confinement, extraordinaire soupape, et moyen de prise de recul par rapport à  des nouvelles trĂšs anxiogĂšnes. Les forces d’entraide et de solidaritĂ©s ont jouĂ© à  tous les niveaux (y compris au niveau des si dĂ©criĂ©es et honnies entreprises).

    Emergence de nouvelles figures ?

    Il est trop tĂŽt pour le dire, mais j’aime à  penser que certaines voix qui se sont confirmĂ©es ou qui ont Ă©mergĂ©es dans ces temps de crises comme Ă©tant porteuses de vision structurĂ©es pour la France, prendront de l’importance dans l’aprĂšs.

    Enseignements : retour aux principes de base

    Deux principes me paraissent essentiels à  mettre en avant pour garder une forme de luciditĂ©. La responsabilitĂ©, et l’esprit critique.

    Et la responsabilité, bordel ?

    Il est grand temps de redonner sa place à  la responsabilitĂ©, indispensable composante de la libertĂ©. Seuls des individus peuvent ĂȘtre responsable. On est responsable de quelque chose, devant quelqu’un. Il me semble qu’un certain nombre des maux dĂ©crits ci-dessus sont en partie causĂ© par un manque gĂ©nĂ©ralisĂ© d’esprit de responsabilitĂ©. Il ne s’agit pas de chercher des coupables, simplement de remettre cette logique d’action au coeur de l’organisation sociale. Devant qui sont responsables les juges ? Devant qui le gouvernement est-il responsable ? Devant qui l’obscur fonctionnaire qui interdit à  un entrepreneur de vendre des masques est-il responsable ? Devant qui sont responsables ceux qui n’envoient pas les malades en surnombre vers les cliniques privĂ©es ? Tous ces fonctionnaires, ou membres de l’appareil d’Etat, ou de la sphĂšre publique, devraient ĂȘtre responsables devant les contribuables, et devant le peuple. L’Etat doit ĂȘtre au service du peuple, et pas l’inverse. Quelles procĂ©dures allons-nous mettre en place pour Ă©viter les dysfonctionnement et les dĂ©cisions absurdes ? Les Ă©lites ne pourront ĂȘtre rĂ©habilitĂ©s dans l’esprit des français que s’ils endossent, en mĂȘme temps que le pouvoir, des responsabilitĂ©s.

    Esprit critique

    A titre personnel, je traverse cette crise Ă©tant plus convaincu que jamais qu’il est indispensable d’apprendre à  penser par soi-mĂȘme. Les experts de l’OMS ont donnĂ©, sur le port des masques, des avis contradictoires à  une semaine d’intervalle. Personne ne peut penser, ou Ă©valuer à  notre place. Si les français apprennent à  nouveau à  penser par eux mĂȘmes, à  sortir des carcans idĂ©ologiques qui empĂȘchent de voir le rĂ©el, alors cette crise aura peut-ĂȘtre apportĂ© une bonne chose. EspĂ©rons que peu à  peu cela permette de sortir de la double impasse dans laquelle nous sommes : socialiste, et multiculturaliste.

    Quelques rĂšgles d’hygiĂšne de pensĂ©e, pour complĂ©ter l’hygiĂšne du langage, sont toujours utiles à  rappeler ou à  intĂ©grer dans nos habitudes.

    • Ne pas accepter les arguments d’autoritĂ©, tout en Ă©coutant les experts
    • Laisser une place au doute, et comparer plusieurs points de vue avant de se faire une opinion
    • Distinguer ce qui est de l’ordre des faits / Ă©noncĂ©s sur la rĂ©alitĂ©, et ce qui est de l’ordre des reprĂ©sentations / interprĂ©tations de cette rĂ©alitĂ©
    • Se mĂ©fier de ceux qui cherchent à  Ă©viter le rĂ©el

    Il y en certainement plein d’autres : vous les partagez en commentaire ?

