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  • Libéralisme et constructivisme

    Retour sur les idées présentées au début de l’excellent bouquin de Pascal Salin « Libéralisme ». Où l’on apprend la différence entre libéralisme et constructivisme, et que notre société française est majoritairement sous le signe du constructivisme. Les sources idéologiques du constructivisme y sont détaillées avec clarté et vigueur : égalitarisme, absolutisme démocratique et scientisme. Je sais dès à  présent que ce livre sera très enrichissant, et j’ai envie de partager les réflexions qu’il m’inspire avec vous.

    Les livres et moi

    J’ai un problème avec les livres : j’adore ça ! J’ai toujours plus ou moins 2 ou 3 livres en cours simultanément. Selon la facilité de lecture, selon mes envies du moment, je passe de l’un à  l’autre. J’ai presque fini l’excellent bouquin « Les prêcheurs de l’Apocalypse » de Jean de Kervasdoué (CNAM). J’ai été stoppé net dans ma lecture parce qu’ai reçu ma commande de deux bouquins de Pascal Salin : « Libéralisme » et « Français, n’ayez pas peur du libéralisme« . Je n’ai pas pu résister, hier soir, et je me suis plongé avec délectation dans « Libéralisme ». C’est écrit clairement, c’est puissant, et je sens déjà  que ce livre sera marquant, intellectuellement parlant. Il y a des livres comme ça, qui prennent presqu’autant de valeur qu’une rencontre avec quelqu’un (et c’en est une d’ailleurs).
    Les quelques précisions que Pascal Salin donne dès le début sont très éclairantes, et je voudrais les partager avec vous (il y aura, je pense, plusieurs autres billets consacrés à  ce bouquin merveilleux). La distinction apportée par Alain Boyer entre morale de responsabilité et morale de conviction avait été super enrichissante, et bien plus structurante que la traditionnelle scission gauche/droite, dont le sens n’est pas net. Pascal Salin commence par distinguer le libéralisme et le constructivisme (c’est l’objet de cet article), et enchaine sur la distinction entre libéralisme « humaniste » et libéralisme « utilitariste » (ce sera l’objet d’un deuxième article). Cette distinction entre « individualisme ou libéralisme » et « constructivisme » a été proposée par Friedrich Hayek.

    Libéralisme et constructivisme

    Le libéralisme est fondée sur la liberté individuelle, et sur le droit qui garantie cette liberté individuelle à  tous. La société est, selon les vues libérales, libre d’évoluer au gré des initiatives des individus, et il n’est donc pas possible de la construire de toute pièce. En cela, le libéralisme et le constructivisme sont incompatibles : le constructivisme, en effet, consiste à  vouloir construire la société en fonction de valeurs et de la place qu’on veut donner à  telle ou telle catégorie de citoyens. Le libéral s’oppose à  cette vision parce que la seule entité raisonnable pour réfléchir est l’individu.
    […] le libéral est, selon les propres termes de Friedrich Hayek, celui qui « laisse faire le changement, même si on ne peut pas prévoir où il conduira ». Il implique, par conséquent, une confiance dans les capacités des personnes à  s’adapter continuellement à  des conditions changeantes et toujours imprévisibles.
    Pascal Salin, fort de cette distinction, explique qu’en France la quasi-totalité des hommes politiques (de droite comme de gauche) est constructiviste. Que l’on soit réformateur, ou conservateur, on peut être constructiviste. Dans un cas on veut changer le système, dans l’autre on veut le maintenir, et dans les deux cas il s’agit de vouloir construire la société.

