
Il faudrait bien comprendre que le rôle de l’école est d’apprendre aux enfants ce qu’est le monde, et non de leur inculquer l’art de vivre.
Hannah Arendt (1906-1975)
politologue, philosophe et journaliste allemande naturalisée américaine.
Il faudrait bien comprendre que le rôle de l’école est d’apprendre aux enfants ce qu’est le monde, et non de leur inculquer l’art de vivre.
Hannah Arendt (1906-1975)
politologue, philosophe et journaliste allemande naturalisée américaine.
Rémi Brague est un sage. Érudit, humble, et d’une grande force dans le raisonnement. Son dernier ouvrage, « Modérément moderne », est une compilation de différents articles ou conférences de l’auteur. Plutôt : une re-composition, un arrangement. Et la densité de chacun des chapitres montre que nous avons plutôt affaire là à ce qui aurait pu constituer plusieurs ouvrages, qu’à un simple patchwork.
J’ai adoré ce livre. Rémi Brague, philosophe, est spécialiste de philosophie médiévale, et étudie l’histoire des idées sur le long terme, notamment en comparant christianisme, judaïsme et islam. Ses réflexions sont simples et profondes, et les interrogations qu’il soulève sont centrales, et ont trouvé de nombreuses résonances avec mes interrogations et mes réflexions. Je ne peux résister au plaisir de vous livrer pour finir un long extrait, qui clôture un chapitre magistral consacré à la distinction entre instruction et éducation. Moi, ça m’a secoué un peu la pulpe quand même !
Au fond, la théologie serait dans mon école, la science fondamentale. Qu’on ne se scandalise pas : il n’y a là nulle revendication de souveraineté, aucun retour à la situation (légendaire) où les sciences auraient été les « servantes de la théologie ». Dire que la théologie est la science fondamentale, ce n’est que constater un postulat sur lequel repose toute éducation. Il ne s’agirait que d’avoir l’honnêteté de l’avouer, parce que l’éducation implique une confiance fondamentale en l’Être, une foi fondamentale en l’identité de l’Être et du Bien. C’est le cas pour deux raisons. La première concerne le mouvement même de l’éducation, qui est de transmettre quelque chose (un savoir, des compétences, des « valeurs ») aux générations suivantes. Ce qui suppose, déjà , qu’il en existe. Avant de transmettre quoi que ce soit, il faut commencer par transmettre la vie. De plus en plus, il dépend du choix libre, conscient, voire planifié, de la génération présente, d’appeler ou non à l’existence la génération qui la suivra. Et pourquoi le ferait-elle, si elle n’est pas convaincue, au moins de façon implicite, que l’existence est, en soi, en dernière instance, quoi qu’il puisse arriver, un bien ?
La seconde raison concerne le contenu de l’éducation. Car pourquoi serions-nous obligés d’admettre ce qui est vrai ? Parce que cela « marche », parce que cela nous permet d’agir ? Mais nous voici revenus à la simple instruction. Alors, pourquoi préférerais le vrai a une agréable illusion ? La vérité pourrait très bien être laide, haïssable, désespérante. […] L’amour de la vérité suppose que la vérité est aimable. Il suppose, pour emprunter un terme technique à la philosophie scolastique, que les « transcendentaux », le Vrai, le Bon et le Beau peuvent « s’échanger » (convertuntur) l’un en l’autre. Si ce n’est pas le cas, nous pouvons certes rester honnêtes ; notre dernière vertu sera alors l’honnêteté intellectuelle. Mais cette vertu peut-elle nous faire vivre ?Pourquoi au juste devrions-nous aimer la vérité ? En dernière instance, il s’agit là d’un impératif d’ordre éthique. Nietzsche a eu raison de comprendre notre prétendu « amour de la vérité » comme étant la dernière trace d’une conviction de nature morale qui s’enracine dans Platon et dans le christianisme, ce christianisme que Nietzsche considérait comme étant lui-même un « platonisme pour le peuple ». Mais est-il si sûr que nous devions démasquer cette foi ? Ne conviendrait-il pas bien plutôt de l’assumer ?
