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  • Innovation pour les nuls #6 – Business model ?

    Innovation pour les nuls #6 – Business model ?

    Dans le monde de l’innovation, il est courant d’entendre parler de Business Models, ou de modèles d’affaires. C’est un outil très utile pour concevoir, décrire et clarifier les activités au sein des entreprises. Ce court article vous propose de découvrir ce qu’est un Business Model, quelques outils et canevas utiles pour les représenter, et une classification des grands types de modèles d’affaires.

    Qui dit modèle, dit … modèle

    Un modèle, c’est toujours une simplification de la réalité. Le modèle d’affaire simplifie les activités des entreprises en les décrivant comme l’articulation entre 4 types d’éléments (décrits ci-après et illustré par le diagramme). J’ai pris cette définition dans l’excellent livre de Clayton Christensen (« The Innovator’s prescription ») qui donne une bonne vision des disruptions en cours et à  venir dans le monde de la santé. C’est un outil indispensable pour réfléchir à  l’innovation.

    • Proposition de valeur (value proposition) : tout commence par une proposition de valeur, c’est-à -dire un service ou un produit qui aide le client à  faire mieux, plus facilement, plus économiquement ce qu’il cherche à  faire (le job-to-done)
    • Ressources : tout ce qu’il va être nécessaire de mobiliser — personnes, technologies, produits, marques, etc.. – pour rendre effective et délivrer la proposition de valeur.
    • Processus : toutes les bonnes manières de travailler ensemble, qui incorporent les apprentissages
    • Profit formula : l’équation économique du business ; actifs, coûts de structures, et les marges opérationnelles. Sans marges, la proposition de valeur ne peut être durablement délivrée.

    Représentations & canevas

    Il existe plusieurs façons de représenter un modèle d’affaire (ou Business model). Les plus connues sont certainement :

    • le Business model canevas (celui d’Osterwalder), qui détaille autour de la proposition de valeur d’une part les activités, ressources et partenaires nécessaires pour la délivrer, et d’autre part les canaux de distribution et les différents segments de clients à  qui l’on souhaite apporter ce service/cette valeur. Vous pouvez le trouver ici.
    • le Lean canvas, qui est plus orienté sur les projets débutants, et qui sert à  bien formuler le problème que l’on veut résoudre (avant de réfléchir à  la solution). Il est très utile, et la lecture des bouquins de son inventeur aussi (Ash Maurya). L’approche développée par l’auteur est très orientée « fact based » : le canvas sert à  poser ses hypothèses, et à  aller tester les plus risquées d’abord. Lean Canvas

    Typologie de modèle d’affaires

    Pour finir, des chercheurs — cités par Christensen dans son livre —, Oystein Fjeldstad et Charles Stabell, ont proposé une typologie de BM très différents. Les grands types de Business Models, en quelque sorte. Ils en distinguent 3 sortes, qui se trouvent dans le tableau ci-dessous. Je laisse les noms en anglais pour ne pas risquer de contre-sens.

    Bien sûr, il n’est pas rare que des institutions ou des organisations mélangent plusieurs de ces modèles archétypaux. Et vous ? Quel est votre modèle d’affaire ? Est-il pur ? Est-il hybride ?

    Pour aller plus loin (plus sûrement et plus lentement) :

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  • Enlisement idéologique

    Enlisement idéologique

    J’aime bien les voyages en train. Quand je suis seul, je passe au relais presse acheter un magazine qui me fait une partie du trajet. Lors d’un de mes derniers voyages, j’ai acheté le hors-série du Point, consacré aux grands débats de l’économie.

    Méconnaissance des auteurs autrichiens

    J’ai été déçu, je dois le dire. Il y a un gros travail de fait, mais depuis l’édito jusqu’à  la manière de traiter les sujets, je retrouve l’espèce de mêli-mêlo peu éclairant que j’ai l’habitude de trouver dans les médias. C’est à  mon sens relié à  deux causes principales : une pensée très française, marxisante, et une presque complète méconnaissance de l’Ecole Autrichienne d’économie et des mécanismes économiques.

