Je ne sais plus où, ni quand, mais j’avais promis à Mathieu L. de publier ici un extrait de Bastiat où il parle du socialisme. C’est un petit texte extrait de « La Loi« , écrit en 1850, juste avant sa mort. D’une grande beauté, comme tous les textes de Bastiat que j’ai lus.
Les publicistes[1. Publiciste: DR. Personne qui écrit sur le droit public; spécialiste du droit public.] modernes, particulièrement ceux de l’école socialiste, fondent leurs théories diverses sur une hypothèse commune, et assurément la plus étrange, la plus orgueilleuse qui puisse tomber dans un cerveau humain.
Ils divisent l’humanité en deux parts. L’universalité des hommes, moins un, forme la première ; le publiciste, à lui tout seul, forme la seconde et, de beaucoup, la plus importante.
En effet, ils commencent par supposer que les hommes ne portent en eux-mêmes ni un principe d’action, ni un moyen de discernement ; Ils divisent l’humanité en deux parts. L’universalité des hommes, moins un, forme la première ; le {socialiste}, à lui tout seul, forme la seconde et, de beaucoup, la plus importante.qu’ils sont dépourvus d’initiative; qu’ils sont de la matière inerte, des molécules passives, des atomes sans spontanéité, tout au plus une végétation indifférente à son propre mode d’existence, susceptible de recevoir, d’une volonté et d’une main extérieures, un nombre infini de formes plus ou moins symétriques, artistiques, perfectionnées.
Ensuite chacun d’eux suppose sans façon qu’il est lui-même, sous les noms d’Organisateur, de Révélateur, de Législateur, d’Instituteur, de Fondateur, cette volonté et cette main, ce mobile universel, cette puissance créatrice dont la sublime mission est de réunir en société ces matériaux épars, qui sont des hommes.
Partant de cette donnée, comme chaque jardinier, selon son caprice, taille ses arbres en pyramides, en parasols, en cubes, en cônes, en vases, en espaliers, en quenouilles, en éventails, chaque socialiste, suivant sa chimère, taille la pauvre humanité en groupes, en séries, en centres, en sous-centres, en alvéoles, en ateliers sociaux, harmoniques, contrastés, etc., etc.
Et de même que le jardinier, pour opérer la taille des arbres, a besoin de haches, de scies, de serpettes et de ciseaux, le publiciste, pour arranger sa société, a besoin de forces qu’il ne peut trouver que dans les Lois; loi de douane, loi d’impôt, loi d’assistance, loi d’instruction.
Il est si vrai que les socialistes considèrent l’humanité comme matière à combinaisons sociales, que si, par hasard, ils ne sont pas bien sûrs du succès de ces combinaisons, ils réclament du moins une parcelle d’humanité comme matière à expériences : on sait combien est populaire parmi eux l’idée d’expérimenter tous les systèmes, et on a vu un de leurs chefs venir sérieusement demander à l’assemblée constituante une commune avec tous ses habitants, pour faire son essai.
C’est ainsi que tout inventeur fait sa machine en petit avant de la faire en grand. C’est ainsi que le chimiste sacrifie quelques réactifs, que l’agriculteur sacrifie quelques semences et un coin de son champ pour faire l’épreuve d’une idée.
Mais quelle distance incommensurable entre le jardinier et ses arbres, entre l’inventeur et sa machine, entre le chimiste et ses réactifs, entre l’agriculteur et ses semences!… Le socialiste croit de bonne foi que la même distance le sépare de l’humanité.
Pendant que l’humanité penche vers le Mal, eux inclinent au Bien; […] Et, cela posé, ils réclament la Force, afin qu’elle les mette à même de substituer leurs propres tendances aux tendances du genre humain.Il ne faut pas s’étonner que les publicistes du dix-neuvième siècle considèrent la société comme une création artificielle sortie du génie du Législateur.
Cette idée, fruit de l’éducation classique, a dominé tous les penseurs, tous les grands écrivains de notre pays.
Tous ont vu entre l’humanité et le législateur les mêmes rapports qui existent entre l’argile et le potier.
Bien plus, s’ils ont consenti à reconnaître, dans le coeur de l’homme, un principe d’action et, dans son intelligence, un principe de discernement, ils ont pensé que Dieu lui avait fait, en cela, un don funeste, et que l’humanité, sous l’influence de ces deux moteurs, tendait fatalement vers sa dégradation. Ils ont posé en fait qu’abandonnée à ses penchants l’humanité ne s’occuperait de religion que pour aboutir à l’athéisme, d’enseignement que pour arriver à l’ignorance, de travail et d’échanges que pour s’éteindre dans la misère.
Heureusement, selon ces mêmes écrivains, il y a quelques hommes, nommés Gouvernants, Législateurs, qui ont reçu du ciel, non seulement pour eux-mêmes, mais pour tous les autres, des tendances opposées.
Pendant que l’humanité penche vers le Mal, eux inclinent au Bien; pendant que l’humanité marche vers les ténèbres, eux aspirent à la lumière; pendant que l’humanité est entraînée vers le vice, eux sont attirés par la vertu. Et, cela posé, ils réclament la Force, afin qu’elle les mette à même de substituer leurs propres tendances aux tendances du genre humain.
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