J’ai trouvé cette animation magnifique par le biais de Presentation Zen. Les thèmes développés par Sir Ken Robinson rejoignent beaucoup ceux abordés par Seth Godin dans son livre Linchpin. En gros, le système éducatif, et beaucoup d’entreprises, fonctionnement encore de la manière dont fonctionnait le monde au moment de la société industrielle. Ces organisations loupent une bonne partie de la richesse de l’humain, et les gens sont étouffés par ces systèmes. Un appel vibrant, qui rejoint celui de Seth Godin. Chaque être humain est indispensable. Extrait (traduit rapidement, soyez indulgents) :
Les arts, en particulier, touchent à l’idée d’expérience esthétique. Une « expérience esthétique » est un moment pendant lequel vos sens fonctionnent à plein régime. Un moment où vous êtes dans l’instant présent. Où vous résonnez joyeusement avec cette chose que vous vivez. Où vous êtes pleinement vivant. Une expérience « an-esthé(s)ique », c’est quand vous fermez vos sens, et que vous n’êtes plus ouvert à ce qui arrive.
Nous éduquons les enfants en les « anésthé(s)iant ». Et je pense que nous devrions faire tout l’inverse. Nous ne devrions pas les endormir, mais les éveiller à ce qu’ils ont à l’intérieur.
Pour ceux que ça intéresse, j’avais déjà renvoyé vers une conférence pour TED.com du même K. Robinson, parlant de créativité (il y a moyen de mettre des sous-titres en français).
Xavier Darcos doit publier aujourd’hui les textes des nouveaux programmes pour l’école primaire, qu’il avait dévoilés dans une interview au Figaro.
On se doute bien que les syndicats ne sont pas contents : ils sont tellement conservateurs que le moindre changement ne peut être vécu que comme … un retour en arrière !
Les propositions paraissent pourtant de relativement bonne facture, avec en ligne de mire la volonté de faire cesser l’hécatombe consistant à laisser sortir du système éducatif des écoliers qui ne savent ni lire ni compter : horaires plus simples et plus précis, retour aux fondamentaux, ouverture sur d’autres disciplines, instruction civique et morale.
On pourra toujours trouver des arguments qui vont contre ce genre de réformes. Ou des arguments qui sont pour. Et on assistera, comme toujours, aux mêmes vieilles querelles entre conservateurs et réformistes, entre partisans des sciences et partisans du français. C’est la logique même d’un système centralisé qui ici la cause des problèmes : comment pourrait-on décider dans un bureau, même après consultation, de ce qui est bon pour toutes les écoles de France, pour tous les élèves de France ?
Si chaque école pouvait proposer et mettre en oeuvre des solutions différentes pour améliorer le système, ce n’est plus une idée de réforme que l’on testerait, mais 10, 50 ou 100 !La vraie solution consiste à donner une réelle autonomie à chaque école, pour s’appuyer sur les compétences des directeurs d’écoles et des profs. Si chaque école peut proposer et mettre en oeuvre des solutions différentes pour améliorer le système, ce n’est plus une idée de réforme que l’on testera, mais 10, 50 ou 100 ! On profitera de la créativité et de l’imagination des êtres humains. La mise en concurrence permettra de sélectionner rapidement les bonnes solutions. En effet, un directeur d’une école devenue autonome financièrement comme scolairement, n’aura qu’un objectif : choisir le meilleur système, celui que les parents choisiront indirectement. Et plusieurs systèmes pourront coexister, parce que les aspirations des êtres humains ne sont uniformes. Soyons capable de laisser au système la souplesse nécessaire à la conservation de la diversité. Sinon, on est morts.
En attendant, nous continuons à user de solutions centralisées – certainement bonnes, certainement critiquables – en nous passant du formidable levier de la concurrence.
SNUipp-FSU, le SE-Unsa et le Sgen-CFDT appelent à la grêve pour le 15 mai.
Retour sur les réformes qui ont eu lieu en Finlande, et qui ont permis à son système éducatif de devenir en moins de 30 ans, l’un des premiers au monde. Pas de mystères : autonomie des établissements (mis ainsi en concurrence), choix des professeurs par le directeur d’établissement, élèves placés au centre du système, peu ou pas de notation, choix des élèves dans leur cursus, professeurs experts payés au mérite, et virables. Du bon sens : veut-on en France faire de la réussite des élèves la priorité, ou faudra-t-il encore supporter longtemps l’immobilisme protecteur des corporations ?
