Étiquette : Egalité

  • Citation #154

    Les Hommes n’étant pas dotés des mêmes capacités, s’ils sont libres, ils ne seront pas égaux, s’ils sont égaux, c’est qu’ils ne sont pas libres.

    Alexandre Soljenitsyne (1918 – 2008) écrivain russe et dissident du régime soviétique

  • Citation #146

    Ils désirent l’abaissement de tout ce qui est au-dessus d’eux. Ils accepteraient demain le despotisme, pourvu que ce fût avec l’égalité. Leur amour de la liberté, c’est de la haine et de l’envie.

    François-René de Chateaubriand (1768 – 1848) écrivain, mémorialiste et homme politique français.

  • Eloge de la discrimination

    Eloge de la discrimination

    La provocation du titre n’est qu’apparente, et j’espère qu’à  la fin de ce billet, vous serez d’accord pour dire que nous devons faire l’éloge de la discrimination.

    La plus grande injustice est de traiter également les choses inégales.

    Aristote (384 – 322) philosophe grec

    Ce billet, un peu long, progressera en 4 temps :

    1. le mot ”discrimination », en français comporte deux sens très différents. Nous reviendrons sur chacuns de ces acceptions
    2. la confusion entre les deux sens, entretenue par une pensée Égalitariste, conduit à  confondre égalité de fait et égalité devant la loi, et à  voir des actes injustes là  où il n’y en a pas.
    3. pour illustrer ces confusions, nous regarderons en détail un cas pratique : la discrimination à  l’embauche
    4. il existe un moyen simple de trier entre le légitime et l’illégitime : il consiste à  allier respect strict de la liberté d’action individuelle, et tolérance.

    Discrimination, un mot ambivalent

    Le terme discrimination recouvre deux sens très différents.

    Discriminer c’est distinguer

    Le premier historiquement et étymologiquement, et probablement le seul légitime, est synonyme de distinction. Discriminer, c’est distinguer ce qui est différent, en vue ou non d’un traitement séparé. Discriminer, dans ce premier sens, est donc l’acte de séparer, de distinguer, de différencier. C’est donc un acte normal de l’intelligence qui observe le réel et s’y confronte : telle essence de bois n’a pas les mêmes caractéristiques que telle autre, telle personne m’est agréable et telle autre non, etc..

    Discriminer c’est porter atteinte à  l’égalité devant la loi

    Le second sens, apparu avec cette connotation dans les années 1950, est péjoratif : il désigne la discrimination appliquée à  des humains que l’on va, en fonction de tel ou tel critère, traiter différemment. Ce deuxième sens fait partie des choses que nous devons combattre, quand il s’agit de discriminations instituées (par une coutume ou par la loi). Nous sommes donc confrontés à  un mot qui dans un cas décrit un acte moralement juste, et dans l’autre cas un acte moralement condamnableCe second sens désigne donc une pratique humaine jugée moralement répréhensible, en tout cas par toute personne attachée à  l’égalité devant la loi. En gros, les démocraties libérales ont depuis un certain temps déjà  mis en place des règles qui sont les mêmes pour tous. C’est le sens de la déclaration universelle des droits de l’homme, et des systèmes juridiques des Etats de droit.
    Ces deux sens du mot ”discrimination » sont donc très différents. Si l’un est une activité naturelle de l’esprit humain qui analyse, sépare, différencie, l’autre est une pratique collective choquante, qui refuse aux citoyens l’égalité devant la loi (qu’elle soit la loi coutumière ou le droit positif).
    Ce n’est pas par hasard que la symbolique judiciaire utilise depuis le XIIIe siècle une figure de la mythologie grecque, Thémis, sous les traits d’une femme aux yeux bandés, symbolisant l’impartialité. Le meilleur moyen de juger justement, c’est de ne pas savoir qui je juge. C’est un beau symbole des lois identiques pour tous.
    Nous sommes donc confrontés à  un mot qui dans un cas décrit un acte moralement juste, et dans l’autre cas un acte moralement condamnable. Voyons donc les types de confusions que cela peut induire.

