Étiquette : Reflexions

  • Sisyphe à  la plage


    J’ai réalisé l’autre jour, sur la plage, en faisant des châteaux de sable avec ma fille, à quel point cette activité est absurde, au sens Camusien du terme : on fait quelque chose tout en sachant qu’il sera détruit, au final. Cela n’empêche ni de bien le faire, ni de prendre du plaisir à le faire. N’est-ce pas là une image de notre vie ?

    En pensant à cela, et en cherchant une image pour illustrer cet article, j’ai repensé à la superbe chanson d’Hendrix, « Castles Made of Sand« , dont le refrain semble écrit pour dire l’absurdité de cela (« les châteaux de sable finissent toujours par tomber dans la mer »).


    Je disais que le monde est absurde et j’allais trop vite. Ce monde en lui-même n’est pas raisonnable, c’est tout ce qu’on peut en dire. Mais ce qui est absurde, c’est la confrontation de cet irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont l’appel résonne au plus profond de l’homme. L’absurde dépend autant de l’homme que du monde. Il est pour le moment leur seul lien. Il les scelle l’un à l’autre comme la haine seule peut river les êtres.
    Albert Camus

  • Le divin dans l’humain

    Le divin dans l’humain

    Je me suis laissé aller à  regarder quelques conférences sur TED. Quel plaisir ! Quel richesse, et quelle chance de pouvoir profiter des meilleurs conférenciers, gratuitement, traduits la plupart du temps.

    Et je suis tombé sur cette merveilleuse conférence d’Elizabeth Gilbert. Elle y parle de ses doutes sur son métier, de son rapport au travail, de son processus de création.

    Elle y parle de la différence entre la manière de penser des grecs et des romains – qui voyaient le génie comme quelque chose d’extérieur au créateur, une sorte de force ou d’être divin qui venait donner à  l’oeuvre son tour unique (le créateur a un génie) – et celle généralement acceptée de nos jours – où l’entièreté du génie est considérée comme étant le fruit de l’individu (le créateur est un génie). Le fait de placer l’humain au centre de l’univers, à  la renaissance, a mis un poids excessif sur le dos des créateurs, selon Elizabeth Gilbert.

    Elle conclut son exposé en évoquant la question du sens de tout cela, et cela m’a profondément ému : elle y dit, magnifiquement, et avec un point de vue différent, l’émotion de l’absurde que Camus avait chanté dans « Le mythe de Sisyphe ». Mélange de joie, de nostalgie, de rage, de peur et d’amour de l’humain. J’ai pleuré, à  la fin, sans vraiment savoir pourquoi, emporté par l’émotion sincère et vraie de la conférencière. Quelle grâce, quelle force, quelle générosité !

  • Equilibre instable

    Equilibre instable

    L’équilibre est une notion qui m’a toujours intéressé : je suis quelqu’un de calme, et je recherche l’équilibre. J’ai compris, et cela m’a pris du temps, que l’équilibre est quelque chose de dynamique, et non de statique. L’équilibre, pour un être vivant, n’est possible que dans l’action.

    Équilibre est synonyme d’activité.

    Jean Piaget (1896 – 1980) biologiste, psychologue, logicien et épistémologue suisse

    Il faut donc aussi équilibrer notre manière de recherche l’équilibre : ne pas vouloir atteindre un improbable équilibre stable, mais au contraire rechercher l’équilibre instable. Notre vie est une recherche d’équilibre instable. Nous devons nous mettre sans cesse en mouvement, agir, et dans le même temps conserver au mieux les équilibres.

    La vie, c’est comme une bicyclette, il faut avancer pour ne pas perdre l’équilibre.

    Albert Einstein (1879 – 1955) physicien théoricien allemand, puis helvético-américain

  • Paradis perdu

    Paradis perdu

    Avez-vous déjà  fait un rêve merveilleux ? Vous savez, ce genre de rêve où vous baignez dans une sensation de plénitude totale, où les désirs se mêlent à  la joie, et à  la jouissance ? Il est surprenant que le cerveau endormi soit capable de produire une telle plénitude, un telle sensation de perfection. Cette sensation d’ailleurs, nous trompe et nous fait croire que le bonheur est un état, alors qu’il est un mouvement et un équilibre. Et ce rêve merveilleux a une fin.

    Mais bêtement, même en orage
    Les routes vont vers des pays,
    bientôt le sien fit un barrage
    à  l’horizon de ma folie.

