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  • Interview d’Alain Boyer : dixième et avant-dernière partie

    Suite de la partie de l’interview consacrée à  Karl Popper. On continue à  y parler de mots en « isme » (nihilisme, relativisme, essentialisme, déclinisme, marxisme), du sens de l’histoire, d’écologie, de science, de la possibilité de changer et d’évoluer. Et du commerce qui est décidemment mal compris en France. Passionnant ! C’est l’avant-dernière partie de cette interview. Vous pouvez retrouver toutes les parties de l’interview dans le sommaire ! …Bonne lecture !

    C’est passionnant ! En préparant l’interview, j’avais également vu qu’il était souvent cité comme un philosophe qui dénonçait le relativisme, et le nihilisme. Est-ce que tu penses que c’est un combat qui est toujours d’actualité ?
    Ah oui ! Il a une théorie là -dessus que je trouve assez intéressante, c’est de dire que le dogmatisme en philosophie et en politique, souvent conduit à  des déceptions. Même le rationalisme dogmatique ! Le dogmatisme en philosophie et en politique, souvent conduit à  des déceptions. Même le rationalisme dogmatique !Quand on est un rationaliste dogmatique, qu’on a une espèce de vision hyper rationnelle de la société idéale, que l’on va pouvoir imposer, à  ce moment là  ça conduit à  des catastrophes. Et le rationaliste déçu va renoncer à  la raison. Et à  la Vérité, et va devenir un nihiliste et un irrationaliste. C’est pour ça qu’il faut avoir un rationalisme critique, et autocritique. Qui lui sait que nous sommes faillibles, que nous nous trompons, que nous n’avons pas la possession d’une vérité, d’une maîtrise totale.
    Popper était d’ailleurs assez écologiste. Le slogan de Descartes, mais qui vient en fait de Bacon, « se rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » c’est la bête noire des écologistes. « se rendre comme maitre et possesseur de la nature » du Discours de la méthode (les écologistes disent : se rendre « protecteurs » de la nature) et Popper considérait que c’était une hubris (une démesure), on ne sera jamais maître et possesseur de la nature (qu’on ne saura jamais maîtriser que très partiellement), mais simplement — comme il n’est pas rationaliste dogmatique — il ne tombe pas dans l’irrationalisme qui consiste à  dire : il faut abandonner la pensée scientifique !
    Au contraire, il pensait que les problèmes écologiques, ce serait grâce à  la science et à  la technique elles-mêmes, qu’on résoudrait les problèmes des conséquences inattendues … de la technique. Il me semble, à  l’heure actuelle, il ne faut surtout pas abandonner la science, c’est grâce à  de nouvelles techniques que l’on pourra – peut-être — sauver la planète. Il fait aussi une critique de l’historicisme, qui est la théorie qui donne un sens prédéterminé à  l’histoire — le marxisme, le christianisme dogmatique, le « déclinisme », etc. — il y a sens, nous sommes dominés par un sens pré-déterminé. Pour lui, non ! le sens de l’histoire, c’est nous qui le donnons. Rien ne nous dit que dans 50 ans il n’y aura pas une catastrophe. Rien ne nous dit qu’il y en aura une. Il faut tout faire pour qu’il n’y en ait pas, mais rien n’est écrit à  l’avance.
    En ce sens c’est un philosophe très humain, très proche. Ce qu’il dit là  est applicable au niveau individuel : le sens c’est ce que moi j’y met, il n’y a pas de destin.
    Oui. C’est pour ça qu’il a critiqué l’essentialisme. C’est à  dire de croire que par exemple nous serions définis par une essence dès notre naissance. Né catholique, je reste catholique. Non ! Dans une société ouverte (qui n’est pas un société d’atomes, d’individus séparés !!!!), dans une société ou il y a beaucoup d’interactions, d’échanges, ceux qui pensent que nous sommes des sociétés purement égoïstes, qu’ils regardent le moyen âge…! Notre société a des défauts, mais il y a aussi des gens qui donnent beaucoup de temps pour les ONG, etc. . Je trouve que la société est pas si égoïste que ça. Enfin bref, lui, ce qu’il pensait, c’est qu’on appartient toujours plus ou moins à  des groupes, mais la société ouverte, c’est le fait qu’on peut toujours divorcer. On n’est pas obligé de rester. Et c’est là , d’ailleurs, où il y a un problème avec l’Islam, si on revient à  ça, c’est qu’il interdit l’apostasie, comme le faisait le christianisme médiéval.
    Donc l’apostat, celui qui abandonne la foi, est condamné à  mort. à‡a c’est fondamentalement contraire à  la société ouverte. On a le droit de divorcer.
    On peut changer…
    On peut changer d’appartenance, et on n’est pas défini par une seule appartenance. Je peux à  la fois être de gauche, puis changer, mais aussi amateur de rugby, de musique classique, avoir des amis, etc. . Je ne suis pas défini par une seule appartenance. Je peux me sentir plus proche d’un démocrate chinois que d’un français nazi !!!
    Je rebondis juste pour repasser un peu sur les histoires de politique française. Quant tu parles de Popper, on voit que c’est quelqu’un de fondamentalement raisonnable, d’ouvert et qui avait une grande culture — y compris scientifique -. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de débats, en France, qui sont faussés par le fait qu’on manque de culture philosophique, et surtout économique.
    Ah oui. La France est totalement arriérée de ce point de vue là .
    J’ai fait un an d’économie, en classe de seconde, un survol. Mais les connaissances d’économie objectives ne sont pas diffusées dans la population…
    Mais c’est lié à  ce qu’on disait tout à  l’heure de la France qui a cette tradition, depuis la Révolution de considérer les conflits comme des guerres. En théorie des jeux on appelle ça des conflits à  somme nulle (une partie d’échec : l’un gagne l’autre perd). Alors, qu’on peut considérer qu’une société libérale, ouverte, est une société qui accepte le conflit non violent, mais ces conflits peuvent être résolus par un compromis, où tous les deux gagnent ! C’est à  dire un jeu à  somme positive. Tandis que la lutte des classes, idée marxiste fondamentale, c’est sur le mode de la guerre.
    Sur cette idée là , philosophiquement, il y a une incompréhension complète de ce qu’est le commerce. Le commerce, fondamentalement est quelque chose qui n’est pas à  somme nulle !
    Tout à  fait. J’ai fait un cours, et je vais le refaire cette année, sur « commerce et moralité ». On peut opposer un texte de Montaigne qui dit que dans l’échange il y a toujours un perdant et un gagnant. En revanche, il y a un texte de Montesquieu, deux siècles plus tard, – deux bordelais — chapitre 20 de l’Esprit des lois fait l’éloge du « doux commerce ». Et c’est Montesquieu qui pose cette idée, après d’autres, que le commerce est une alternative à  la guerre. Parce que si j’échange, dans un commerce – équitable, bien sûr – j’ai intérêt à  ce que l’autre survive. J’ai pas intérêt à  le tuer. Il a de la laine, j’ai du tissu : si je le tue je n’aurai pas de laine. Donc le commerce, normalement, est un jeu à  somme positive.
    à‡a rejoint la vision qu’en a Bastiat, que j’ai découvert il n’y a pas longtemps, cette vision que le commerce n’est pas la guerre !
    Oui c’est une grande idée libérale ! La France paradoxalement a oublié sa grande tradition libérale aussi importante que la tradition anglaise. Ce sont la France et l’Angleterre qui ont fondé le libéralisme. Il y a eu une marxisation de l’intelligentsia française.En Angleterre John Locke, David Hume, Adam Smith, John Stuart Mill, et en France, on a oublié notre importante tradition libérale, Montesquieu, Turgot (grand ministre), Benjamin Constant, Tocqueville penseur libéral un peu particulier, Jean-Baptiste Say, Bastiat, Walras, Cournot. On a beaucoup de penseurs libéraux qu’on a un peu oubliés (à  part des gens comme Raymond Aron, proche de Popper). Il y a eu une marxisation de l’intelligentsia française. Cela a fait qu’on a considéré tous ces libéraux comme des idéologues. La définition marxiste de l’idéologie, « soutenir un pouvoir arbitraire, fondé sur la domination, transformer des idées (visant à  asseoir la domination) en réalité objective ». Pour Marx, ce sont des idéologues puisqu’il transforment une idéologie en réalité objective, pour tromper les classes dominées.
    A suivre !