    Je ne suis pas compétent pour juger tous les articles, et l’humilité la plus élémentaire consiste à  garder une partie de ses critiques pour soi. Par contre, il se trouve que je connais quelques auteurs cités dans le recueil : Bastiat, Von Mises, Hayek notamment. Et sur ces auteurs, par contre, je peux me permettre de porter un regard critique. Et ce que je lis n’est pas glorieux.

    Deux exemples. Il est dit de Bastiat, page 52, qu’il « ne doit pas être considéré comme un théoricien ». J’aimerais bien savoir pourquoi ! Au contraire, Bastiat, certes volontiers polémiques, a construit des bases de réflexions très proches de l’Ecole Autrichienne d’économie, avec une description de la valeur et de l’utilité comme des choses subjectives. Cette approche, qui ressort de l’individualisme méthodologique, est – contrairement à  ce qui est écrit dans le Hors-série – une approche théorique très solide.

    Deuxième exemple, sur Hayek, page 84 : après avoir décrit une de ses analyses, il est écrit qu’elle « reflète ses obsessions ». Pathologiser un auteur, de manière insidieuse, me rappelle les manières de faire du politiquement correct décrite par Bock-Côté. J’ai lu Hayek, et s’il y a un bien un auteur qui réfléchit de manière rationnelle, puissante, en amoureux de la vérité, c’est bien lui ! Mais un journaliste français ne pouvait pas faire un papier sur Hayek sans l’égratigner un peu au passage. Question de posture. Il ne faudrait pas que les copains socialistes pensent que le Point est devenu néo-ultra-libéral radical…

    Biais déjà  décrits par Butler

    Le mêli-mêlo est typique de ce que décrit Benoît Malbranque dans la préface de l’excellente « Introduction à  l’Ecole autrichienne d’économie », d’Eammon Butler (dispo gratuitement aux Editions de l’Institut Coppet) :
    Bien que non majoritaire, une position courante concernant la méthodologie économique est de dire qu’aucune des méthodologies n’est la réponse unique aux défis épistémologiques de l’économie, et que, pour cette raison, il convient de n’en employer aucune de manière directe. Ce « pluralisme méthodologique », comme certains l’ont appelé, a de nombreux défenseurs et jouit d’un prestige grandissant. Il est pourtant aisé de comprendre pourquoi ce n’est pas une position satisfaisante. Au fond, le pluralisme méthodologique n’est rien de plus que la réponse d’économistes égarés incapables de se faire un avis sur ce qui constitue la méthode appropriée à  la science économique. […]
    Pour Ludwig Von Mises et ses disciples, la question de la méthode est fondamentale : elle conditionne le sain développement de théories économiques rigoureuses, justes et porteuses de sens. Les principes méthodologiques soutiennent l’ensemble de l’édifice autrichien, et c’est sans surprise qu’on retrouve leur exposition dans la plupart des grandes oeuvres de Mises. Ce dernier se faisait une idée bien précise de l’économie. Il fallait se la représenter comme une sous-catégorie de la « science de l’agir humain » qu’il intitula « praxéologie ». En économie, il ne s’agit pas de dire pourquoi les individus agissent en suivant tel ou tel objectif ou en s’efforçant de faire correspondre leur conduite à  tel ou tel code moral. Il s’agit de reconnaître et d’utiliser le fait qu’ils agissent bel et bien en suivant des objectifs et en faisant correspondre leur conduite à  un code moral — en somme, qu’ils agissent intentionnellement.[…] Dans leur insistance sur le choix de l’action humaine comme fondement de toute connaissance économique, les Autrichiens étaient nécessairement poussés à  n’accepter que les individus comme sujet de leur étude, et à  suivre scrupuleusement l’individualisme méthodologique. Après tout, seuls les individus agissent. Ainsi que l’écrira le même Rothbard, « la première vérité à  découvrir à  propos de l’action humaine est qu’elle ne peut être initiée que par des « acteurs » individuels. Seuls les individus ont des objectifs et agissent pour les atteindre.»

