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  • Interview d'Alain Boyer : neuvieme partie

    On continue l’interview avec le récit de la rencontre entre Alain Boyer et Karl Popper, et l’examen de la philosophie politique de ce dernier. On y parle de « société ouverte », de démocratie, de libéralisme et d’utilitarisme. Vous pouvez retrouver toutes les parties de l’interview dans le sommaire ! …Bonne lecture !

    Je rebondis juste en tant que scientifique, parce que je trouve que c’est une idée très forte, mais que je ne connaissais pas (mais que je sentais intuitivement) mais effectivement les sciences sont basées sur la construction de « théories » que l’on peut réfuter (c’est la base), et je trouve passionnant le fait que ça n’abolisse pas du tout la métaphysique. Ce sont deux choses qui existent ensembles, et beaucoup de grands scientifiques sont d’ailleurs amateurs de réflexions métaphysiques parce qu’il y a des conséquences métaphysiques aux théorie scientifiques…
    Et Popper permet de dire, ce que ne permettait pas le positivisme, que les assertions des religions ne sont pas dénuées de sens. Il existe un x qui est omnipotent, omniscient, etc. c’est à  dire Dieu, c’est doué de sens. C’est pour ça que ça m’a plu (bien que je sois athée, mais « Dieu n’existe pas » n’a pas non plus de sens pour les positivistes radicaux), et c’est pour ça que j’ai décidé de faire mon mémoire de maîtrise sur lui. Et je me suis dit « j’ai de la chance, je fais un mémoire de maîtrise sur un homme qui est encore vivant, alors je vais lui écrire ». J’ai d’abord écrit à  Jacques Monod, qui était prix Nobel de médecine, bien connu, et qui avait préfacé et fait traduire en français l’ouvrage fondamental de Popper qu’il a écrit à  l’âge de 32 ans (die Logik der Forschung) (« Logic of scientific discovery« ). Je fais une plaisanterie avec mes étudiants (en anglais c’est LSD), je leur dit que c’est un livre hallucinant !
    Donc j’ai écrit à  Monod, à  l’institut Pasteur, puis il m’a téléphoné, j’étais très impressionné, il y a copain qui m’a dit « tu as un prix Nobel au téléphone » alors comme à  Ulm on faisait des blagues, j’ai dit « ouais et moi je suis le pape » alors j’ai dit :
    « -AAAllloo » (voix raillarde. Ndr)
    « ici jacques Monod »
    « euh, oui…euh bonjour Mon…Monsieur »
    Il avait un prestige incroyable, prix Nobel, auteur du « Hasard et la nécessité », un homme d’une droiture, d’un charme ! Une autorité scientifique et morale. Et ami de Popper. Et il m’a donné l’adresse, en me félicitant. Donc je suis allé voir Popper. Je m’attendais à  tomber sur quelqu’un qui m’aurait reçu au plus heure, en étant sec. Il m’a accueilli avec du thé, et puis il m’a gardé 4 heures…
    Accessible, donc ?
    Avec un grand sourire. Il était très déçu de ne pas être connu en France. Alors un jeune français qui vient le voir, il était content. La dernière fois que je l’ai vu, c’était en 1993, un an avant sa mort, où il était obsédé par deux problèmes — moraux – : le bombardement de Sarajevo (ça lui rappelait la première guerre mondiale, parce qu’il était autrichien, l’assassinat de l’archiduc Ferdinand !) et puis deuxièmement il était complètement obsédé par la montée de la violence chez les jeunes. Il accusait la télévision. On parlait de ça, mais il était capable d’un seul coup de me dire : « vous intéressez vous à  la mécanique quantique? » alors je dis « euh, oui », et alors, braaaa, il se mettait à  dérouler ses nouvelles idées. Un personnage tout à  fait étonnant. Et donc en fait, c’est sans le vouloir, c’est souvent comme ça la vie, que je suis devenu poppérien. Parce mon idée, c’était de faire une maîtrise sur lui, et puis passer à  autre chose pour ma thèse. Mais l’ayant vu et rencontré, et rencontré des disciples, dont mon excellent ami logicien David Miller, je me suis mis à  aller aux colloques, etc. Et à  ce moment là , je me suis aperçu, contrairement à  ce que je pensais au départ, puisqu’à  l’époque j’étais encore socialiste de gauche, et je me disais « c’est un bon épistémologue, mais en philosophie politique c’est un type de droite ». Donc « non leguntur », on ne lit pas.