    Sources du constructivisme

    Pascal Salin détaille les sources de la prégnance très forte du constructivisme en France :

    • Egalitarisme :
      Il existe en effet deux notions différentes de l’égalité, l’égalité des droits et l’égalité des résultats. La première inspirait la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 («Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits», phrase qui était cependant immédiatement suivie d’une autre dont l’inspiration était plus collectiviste : « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune») ; mais c’est la seconde notion qui est devenue dominante et elle est d’ailleurs formellement affirmée dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, qui reconnaît toutes sortes de «droits à » (droit au travail, à  la Sécurité sociale, etc.). La première notion est manifestement libérale et individualiste, puisqu’elle consiste à  reconnaître l’égale dignité de chacun, mais à  le laisser libre de développer son propre destin à  partir du moment où ses droits sont déterminés et respectés. La seconde est un pur produit du constructivisme, puisqu’elle consiste à  penser que l’on peut interférer avec les résultats de l’action humaine et imposer une répartition des richesses conforme au modèle décidé par les détenteurs du pouvoir, en donnant a priori à  chacun des droits sur l’activité d’autrui.
      Ce faisant, on crée, au nom de l’égalitarisme, de nouvelles inégalités, par exemple celles qui existent entre ceux qui vivent de leurs propres efforts et ceux qui profitent de la contrainte organisée ; ou encore entre ceux qui ont accès au pouvoir politique, instrument supposé de l’égalitarisme, et ceux qui en sont écartés.
    • Absolutisme démocratique :
      Le caractère démocratique d’un pays ou d’une institution quelconque est devenu le critère d’évaluation prioritaire. […]
      L’extension de cet absolutisme démocratique va évidemment de pair avec une méfiance très grande à  l’égard des solutions de marché et c’est pourquoi on s’achemine bien souvent vers la recherche de solutions de type collectiviste où la négociation et le «dialogue », par l’intermédiaire de représentants démocratiquement élus, sont censés conduire à  un consensus. C’est l’illusion de la convergence des intérêts, non pas entre les individus – ce que seul le marché permet de réaliser – mais entre les groupes organisés.
      Le résultat de cette conception de la vie sociale est évidemment le corporatisme qui, étrangement, a conduit la France d’aujourd’hui à  ressembler à  la France de l’Ancien Régime. Cette ressemblance n’est d’ailleurs pas le fruit du hasard. Elle est seulement le résultat d’une conception de la vie sociale où la source de tout pouvoir réside non pas dans les individus, mais dans la sphère politique. De ce point de vue, il importe relativement peu que le pouvoir politique soit de nature monarchique ou démocratique. Aucun pouvoir en effet n’a les moyens d’organiser la cohérence des besoins individuels, il ne peut qu’agir grossièrement en plaçant les individus dans des catégories, professionnelles, religieuses, ou sociales, en prétendant reconnaître l’existence d’intérêts catégoriels et en organisant centralement leur coexistence. Comme nous le verrons constamment, l’État crée des abstractions collectives – par exemple les intérêts catégoriels -, il prétend qu’ils existent par nature et qu’il est évidemment le seul à  pouvoir les organiser de manière à  assurer la cohésion sociale, puisqu’il s’agit d’«intérêts collectifs».
      Cette conception collectiviste de la société conduit naturellement à  la politisation de la vie quotidienne. Tout est le résultat des luttes pour le pouvoir, qu’il s’agisse de la santé, de l’éducation ou de l’activité entrepreneuriale. Mais parce qu’elle ignore les besoins individuels, aussi bien que les informations individuelles, cette conception, loin de conduire à  l’harmonie, est source de frustrations et d’envies insatiables. Lorsque les choix quotidiens de votre vie sont essentiellement effectués par d’autres que vous, même si ceux qui décident sont censés être vos représentants, vous devez soit subir leurs décisions, soit vous lancer dans un combat épuisant et inégal pour essayer d’exprimer et de faire comprendre la réalité de vos besoins.
    • Scientisme ou illusion du savoir :
      Le constructivisme repose sur un formidable orgueil intellectuel : pour vouloir modeler la société à  sa guise, il faut évidemment supposer à  la fois que l’on connaît les objectifs de ses membres – comme si l’infinie diversité de ces objectifs individuels pouvait faire l’objet d’un processus réducteur de synthèse globale – mais aussi que l’on connaît les meilleurs moyens d’y arriver, c’est-à -dire que l’on a une connaissance parfaite des processus d’interactions complexes qui composent une société. […]
      Tous ces constructivistes veulent plier la réalité à  leurs désirs, par des moyens nécessairement illusoires, puisqu’ils n’ont pas la connaissance, mais seulement la prétention de la connaissance. Aussi, pour poursuivre leurs desseins, mobilisent-ils toutes les théories-alibis de notre époque, toutes celles qui semblent parer leurs actes d’une couverture scientifique.
      En réalité, cette approche est non pas scientifique, mais scientiste, c’est-à -dire qu’elle prend l’apparence habituelle de la science, par exemple son caractère mathématique, mais elle ne répond pas à  ses exigences méthodologiques fondamentales.

