Étiquette : Conception Innovante

  • ChatGPT, ressource pour la conception innovante ?

    ChatGPT, ressource pour la conception innovante ?

    A moins d’avoir vécu sur une autre planète, vous avez forcément entendu parler de ChatGPT. Peut-être n’en avez-vous rien à faire, ce qui est votre droit le plus strict. Mais il faut reconnaître que l’outil est d’une puissance terriblement intéressante, et suscite plein d’usages nouveaux. Dans cet article, je reviens brièvement sur ChatGPT, la théorie C-K, et un usage intéressant de chatGPT comme ressource de conception.

    ChatGPT

    ChatGPT, c’est une interface en langage naturel avec une intelligence artificielle qui sait aller chercher, structurer et regrouper, et formaliser à peu près tout et n’importe quoi : vous lui demandez un truc, et elle vous répond. Les réponses sont en général de très bonne qualité, et en apprenant à poser les bonnes questions, on est vraiment bluffé… Essayez, vous verrez. :)
    Le nombre d’article consacrés à Chatgpt dans les dernières semaines dépasse largement ce que j’aurai le temps de lire dans une année entière. Je vous recommande simplement la lecture de Philippe Silberzahn qui a bien souligné en quoi c’était innovant, « disruptif », et pourquoi les GAFAM n’ont pas pris le sujet à la légère.
    Comme toutes les IA et les plateformes soumises au droit positif et aux lubies parfois étranges des humains, certaines barrières ont été mises en place pour garder chatgpt dans le cadre du politiquement correct ; c’est une erreur à mon sens – cela induit de gros biais -, mais c’est une autre discussion. Pour savoir quels sont les risques à utiliser ChatGPT, un petit organigramme a été créé par Aleksandr Tiulkanov. Vraiment c’est un outil magnifique. Les usages sont presque infinis, comme moyens d’interagir avec les données, comme outil de génération de contenus, comme outil de multiplication des usages possibles du NLP, etc, etc.

    Créativité et Théorie C-K

    J’utilise et j’enseigne quelques éléments de créativité et de conception innovante, notamment en m’appuyant sur la théorie C-K. Je vous renvoie à mon article sur la créativité, mais redonnons deux exemples concrets d’objets mentaux (connaissances et concepts, Knowledges et Concepts), et deux modes de raisonnement, que l’on manipule en partant d’un cas précis, une voiture (si vous remplacez voiture par n’importe quoi d’autre ça fonctionne toujours) :

    • Complétez la phrase suivante, sans réfléchir outre mesure. Un exemple de voiture est :… Si vous êtes normalement constitué, vous avez dû penser à des voitures (des modèles, des marques) : une renault 4L, une Mercedès classe A, une Mehari, etc. Ce sont des connaissances : vous êtes allés puiser dans vos connaissances. Cette liste est finie (vous aurez un moment épuisé vos connaissances, ou vous aurez approfondi en listant toutes les voitures existantes), et il est possible de se tromper (si je prolonge la phrase avec « abri-bus », c’est faux).
    • Complétez à présent la phrase suivante. Une voiture est un exemple de :… si vous avez répondu vite, vous avez probablement dit « moyen de transport », ou « véhicule », ou « objet à 4 roues ». Vous avez produit des concepts. Cette liste est presque infinie (on peut toujours imaginer de nouveaux liens entre l’objet voiture et des concepts), et il n’est pas vraiment possible d’avoir faux (les concepts n’ont pas de statut logique). Une voiture est un exemple d’objet où je peux dormir, qui m’abrite du vent et de la pluie, qui est fait de plastique et de métal, etc. etc.

    L’apport génial d’Armand Hatchuel et Benoit Weil, puis de Pascal Le masson, a été de théoriser de manière générale les raisonnements de conception en montrant qu’ils s’appuient sur la manipulation séparée, mais conjointe, d’objets de ces deux espaces (concepts et connaissances). Des opérateurs propres à chaque espace, et permettant les passages de l’un à l’autre existent. Passionnant ! Je vous renvoie aux travaux du CGS de l’Ecole des Mines, à mon article sur la conception innovante et C-K, et au très bon site Theory C-K pour en savoir plus.

    ChatGPT, créativité et C-K

    En préparant une petite présentation sur créativité et C-K à destination de mes collègues, nous avons eu l’idée avec un collègue (Maël pour ne pas le nommer), de tester ces phrases (sur les voitures) sur ChatGPT. Et puis dans une séance de C-K, je me suis dit que l’on pourrait systématiser cet usage et faire de ChatGPT un adjoint du travail de conception innovante, permettant de compléter les connaissances, et générer de nouveaux concepts et ainsi de rendre plus systématique et créative l’exploration en C-K. Creusons un peu le sujet.

    Connaissances et concepts

    J’avais commencé à par demander à ChatGPT de compléter la phrase : « un exemple de voiture est… ». Voici la réponse apportée.

    Et ensuite, la phrase pour forcer les concepts, réponse en image.

    Je pensais que j’avais un peu coincé l’IA, et qu’elle avait du mal à défixer du concept de véhicule. Mais pas du tout, j’avais simplement mal posé la question. Voilà ce qu’il produit avec une question mieux posée – merci Maël! -, et l’incitant à s’autoriser un peu de créativité (décalage du regard sur l’objet, ou « casser » des caractéristiques considérées comme majeures pour l’identité de l’objet) :

    C’est déjà beaucoup plus riche, et beaucoup plus intéressant ! Il est donc relativement simple de forcer ChatGPT à produire des concepts. A creuser pour optimiser (notamment le forcer à ne pas mélanger les concepts différents en une seule phrase), mais la possibilité est là.

    Exploration C-K

    Nous avons ensuite sur un cas concret d’exercice C-K (C0= »la montre qui prend soin de moi »), joué avec ChatGPT. C’était très intéressant car c’est à la fois un super pourvoyeur de connaissances, mais donc aussi un très bon producteur de concepts. A minima, cela permet de tester la robustesse de l’arborescence de concepts, d’en identifier de nouveaux. Mais cela permet aussi, sur certains concepts projecteurs, de lui faire générer des caractéristiques supplémentaires très rapidement, et donc de provoquer des expansions rapides et relativement rigoureuses de certains endroits de l’arbre. Je vais maintenant tester sa capacité à faire des liens entre deux « idées », ou « concepts », ou « connaissances », car cela peut-être aussi très utile.

    Super opportunité

    J’invite tous les concepteurs à tester les usages rendus possibles par ChatGPT dans leurs activités, car il me semble que c’est un très beau terrain de jeu et d’exploration. Si j’étais capable de programmer, je programmerais un algo utilisant ChatGPT pour construire automatiquement une arborescence de concepts et une cartographie de connaissances à partir d’un C0. En l’autorisant à remonter en concept sur le C0, au besoin, mais à la recherche d’éléments présentant de la valeur. Il faudrait programmer aussi une « fonction d’évaluation de la valeur », une « fonction d’évaluation de la générativité », pour que le programme comprenne à quel endroit il peut être intéressant de creuser. On pourrait ainsi générer presqu’automatiquement des concepts projecteurs, des idées créatives, en partant d’un brief.
    Update : petite discussion où je demande à chatgpt de faire un CK pour moi. Impressionnant:
    do you know CK

    Et vous ? Avez-vous testé chatGPT ? Voyez-vous des usages pertinents dans votre secteur ?

  • L’innovation pour les nuls #3 – Exploitation et exploration

    L’innovation pour les nuls #3 – Exploitation et exploration

    L’article précédent se terminait sur les tensions entre les activités concernant le « maintenant » et le « demain », au sein des entreprises. Ces tensions sont le coeur de l’innovation. Articuler ces deux mondes nécessaires, organiser le dialogue entre les acteurs qui en portent la responsabilité. Et pour pouvoir dialoguer, il faut avoir un langage commun. Plusieurs cadres conceptuels permettent de penser tout cela, et de disposer de ce langage commun. J’aime beaucoup l’approche des 3 horizons, et je trouve très éclairants les éléments structurés dans un cadre de sciences de gestion par les chercheurs de l’Ecole des Mines (Laboratoire Centre de Gestion Scientifique). Voyons tout cela (en très résumé) ! Ces deux approches ont en commun d’expliciter des natures d’activités différentes qui coexistent au sein d’une même entreprise, et de rendre lisible leurs différences. On ne gère pas de la même manière les opérations courantes, et les activités d’exploration.

    3 horizons

    Comme toujours, Philippe Silberzahn en a fait un excellent article. Pour résumer, les 3 horizons concernent les activités matures (H1), les activités en croissance (H2), et les activités émergentes (H3). Le tableau suivant donne les éléments principaux.

    Le point qui me semble crucial, et ce sera aussi le cas pour l’approche ci-après, c’est que l’on n’évalue pas des activités différentes avec les mêmes critères de performance.

    RID & Conception Innovante

    (Pour ceux qui veulent plus de détails, je vous renvoie à  un article plus détaillé, écrit en sortant de formation). J’avais appris beaucoup lors de cette formation à  l’Ecole des Mines. Le modèle RID, tout d’abord, très utile dans des boites technologiques, où la confusion règne souvent entre R&D, et innovation. Quelques définitions, centrées sur les connaissances et les compétences de l’entreprise :

    • La Recherche est un processus contrôlé de production de connaissances
    • le Développement est un processus contrôlé, activant les compétences existantes pour spécifier un système en accord avec le cahier des charges prédéfini
    • L’Innovation définit la valeur, et est un processus de construction des compétences

    Il est à  mon avis utile et structurant de passer du temps à  comprendre ce qu’est un régime de conception. Un régime de conception se définit par 3 caractéristiques : des raisonnements, des modes d’évaluation de la performance, et des organisations. On peut décrire – au moins – deux grands régimes de conception dans les activités d’une entreprise : le régime de conception réglée, et le régime de conception innovante. J’aime bien synthétiser cela sous la forme d’un tableau et de deux images illustrant une métaphore.

    « ‹ Conception Réglée (D) « ‹Conception Innovante (I) »‹
    Raisonnements Design formel, « ‹Design fonctionnel, Design détaillé C-K, revisiter l’identité des objets
    Evaluation de la performance « ‹Qualité – Coût – Délai « ‹Variété, Valeur, Originalité, Robustesse
    « ‹Organisation « ‹Projets « ‹Equipe multidisciplinaire, itération

    Pour rendre ce tableau plus digeste, j’utilise en général une métaphore forestière : la conception réglée, c’est comme construire une route à  travers une forêt, quand on en a déjà  fait plusieurs. La conception innovante, c’est explorer une forêt en cherchant à  y trouver tout ce qui peut avoir de la valeur.

    De manière schématique, la conception réglée c’est le domaine de compétences de l’entreprise : elle a déjà  construit des routes, et sait dire au début ce qu’est un objet « route ». Les compétences nécessaires, le budget, le temps, tout cela est plus ou moins connu au démarrage des travaux. Il y aura de l’imprévu, des embûches, et des innovations incrémentales pendant ce chantier, mais à  la fin on sais ce que l’on conçoit et construit : une route.
    La conception innovante, c’est le fait d’aller explorer la forêt. Peut-être y trouvera-t-on des endroits pour faire des routes, mais aussi des puits d’eau, des mines d’or, des arbres aux fruits magiques. Il est probable qu’il faudra aller chercher des compétences hors de l’entreprise pour comprendre ce que l’on aura trouvé dans cette forêt. Le premier livrable de cette exploration, c’est la carte de la forêt, la plus complète possible (y compris en ayant analysé et compris les objets inconnus que l’on y a trouvé, sous l’angle de la valeur). Une autre caractéristique des raisonnements de conception innovante, c’est qu’ils conduisent à  revisiter l’identité de l’objet conçu. Nous y reviendrons dans l’article consacré à  la créativité, mais vous pouvez déjà  lire à  profit l’excellent article d’Armand Hatchuel sur ce sujet : « Quelle analytique de la conception ? Parure et pointe en design. ».
    Tout l’enjeu, à  mon sens, est de faire dialoguer ces deux activités très différentes, par leur nature, comme dans leur mode d’évaluation. Le plus gros risque serait d’évaluer la Conception Réglée avec les critères de performance de la Conception Innovante, et vice versa.

    Fort heureusement, il existe un MOOC conçu et présenté par Armand Hatchuel et Sophie Hooge, de l’Ecole des mines, qui revient sur tout cela et sur bien d’autres choses encores : Concevoir pour innover. Nous reviendrons dans un article ultérieur – probablement le #5 – sur les raisonnements de conception,
    et sur la créativité.

    Conclusion

    La prochaine fois nous parlerons de « mission ». C’est un sujet que je trouve passionnant, car c’est la clef de voûte permettant d’articuler le dialogue nécessaire mentionné en introduction. Un levier puissant pour penser à  la fois le « maintenant » et le « demain », c’est bien entendu d’assumer la nature organique de l’activité des entreprises, et d’expliciter la mission de l’entreprise, le sens de ce travail collectif. Y compris dans son aspect évolutif.

    Un bénéfice direct à  l’écriture de ces articles : j’ai découvert grâce à  ma collègue ce très beau cadre concepteur, sur les 3 structures existantes dans les entreprises, et en parlant avec Frédéric Touvard, j’ai pu découvrir l’approche de Berne (livre commandé à  l’instant, miam, miam).

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