  • Innovation pour les nuls

    Innovation pour les nuls

    Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’innovation, la crĂ©ativitĂ©, et leur place dans les entreprises. Il manquait un index à  cette sĂ©rie d’articles consacrĂ©es à  l’innovation, et je publie donc ce post pour regrouper les diffĂ©rents articles « Innovation pour les nuls ». En voici la liste :

    Bien entendu, je ne me prĂ©sente pas comme un expert : n’hĂ©sitez pas à  challenger, questionner, discuter, tous ces contenus ! Je les publies ici pour garder une trace, mĂȘme peu construite, des rĂ©flexions qui sont les miennes, ou des connaissances qui me paraissent utiles. Vous pouvez Ă©galement commenter pour demander un article sur tel ou tel sujet (en lien avec innovation et crĂ©ativitĂ© bien sĂ»r) : si je le maĂźtrise suffisamment je le produirai avec plaisir. C’est ça aussi, l’innovation pour les nuls ! Bonne lecture !

  • L’hygiĂšne du langage d’Orwell

    L’hygiĂšne du langage d’Orwell

    Je ne rĂ©siste pas au plaisir de partager avec vous un trĂšs beau texte de George Orwell, datant de 1946, et consacrĂ© aux liens entre langage et pensĂ©e. On connait la rĂ©flexion d’Orwell dans 1984 sur le langage, avec la « novlangue« . Pour penser juste, il faut utiliser correctement le langage. Mode d’emploi.

    Parler bien pour bien penser

    Si vous lisez ce blog, vous savez qu’il correspond Ă   un effort que j’essaye de faire pour penser correctement.

    Travaillons donc Ă   bien penser : voilĂ   le principe de la morale.

    Blaise Pascal (1623 – 1662)mathĂ©maticien, physicien, inventeur, philosophe, moraliste et thĂ©ologien français

    Penser correctement, cela veut dire, bien sĂ»r, ĂȘtre conscient des biais cognitifs susceptibles d’altĂ©rer la qualitĂ© de notre rĂ©flexion. Mais Ă©galement, sur un plan diffĂ©rent, il faut toujours ĂȘtre conscient que penser ne peut se faire qu’en utilisant le langage, qui est la forme de la pensĂ©e (une pensĂ©e sans langage est informe).

    Ce matin dans ma boite mail, j’avais la newsletter du site PolĂ©mia, et en me baladant sur ce site je suis tombĂ© sur un texte d’Orwell (article de PolĂ©mia, citant lui-mĂȘme une traduction disponible en ligne sur Espace contre Ciment), qui est un trĂšs joli petit essai de 1946, La politique et la langue anglaise. Je ne rĂ©siste pas Ă   vous partager, donc, ce texte, essentiel Ă   mes yeux.

    Quelques extraits pour la route

    Tout d’abord quelques rĂšgles d’Ă©critures que je garde ici :
    Mais il arrive souvent que l’on Ă©prouve des doutes sur l’effet d’un terme ou d’une expression, et il faut pouvoir s’appuyer sur des rĂšgles quand l’instinct fait dĂ©faut. Je pense que les rĂšgles suivantes peuvent couvrir la plupart des cas :
    1. N’utilisez jamais une mĂ©taphore, une comparaison ou toute autre figure de rhĂ©torique que vous avez dĂ©jĂ   lue Ă   maintes reprises.
    2. N’utilisez jamais un mot long si un autre, plus court, peut faire l’affaire.
    3. S’il est possible de supprimer un mot, n’hĂ©sitez jamais Ă   le faire.
    4. N’utilisez jamais le mode passif si vous pouvez utiliser le mode actif.
    5. N’utilisez jamais une expression Ă©trangĂšre, un terme scientifique ou spĂ©cialisĂ© si vous pouvez leur trouver un Ă©quivalent dans la langue de tous les jours.
    6. Enfreignez les rĂšgles ci-dessus plutĂŽt que de commettre d’évidents barbarismes.