    Retrouvez les autres parties de l’interview dans le sommaire !

  • Interview d’Alain Boyer : huitième partie

    Je reprends la publication de l’interview d’Alain Boyer, professeur de philosophie politique à  la Sorbonne. Vous pouvez retrouver les autres parties de l’interview dans le sommaire ! Le dernier morceau publié datait du 25 janvier, et le sujet était l’Islam, et les religions en général. Nous abordons maintenant Karl Popper, dont Alain Boyer est un spécialiste, et donc la philosophie des sciences, la métaphysique…Bonne lecture !
    (suite…)

  • L'invention de la decennie !

    Une suggestion de travail de recherche : développer un capteur miniature de thiols (les thiols sont des alcools dont l’atome d’oxygène du groupement hydroxyle est remplacé par un atome de soufre). Les thiols sont aussi connus sous le nom de mercaptans (molécules littéralement qui peuvent « capter le mercure »).
    Le but de cette recherche serait de développer et intégrer les éléments suivants :

    • une centrale d’acquisition équipée d’une borne Wifi, et reliée (par un moyen ou un autre) aux différents organes médiatiques (journaux, radios, blogs, sites, etc…)
    • un capteur miniaturisé de faible poids, qui pourrait émettre en Wifi à  chaque détection de thiols

    Le dispositif miniaturisé serait accroché à  la ceinture de notre président, avec son accord bien entendu. Une variante de cette invention est envisageable en remplaçant la détection de thiols par un capteur de pression. Plus facile à  construire, mais plus délicat à  mettre en oeuvre…
    Si un mécène ou un pôle de compétitivité pouvait financer une telle étude, il rendrait un fier service aux médias français. En effet, les thiols sont les éléments soufrés responsables de l’odeur des pets : un tel dispositif permettrait à  tous les journalistes d’être instantanément au courant lorsque Sarkozy pète ! Beaucoup de temps et d’énergie de gagnés, sans changement de ligne éditoriale à  prévoir.