    Confusion entre égalité de fait et égalité devant la loi

    Conséquence : voir partout des discriminations

    Il y a plusieurs risques avec ces deux sens compris dans le même mot. Le premier consiste à  faire déborder le premier sens, l’acte de distinguer, sur le second et à  ”justifier » des injustices. Le second qui est à  mon avis beaucoup plus présent, et qui est l’objet de ce billet, consiste à  faire déborder le second sens, traitement différent devant la loi, vers le premier et à  systématiquement voir dans l’acte de ”séparer ce qui est différent » une injuste discrimination. Parce que le deuxième sens est évidemment négatif, quand il conduit à  des inégalités devant la loi, nous avons peu à  peu perdu l’usage positif du premier sens du mot (synonyme de distinction, et simplement un des modes de fonctionnement de la pensée humaine). Ce qui signifie que dans un certain nombre de cas nous ne pensons plus, et nous réagissons de manière réflexe en condamnant des discriminations qui n’en sont pas, ou qui sont des discriminations légitimes (celles correspondant au premier sens c’est-à -dire à  un humain exerçant sa rationalité critique).
    Il me semble que cette manie de voir d’injustes discriminations partout est le fruit d’un parti pris idéologique que l’on pourrait appeler l’égalitarisme. C’est-à -dire une confusion entre l’égalité devant la loi, et l’égalité de fait.

    Que signifie l’égalité dans notre devise ?

    L’égalité devant la loi me semble tout à  fait souhaitable et en accord avec l’idée de justice. L’égalité de fait – une situation identique pour tous – , si l’on y réfléchit bien, est une forme de totalitarisme. Ce totalitarisme égalitariste trouve ses racines dans le communisme. Pour atteindre une égalité de fait entre les gens, qui sont inégaux par leur naissance, leurs qualités, leur environnement, leur éducation, leur parcours, il faudrait mettre en place un système qui traite, devant la loi, inégalement les gens. Ce qui revient à  brider certains et à  aider d’autres. Il me semble que cette manie de voir d’injustes discriminations partout est le fruit d’un parti pris idéologique que l’on pourrait appeler l’égalitarisme.C’est le meilleur moyen de construire une société totalitaire : pour atteindre un objectif idéologique (tout le monde doit être dans les mêmes conditions de fait), il faudrait sciemment empêcher certains de se réaliser pleinement, tout en aidant d’autres à  le faire. Prenons un cas simple : Albert est plus intelligent que Rémi. Allons-nous empêcher Albert d’apprendre et de s’instruire pour faire en sorte que Rémi puisse être à  peu près au même niveau ? Allons-nous sortir Albert de sa famille dès son jeune âge pour éviter que ses parents, plus instruits, ne lui transmettent d’injustes connaissances ? Bien sûr que non ! Ce serait une négation directe de la liberté individuelle, et de la dignité des personnes. Cette voie ne conduit qu’à  une horrible dictature évaluant – comment ? – les capacités de uns et des autres, et brimant la majeure partie de l’humanité pour construire une sorte d’homme imaginaire, toujours identique prétendument, mais jamais dans les faits car chaque personne humaine a sa singularité. C’est le domaine de l’absurde, de l’arbitraire, et c’est un monde sans liberté. Hayek l’avait exprimé de manière très claire :

    Il y a toute les différences du monde entre traiter les gens de manière égale et tenter de les rendre égaux. La première est une condition pour une société libre alors que la seconde n’est qu’une nouvelle forme de servitude.

    Friedrich Hayek (1899 – 1992) économiste et philosophe britannique originaire d’Autriche.

    Il convient donc de préciser quelles sont les règles permettant de distinguer le légitime de l’illégitime, afin d’éviter cette confusion entre les deux sens du mot. Mais avant cela, regardons un cas concret qui aide à  dessiner cette limite.