    Et puis le dĂ©but du texte, pour vous donner envie de le lire…
    La plupart des gens qui s’intĂ©ressent un peu Ă   la question sont disposĂ©s Ă   reconnaĂźtre que la langue anglaise est dans une mauvaise passe, mais on s’accorde gĂ©nĂ©ralement Ă   penser qu’il est impossible d’y changer quoi que ce soit par une action dĂ©libĂ©rĂ©e. Notre civilisation Ă©tant globalement dĂ©cadente, notre langue doit inĂ©vitablement, selon ce raisonnement, s’effondrer avec le reste. Il s’ensuit que lutter contre les abus de langage n’est qu’un archaĂŻsme sentimental, comme de prĂ©fĂ©rer les bougies Ă   la lumiĂšre Ă©lectrique ou l’élĂ©gance des fiacres aux avions. A la base de cette conception, il y a la croyance Ă   demi consciente selon laquelle le langage est le rĂ©sultat d’un dĂ©veloppement naturel et non un instrument que nous façonnons Ă   notre usage. Il est certain qu’en derniĂšre analyse une langue doit son (La langue) devient laide et imprĂ©cise parce que notre pensĂ©e est stupide, mais ce relĂąchement constitue Ă   son tour une puissante incitation Ă   penser stupidement.dĂ©clin Ă   des causes politiques et Ă©conomiques : il n’est pas seulement dĂ» Ă   l’influence nĂ©faste de tel ou tel Ă©crivain. Mais un effet peut devenir une cause, qui viendra renforcer la cause premiĂšre et produira un effet semblable sous une forme amplifiĂ©e, et ainsi de suite. Un homme peut se mettre Ă   boire parce qu’il a le sentiment d’ĂȘtre un ratĂ©, puis s’enfoncer d’autant plus irrĂ©mĂ©diablement dans l’échec qu’il s’est mis Ă   boire. C’est un peu ce qui arrive Ă   la langue anglaise. Elle devient laide et imprĂ©cise parce que notre pensĂ©e est stupide, mais ce relĂąchement constitue Ă   son tour une puissante incitation Ă   penser stupidement. Pourtant ce processus n’est pas irrĂ©versible. L’anglais moderne, et notamment l’anglais Ă©crit, est truffĂ© de tournures vicieuses qui se rĂ©pandent par mimĂ©tisme et qui peuvent ĂȘtre Ă©vitĂ©es si l’on veut bien s’en donner la peine. Si l’on se dĂ©barrasse de ces mauvaises habitudes, on peut penser plus clairement, et penser clairement est un premier pas, indispensable, vers la rĂ©gĂ©nĂ©ration politique ; si bien que le combat contre le mauvais anglais n’est pas futile et ne concerne pas exclusivement les Ă©crivains professionnels.
    Lire la suite : La politique et la langue anglaise.

  • Autrui oblige

    Autrui oblige

    Je poste ici de modestes recensions des ouvrages que je lis, parfois quelques rĂ©flexions qui me paraissent importantes – pour moi – à  structurer. C’est un blog personnel, Ă©minemment confidentiel. Mais il arrive que certains articles soient lus, parfois par l’auteur du livre en question, parfois simplement par les lecteurs plus ou moins rĂ©guliers du blog. Cela remet l’accent sur le caractĂšre public de l’Ă©criture sur un blog. A partir du moment oĂč l’on Ă©crit en ligne, on est responsable de ce qu’on Ă©crit. Je ne parle pas ici de l’aspect responsabilitĂ© juridique, mais de la responsabilitĂ© morale.

    Lorsque j’Ă©cris un billet, je me demande souvent ce que les lecteurs Ă©ventuels pourraient penser, ou ressentir, à  la lecture. Cela force à  peser chaque mot, bien sĂ»r : il faudra assumer, Ă©ventuellement, d’avoir Ă©crit telle ou telle phrase, et l’Ă©crit n’est pas l’oral. Argumenter, expliquer. C’est la fonction de la zone de commentaires.