    Mais, il y a bien fallu quand même que je lise ses ouvrages de philosophie politique. Et son principal, écrit en Nouvelle-Zélande en exil, pendant la guerre, avec ce titre absolument magnifique « la société ouverte et ses ennemis ». J’ai écrit il y a quelque temps que je n’avais ressenti avec autant de force la pertinence de cette expression qu’au moment du 11 septembre. La société ouverte a des ennemis. C’est un livre assez curieux, parce que c’est en pleine guerre, il souhaite la victoire des alliés, donc alliés avec Staline, et l’ennemi c’est Hitler. Mais le livre est essentiellement contre le totalitarisme, et pour la démocratie libérale (la société ouverte) que lui fait remonter, contrairement à  beaucoup de libéraux et c’est un peu son originalité, il la fait remonter aux Grecs ! Périclès, Protagoras, Démocrite sont les inventeurs de la société ouverte. Je crois qu’il a raison. Et c’est pour ça qu’il attaque Platon, bien que le plus grand des philosophes, parce qu’il attaque la démocratie qui avait condamné à  mort son maître Socrate, Platon était extrêmement anti-démocrate. Il était pour le pouvoir des philosophes. C’est pour ça que le livre est pas tellement anti-fasciste, mais anti-communiste ! Parce que son idée était : »les alliés vont gagner la guerre. Mais juste après, c’est la confrontation avec le marxisme qui va devenir la menace ». La marxisme incarné par Staline. Le livre est paru en 1945 (écrit en 1942)…
    A nouveau avec une vision assez prophétique des évènements…
    Complètement. Il considérait que l’ennemi principal de la société ouverte devenait le communisme. Et donc le livre était essentiellement une critique de toutes les utopies, communistes en particulier. Une défense de la société ouverte. Mais une défense qui n’est pas du tout libertarienne, mais libérale. Je pense qu’il aurait été d’accord, pour dire les choses simplement, il aurait été d’accord avec une phrase de Lionel Jospin, qui avait été très critiquée, à  la fois à  droite et à  gauche, mais que je trouvais bien. Jospin avait dit : »je suis pour une économie de marché, mais pas pour une société de marché ». Je pense que c’est une phrase qui a du sens, et qui peut être défendue. Je ne suis pas pour le « tout marché », mais pas pour le zéro marché.
    Une phrase équilibrée…
    Voilà  ! et c’est très poppérien. Et donc la Société Ouverte est un livre largement inspiré par sa jeunesse sociale démocrate. Il est resté social démocrate jusque dans les années 45, là  où il est devenu plus libéral. Mais quand même il a toujours gardé cette idée d’une vision morale de la politique en disant « il ne faut surtout pas essayer de faire le bonheur des gens ». La politique n’est pas là  pour faire le bonheur des gens. C’est totalitaire. Il critiquait un mouvement qui est très connu en philosophie et en politique, c’est l’utilitarisme. Issu de Bentham, et qui consiste à  dire « La bonne société, c’est la société qui maximise le bien-être collectif ». Il en avait vu tout de suite les dangers.
    Mais il a proposé quelque chose qu’on a appelé l’utilitarisme négatif (mais l’expression est un peu trompeuse), qui consiste à  dire et ça c’est très libéral, et en même temps c’est social démocrate, c’est un compromis, ou plutôt un synthèse : « notre préoccupation ne doit pas être de faire le bonheur des gens, c’est une affaire privée, mais de minimiser les souffrances, et les manques ». Par exemple, le manque d’éducation, la maladie, le chômage, la manque de liberté. le politique doit avoir un « agenda » des problèmes à  résoudre . Mais pas en faisant table rase des institutions, comme le fait un révolutionnaire, mais à  partir du réel. Donc il propose une véritable théorie du réformisme, qu’il appelle en anglais « piecemeal social engineering ». L’ingénierie sociale « par morceaux ». Et donc il est favorable à  l’ingénierie sociale, ce que ne sont pas les libéraux, y compris son ami Hayek. « La main invisible » du marché d’Adam Smith. Souvent incompris d’ailleurs, puisque Adam Smith accordait un rôle important à  l’Etat. Et donc il pense qu’il faut une intervention de l’Etat, en particulier dans l’éducation, la santé. Et cette position, qu’au départ je considérais de droite, à  cause de mes préjugés, m’apparaît en fin de compte extrêmement raisonnable.
    C’est l’impression que ça fait pour quelqu’un comme moi, pas très politisé d’éducation, ça paraît très raisonnable et difficile à  contredire…
    Beaucoup d’hommes politiques, d’ailleurs, se sont réclamés de lui. De droite et de gauche, d’ailleurs. Par exemple, les deux Helmut allemands Helmut Schmidt et Kohl le social démocrate et le chrétien démocrate, sont allés le voir. Même Gorbatchev ! Il a dit avoir été influencé par l’idée de société ouverte. Et la perestroika qu’il a voulu introduire, c’était de l’ouverture justement.
    A suivre !