    Voilà . Pour un début de livre, je trouve ça passionnant, clair, lucide et raisonnable. Pour ceux que ça intéresse, le texte du début du livre (celui qui distingue Libéralisme et constructivisme) est disponible intégralement sur Catallaxia. Dire que je vous conseille d’aller le lire est un euphémisme. En conclusion, la fin du chapitre :
    Comme le disait, je crois, Julien Freund, le libéral se doit d’être tolérant avec les hommes et intolérant avec les idées, en ce sens qu’on ne peut pas admettre qu’une idée et son contraire soient également et simultanément vrais, mais les hommes sont tous également dignes de respect. En France, c’est le contraire qui prévaut sur la scène politique : on est intolérant avec les hommes et tolérant avec les idées.

  • Harmonies Economiques : Premier chapitre

    Voici le deuxième article de la série consacrée au livre d’Harmonie Economique de Frédéric Bastiat. Après l’introduction qui présentait l’idée maîtresse du livre (« les intérêts légitimes sont harmoniques »), voilà  donc les grandes idées du premier chapitre intitulé « Organisation naturelle, organisation artificielle ». C’est un appel à  la vigilance face aux systèmes proposés par les penseurs et politiciens pour mieux organiser la société, un éloge de la liberté. L’idée principale est la suivante : « La vie en société est l’état de nature de l’être humain. L’organisation naturelle d’une société, notamment le jeu des échanges de biens et de services, qui mène a des associations progressives des hommes entre eux (tant que la liberté des actes est garantie), ne doit pas être remise en cause ou contrainte de manière artificielle sans avoir bien réfléchi aux conséquences des changements proposés ». Voyons un peu plus en détail…