    Mais cela force à  peser ses mots dans un autre sens : il y a une responsabilitĂ© dans l’Ă©criture, comme dans la prise de parole, à  ne pas blesser autrui. Non pas une maniĂšre de ne plus dire les choses, ou de mĂ©nager les susceptibilitĂ©s, mais plutĂŽt, comme avec les enfants, apprendre à  choisir la bonne formulation : « je n’aime pas », plutĂŽt que « ce n’est pas bon ». Dire la vĂ©ritĂ©, crue, sans qu’une personne innocente ou fragile puisse se sentir attaquĂ©e ou montrĂ©e du doigt. D’ailleurs, non : dire la vĂ©ritĂ© sans attaquer ou montrer du doigt des personnes. Si certains se sentent attaquĂ©s, c’est une autre histoire. Le but est simple : ne pas blesser volontairement, faire attention à  viser la vĂ©ritĂ© plus que l’effet sur autrui. En miroir, cela implique de dire la vĂ©ritĂ© sans flagornerie ou volontĂ© de plaire non plus.

    Il y a toute une petite mĂ©canique mentale, une hygiĂšne de la parole, une politesse, à  laquelle la vĂ©ritĂ© et la prĂ©sence potentielle d’autrui nous obligent.

  • La quĂȘte inachevĂ©e

    La quĂȘte inachevĂ©e

    Ce petit livre extraordinaire n’est rien de moins que l’autobiographie philosophique de Karl Popper. « L’autobiographie d’un penseur qui a bouleversĂ© la rĂ©flexion sur la science et la philosophie politique », comme le prĂ©cise le 4Ăšme de couverture de mon Ă©dition de poche, « La quĂȘte inachevĂ©e constitue le meilleur rĂ©sumĂ© disponible des positions de Karl Popper dans les principaux domaines oĂč s’est exercĂ©e de son activitĂ© philosophique : Ă©pistĂ©mologie et mĂ©thodologie scientifique, philosophie politique et sociale, philosophie gĂ©nĂ©rale, voire mĂ©taphysique », comme le dit l’Ă©diteur Calmann-Levy sur son site. Il l’a Ă©crite en 1969, Ă   67 ans.

    Popper est un de mes penseurs prĂ©fĂ©rĂ©s, vous le savez si vous lisez ce blog. HonnĂȘte, rigoureux, critique. La quĂȘte dont il est question est Ă©videmment la quĂȘte de la vĂ©ritĂ©. J’ai adorĂ© ce livre qui synthĂ©tise Ă©normĂ©ment de choses, toujours de maniĂšre accessible. On y dĂ©couvre en filigrane un homme gĂ©nial (au sens propre du terme), apprenti Ă©bĂ©niste, puis philosophe, puis spĂ©cialiste des sciences et de l’Ă©pistĂ©mologie, il a pu dialoguer en direct avec les plus grands esprits de son temps (Einstein, Schrödinger, Russell, Hayek et bien d’autres). EmigrĂ© en Nouvelle-ZĂ©lande un temps, il a fini sa vie en Angleterre.

    Jetez-vous sur ce livre, si vous aimez rĂ©flĂ©chir. J’avoue que relire ses rĂ©flexions passionnantes m’a amenĂ© Ă   me demander s’il existe des connaissances (au sens scientifique du terme) dans le domaine de la morale. J’ai trouvĂ© cette question si passionnante, que j’ai commencĂ© Ă   chercher sur internet, et je suis tombĂ© sur un livre de Charles Larmore, datant de 1993, oĂč cette question est traitĂ©e. Ce n’est pas un hasard si dĂšs l’intro, Larmore y cite Popper comme un des rares philosophes qui ne se soit pas trompĂ© sur la nature des connaissances et de la philosophie. Le bouquin de Larmore, « ModernitĂ© et Morale » est tout simplement Ă©poustouflant (je n’en suis qu’au tout dĂ©but, mais je sens que ça va devenir un de mes livres de chevet).

    Larmore et Popper partagent une qualitĂ© rare parmi les philosophes : la clartĂ©. Je recopie ici pour finir mon billet la trĂšs belle dĂ©finition qu’en donne Larmore :

    Une position philosophique est claire dans la mesure oĂč l’on spĂ©cifie les conditions dans lesquelles on l’abandonnerait. Et cette tĂąche devient d’autant plus rĂ©alisable qu’on situe sa position vis-Ă  -vis des opinions communes sur le sujet. Une certaine solidaritĂ©, comme on verra, est donc essentielle Ă   la clartĂ©.