    Cas pratique : la discrimination à  l’embauche

    Un exemple typique : recruter quelqu’un pour un travail est un acte de discrimination légitime. Il s’agit bien de choisir, de distinguer entre les candidats, celui ou celle qui sera le plus adapté pour le poste. Il appartient à  celui qui recrute de décider les critères de choix pour ce candidat. Il peut avoir à  en rendre compte aux propriétaires de l’entreprise, mais ce n’est certainement pas à  des acteurs extérieurs au processus de venir lui dicter d’autres critères. Le cas de l’entretien d’embauche permet d’introduire toute la thématique : qui est légitime pour décider ? Avec quels critères ? Dans quels cas faudrait-il, s’il le faut, imposer des critères de choix différents ?

    Affirmative action ou discrimination positive

    La confusion entre discrimination au sens de choix, et discrimination au sens d’inégalité devant la loi a conduit beaucoup de pays, à  commencer par les USA, à  adopter des politiques d’affirmative action, ou discrimination positive. La discrimination positive est le fait de « favoriser certains groupes de personnes victimes de discriminations systématiques » de façon temporaire, en vue de rétablir l’égalité des chances.
    J’aimerais vous montrer à  quelle point cette démarche, bien que motivée par une louable intention (?), est erronée intellectuellement, et que ses effets concrets ont déjà  permis de montrer à  quel point elle était inutile, inefficace, et toxique.

    L’enfer est pavé de bonnes intentions

    Intellectuellement, cette démarche est en contradiction directe avec l’égalité devant la loi, ce qui devrait presque suffire à  faire douter de son bien-fondé. Un deuxième point devrait alerter : qui décide des groupes à  favoriser ? Comment empêcher qu’une telle politique conduise à  ce que d’autres groupes réclament les mêmes faveurs ? A nouveau, l’arbitraire règne. Et il est sans fin. Si on favorise les noirs, les femmes, ou les handicapés, pourquoi ne favoriserait-on pas les gros, ou les nains ? Les particularités humaines sont d’une telle étendue, que la liste ne peut que s’allonger à  l’infini. Par ailleurs, pour ”favoriser » telle ou telle catégorie, il est nécessaire de la montrer du doigt, de la stigmatiser, ce qui est une contradiction interne à  cette démarche. Pour éviter les discriminations, créons-en ! Drôle de manière d’assurer la cohérence des règles.
    Il existe une liste longue comme le bras des inconvénients de la discrimination positive à  l’embauche, j’en cite quelques uns :

    • le soupçon sur les qualifications (si je suis embauché parce que noir, qui pourra me considérer comme compétent ?)
    • l’encouragement du communautarisme (si ma communauté est favorisée par la réglementation, pourquoi ferais-je des efforts?)
    • la tension entre les communautés (si on discrimine positivement une communauté ou un groupe, cela veut dire que l’on discrimine négativement les autres)

    Se renseigner

    Pour en terminer sur cette idéologie, il importe de la confronter aux faits, et à  la réalité. Là  où elle a été mise en oeuvre, quels sont les résultats ? Un excellent livre sur le sujet, « Le Puzzle de l’intégration », par Malika Sorel-Sutter permet de se rendre compte des dégâts causés par la discrimination positive. Partout les résultats vont à  l’inverse des buts visés, ce qui devrait heurter toute personne qui considère que l’on doit avoir en politique une éthique de responsabilité. Les exemples fourmillent dans son livre (aux USA, mais aussi en France, puisqu’en France et sans le dire ouvertement, les responsables politiques ont mis en oeuvre des politiques de discrimination positive sociales, territoriales – avec les ZEP-, sexuelles – avec la parité hommes/femmes – et communautaires). Je vous renvoie au livre de Malika Sorel pour découvrir la liste des personnalités politiques, de gauche comme de droite, citations à  l’appui, qui sont favorables ou défavorables à  la discrimination positive.
    Que ce soit pour sélectionner des candidats à  l’embauche, ou pour sélectionner des étudiants dans une filière, la sélection au mérite et sur les compétences est une bien meilleur rempart contre les inégalités : il permet à  chacun, quelque soit ses chances de départ, d’avoir l’opportunité de travailler pour s’en sortir. Cela n’exclut pas d’aider, de soutenir ceux qui en ont besoin, par solidarité. Mais il convient de rester exigeant sur des règles identiques pour tous.
    Citons une expérience intéressante rapportée par Jacqueline Costa-Lascoux, directrice de recherches au C.N.R.S. mais surtout, pour le sujet qui nous intéresse ici, membre du Haut Conseil à  l’Intégration :