    Interactions multiples et échanges indirects

    Bastiat commence par décrire deux exemples que j’aime beaucoup, parce que j’ai souvent pensé à  ça : celui d’un ouvrier et d’un étudiant (peu importe leurs statuts, la réflexion peut se faire avec n’importe qui) qui vivent une journée. L’auteur décrit tout ce que le société – par le biais d’échanges indirects – leur apporte. Par exemple, l’étudiant lit un livre, lequel a été imprimé par d’autres, puis transporté. Ses études sont payées par ses parents, avec de l’argent qui est lui même le fruit d’un échange avec, par exemple, l’industrie chinoise. Et ainsi de suite…J’adore cette mise en abîme : l’avez-vous déjà  faite ? Par exemple, je tape ce texte sur un clavier. Cela implique d’avoir un ordinateur, fabriqué en Chine sur une chaîne de montage, d’avoir de l’électricité produite dans une centrale nucléaire, d’avoir acquis les énormes connaissances techniques et scientifiques que cela implique, d’avoir accès à  Internet pour lire en ligne le livre de Bastiat, que quelqu’un ait pris la peine de le mettre en ligne, etc, etc. Le nombre de personnes indirectement impliqué dans mon acte d’écriture est énorme ! C’est toute l’humanité, passée et présente, toute la société qui est indirectement impliqué dans cette action rendue possible !
    Une chose encore digne de remarque, c’est que dans ce nombre, vraiment incalculable, de transactions qui ont abouti à  faire vivre pendant un jour un étudiant, il n’y en a peut-être pas la millionième partie qui se soit faite directement. Les choses dont il a joui aujourd’hui, et qui sont innombrables, sont l’oeuvre d’hommes dont un grand nombre ont disparu depuis longtemps de la surface de la terre. Et pourtant ils ont été rémunérés comme ils l’entendaient, bien que celui qui profite aujourd’hui du produit de leur travail n’ait rien fait pour eux. Il ne les a pas connus, il ne les connaîtra jamais. Celui qui lit cette page, au moment même où il la lit, a la puissance, quoiqu’il n’en ait peut-être pas conscience, de mettre en mouvement des hommes de tous les pays, de toutes les races, et je dirai presque de tous les temps, des blancs, des noirs, des rouges, des jaunes; il fait concourir à  ses satisfactions actuelles des générations éteintes, des générations qui ne sont pas nées; et cette puissance extraordinaire, il la doit à  ce que son père a rendu autrefois des services à  d’autres hommes qui, en apparence, n’ont rien de commun avec ceux dont le travail est mis en oeuvre aujourd’hui. Cependant il s’est opéré une telle balance, dans le temps et dans l’espace, que chacun a été rétribué et a reçu ce qu’il avait calculé devoir recevoir.
    En vérité, tout cela a-t-il pu se faire, des phénomènes aussi extraordinaires ont-ils pu s’accomplir sans qu’il y eût, dans la société, une naturelle et savante organisation qui agit pour ainsi dire à  notre insu ?
    On parle beaucoup de nos jours d’inventer une nouvelle organisation. Est-il bien certain qu’aucun penseur, quelque génie qu’on lui suppose, quelque autorité qu’on lui donne, puisse imaginer et faire prévaloir une organisation supérieure à  celle dont je viens d’esquisser quelques résultats ?

    Méthodes pour promouvoir une nouvelle organisation artificielle

    Bastiat décrit ensuite les mécanismes et les méthodes utilisés par ceux qui veulent promouvoir une nouvelle organisation artificielle :

    1. Ils commencent par décrire les maux de la société en oubliant de rappeler ses aspects positifsAussi les publicistes auxquels je fais allusion, après avoir proclamé avec enthousiasme et peut-être exagéré la perfectibilité humaine, tombent dans l’étrange contradiction de dire que la société se détériore de plus en plus. À les entendre, les hommes sont mille fois plus malheureux qu’ils ne l’étaient dans les temps anciens, sous le régime féodal et sous le joug de l’esclavage; le monde est devenu un enfer. S’il était possible d’évoquer le Paris du dixième siècle, j’ose croire qu’une telle thèse serait insoutenable.
    2. Ils condamnent l’intérêt personnelEnsuite ils sont conduits à  condamner le principe même d’action des hommes, je veux dire l’intérêt personnel, puisqu’il a amené un tel état de choses. Remarquons que l’homme est organisé de telle façon, qu’il recherche la satisfaction et évite la peine; c’est de là , j’en conviens, que naissent tous les maux sociaux, la guerre, l’esclavage, le monopole, le privilège; mais c’est de là  aussi que viennent tous les biens, puisque la satisfaction des besoins et la répugnance pour la douleur sont les mobiles de l’homme. La question est donc de savoir si ce mobile qui, par son universalité, d’individuel devient social, n’est pas en lui-même un principe de progrès.
    3. Ils proposent de s’en débarrasser (pour cela, deux méthodes : la force ou l’assentiment universel, tous deux impossibles)Pour déterminer tous les hommes à  la fois à  rejeter comme un vêtement incommode l’ordre social actuel, dans lequel l’humanité a vécu et s’est développée depuis son origine jusqu’à  nos jours, à  adopter une organisation d’invention humaine et à  devenir les pièces dociles d’un autre mécanisme, il n’y a, ce me semble, que deux moyens: la Force, ou l’Assentiment universel.
      Il faut, ou bien que l’organisateur dispose d’une force capable de vaincre toutes les résistances, de manière à  ce que l’humanité ne soit entre ses mains qu’une cire molle qui se laisse pétrir et façonner à  sa fantaisie; ou obtenir, par la persuasion, un assentiment si complet, si exclusif, si aveugle même, qu’il rende inutile l’emploi de la force.
      Je défie qu’on me cite un troisième moyen de faire triompher, de faire entrer dans la pratique humaine un phalanstère ou toute autre organisation sociale artificielle.
      Or, s’il n’y a que ces deux moyens et si l’on démontre que l’un est aussi impraticable que l’autre, on prouve par cela même que les organisateurs perdent leur temps et leur peine.

