Humanidée

« Je peux être qui je veux, ou ce que je veux ! » pourrait être le mot d’ordre qui va avec cette deuxième « fable immorale » de la série. Voyons donc quelle est sa structure de base, et en quoi elle est immorale.

Humanidée

Cette fable pourrait être résumée ainsi :

Les humains du XXe siècle avaient franchis des étapes majeures dans la connaissance scientifique de la nature. L’homme avait une connaissance presqu’infinie du cosmos. Il restait un domaine où les limites n’avaient pas été repoussées aussi loin que les autres : le vivant. Comment admettre que nous soyons capables de comprendre l’atome, les quarks et les trous noirs, mais que nous soyons incapables de mieux nous protéger des aléas de la nature : malformations, maladies, handicaps, accidents, mort ?
Les scientifiques, les médecins, les spécialistes du génome, les biologistes, les datascientists, et bien d’autres étaient déjà au travail pour oeuvrer à cette convergence NBIC visant à articuler des domaines du savoir jusque là séparés. Quelques grincheux opposaient des arguments philosophiques ou spirituels à ces manipulations du vivant, mais ils étaient heureusement inaudibles : les sciences avaient de tout temps permis à des dispositifs techniques de réparer ou d’augmenter les humains : prothèses, dentiers, lunettes, greffes, pacemakers, stents. Les humains continuaient simplement leur prise en main de la nature en jouant avec les gènes, ou en permettant à certains de devenir ce qu’ils voulaient vraiment être, ce qu’ils auraient dû être, ou ce qu’il est possible d’être. L’humain devenait peu à peu maître de la nature : choix des enfants à naître, correction de ce qui ne va pas (apparence, génome, médecine régénératrice, conditions de la mort), choix de son genre et de ses attributs sexuels. Il devint même envisageable d’envisager la fin de la mortalité. Les tranhumanistes, en pointe de ce combat, sont les précurseurs de cette nouvelle aube. Enfin : l’humanité aura les moyens de se penser et se transformer elle-même, selon ses besoins propres, à son idée. L’human-idée, c’est l’humanité débarrassée des limites de la nature.

Modèles mentaux

Quels sont les schémas mentaux véhiculés ou utilisés par cette « fable » ? Ils sont multiples, et sur des registres variés :

  • Il existe de nombreux dysfonctionnements biologiques conduisant à des problèmes physiques ou psychologiques pour les humains
  • Combattre les maladies et les causes de handicaps est une noble activité
  • Ce qui est rendu possible par la science doit pouvoir être utilisé au bénéfice des humains
  • Le progrès des sciences a rendu envisageable une vie sans maladie, plus longue
  • Un humain est un individu autonome, ou qu’il faut chercher à rendre autonome, et il a donc son mot à dire sur ce qu’il est
  • Nos connaissances de la nature sont presque complètes
  • Transformer l’humain est possible, et souhaitable
  • Les comités d’éthique garantissent que l’on ne commettra pas d’excès dans la manipulation du vivant humain
  • Un être humain est « vierge » à la naissance : sa nature est purement de l’ordre de l’acquis et du construit. Il peut donc choisir ce qu’il est. Il n’y a pas de nature humaine.
  • Toutes les limites que la nature impose à l’homme sont mauvaises et méritent d’être repoussées

La morale de la fable jamais tout à fait explicitée est très claire : Chacun doit pouvoir être qui il veut, sans autres limites que celles de notre connaissance et de nos capacités scientifiques et techniques.

Séparer le vrai du faux

Les trois premiers points de ma liste sont vrais. Les autres contiennent tous des approximations, ou de franches faussetés. Le principal problème de cette fable tourne autour de la question des limites. Les limites ne sont pas toutes mauvaises. La plupart du temps ce sont même des guides d’action particulièrement utiles. Vouloir s’émanciper des déterminismes naturels est tout à fait normal, mais il est crucial de le faire sans nier qu’ils existent, et qu’il en existera toujours. Sans nier non plus le temps et les efforts que cela demande. Les progrès de la médecine, de l’hygiène, de l’alimentation ont conduit à une augmentation de l’espérance de vie. Mais la maladie a-t-elle disparut ? Non. On a simplement d’autres maladies. Il est probable que ces progrès continueront, et qu’il n’est pas idiot d’imaginer des humains « augmentés », régénérés, modifiés, réparés,1Sur ce sujet, je vous recommande l’excellente conversation scientifique d’Etienne Klein avec Raphaël Gaillard : « Allons-nous nous adapter à ce que nous nous ajoutons ? » qui pourront vivre 200 ans. Mais les humains resteront mortels. Car les humains, et l’humanité, ne sont pas que des idées. Ce sont avant tout des organismes vivants, incarnés dans un corps biologique, déterminés en partie par leur génome et leurs conditions de vie, soumis à un certain nombre de lois naturelles, en interactions permanentes avec leur environnement et en recherche d’équilibre et de survie. Un organisme humain, c’est à la fois un esprit et un corps. Cette séparation est fallacieuse et est à la racine de cette « humanidée ». La séparation est fausse, et limitative. On ne peut pas penser un humain comme un esprit habitant un corps. De même on ne peut pas penser un humain comme un organisme solitaire, une sorte de machine physico-chimique particulière. Ce matérialisme de bas étage oublie, au moins, les dimensions psychologiques, culturelles et spirituelles des êtres humains.

Pourquoi est-ce immoral ?

C’est une honte morale également car cette fable s’appuie sur une vision totalement délirante de la puissance de l’homme (« nous pouvons changer l’être humain »)22. La démesure grecque ou Hybris : Elle désigne un comportement ou un sentiment violent inspiré par des passions, particulièrement l’orgueil et l’arrogance, mais aussi l’excès de pouvoir et de ce vertige qu’engendre un succès trop continu. Les Grecs lui opposaient la tempérance et la modération, qui est d’abord connaissance de soi et de ses limites., en créant de facto une angoisse insurmontable (en rendant les gens responsables d’un truc auquel on ne peut en partie pas grand-chose). Cette immoralité est visible dès maintenant pour ceux qui veulent ouvrir les yeux. Le Wokisme et le transgenrisme en sont des bons exemples : sous couvert d’émancipation et de libre détermination, nous laissons des pauvres enfants et des adolescents être maltraités par leurs parents, par le corps médical et par la société. Au lieu de prendre en charge leurs interrogations, leur mal-être, leurs troubles identitaires, nous permettons à de véritables atrocités d’avoir lieu : les opérations chirurgicales, les bloqueurs hormonaux, et autres folies visant à favoriser cette « humanidée » sont des abominations dignes du professeur Mengele. Autoriser des choses irréversibles à des âges où tout est en construction et en mouvement, c’est nier la nature humaine, nier la souffrance et la nécessaire prise en charge de cette souffrance, et c’est se comporter en affreux démiurge.

Mais la réalisation de la nature des êtres n’est pas ce qui leur tient à cœur, bien sûr. Cette visée émancipatrice est un masque qui leur sert – bien mal – à dissimuler leur totalitarisme auto-destructeur, manipulateur, suicidaire, qui inculque à nos enfants des angoisses infondées, et une détestation générale de la nature et de l’action humaine. Cette fable est immorale. Bas les masques.


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