(suite…)
Nous avons vu la dernière fois l’analyse d’Alain Boyer sur la position idéologique du PS, et celle de Sarkozy. Suite de l’interview aujourd’hui, centrée sur le fameux article qu’Alain Boyer avait publié (dans le Figaro) entre les deux tours de la présidentielle pour soutenir Sarkozy. Historique de l’article, réactions, et quelques mots sur l’université. Si vous prenez cette série d’articles en cours de route, je vous conseille de commencer par le début, ça facilitera votre lecture.
Pour toutes ces raisons, je vois bien pourquoi, avant la campagne, tu avais appelé dans ton article a voter pour Sarkozy ! Cet article, tu l’avais soumis d’abord au Monde, qui l’avait refusé. Quelles raisons t’avaient-ils donné ?
Aucune. Une lettre impersonnelle disant que l’article était intéressant, mais que les contraintes de la rédaction, etc…Ce qui m’a amusé, parce que ,en 1969, le Monde avait publié un tableau des groupuscules d’extrême gauche en trois groupes : maoistes, trotskistes, anarchistes. Tous les groupes dont j’ai parlé tout à l’heure, ils les avaient répartis un peu partout. Ils avaient mis l’International situationniste (l’IS …) avec les anars, et puis SouB avec les trotskistes (ils avaient mis également Spartacus parmi les trotskistes). Alors j’avais pris ma plume d’élève de 3ème, et j’avais écrit au rédacteur en chef du service politique du Monde qui ensuite devenu directeur du cabinet de Mauroy, pour leur dire qu’il fallait 4 catégories. Et tout étonné, 8 jours après j’ai reçu une lettre de lui : « Monsieur, vous avez tout à fait raison… ». La différence est flagrante ; 30 ans après, j’écris en tant que professeur de philosophie politique et cette fois on me répond de manière presque anonyme. Cet article, pourtant à l’époque, n’avait aucune conclusion politique. Il disait simplement qu’il il fallait des réformes dites « libérales ». Je disais que, tout en ayant des valeurs, des convictions, il est nécessaire d’avoir une morale de la responsabilité. Ce que tu avais rappelé sur ton blog. Essayer de savoir ce que seront les conséquences probables de mon action, et pas seulement se dire « j’ai bien agi, si ça se passe mal, c’est de la faute du monde ou de la société ».
La morale de la responsabilité, c’est le contraire d’une citation latine « Fiat Justicia, pereat Mundus », et qui veut dire : »qu’advienne la justice, le monde dût-il en périr. » à‡a c’est la morale de la conviction absolue. Et c’est terrible. Non, il faut maintenir le monde en existence, l’améliorer, mais surtout pas le sacrifier au nom de valeurs pures. Il faut avoir des valeurs, mais que ces valeurs soient des sortes de contrôle, si tu vois ce que je veux dire…
Des garde-fous ?
Oui, des gardes-fous pour ne pas tomber dans l’immoralisme politique. Mais en même temps, la responsabilité : si je fais les 35 heures, qu’est-ce que ça va donner ? si je garde la retraite à 60 ans, comment financer les retraites dans 20 ans ? ça c’est la morale de la responsabilité, et c’est ce que je voulais dire à tous les politiques. Je pense que DSK, par exemple, aurait été d’accord. J’avais auparavant envoyé mon article (sans l’appel à voter Sarko !) à Michel Rocard, qui m’avait dit qu’il était d’accord. Donc le Monde a refusé cet article pour des raisons que j’ignore.
Ensuite tu as fait la démarche de le soumettre au Figaro ? entre les deux tours ?