    Georges Brassens

    Lorsque le réveil sonne, on ne sait plus où l’on est. Le manque est immédiat. C’est terrible, de quitter le paradis…
    On ressent alors un mélange de bonheur – tout notre être résonne encore de cet accord bienfaisant – et de frustration -. Ce mélange, n’est-ce pas aussi ce que l’on ressent lorsque l’on est mélancolique ? Le concept du paradis, je pense, illustre en partie cette sensation de mélancolie. On donnerait cher pour retrouver ce lieu de « luxe, de calme et de volupté ». Mais essayer de rattraper un rêve, c’est comme vouloir retenir le sable qui vous coule entre les doigts.

    L’Eden est un rêve érotique évanoui. Et que l’on ne retrouvera sûrement jamais.

  • Soyons superficiels

    Soyons superficiels

    J’ai repensé l’autre jour à  une idée que j’avais eu, alors que j’étais en licence. Il y a quinze ans. Je m’en rappelle parce que je l’avais exposée à  un copain, au comptoir du café en face de la fac Jussieu, et qu’il avait trouvé cette idée séduisante. J’en avais été gratifié ; et du coup, je m’en rappelle encore. Rien de tel qu’une petite gratification pour activer la mémoire, n’est-ce pas ?

    Cette idée m’était venue en lisant « L’éloge de la fuite », d’Henri Laborit. Ce livre radical force à  douter de pas mal de choses, et j’y avais été très réceptif. Il donne une vision désespérée de l’être humain, aspirant au bonheur, mais incapable d’y arriver, enfermé et broyé par les déterminismes biologiques. L’amertume que l’on sent derrière le propos finit par être gênante, et par brouiller le message, initialement scientifique et puissant. Mais cela reste un livre très stimulant.

    Cette idée, donc, est simple : puisque chacun d’entre nous n’est en définitive qu’un être vivant, mortel, soumis à  des déterminismes indépassables, il est illusoire de chercher autre chose que cela au fond des humains ; nous sommes, au plus profond de nous-mêmes, tous identiques. Des pauvres animaux apeurés et seuls, cherchant désespérément à  survivre, survivre, survivre. Sauver sa peau. Tout en sachant qu’on ne le peut pas. Et ce qui importe donc, c’est la surface. Soyons donc superficiels : je préfère découvrir ce que les autres veulent me montrer, plutôt que ce qu’ils sont au fond : je le sais déjà . C’est la manière qui compte ; c’est ce qu’ils décident, ou peuvent, partager.

    Derrière le paradoxe brillant et un peu futile, je trouve qu’il y a toujours quelque chose de juste dans cette pensée. L’idée que la surface, la zone d’échange, d’interaction, nous constitue de manière forte. Et nous avons une influence sur cette surface, sur la forme qu’elle prend.

    Au contraire des billes froides et lisses que j’ai choisies pour illustrer ce billet, les surfaces des humains sont chaotiques, s’interpénètrent, se soudent parfois. On se construit avec les autres, par les autres. Un humain est d’autant plus humain qu’il interagit. C’est à  cela que sert la surface. Soyons intensément superficiels !

  • L’importance du Presque

    L’importance du Presque

    L’absolu n’existe pas. L’être humain est – par nature – fini, limité. Malgré cette finitude, l’être humain aspire à  la perfection, et en a en tout cas une idée.

    Selon moi, la perfection ne nous est accessible que par la sensation : la perfection, certes n’existe pas, mais on peut éprouver une sentiment de perfection. En regardant le beau, ou le bon. Ou dans l’acte de création. Non pas que ce que l’on regarde, ou créé, soit parfait. Mais l’acte d’aller vers le beau nous fait éprouver des sensations particulières qui sont la perfection même. La perfection se situe dans notre rapport aux choses, pas dans les choses elles-mêmes. La perfection est une sensation.

    Il est donc intéressant de chercher à  éprouver cette sensation, tout en conservant à  l’esprit qu’il s’agit d’un état interne, et pas d’une réalité extérieure.

    C’est le seul moyen de satisfaire notre soif d’absolu, sans tomber dans la folie, ou le mysticisme le plus complet. Ou la barbarie.

    Il faut être capable d’éprouver – presque – la perfection. C’est le presque qui est le plus important dans cette phrase, et qui distingue les fous des bienheureux.

    On retrouve un peu cette idée dans les cercles Zen (Enso) :

    Le cercle Zen (enso) est souvent dessiné comme un cercle incomplet, qui symbolise l’imperfection faisant partie intégrante de l’existence. […] La nature elle-même est pleine de beauté et de relations harmonieuses qui sont asymétriques et pourtant équilibrées. Il s’agit d’une beauté dynamique qui attire et implique.

    J’aime cette idée d’équilibre et d’imperfection mélées à  l’idée même de perfection, et de sensation de perfection. Pas d’idée de perfection sans idée d’imperfection.

    La modération dans l’excès. Le presque dans l’absolu.