    Critique fondamentale du Contrat Social de Rousseau

    Bastiat se livre ensuite à  une critique des fondements philosophiques de Rousseau et son Contrat social, que je ne reprends pas ici, mais qui est très forte (les prémisses de Rousseau sont que la société est un état contre-nature, ce à  quoi Bastiat s’oppose) et aboutit à  cette conclusion :

    Que le lecteur veuille bien excuser cette longue digression, j’ai cru qu’elle n’était pas inutile. Depuis quelque temps, on nous représente Rousseau et ses disciples de la Convention comme les apôtres de la fraternité humaine. — Des hommes pour matériaux, un prince pour mécanicien, un père des nations pour inventeur, un philosophe par-dessus tout cela, l’imposture pour moyen, l’esclavage pour résultat; est-ce donc là  la fraternité qu’on nous promet?
    Il m’a semblé aussi que cette étude du Contrat social était propre à  faire voir ce qui caractérise les organisations sociales artificielles. Partir de cette idée que la société est un état contre nature; chercher les combinaisons auxquelles on pourrait soumettre l’humanité; perdre de vue qu’elle a son mobile en elle-même; considérer les hommes comme de vils matériaux; aspirer à  leur donner le mouvement et la volonté, le sentiment et la vie; se placer ainsi à  une hauteur incommensurable au-dessus du genre humain: voilà  les traits communs à  tous les inventeurs d’organisations sociales. Les inventions diffèrent, les inventeurs se ressemblent.

    Association progressive et volontaire

    Parmi les arrangements nouveaux auxquels les faibles humains sont conviés, il en est un qui se présente en termes qui le rendent digne d’attention. Sa formule est: Association progressive et volontaire.
    Mais l’économie politique est précisément fondée sur cette donnée, que société n’est autre chose qu’association (ainsi que ces trois mots le disent), association fort imparfaite d’abord, parce que l’homme est imparfait, mais se perfectionnant avec lui, c’est-à -dire progressive. Veut-on parler d’une association plus étroite entre le travail, le capital et le talent, d’où doivent résulter pour les membres de la famille humaine plus de bien et un bien-être mieux réparti ? À la condition que ces associations soient volontaires; que la force et la contrainte n’interviennent pas; que les associés n’aient pas la prétention de faire supporter les frais de leur établissement par ceux qui refusent d’y entrer, en quoi répugnent-elles à  l’économie politique ? Est-ce que l’économie politique, comme science, n’est pas tenue d’examiner les formes diverses par lesquelles il plaît aux hommes d’unir leurs forces et de se partager les occupations, en vue d’un bien-être plus grand et mieux réparti? Est-ce que le commerce ne nous donne pas fréquemment l’exemple de deux, trois, quatre personnes formant entre elles des associations ? Est-ce que le métayage n’est pas une sorte d’association informe, si l’on veut, du capital et du travail ? Est-ce que nous n’avons pas vu, dans ces derniers temps, se produire les compagnies par actions, qui donnent au plus petit capital le pouvoir de prendre part aux plus grandes entreprises ? Est-ce qu’il n’y a pas à  la surface du pays quelques fabriques où l’on essaye d’associer tous les co-travailleurs aux résultats? Est-ce que l’économie politique condamne ces essais et les efforts que font les hommes pour tirer un meilleur parti de leurs forces ? Est-ce qu’elle a affirmé quelque part que l’humanité a dit son dernier mot ? C’est tout le contraire, et je crois qu’il n’est aucune science qui démontre plus clairement que la société est dans l’enfance.
    Mais, quelques espérances que l’on conçoive pour l’avenir, quelques idées que l’on se fasse des formes que l’humanité pourra trouver pour le perfectionnement de ses relations et la diffusion du bien-être, des connaissances et de la moralité, il faut pourtant bien reconnaître que la société est une organisation qui a pour élément un agent intelligent, moral, doué de libre arbitre et perfectible. Si vous en ôtez la liberté, ce n’est plus qu’un triste et grossier mécanisme.