Pas exactement. Dans la foulée, un an avant sa parution, je l’ai envoyé au Figaro, juste après le refus (immédiat) du Monde, et le journaliste du Figaro, tous les mois, m’écrivait « je n’ai pas encore pu le faire publier, etc. etc.. ». J’ai donc fini par abandonner l’espoir d’être publié. Et puis, le journaliste a changé, c’est tout à fait contingent comme histoire, et deux autres journalistes ont repris cette page « débats opinions », et c’est eux qui, un jeudi matin m’ont téléphoné, entre les deux tours : « On prend votre article, si vous rajoutez la conséquence logique qui est : votez Sarkozy. » Comme je m’apprêtais à voter Sarkozy, c’était logique, mais j’ai malgré tout hésité, mais ils m’ont donné une demi-heure. Je n’ai pas hésité longuement, puisque après tout c’était ce que je pensais. Je l’avais dit à tous mes amis, que je voterai Sarkozy et pas Ségolène. C’aurait été DSK, j’aurais attendu les débats, et j’aurais jugé « sur pièce ». Mais là , il m’apparaissait franchement que Ségolène n’avait pas de cohérence idéologique et politique. J’essaye, ce qui normalement est une qualité que doit avoir tout philosophe, d’être conséquent. C’est Kant qui disait ça, c’est trivial en un sens, conséquent avec soi-même. Quand on a une idée, il faut la poursuivre et en tirer les conséquences logiques. Et la conséquence logique, c’était d’appeler à voter Sarkozy, puisque Bayrou avait un programme qui correspondait un peu à ma vision, mais qu’il n’était pas au deuxième tour. Je le citais d’ailleurs dans l’article. Le programme économique de Bayrou a été fait en partie par quelqu’un que je connaissais depuis la fin des années 70, dans les milieux rocardiens : Jean Perlevade. Qui était rocardo-mauroiste, puis conseiller de Mauroy. Il a été également patron du Crédit Lyonnais. C’est quelqu’un qui connaît l’entreprise, et l’économie. Et les coups durs. Donc Perlevade avait concocté, avec d’autres, le programme économique de Bayrou qui était plus libéral que celui de Sarkozy ! Il proposait tout simplement d’interdire le déficit budgétaire, ce qui est d’ailleurs, me semble-t-il, excessif. Ce qui m’a fasciné dans cette campagne, c’est de voir que la politique vraiment politicienne l’a emporté contre le débat d’idées, parce que cette idée d’alliance Ségolène-Bayrou entre les deux tours, avec leur sorte de tango, était idéologiquement inconsistante. Puisque le programme de Bayrou était plus libéral que celui de Sarkozy…
Avec le peu de recul que j’ai, je le vois comme ça : face à la solidité et à la cohérence du programme de Sarkozy, ceux qui restent essayent de s’associer pour récupérer les miettes, sans cohérence idéologique.
Oui c’est ça, et ça n’a pas marché d’ailleurs. Les électeurs n’y ont pas cru. Et donc voilà pourquoi j’ai publié cet article ; j’ai réfléchi une demi-heure, et j’ai rajouté le titre et la conclusion.
Je reviens ce sur que tu avais dit sur le blog : tu disais t’être fait des ennemis en te positionnant pour Sarkozy ?
J’exagère. Disons qu’un certain nombre d’amis ne me parlent plus, ou plus comme avant, ou avec une certaine distance. Pas d’ennemis, donc, mais une forme d’éloignement, de déception de la part de gens qui doivent penser : « oh là là lui aussi ! » comme si j’allais à la soupe, alors que je ne demande aucun poste. J’en serais d’ailleurs bien incapable…. Je ne sais qu’enseigner la philo, avec mon style personnel, et qu’écrire dans ce domaine.
Et parmi les universitaires ? j’ai une vision, certainement déformée, d’une université assez ancrée à gauche, et de manière plutôt dogmatique. Comment a été perçue cette prise de position dans ton environnement à l’Université, parmi tes collègues ?
Cela a quand même évolué depuis 20 ans. A l’Université, l’opposition frontale entre la bonne gauche qui a toutes les qualités, et la mauvaise droite qui a tous les défauts, bien des gens se rendent compte que c’est quand même plus compliqué. Les universitaires, il y en a qui sont socialistes, d’autres centristes, d’autres proches de l’UMP, et on arrive à travailler ensemble pour transmettre, chacun à sa manière, les « fondamentaux » nécessaires. Même si elle en train de connaitre un petit renouveau, la pensée marxiste révolutionnaire a quand même largement disparu. Mais la sensibilité « de gauche », à laquelle je me sens toujours attaché (la justice sociale), est assez dominante, mais de manière plus ouverte. Quand j’ai fait mes études à la Sorbonne, on savait que tel ou tel Prof était communiste, trotskiste ou « mao » ou « de droite ». Maintenant c’est plutôt plus modéré. Et c’est un bienfait pour la liberté et la démocratie. Le pluralisme, le débat, le refus de la violence et de l’intimidation, la compréhension de la nécessité des réformes (par définition discutables, mais que l’autorité démocratiquement élue a le droit et le devoir de faire passer) sont en train, je l’espère, de faire des progrès.
Retrouvez les autres parties de l’interview dans le sommaire !