    Ce qui me reste de cette lecture (le Hors-Série du Point) : l’impression gênante qu’il s’agissait plus pour les auteurs de prétendre couvrir tous les points de vue que de regrouper des savoirs. Non : on ne peut pas mettre toutes les idées au même niveau, comme si c’était une affaire de goûts et de couleurs. La Science économique, solide dans l’approche autrichienne, parce que ne cherchant pas à  singer les sciences naturelles, en faisant étalage d’outils mathématiques camouflant la réalité sous des macro-indicateurs composites, est une science de l’action humaine. Il faut commencer par rappeler ce que l’on sait. Il en va sur ce sujet, comme sur les sujets de réchauffement climatique, d’un mauvais mélange de science et de politique (c’est souvent le cas). Les journalistes auteurs de ce hors-Série feraient bien de se reprendre, et de sortir de leur enlisement idéologique.

  • Catallaxie

    Catallaxie

    Il est impossible de penser correctement la société sans le concept de catallaxie. Je l’ai découvert pour ma part grâce à  Hayek11. Liens wikipedia : faites attention à la qualité des informations que vous pouvez y trouver, notamment celles ayant des résonnances politiques., puis Salin. F. Hayek en donne la définition suivante :
    L’ordre engendré par l’ajustement mutuel de nombreuses économies individuelles sur un marché. Une catallaxie est ainsi l’espèce particulière d’ordre spontané produit par le marché à  travers les actes des gens qui se conforment aux règles juridiques concernant la propriété, les dommages et les contrats.
    Une partie de l’ordre dans lequel nous vivons tous les jours, est du domaine de l’ordre spontané. C’est-à -dire qu’il n’est pas uniquement le fruit causal des actions des individus. Ou plutôt, cet ordre est bien sûr le fruit des actions d’une multitude d’individus, plus ou moins biens informés, mais dont la coexistence ne permet pas de prévoir l’ordre résultant. Un prix libre sur un marché est un très bon exemple. De multiples échanges ont lieu, l’information circule, plus ou moins, et les acteurs s’ajustent en permanence dans leurs échanges. Le prix résulte de ces interactions multiples, il n’est pas prévisible. Il n’est pas le fruit d’une construction centralisée. Le prix libre, évolutif, dans cet ordre spontané, est un moyen extraordinairement efficace « d’intégrer » toutes ces informations et ajustements. Il y a une forme d’auto-organisation, sans plan préalable, en évolution, et adossée à  des règles du jeu. Cette forme de réalité, incontestable, vient percuter de plein fouet la logique « constructiviste ». Il n’est pas toujours possible de déterminer, par un plan pensé à  l’avance, l’état des choses ultérieur. Il n’est pas possible de faire un plan permettant de fixer le prix du lait. Ou alors, il faudra, pour que cela soit possible, casser les règles juridiques et entraver la liberté des acteurs.

    Catallaxie, concept essentiel pour comprendre les sociétés libres

    Cette idée est essentielle pour comprendre quand les politiciens et autres philosophes viennent avec des discours qui ont le mérite d’être volontaristes, mais le – gros – défaut d’être, dans le meilleur des cas naïf, et dans le pire des cas dangereux.