    La suite pour bientôt !

    Désolé pour tous ces extraits un peu long, mais je trouve le style de Bastiat vraiment admirable, et je ne résiste pas au plaisir de partager avec vous ces morceaux de son texte. Je ne peux que vous conseiller d’aller lire cet excellent ouvrage !
    J’essayerais de synthétiser régulièrement des chapitres de cet excellent livre, disponible en ligne et intégralement sur Bastiat.org. Le prochain s’intitule « Besoins, efforts, satisfactions ». Tout un programme !

  • Harmonies économiques : Introduction

    Voici le premier d’un série d’articles sur l’ouvrage « Harmonies économiques » de Bastiat. Comme je trouve ce texte admirable, je ferais un billet de résumé/extraits sur chacun des chapitres, au fur et à  mesure de mes lectures, et du temps disponible sur mes soirées et mes week-end ! J’utiliserai abondamment les longs extraits de texte, parce que c’est la beauté du texte, son aspect pédagogique et clair qui m’a donné envie de faire ces billets (…et aussi parce que ça va plus vite :smile: ).

    Les intérêts sont harmoniques

    Je commence donc avec l’introduction du livre, intitulée « A la jeunesse Française ».
    Il part sur cette idée très forte, qui résume l’ensemble de l’ouvrage (il se fixe comme ojectif de le démontrer) : « Tous les intérêts légitimes sont harmoniques ». Il discute dans cette introduction de la « solution » au problème social.

    Or, cette solution, vous le comprendrez aisément, doit être toute différente selon que les intérêts sont naturellement harmoniques ou antagoniques.
    Dans le premier cas, il faut la demander à  la Liberté; dans le second, à  la Contrainte. Dans l’un, il suffit de ne pas contrarier; dans l’autre, il faut nécessairement contrarier.
    Mais la Liberté n’a qu’une forme. Quand on est bien convaincu que chacune des molécules qui composent un liquide porte en elle-même la force d’où résulte le niveau général, on en conclut qu’il n’y a pas de moyen plus simple et plus sûr pour obtenir ce niveau que de ne pas s’en mêler. Tous ceux donc qui adopteront ce point de départ: Les intérêts sont harmoniques, seront aussi d’accord sur la solution pratique du problème social: s’abstenir de contrarier et de déplacer les intérêts.
    La Contrainte peut se manifester, au contraire, par des formes et selon des vues en nombre infini. Les écoles qui partent de cette donnée: Les intérêts sont antagoniques, n’ont donc encore rien fait pour la solution du problème, si ce n’est qu’elles ont exclu la Liberté. Il leur reste encore à  chercher, parmi les formes infinies de la Contrainte, quelle est la bonne, si tant est qu’une le soit. Et puis, pour dernière difficulté, il leur restera à  faire accepter universellement par des hommes, par des agents libres, cette forme préférée de la Contrainte.

    La suite sur la page suivante !