    Retrouvez les autres parties de l’interview dans le sommaire !

  • Ce qui est drole dans ces elections…

    Retour sur la soirée télévisée de résultat du premier tour. Pas très intéressant, mais il y a toujours quelques drôleries dans ces soirées électorales d’entre-deux tours : entre les andouilles patentées, ceux qui commencent à  sortir leurs rateaux à  voix, et les journalistes cherchant à  tout prix à  étaler leur incompétence, on peut toujours s’amuser un peu…
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  • Interview de Sabine Herold

    Sabine HeroldAprès l’interview d’Aurélien Véron, j’ai le plaisir de vous présenter l’interview de Sabine Herold, candidate pour être présidente d’Alternative Libérale. Elle a gentiment accepté de répondre à  mes questions (par écrit), et je publie donc cette interview inédite en espérant qu’elle vous intéressera. Il est à  noter qu’Aurélien Véron et Sabine Herold sont les porteurs des deux listes en concurrence pour la présidence d’AL.

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  • Sarkozy l'anti-liberal

    J’ai entendu ce matin que le gouvernement et Sarkozy veulent peser sur la politique de l’emploi du groupe Alcatel-Lucent. Cela me désole. Non pas parce que les propositions qu’ils vont faire seront bonnes ou mauvaises. Mais simplement parce que ce n’est pas de leur responsabilité de décider de la stratégie des entreprises privées. Le conseil d’administration est responsable, devant les actionnaires, du choix du dirigeant à  qui il confie les rênes de la boite. Ce dirigeant (Patricia Russo) est responsable devant le conseil d’administration des résultats du groupe.
    Sarkozy, ou Lagarde, ne sont responsables en rien de la stratégie d’Alcatel-Lucent. Ils n’ont aucune légitimité pour décider si telle ou telle décision est légitime ou pas. C’est leur intervention dans ces affaires qui est illégitime. Encore une fois, ce n’est pas les décisions qu’ils vont prendre (ou pas) qui me choquent, ce sont le fait qu’ils s’autorisent à  en prendre. En entretenant l’idée – si conforme à  l’imaginaire collectif français – d’une mondialisation menaçante, d’un système économique nécessitant une intervention étatique pour limiter la casse.
    C’est la position anti-libérale par excellence. Démagogie à  la veille des municipales ?
    Sarkozy ferait mieux, plutôt que d’essayer de sauver les emplois industriels d’Alcatel sur le sol français, de se mettre en phase avec Eric Besson, qui reprend – enfin ! – cette idée chère aux pays nordiques que ce sont les hommes qu’il faut protéger, et pas les emplois (source : Radio BFM, Emission de Stéphane Soumier, le 27.02.08) Dire qu’il faut « protéger » (de qui ? de quoi ?) est une position critiquable en soi, mais comprendre les règles économiques de bases, et les intégrer dans les propositions politiques me parait être une bonne chose. Des emplois sont détruits et crées chaque jour, par million dans le monde. La régulation de ce phénomène, c’est l’économie, le fonctionnement normal du marché. La protection à  mettre oeuvre – si protection il faut – est bien la protection et la sécurisation des personnes, pas des emplois.

  • Interview d'Aurélien Veron, Président d'Alternative Libérale

    Aurelien VeronJe vous avais promis de continuer à  publier des interviews inédites spécialement pour vous, chers lecteurs ! Je tiens parole : voici une interview d’Aurélien Véron, président du parti Alternative Libérale. Il a gentiment accepté de répondre par écrit à  une première série de questions…il dépend de vos réactions en commentaires que cette série se prolonge, en l’enrichissant de vos questions, de vos remarques. Bonne lecture !
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  • Citation #64

    Ludwig Von MIsesLe libéralisme est rationaliste. Il soutient qu’il est possible de convaincre l’immense majorité que la coopération paisible dans le cadre de la société sert mieux leurs intérêts justement compris que des batailles mutuelles et la désintégration sociale. Il a pleine confiance dans la raison de l’homme. Il se peut que cet optimisme ne soit pas fondé et que les libéraux se trompent. Mais alors il ne reste plus aucun espoir pour l’avenir de l’humanité.

    Ludwig Von Mises