    Personne n’a l’information parfaite, sur tous les paramètres d’un monde complexe et ouvert. Pourquoi les dirigeants, mieux que d’autres, l’auraient ? C’est ce que rappelait Bastiat :
    Les prétentions des organisateurs soulèvent une autre question, que je leur ai souvent adressée, et à  laquelle, que je sache, ils n’ont jamais répondu. Puisque les tendances naturelles de l’humanité sont assez mauvaises pour qu’on doive lui ôter sa liberté, comment se fait-il que les tendances des organisateurs soient bonnes? Les Législateurs et leurs agents ne font-ils pas partie du genre humain? Se croient-ils pétris d’un autre limon que le reste des hommes? Ils disent que la société, abandonnée à  elle-même, court fatalement aux abîmes parce que ses instincts sont pervers. Ils prétendent l’arrêter sur cette pente et lui imprimer une meilleure direction. Ils ont donc reçu du ciel une intelligence et des vertus qui les placent en dehors et au-dessus de l’humanité; qu’ils montrent leurs titres. Ils veulent être bergers, ils veulent que nous soyons troupeau. Cet arrangement présuppose en eux une supériorité de nature, dont nous avons bien le droit de demander la preuve préalable.(Frédéric Bastiat, La Loi)
    Cette logique d’ordre spontané adossé à  des règles permet de sortir de la logique du bouc émissaire. « Tuer » le coupable n’a jamais amélioré les choses, d’autant plus qu’il faut pour cela qu’un coupable existe. Certains états de faits ne sont pas le fruit de l’action consciente de l’un ou de l’autre, mais la résultante de règles de juste conduite et d’échanges libres. Le niveau des salaires n’est pas le fruit du mauvais esprit des méchants patrons, qui cherchent à  exploiter les pauvres salariés. Ils sont le fruit d’un jeu permanent d’adaptation entre l’offre et la demande, dans une structure et des processus de marché, catallactiques.

    Penser réellement la causalité

    Dans l’ère de la responsabilité, par contre, on cherche à  définir les contours de la responsabilité de chacun, ce qui passe par le droit, et la propriété, et la liberté. C’est une éthique liée aux règles, une éthique de type déontologique. C’est une logique qui refuse une forme de « conséquentialisme », c’est à  dire une logique consistant à  ne juger les choses que sur leurs conséquences. Puisqu’il n’est pas possible, en fait, d’attribuer la situation à  des suites simples de causes/effets (puisque l’état catallactique est le fruit d’une multitude de micro-ajustements et actions individuelles), il convient de placer au moins une partie du « juste » sur les règles. Respect du droit, de la propriété, des contrats libres.

    C’est une complexité qu’il nous incombe de prendre en compte dans nos réflexions politiques et sociales. Certains n’aiment pas cela, et préfèrent continuer à  (se) faire croire que tout état de la société est le résultat d’une action, et prévisible. Le régime de liberté implique un ordre spontané, catallactique. Le refuser, c’est nier soit le réel, soit la liberté.

  • Entreprises à  mission : et si on posait le débat ?

    Entreprises à  mission : et si on posait le débat ?

    Dans un article polémique, Philippe Silberzahn règle son compte à  l’entreprise à  mission. J’avais déjà  abordé le sujet pour montrer que le sujet de la mission est en lien étroit avec les capacités d’innovation. Je trouve l’article un peu excessif, et j’aimerais ici poser quelques éléments de la discussion, pour éviter de jeter le bébé avec l’eau du bain.

    Points d’accord

    Quelques éléments que je partage avec Philippe Silberzahn :

    • les politiciens ont une fâcheuse tendance à  être comme des bouchons sur l’eau : tel le bouchon qui suit le mouvement des vagues (les évolutions de la société), le politicien a beau jeu d’entériner ces évolutions dans des textes de loi ou réglementation et de crier ensuite : « regardez ! je fais monter et descendre l’eau ». Bêtise crasse, ou simple volonté de se croire puissant, cela est proprement ridicule, et montre l’étendue du constructivisme ambiant. Les politiciens devraient apprendre ce qu’est l’ordre spontané dans une économie libre, cela leur permettrait peut-être de se cantonner à  leur vrai rôle, qui est de garantir la sécurité et la Justice à  leurs concitoyens.
    • il est clair que les entreprises créent de la valeur pour le collectif, pour la société, et qu’elles n’ont pas attendus que cela leur soit demandé par un politicien pour le faire, que ce soit sous forme de RSE, ou de mission élargie inscrite dans les statuts
    • le faible respect des droits de propriété dans une France très marxisante est un point d’énervement quotidien. Cette institution de la liberté qu’est la propriété est bafouée quotidiennement par nos lois et réglementations. En rajouter une couche est certainement une mauvaise idée

    Points de désaccord

    Quelques nuances que j’aimerais apporter, maintenant, au propos très dur de Philippe Silberzahn, pour éviter de jeter le bébé avec l’eau du bain. Le bébé, c’est l’entreprise à  mission. L’eau du bain, c’est la récupération politicienne d’un mouvement existant. Depuis longtemps, un peu partout, et qui me semble un levier à  la fois d’innovation et d’engagement. En espérant qu’au final les modifications du code civil ne seront qu’une ouverture, et pas une contrainte, il faut tout de même prendre conscience que le fait d’introduire dans les statuts d’une entreprise un objet plus large que le seul profit est un vrai levier.