  • Un grand auteur français méconnu : Frederic Bastiat

    J’ai découvert il y a peu l’auteur Frédéric Bastiat. C’était un économiste et un pamphlétaire, esprit libre. Sur l’excellent site Bastiat.org, on trouve ses principaux textes (deux ouvrages sont disponibles en intégralité : « Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas«  et « Harmonies économiques« ) et pas mal de liens vers d’autres ressources.
    C’est un auteur lumineux, qui écrit un beau français, simple, direct. Ses textes sont animés par un grand sens pédagogique et sont d’une modernité étonnante. On s’étonne qu’il ne soit pas au programme du collège et du lycée : combien de temps forceront nous les enfants à  bouffer du Flaubert à  tour de bras, et à  rester des incultes économiques ? Mais il vrai qu’un penseur libéral (horreur!) n’a rien à  faire au programme d’une démocratie libérale, basé sur l’économie de marché ! Il est inutile de comprendre les rouages du jeu économique, dans le monde actuel.
    Pour finir, une petite citation du chapitre sur la concurrence, dans « Harmonies Economiques » :

    Et après tout, qu’est-ce que la Concurrence? Est-ce une chose existant et agissant par elle-même comme le choléra? Non, Concurrence, ce n’est qu’absence d’oppression. En ce qui m’intéresse, je veux choisir pour moi-même et ne veux pas qu’un autre choisisse pour moi, malgré moi; voilà  tout. Et si quelqu’un prétend substituer son jugement au mien dans les affaires qui me regardent, je demanderai de substituer le mien au sien dans les transactions qui le concernent. Où est la garantie que les choses en iront mieux? Il est évident que la Concurrence, c’est la liberté. Détruire la liberté d’agir, c’est détruire la possibilité et par suite la faculté de choisir, de juger, de comparer; c’est tuer l’intelligence, c’est tuer la pensée, c’est tuer l’homme. De quelque coté qu’ils partent, voilà  où aboutissent toujours les réformateurs modernes; pour améliorer la société, ils commencent par anéantir l’individu, sous prétexte que tous les maux en viennent, comme si tous les biens n’en venaient pas aussi.

    A lire absolument donc : c’est un régal de limpidité !

  • L’esprit de l’athéisme

    L’esprit de l’athéisme

    Je viens de terminer « L’esprit de l’athéisme« , de Comte-Sponville. C’est Max qui me l’avait offert Noël. Super cadeau ! C’est un livre court, dense et plein de raison, comme d’habitude avec Comte-Sponville.

    Le livre est découpé en trois parties, chacune avec un titre sous forme de question :