    Pourquoi analyser le refus d’embauche ou de stage sous le seul angle de la discrimination raciste ou ethnique ? L’expérience a été faite de tourner ces entretiens en vidéo pour ensuite en présenter les images aux candidats, aux employeurs, aux enseignants. Les résultats sont éloquents. Nombre de jeunes, par crainte ou par un sentiment de fatalité, arrivent en retard, habillés en jogging la casquette sur la tête, poussant la porte sans frapper, s’asseyant sans saluer sur le bord de la chaise le corps renversé comme pour regarder la télé, ne posant aucune question sur le travail mais en en rajoutant sur le salaire et les vacances… En face, la personne en costume pose des questions du type tests psychologiques ou psychotechniques, s’obligeant à  rester dans une attitude raide de neutralité. Lorsque la scène est rediffusée aux protagonistes, les jeunes sont étonnés de leur ”look » et sont les premiers à  dire que s’ils étaient employeurs ”ils ne se prendraient pas » ; quant à  celui-ci, il comprend très vite l’inadaptation de son attitude à  l’égard de jeunes qui n’ont jamais connu l’univers du travail salarié […] L’ignorance des codes sociaux et culturels au travail est l’obstacle le plus évident à  l’embauche. Au lieu de crier immédiatement au racisme, il serait préférable non pas de raisonner en termes de catégories de populations mais en termes d’analyse de situations […]

    Quand je vois passer des messages – très idéologiques – exhortant les entreprises à  « recruter sans discriminer », les bras m’en tombent ! Recruter, c’est discriminer.

    Critères de choix entre discrimination légitimes et illégitimes : la liberté

    Un dernier point, pour souligner ce qu’est l’attitude opposée à  la discrimination positive. Dans chacun des exemples ci-dessus, il convient de distinguer ce qui est de l’ordre du choix personnel, et ce qui est de l’ordre de l’égalité des citoyens devant la loi. Dès que l’on se trouve dans le champ du choix personnel, de la liberté et de la responsabilité, la seule voie est de laisser celui qui est responsable d’un choix le faire en toute liberté ET responsabilité. Le meilleur moyen pour forcer une entreprise, une école ou une administration à  ne pas procéder à  d’injustes discriminations, c’est de la forcer à  assumer ses responsabilités. Si telle ou telle entreprise choisit de discriminer les noirs à  l’embauche, par exemple, faisons le savoir et dénonçons cette attitude si cela nous choque : boycottons ses produits, refusons d’aller y travailler, utilisons les médias pour faire pression sur ses dirigeants. C’est une méthode préférable à  celle consistant à  la forcer, par la loi, à  embaucher des noirs. Si notre ennemi est le racisme (sous toutes ses formes), la seule arme est l’éducation. Forcer un dirigeant à  embaucher des noirs ne le rendra pas moins raciste, s’il l’est. Il est fort probable que d’injustes discriminations soient à  l’oeuvre dans tout recrutement, mais également des discriminations tout à  fait légitimes. Mais que chacun se pose la question : lorsque nous sommes en situation de discriminer pour une embauche (une nounou, un salarié, un artisan, etc…), sommes-nous bien sûr de ne fonctionner que d’une manière parfaitement objective ? Non, bien sûr. Et il est essentiel que ce choix, qui est notre liberté et notre responsabilité, reste dans nos mains. Chacun a ses critères de choix.Le critère qui permet de distinguer entre les discriminations illégitimes, et celles qui sont légitimes, c’est la liberté.
    Car enfin soyons raisonnables : il existe des gens qui n’aiment pas les gros, d’autres ceux qui ont des boutons, d’autres encore les noirs, ou les jaunes, ou ceux qui ont une barbe, ou les femmes voilées. Si nous devons pouvoir rendre des comptes, devant la loi, de n’avoir utilisé aucun critère arbitraire pour choisir, aucun choix ne sera plus possible. Tout choix est arbitraire, car c’est un acte de liberté d’une personne particulière, avec son histoire, ses envies, ses aspirations, ses goûts, ses préférences. Heureusement que nous sommes libres de faire nos choix comme nous le voulons. Cela veut dire qu’il faut accepter que certains utilisent des critères de choix qui ne sont pas les nôtres.
    Vous l’avez compris : le critère qui permet de distinguer entre les discriminations illégitimes, et celles qui sont légitimes, c’est la liberté. La liberté est indissociable de la responsabilité. La discrimination légitime, c’est celle qui est de ma responsabilité. Si je suis responsable d’une embauche, c’est à  moi et à  personne d’autre de choisir. C’est ma responsabilité, et ma liberté.

    Conclusion : Au nom de la tolérance

    Un dernier mot pour conclure : Gilbert Durand, qui a fait un travail formidable sur les imaginaires, a bien expliqué comment l’Occident est une civilisation dont le régime imaginaire est diurne, c’est-à -dire dans un registre de ”lumière ». Lumière, donc séparation : dans l’obscurité rien n’est distinct. Dans la lumière les formes se dessinent, et permettent de distinguer les objets, leurs frontières.
    Alors dans cette logique, et pour rester une société d’hommes libres, je voulais faire l’éloge de la discrimination. Faisons le tri entre, d’une part, les discriminations devant la Loi et les institutions, injustes et à  condamner, et toutes les autres d’autre part qui sont légitimes, car le fruit de décisions libres et personnelles, même si elles ne nous plaisent pas. C’est ce qu’on appelle aussi la tolérance. La tolérance est précisément cette souplesse sociale que l’occident a vu émerger pour permettre la coexistence pacifique des êtres, quelles que soient leurs convictions, leurs dogmes spirituels ou religieux. Chacun est appelé à  la tolérance vis-à -vis des autres. La tolérance est un appel à  respecter la liberté des autres. Vouloir interdire la liberté dans les critères de choix individuels, c’est inscrire dans la Loi une forme d’intolérance. Il convient donc, comme je le précisais plus haut, d’expliciter et de montrer du doigt l’idéologie qui, sous couvert de non-discrimination, la provoque, et dresse les uns contre les autres. L’Égalitarisme est son nom. Ce n’est pas une utopie, c’est une dystopie en construction, car ses partisans sont des ennemis de la liberté.

  • Loi et réglementation

    Loi et réglementation

    Une distinction importante existe entre « loi » et « réglementation ». C’est un très bon outil pour analyser une partie des atteintes actuelles à  la Justice, à  la Liberté et à  la paix sociale.

    Justice, droit positif et droit naturel

    Nous vivons dans des sociétés civilisées, c’est-à -dire des sociétés qui ont peu à  peu incorporées dans leurs règles de fonctionnement les apprentissages moraux que les humains avaient fait. C’est mal de tuer, il y a donc une règle qui le dit « Tu ne tueras point ». Ces règles sont en général formulées en posant une limite entre ce qui est interdit (formulé dans la règle) et le reste, qui est par défaut autorisé. Ces Lois visent la Justice, et s’appliquent à  tous de la même manière. Pas de morale sans visée universelle. Ces Lois ne sont pas nécessairement explicitées, certaines sont présentes dans la tradition de telle ou telle société, sans forcément avoir fait l’objet d’une incorporation dans le droit positif. Le droit naturel, les traditions, notre raison, le sens de la Justice permettent d’avoir un regard critique sur le droit positif, et c’est pour cela qu’il évolue.

    Ce que je peux faire, ce n’est pas ce que me dit un homme de loi ; mais ce que l’humanité, la raison et la justice me disent que je devrais faire.

    Edmund Burke (1729-1797)
    Homme politique et philosophe irlandais.

    Dans la pensée d’Hayek, une distinction est faite entre ce droit positif (appelé « Thesis », le droit du législateur), et le « Nomos », le droit issu de la jurisprudence, de la tradition, et qui préexiste à  la Loi positive. On obéit au droit du législateur parce qu’il fait appliquer une Loi présumée exister en dehors d’elle et fondée sur l’opinion diffuse de ce qui est juste.

    Lois et réglementations

    Une distinction supplémentaire doit être faite au sein du droit positif (« Thesis »). J’ai gardé cette distinction comme un outil de pensée très utile de ma lecture d’Hayek, moins précis et détaillé que l’analyse qu’il en faisait, mais qui me sert souvent sous cette forme (en écrivant cette phrase, je viens de décider de relire cet extraordinaire livre). Il s’agit de la distinction entre Lois et Réglementations.

    • les lois sont les règles qui servent la justice. Elles ont une visée universelle, s’appliquent à  tous de la même manière (Égalité devant la loi), et sont en général plutôt formulées négativement (« tu ne dois pas… »). Ces lois sont celles du Rule of Law, plutôt du côté du Nomos. Les Lois, interdisant certains comportements, ne disent pas ce qui doit être fait, mais ce qui ne doit pas être fait. Elles sont un outil pour favoriser la liberté, et l’ordre spontané. Les lois, en France, sont proposées, débattues, adoptées par l’Assemblée Nationale.
    • les réglementations sont les règles qui servent un objectif spécifique, en fixant un certains nombres de contraintes non universelles. C’est l’outil des gouvernements pour atteindre leurs objectifs, pour construire un ordre de manière dirigée. Les réglementations ne s’appliquent pas à  tous de la même manière, elles sont circonstancielles. Ce sont les règles des constructivistes, c’est-à -dire des règles avec une visée politique qui supposent la capacité à  influer sur l’ordre de la société.

    On trouve des précisions dans les cours de Droit :
    Avant la constitution de 1958, la distinction entre la loi et le réglement existait déjà . Mais cette distinction s’accompagnait d’une affirmation de primauté absolue de la loi. En effet, dans la tradition constitutionnelle républicaine française, la souveraineté est exercée par les représentants du peuple, élus au Parlement, c’est-à -dire le pouvoir législatif. Cette prédominance de la loi aujourd’hui quasiment disparue. (…) La fonction du réglement n’est plus seulement de permettre l’exécution des lois en en déterminant les conditions de mise en oeuvre ; elle est aussi de régir toutes les matières pour lesquelles la loi n’est pas compétente.
    On apprend un peu plus loin qu’il existe des procédures de protection du domaine réglementaire contre les empiètements du pouvoir législatif. Il n’existe pas, par contre, de procédures de protection du domaine législatif contre l’empiètement du pouvoir réglementaire. En d’autres termes : le gouvernement peut prendre des décisions, et mettre en place des réglementations qui ne sont pas fidèles à l’esprit des lois.En d’autres termes : le gouvernement peut prendre des décisions, et mettre en place des réglementations qui ne sont pas fidèles à  l’esprit des lois. Voilà  qui est profondément choquant, conforme par ailleurs à  ce que l’on observe, et à  mes yeux, une réelle forme de dérive constructiviste. De toutes façons, dans l’esprit des gens, la distinction entre loi et réglementation n’étant pas claire, la voie était ouverte.

    Dérives constructivistes : deux exemples

    Une société de liberté suppose d’accepter une forme importante d’ordre spontané. L’individualisme, et le régime de liberté qui va avec, consiste à  « reconnaître l’individu comme juge en dernier ressort de ses propres fins, et à  croire que dans la mesure du possible ses propres opinions doivent gouverner ses actes ». On peut ne pas être individualiste dans ce sens, et c’est précisément ce que les penseurs comme Hayek ont appelé le constructivisme. Deux exemples simples permettront de comprendre comment la réglementation nuit à  la loi, à  l’égalité devant la loi des citoyens, et donc à  la Justice. Cela ne condamne bien sûr pas toute forme de constructivisme, mais devrait par contre susciter la plus grande méfiance vis-à -vis de cette manière de faire.
    Rappelez-vous : la distinction entre loi et réglementation est simple ; la loi s’applique à  tous et vise la justice, et un ordre spontané de la société dans le respect de ces règles, la réglementation ne s’applique pas à  tous, et vise un état précis, un ordre construit, de la société. Les deux exemples montrent bien comment, une fois que l’on accepte d’avoir des règles (réglementations) qui ne s’applique pas à  tous de la même manière, on met le doigt dans un cercle vicieux sans fin. Dans les deux cas, l’égalité de fait est visée plutôt que l’égalité devant la loi.