  • Des souris et des hommes

    Des souris et des hommes

    Le livre « Eloge de la Fuite », d’Henri Laborit, avait été pour moi une grande source de réflexions, de doutes, de connaissances aussi. J’avais envie, suite à  une discussion concernant l’action, notamment avec Christophe, de présenter un des concepts importants importé par Laborit du domaine de la biologie vers les comportements humains : l’inhibition de l’action.

    Penseur radical

    Henri Laborit (1914-1995) a écrit de nombreux ouvrages (en plus de ses travaux purement scientifiques) où il vulgarise les connaissances de neuro-biologie, et s’applique à  construire un cadre de pensée général des comportements humains. J’avais été profondément intéressé par son livre « Eloge de la fuite » (ça fait déjà  13 ans que je l’ai lu…ça fait un choc!). Il faut absolument aller lire ce livre, jusqu’au-boutiste sur certains points, mais très éclairant, stimulant et riche. Henri Laborit était certainement un homme original, très doué. Je le perçois comme un être profondément gentil, déçu par les humains.
    Une expérience simple conduite sur des souris lui permet d’illustrer et de montrer ce qu’est l’inhibition de l’action.

    Confronté à  une épreuve, l’homme ne dispose que de trois choix : 1) combattre ; 2) ne rien faire ; 3) fuir.

    Henri Laborit

    L’expérience des 3 souris

    L’expérience peut être décrite comme suit (pour une description complète, aller voir ici):
    Une souris est enfermé dans une cage métallique, et soumise à  un stress électrique régulièrement (un flash lumineux prévient la souris de l’arrivée du choc électrique). Trois cas sont présentés :

    • Une porte de sortie permet à  la souris d’échapper au stress quand il se présente : dans cette situation, la souris apprend vite le lien entre signal lumineux et décharge électrique, et son organisme n’est pas affecté. Elle peut fuir le stress.
    • La porte de sortie est maintenant fermée : dans cette situation, la souris apprend rapidement que toute action est inutile pour éviter le stress électrique. Elle finit par le subir sans bouger, et son organisme en souffre énormément. C’est ce qu’on appelle l’inhibition de l’action. Elle finit par être gravement atteinte et / ou mourir.
    • Deux souris sont placés dans la cage (la porte de secours étant toujours fermée). Les souris, rapidement, se battent quand le stress électrique est déclenché. C’est une action inutile pour se soustraire au stress, mais c’est une action quand même. Dans cette situation, aucun impact sur la santé des souris n’est observé.

    L’essentiel est dit : en cas de stress, la fuite comme l’action permettent de se soustraire aux effets nocifs du stress, qui n’est nocif que dans le cas de l’inhibition de l’action. Laborit en tire tout un tas de conclusion sur les comportements humains, et Alain Resnais a illustré cela – avec Laborit – dans un superbe film « Mon oncle d’Amérique » en 1979. L’extrait ci-dessous montre l’expérience des souris, avec en commentaire la voix (off) de Laborit lui-même. Un film à  voir, très beau, très sombre et très humain.

  • Citation #62

    Carl SaganA plusieurs reprises, dans le passé, l’humanité ne frôla des découvertes essentielles que pour renoncer à  les poursuivre. Observons ce qui s’est produit il y a 2500 ans dans les îles grecques. En Ionie, à  la croisée des civilisations perse, phénicienne, grecque, égyptienne, Hippocrate a créé la médecine, Anaximandre a tracé la première carte des constellations, Empédocle a pressenti l’évolution des espèces, Pythagore a fondé l’arithmétique, et Thalès la géométrie, Démocrite eut l’intuition de la structure atomique de la matière. Néanmoins, un siècle plus tard, les forces de l’obscurantisme l’emportèrent et il fallut attendre 2000 ans pour retrouver cette première ébauche de la science moderne.

    Nous craignons le changement au moins autant que nous en sommes curieux. On dit que l’Occident est le berceau de la liberté, mais il est aussi tenté en permanence par la fuite loin de la liberté et de la connaissance. Nous sommes dans une de ces périodes où l’humanité hésite. Nous mesurons bien les apports de la science, mais nous sommes tout autant en quête de repères et de mentors qui nous déchargeraient de nos responsabilités.

    Tel serait le sens de la résurgence actuelle de tous les intégrismes. Les nouveaux obscurantistes, religieux ou totalitaires, seraient disposés à  se rallier à  une même devise : « Arrêtez de penser ! »
    Carl Sagan

  • Evidence based journalisme

    Manipulation par les médiasLa fiabilité des démarches médicales ou scientifiques s’appuie sur des études, fondamentales ou cliniques, dont les données, les méthodes et les résultats sont validés : c’est le coeur de la démarche « evidence based » et c’est l’avenir de la recherche et du système de santé qui sont en jeu.

    (suite…)