    1. Peut-on se passer de religion ? Voilà  le paragraphe de conclusion du chapitre :
      Résumons-nous. On peut se passer de religion ; mais pas de communion, ni de fidélité, ni d’amour. Ce qui nous unit, ici, est plus important que ce qui nous sépare. Paix à  tous, croyants et incroyants. La vie est plus précieuse que la religion (c’est ce qui donne tort aux inquisiteurs et aux bourreaux) ; la communion, plus précieuse que les Eglises (c’est ce qui donne tort aux sectaires) ; la fidélité, plus précieuse que la foi ou que l’athéisme (c’est ce qui donne tort aux nihilistes aussi bien qu’aux fanatiques) ; enfin – c’est ce qui donne raison aux braves gens, croyants ou non – l’amour est plus précieux que l’espérance ou que le désespoir. N’attendons pas d’être sauvés pour être humains.
    2. Dieu existe-t-il ? Dans ce deuxième chapitre, sont passées en revues les trois « preuves » historiques de l’existence de Dieu, et Comte-sponville y ajoute trois raisons pour lui importantes qui le confortent dans sa non-croyance. Un passage de la conclusion de ce chapitre :
      Dieu existe-t-il ? Nous ne le savons pas. Nous ne le saurons jamais, en tout cas dans cette vie. C’est pourquoi la question se pose d’y croire ou non. Le lecteur sait maintenant pourquoi, pour ma part, je n’y crois pas : d’abord parce qu’aucun argument ne prouve son existence; ensuite parce qu’aucune expérience ne l’atteste; enfin parce que je veux rester fidèle au mystère, face à  l’être, et à  l’horreur et à  la compassion, face au mal, à  la miséricorde ou à  l’humour, face à  la médiocrité (si Dieu nous avait créés à  son image et absolument libres, nous serions impardonnables), enfin à  la lucidité, face à  nos désirs et à  nos illusions. Ce sont mes raisons, du moins celles qui me touchent ou me convainquent le plus. Il va de soi que je ne prétends les imposer à  quiconque. Il me suffit de revendiquer le droit de les énoncer publiquement, et de les soumettre, comme il convient à  la discussion. […] La religion est un droit. L’irréligion aussi. Il faut donc les protéger l’une et l’autre (voire l’une contre l’autre, si c’est nécessaire), en leur interdisant à  toutes deux de s’imposer par la force. C’est ce qu’on appelle la laïcité, et le plus précieux héritage des Lumières. On en redécouvre aujourd’hui toute la fragilité. Raison de plus pour le défendre, contre tout intégrisme, et pour le transmettre à  nos enfants. La liberté de l’esprit est le seul bien, peut-être, qui soit plus précieux que la paix. C’est que la paix, sans elle, n’est que servitude.
    3. Quelle spiritualité pour les athées ? Ce dernier chapitre expose la spiritualité selon Comte-sponville, toute orientée vers l’action, et la prise de conscience que le seul absolu que nous ayons est celui de l’Etre, vécu plus comme un silence, une sensation que comme une pensée. Il est proche là -dessus des mystiques et des bouddhistes. J’ai un peu plus de mal à  le suivre là , même si des passages me touchent beaucoup…

    Pour conclure, c’est un superbe livre : un appel à  la raison, au doute, à  la discussion et à  la spiritualité. Message rare par les temps qui courent. Pour donner un petit bémol, qui n’est que personnel : j’aborde la question de l’absolu différemment de Comte-sponville. Il le cherche malgré tout dans le mystère de l’être ; il ne veut pas s’en séparer complètement. Personnellement, et c’est certainement mon caractère qui parle, l’absolu me semble une notion pas forcément utile pour vivre. Je me sens plus proche en cela de Montaigne.
    Enfin, tout au long des pages, Comte-Sponville illustre ses pensées de plein de citations excellentes, que j’utiliserais certainement pour mes rituelles « citations du dimanche »… En voilà  deux que j’ai bien aimées, et que je trouve profondes…

    Pour les éveillés, il n’est qu’un seul monde, qui leur est commun; les endormis ont chacun leur monde propre, où ils ne cessent de se retourner.
    Héraclite

    Si l’on entend par éternité non la durée infinie mais l’intemporalité, alors il a la vie éternelle celui qui vit dans le présent.
    Wittgenstein

    Si ces questions de spiritualité, de Dieu, de mystère vous intéresse, alors n’hésitez pas : ce livre est une mine de réflexion passionnantes.

  • Hygiene intellectuelle !

    Je vous conseille vivement la lecture du hors-série du journal Le Point, consacré au libéralisme. Recueils des textes majeurs, biographie des penseurs importants, analyses : c’est une superbe petite monographie sur le libéralisme, bien utile pour ceux qui veulent réfléchir par eux-mêmes. Les deux textes introductifs de Baverez et Marseille sont excellents, et la plupart des textes, y compris anciens, sont d’une étonnante actualité ! Pour vous mettre l’eau à  la bouche, voilà  tirée du site du Point, une sorte de préface de Franz-Olivier Giesbert :
    On ne sait à  qui il faut au juste imputer ce glissement sémantique. Aux enseignants, aux médias, à  l’opinion publique ou aux trois. Toujours est-il que la France est l’un des rares pays où « libéralisme » est devenu un gros mot. Une insulte dont on a du mal à  se remettre.
    Excellente idée ! :wink: