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  • Ce que la crise révèle

    Ce que la crise révèle

    Il est bien connu qu’une manière de tester un système, c’est de le mettre « sous stress » : cela révèle les failles, les problèmes – structurels ou non. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la crise sanitaire liée au Corona Virus (COVID-19) a bien révélé les failles du système de soin et de la société française. Voici quelques problèmes, quelques choses positives aussi, et quelques enseignements.

    Les problèmes (re)révélés

    Crise des élites

    La crise des élites françaises, d’abord, si bien décrite par Pierre Mari, a été flagrante : gesticulation médiatique du pouvoir, navigation à  vue, discours plats du président. Chacun a pu observer cela. J’en reparlerai en conclusion.

    Territoires pas perdus pour tout le monde

    Il n’y avait pas de raisons que pour que cela change, mais dès le début du confinement on a pu vérifier qu’il y a désormais plusieurs sortes de territoires en France, séparés, et n’obéissant pas aux mêmes règles (qui ne sont pas imposés par l’Etat). Cette réalité, montrée timidement, a vite été oubliée (heureusement certains médias continuent à  parler du réel et il y a des sources alternatives partout sur Twitter).

    Politisation de la société

    La politisation de la justice, manipulée par des lobbys anticapitalistes et multiculturalistes a également été bien visible (affaire Amazon, qui n’a fait que confirmer ce que l’on avait pu voir au moment de l’affaire du mur des cons, des cabales contre Zemmour, ou de l’affaire Fillon. Cette politisation est également perceptible dans le domaine scientifique avec l’affaire Raoult : mélanger science et politique est monnaie courante et devrait toujours alerter les esprits critiques. Raoult n’est pas certainement pas le sauveur que certains ont voulu voir, mais ses arguments tiennent la route, et la mise en place de tests massifs dans son IHU devraient à  minima imposer une forme de respect de la personne.

    Inflation administrative et bureaucratique

    Les deux problèmes mentionnés ci-dessus, ressortant d’une extension de la « politisation » de tous le sujets, me semble avoir une cause commune : l’inflation permanente du champ d’action de l’Etat. Cette inflation administrative, normative, bureaucratique, conduit à  une « soviétisation » de l’économie française, et à  beaucoup d’inepties.
    Notamment, visible en ces temps de crises, des éléments de manque de réactivité et de compréhension des priorités. Scandaleux. Et comme les couches du mille-feuille sont multiples, on aboutit forcément à  des décisions arbitraires, sans vision d’ensemble : pourquoi les hyper-marchés peuvent être ouvert, et pas les petits commerces ?

    Classe politique globalement indigente

    Les membres de la classe politique ont montré, dans leur grand majorité, qu’ils n’incarnaient plus aucune forme de « stratégie », ou de hauteur de vue. Globalement incapables de s’inspirer de ce qui marche dans les autres pays, ou d’appeler au refus des actions idiotes (élections régionales, avec confinement le lendemain). Je ne parle même pas des réactions du monde syndical, tant il nous avait déjà  montré à  quel point ils étaient hors de la réalité vécue par les français.

    Idéologisation des esprits et utopie

    La difficulté à  être dans le réel, justement, et à  résoudre les problèmes qui se posent à  nous, ici et maintenant, fait partie de ce qui est ressorti de plus pénible. Obsession de l’idéal, et de l’après, très bien décrite et analysée par Philippe Silberzahn. Cette forme d’obsession utopique, et de préférence pour les idéaux, me semble être dans le même registre passif que la « vénération/détestation » des dirigeants : on a passé plus de temps à  commenter les discours de Macron, dans la sphère médiatique, qu’à  réfléchir aux moyens qui pourraient être mis en oeuvre pour pallier à  nos manques.
    Dans ce monde hors-sol, il est logique que les constructivistes aux manettes continuent à  utiliser les mêmes leviers, addictifs, que d’habitude : l’argent sort de terre (ou plutôt de la planche à  billet), pourquoi ne pas en distribuer à  tout le monde ? Nous continuons de préparer la prochaine crise financière.

    Quelques sources d’espoir

    Solidarité et entraide spontanées

    Il y a malgré tout, quelques signes encourageants. La capacité des gens à  spontanément s’organiser a été remarquable. J’applaudis à  ma fenêtre, et je suis content de voir mes voisins et les saluer. Je n’applaudis pas les soignants, mais l’ensemble des gens qui sont en première ligne, sans masques, depuis plusieurs semaines (livreurs, policiers, vendeurs, etc.). J’ai également trouvé salutaire l’effervescence de production et de partage de blagues sur le confinement, extraordinaire soupape, et moyen de prise de recul par rapport à  des nouvelles très anxiogènes. Les forces d’entraide et de solidarités ont joué à  tous les niveaux (y compris au niveau des si décriées et honnies entreprises).

    Emergence de nouvelles figures ?

    Il est trop tôt pour le dire, mais j’aime à  penser que certaines voix qui se sont confirmées ou qui ont émergées dans ces temps de crises comme étant porteuses de vision structurées pour la France, prendront de l’importance dans l’après.

    Enseignements : retour aux principes de base

    Deux principes me paraissent essentiels à  mettre en avant pour garder une forme de lucidité. La responsabilité, et l’esprit critique.

    Et la responsabilité, bordel ?

    Il est grand temps de redonner sa place à  la responsabilité, indispensable composante de la liberté. Seuls des individus peuvent être responsable. On est responsable de quelque chose, devant quelqu’un. Il me semble qu’un certain nombre des maux décrits ci-dessus sont en partie causé par un manque généralisé d’esprit de responsabilité. Il ne s’agit pas de chercher des coupables, simplement de remettre cette logique d’action au coeur de l’organisation sociale. Devant qui sont responsables les juges ? Devant qui le gouvernement est-il responsable ? Devant qui l’obscur fonctionnaire qui interdit à  un entrepreneur de vendre des masques est-il responsable ? Devant qui sont responsables ceux qui n’envoient pas les malades en surnombre vers les cliniques privées ? Tous ces fonctionnaires, ou membres de l’appareil d’Etat, ou de la sphère publique, devraient être responsables devant les contribuables, et devant le peuple. L’Etat doit être au service du peuple, et pas l’inverse. Quelles procédures allons-nous mettre en place pour éviter les dysfonctionnement et les décisions absurdes ? Les élites ne pourront être réhabilités dans l’esprit des français que s’ils endossent, en même temps que le pouvoir, des responsabilités.

    Esprit critique

    A titre personnel, je traverse cette crise étant plus convaincu que jamais qu’il est indispensable d’apprendre à  penser par soi-même. Les experts de l’OMS ont donné, sur le port des masques, des avis contradictoires à  une semaine d’intervalle. Personne ne peut penser, ou évaluer à  notre place. Si les français apprennent à  nouveau à  penser par eux mêmes, à  sortir des carcans idéologiques qui empêchent de voir le réel, alors cette crise aura peut-être apporté une bonne chose. Espérons que peu à  peu cela permette de sortir de la double impasse dans laquelle nous sommes : socialiste, et multiculturaliste.

    Quelques règles d’hygiène de pensée, pour compléter l’hygiène du langage, sont toujours utiles à  rappeler ou à  intégrer dans nos habitudes.

    • Ne pas accepter les arguments d’autorité, tout en écoutant les experts
    • Laisser une place au doute, et comparer plusieurs points de vue avant de se faire une opinion
    • Distinguer ce qui est de l’ordre des faits / énoncés sur la réalité, et ce qui est de l’ordre des représentations / interprétations de cette réalité
    • Se méfier de ceux qui cherchent à  éviter le réel

    Il y en certainement plein d’autres : vous les partagez en commentaire ?

  • La complexité de l’humain comme fil conducteur

    magic-mirrorDans le cadre de mon travail, je fais partie d’une communauté d’innovation regroupant des chercheurs et des industriels, des philosophes et des start-ups. C’est d’une grande richesse, intellectuelle, humaine. Je me sens très humble dans ce cadre, car conscient des gens de grande valeur que j’ai la chance d’y côtoyer. Je ressors toujours de ces rencontres stimulé, excité, et à  la fois conscient de l’ampleur du travail à  accomplir pour se hisser à  un tel niveau. Passons ; comme le disait Voltaire « Il faut cultiver notre jardin ».