    Il y a toute les différences du monde entre traiter les gens de manière égale et tenter de les rendre égaux. La première est une condition pour une société libre alors que la seconde n’est qu’une nouvelle forme de servitude.

    Friedrich Hayek (1899-1992)
    Economiste et philosophe britannique.

    Impôts progressifs

    L’impôt proportionnel (taux fixe) est celui qui vise une contribution au financement de l’action publique par les citoyens à  proportion de leur revenu (avec un taux de 10%, celui qui a 100 paye 10, et celui qui a 1000 paye 100). L’impôt progressif (taux variable) vise, quant à  lui, à  une correction des inégalités par la redistribution (le riche payera plus en proportion que le pauvre). Deux manières de penser l’impôt. En France, l’impôt est en partie progressif, en partie proportionnel. Je trouve injuste l’impôt progressif, qui n’a pas de fin, et laisse la porte ouverte à  l’arbitraire : selon les humeurs, les volontés politiques, il sera facile de modifier la progressivité et d’aller jusqu’à  la spoliation. On ne saurait qualifier de « loi » des réglementations traitant différemment – fiscalement – les citoyens. J’ai pris l’exemple de l’impôt, et on pourrait dérouler les milliers d’injustices qui existent dans ce domaine : selon que vous travaillerez dans tels ou tels secteur vous ne serez pas imposé de la même manière. Constructivisme toujours : le régulateur, dans un bel élan de scientisme, prétend savoir ce qu’il faut soutenir ou affaiblir comme type d’activité.

    Discrimination positive

    Un autre exemple où la volonté de « construire » un ordre supposément plus juste conduit à  faire n’importe quoi : la discrimination positive conduisant à  mettre en place des quotas (de noirs, de femmes, de jaunes, d’homosexuels, etc.) pour atteindre une « égalité ». Par des réglementations stupides, on piétine l’égalité devant la loi, on force des décisions injustes. Et à  nouveau, l’engrenage est sans fin : une foi l’égalité devant la Loi rompue, comment arrêter le délire ? S’il y a des quotas de noirs, pourquoi pas de roux ? ou d’obèse avec des boutons ? Tout cela est délirant, instrumentalisé par des militants diversitaires, et nous devrions être beaucoup plus fermes sur nos principes. Pour cela, il est important de subordonner à  nouveau la réglementation aux lois : la loi est la même pour tous, et – contrairement aux règlements qui sont l’outil des gouvernants – elle est débattue et adoptée par les représentants du peuple.

  • De la démocratie en Amérique

    De la démocratie en Amérique

    J’ai eu la chance d’avoir un Kindle lors de mon dernier anniversaire. Du coup, je découvre les joies de la lecture facile dans le métro, ou au dodo. C’est léger un Kindle, et on peut facilement annoter des choses en lisant. Le premier livre que j’ai lu, c’est le formidable livre d’Alexis-Henri-Charles Clérel, comte de Tocqueville, couramment connu sous le nom d’Alexis de Tocqueville (1805-1859). Personnage de roman, issu de la noblesse, homme politique, philosophe, sociologue avant l’heure, c’est surtout une plume incroyable de clarté et de concision. Alexis de Tocqueville a fait un voyage pour aller observer le système carcéral aux USA naissants, mais il y a passé plus de temps, et en a rapporté un premier livre (1835) et un second (1940) qui dessinent une analyse sociale et politique des USA : « De la démocratie en Amérique ».

    Livre de référence de philosophie politique

    C’est un livre formidable, fondamental, et qui consiste en une sorte d’analyse d’une Nation naissante, les USA, comparée avec ce que Tocqueville connait, c’est-à -dire la monarchie française post-révolutionnaire, et l’émergence de la même société démocratique en France.
    Le livre est formidable pour plusieurs raisons, outre les qualités stylistiques déjà  évoquées : un esprit synthèse extraordinaire, un goût pour la précision factuelle, et la rigueur intellectuelle, une grande connaissance du sujet.

    Je ne sais si j’ai réussi à  faire connaître ce que j’ai vu en Amérique, mais je suis assuré d’en avoir eu sincèrement le désir, et de n’avoir jamais cédé qu’à  mon insu au besoin d’adapter les faits aux idées, au lieu de soumettre les idées aux faits.

    On sent que Tocqueville s’est réellement plongé dans le pays américain, dans sa culture, dans son histoire. Ce qui en ressort, si je devais résumer à  l’extrême :

    • la vague de fond de l’égalité qui est en train de transformer le monde. Ce que Tocqueville voit dans l’Amérique, c’est l’avenir des nations européennes. Il souligne à  la fois l’inéluctabilité du phénomène, son extrême proximité avec l’idée de liberté, et en même temps en décrit très bien les aspects potentiellement excessifs (tome 2 notamment avec le concept de tyrannie de la majorité).
    • la construction de la société américaine qui s’est faite sur une base locale, communale, c’est-à -dire dans une logique de subsidiarité ascendante. Les institutions de chaque Etat ne sont légitimes que pour remplir les fonctions que l’échelon inférieur, communal, ne peut assurer/gérer seul. La constitution de l’Union est dans le même esprit : le niveau national ne peut prendre la main que sur des sujets délégués des différents Etats vers le gouvernement national. Tocqueville y voit un puissant levier pour limiter le pouvoir, par son morcellement. J’y vois aussi un moyen simple pour éviter une centralisation excessive. Tocqueville insiste également sur le rôle que les citoyens jouent dans l’administration et la politique locale, bien plus qu’en France.
    • A titre personnel, Tocqueville voit dans tous ces changements, qu’il sent bien arriver aussi en France, à  la fois un progrès pour la liberté en général, mais aussi une régression pour la liberté de penser et d’expression : la fameuse tyrannie de la majorité rend presque infréquentable celui qui ne pense pas comme la majorité. Une fois une idée adoptée par la majorité, elle n’est plus discutable. Cela ne vous rappelle rien ?
    • Enfin, on peut lire dans « De la démocratie en Amérique » un plaidoyer pour une libéralisme subsidiaire assez large dans la société, sauf pour les aspects de politique extérieures. Par ailleurs, et sur de nombreux aspects, il me semble être un vrai libéral humaniste, et un vrai critique de l’utilitarisme, position dont je ne saurais être plus proche.Je reviendrai là -dessus dans un billet à  venir.
    • Tocqueville pensait que les bienfaits de la démocratie américaine résidait dans la tranquille et pacifique coexistence des individus, et la prospérité. Il voyait dans cet état de choses un monde d’où l’esprit de grandeur, et d’entreprendre de grands projets, aurait disparu. Je pense qu’il avait en partie raison, et en partie tort sur ce point : il avait une grille de lecture militaire, aristocratique, de ce qui est grand ou non. Les démocraties ont montré par la suite, grâce aux progrès de la liberté et de la technique, qu’elles pouvaient aussi secréter de grands projets, et de grandes entreprises.

    Grand auteur

    Au-delà  de ces quelques points, très subjectifs et réducteurs, je vous recommande très vivement la lecture de cet ouvrage majeur. Beaucoup de passages sont extraordinaires de lucidité, de rigueur morale et intellectuelle, et c’est un plaisir de chaque instant que de suivre cette analyse, et cette langue française magnifique. Personne ne peut comprendre ce qu’est la démocratie, sans avoir lu Tocqueville. Le mot de la fin à  l’auteur (une citation parmi des dizaines et des dizaines notées sur mon kindle) :

    Il existe une loi générale qui a été faite ou du moins adoptée, non pas seulement par la majorité de tel ou tel peuple, mais par la majorité de tous les hommes. Cette loi, c’est la justice.

  • Citation #65

    Friedrich HayekIl y a toutes les différences du monde entre traiter les gens de façon égale et tenter de les rendre égaux. Si le premier est la condition d’une société libre, le second n’est qu’une forme de servitude.

    Hayek