    J’ai donc la chance de croiser et d’échanger avec Dominique Christian, et de profiter d’ateliers philosophiques qu’il nous concocte. Dans le cadre de la communauté d’innovation, il a écrit un ensemble de textes dédié à  la mobilité (qui devraient être publiés sous forme d’un livre très prochainement), éclairé par une démarche philosophique et par des focus historiques et thématiques particuliers (la mobilité corsaire, la mobilité grecque autour d’Hermès et Hestia, la mobilité homérique, celle de Pinocchio, etc…). C’est un travail admirable, passionnant et incroyablement structurant.
    Dominique est un homme charmant, lucide, plein d’humour, piquant parfois, ayant toujours à  coeur d’être dans le vrai et la complexité de la réalité. Il est par ailleurs peintre, immergé dans la culture chinoise. Il a passé sa vie à  accompagner les entreprises, après avoir accompagné les drogués. C’est un grand connaisseur de l’être humain, des organisations, des jeux entre l’individuel et le collectif.

    livre_DCJe viens de terminer le livre de Dominique Christian « Philosophie pour la crise du management ». C’est un livre passionnant, construit d’une étrange manière : chaque chapitre intègre un certain nombre de citations d’un auteur différent (elles sont un peu cachées au milieu du texte de Dominique Christian). Cela fait un étrange mélange de voix ; une multiplicité d’interlocuteurs pendant la lecture. Cela donne la sensation à  la fois étrange, déstabilisante, d’écouter une personne aux visages multiples nous parler, et en même temps l’agréable impression d’un auteur qui a la courtoisie, ou la rigueur, de mettre sa propre personne un peu en retrait.
    Sur le fond, c’est une plongée vraiment superbe dans une multitude d’outils de pensées, utiles pour réfléchir sur la personne, l’individu, son histoire, et l’articulation de cette individualité avec le groupe, le collectif, le monde, avec en filigrane bien sûr le fonctionnement des entreprises, notamment la manière dont se passent leur mutation permanente. Je retournerai souvent dans ce livre pour y piocher des choses, c’est une vraie boite à  outils, dans le sens positif du terme. Dominique Christian, philosophe bricoleur ?

    J’ai fait part à  Dominique Christian de remarques à  la fois positives et critiques dans une correspondance privée. Une question pourrait lui être posée de manière publique, et je le fais donc. Puisque Montaigne (un de mes auteurs de chevet aussi) est invité parmi les contributeurs du livre, se pose l’articulation entre l’auteur et son oeuvre. Montaigne, dans ses Essais, est parti d’une réflexion sur le monde, pour peu à  peu se dévoiler, se livrer en tant que personne. J’ai eu l’impression en tant que lecteur de côtoyer Montaigne, d’apprendre à  le connaitre en lisant les Essais. Même si Montaigne souligne le caractère changeant, « ondoyant » de l’homme, il se livre dans ses Essais comme peu d’auteurs l’ont fait. Dans le livre de Dominique Christian, j’ai le sentiment d’être tenu à  l’écart de Dominique Christian, qu’il m’échappe. D’où la question : n’est-il pas temps de « ré-emboiter » un peu ? N’est-ce pas un des efforts que nous impose le « désemboitement » des identités souligné dans le livre ? N’est-ce pas un des enjeux majeurs pour le monde Occidental ? En refusant — à  juste titre souvent – les simplifications, ne peut-on se perdre soi ? Est-ce qu’on ne se construit pas aussi, dans sa personne, dans son rapport avec les autres, par la simplification ? L’élagage peut-il être un art utile pour la construction de soi ?
    Pour finir, un avis personnel. Si chaque manager avait lu Dominique Christian, les entreprises tourneraient certainement un peu différemment. Son livre est un appel lucide et utile pour échapper aux croyances, aux dogmes, à  tout ce qui peut réduire l’homme à  une seule de ses facettes. L’humain dans toute sa complexité et sa richesse au centre des choses, c’est ce qui ressort du livre. Et qui rend la question ouverte encore plus criante…

  • Pas seul

    Ily a des matins, où la manière dont sont traités les infos par les journalistes, et la manière dont sont traités les problèmes par les politiciens, donnent un sentiment de bataille perdue d’avance, de gâchis et de mission impossible. Et puis, heureusement, des textes lus à  droite à  gauche me permettent de voir que je ne suis pas seul. A trouver l’intervention omniprésente de l’Etat déprimante, alarmante même. A trouver le niveau d’éducation de mes concitoyens tout aussi alarmant. Aujourd’hui, c’est la tribune de Guy Sorman que j’aurais aimé écrire. A défaut d’avoir son talent et sa compétence, je vous la recopie ici.

    Les Français, dit on, c’est le lieu commun de la saison, réclameraient « le retour de l’Etat ». Certes, mais chez nous, l’Etat n’est jamais parti : le taux de prélèvement public est parmi les plus élevés en Europe et dans l’OCDE, supérieur à  50%. Par ailleurs, ce taux n’a cessé de monter depuis 1981, de même que le nombre des fonctionnaires. Ceci sous les gouvernements de droite comme de gauche. Nos banques sont étroitement contrôlées, l’Etat a partout des participations industrielles, le Code du travail est le plus protecteur des salariés en Europe, le Code des impôts est le plus indéchiffrable, l’impôt sur la fortune c’est Français (demandez à  Johnny[1. ou à  John Malkovich…]), etc.. L’information est aussi sous l’autorité de l’Etat et va l’être plus encore avec la désignation du président de la télévision publique par le chef de l’Etat (du Poutinisme audiovisuel). L’éducation, à  tous les niveaux, ne pourrait être plus étatisée dans son organisation et son contenu qu’elle ne l’est déjà . Donc, de quoi parle-t-on ?
    On devine, bien entendu, que le Français rêve d’un monde plus prévisible ; mais plus d’Etat serait à  l’expérience, moins de croissance, pauvres mais égaux. La grande illusion est tout de même, de croire que l’Etat est plus rationnel et rassurant que le marché : c’est historiquement faux. Le marché fait des bulles mais les Etats font la guerre.

    A lire également, La folie injectrice chez Franck Boizard, et Si on apprenait enfin l’économie ?, tribune d’Yves de Kerdrel.


  • Quelques mots que j'aurais aimé écrire

    […] Ce n’est pas être provocateur de dire que si les autorités bancaires internationales n’avaient pas fixé à  deux reprises des règles prudentielles ayatollesques, les banques n’au¬raient pas eu besoin d’avoir recours à  la titrisation et à  une quantité de produits dérivés, aujourd’hui pointés du doigt comme les principaux coupables de cette crise financière. Ce n’est pas être un fou furieux du laisser-faire que de dire que les normes comptables adoptées pour tirer les leçons de la bulle Internet ont apporté plus de problèmes que de solutions. Il est heureux de les voir aujourd’hui mises en pièce avec la bénédiction des grands prêtres qui les imposaient il y a cinq ans.

    Il est question aujourd’hui d’en finir avec les paradis fiscaux, les rémunérations des banquiers d’affaires, les ventes à  découvert, les hedge funds ou ce formidable bouc émissaire qu’est «la spéculation». Mais ce ne sont pas des règles simples ou simplistes qui mettront fin à  tous ces os que l’on donne à  ronger à  l’opinion. Arrêtons de faire croire que l’on peut réguler des capitaux qui font le tour du monde à  la vitesse de la lumière, et sans lesquels la croissance mondiale exceptionnelle de ce début de siècle n’aurait pu avoir lieu.

    En revanche il n’est pas superflu de rappeler au monde entier que le capitalisme ne peut pas scier constamment la branche sur laquelle il est assis. Le capitalisme, c’est d’abord un humanisme. À condition de replacer l’homme au centre du système, plutôt que de s’en méfier avec des règles aussi excessives qu’insignifiantes. Là  devrait être l’enjeu d’un nouveau Bretton Woods.

    Yves de Kerdrel, Nécessité et contraintes d’un nouveau Bretton Woods