    • D’innovation : l’innovation se nourrit d’une mission large définie, qui permet de constamment revisiter l’offre, et la définition de ce qu’on appelle un client. Le « Job to be done » ne sert pas à  autre chose. Définir la mission est une source de créativité.
    • D’engagement : un des leviers de la motivation réside dans le sens et l’utilité de nos actions. Formuler collectivement dans le projet d’entreprise des aspirations plus larges que les activités actuelles ou historiques, c’est une très bonne manière de redonner du sens et de la motivation aux parties prenantes de l’entreprise.

    Questions en suspens

    Il reste donc plusieurs questions (beaucoup). Ratifier par la loi, par le truchement du code civil, une évolution déjà  visible dans la société, est-ce une erreur ? Est-ce que cela conduira à  des dérives, à  des lourdeurs, ou est-ce que cela sera une opportunité pour les entreprises qui le feront ? Au-delà  de cette « officialisation », le concept d’entreprise à  mission est-il générateur de valeur ? d’opportunités ? D’innovation, d’engagement ?

    Je conclue en confirmant qu’il s’agit là  d’un vrai sujet, selon moi, et que loin d’être un piège à  cons, l’entreprise à  mission est un outil, pour les entreprises. Que cet outil soit récupéré par une classe politique en manque de vernis moral, c’est une chose. Qu’il faille lutter contre sa systématisation, c’est évident. Mais cela reste une belle manière de redonner aux entreprises un sens collectif qu’elles ont perdu dans l’esprit de certains. Jean-Dominique Senard, patron de Michelin, n’a pas attendu les politiciens pour avancer sur ce sujet. Il me semble avec des fruits plutôt intéressants. A débattre ?

  • L’innovation pour les nuls #2 – fonction innovation

    L’innovation pour les nuls #2 – fonction innovation

    J’aime les entreprises. Certes, il est de bon ton de les affubler de tous les maux, notamment à  cause d’une culture française très déformée par le marxisme et le communisme (la fameuse aliénation par le travail). Avant de parler de la fonction innovation, il est utile de rappeler deux ou trois choses à  propos des entreprises.

    Réhabiliter l’entreprise

    Je ne vois pourtant dans les entreprises que des collectifs d’individus qui oeuvrent ensemble pour un objectif commun. Les déboires liés à  une approche très financiarisée de la gestion des entreprises ne doivent pas cacher ce qui reste le coeur : de formidables aventures humaines. Quelle que soit la mission d’une entreprise, elle est toujours liée au fait de rendre service à  d’autres, contre rétribution. Je trouve cela très noble. Tout est toujours échanges de services en économie. Frédéric Bastiat – que l’on devrait faire lire à  tous les lycéens – l’a très bien analysé et décrit. D’autres, comme Mises (L’action humaine) ou Hayek, ont prolongé la réflexion. Comment l’entreprise remplit sa mission ? En exécutant un ensemble généralement complexe de tâches, que je résumerai sous le terme « activités ». Ces activités, depuis longtemps déjà , ont fait l’objet d’analyses, et sont structurées. C’est ce qu’on appelle « l’organisation ».

    Le terreau de l’innovation

    Deux facteurs au moins peuvent être mentionnés comme conditions de l’innovation. Le premier c’est bien sûr, et dans l’ordre d’apparition, une société d’économie libre. Respect des contrats, des droits individuels, dont la propriété, adossée à  la liberté et à  la responsabilité. Une société libre, c’est une société où chacun peut suivre son chemin à  sa guise, dans le respect des règles communes. Le second, ce sont les progrès continus (et irréguliers) des connaissances. Les progrès techniques en font partie, bien sûr.
    La liberté a une conséquence directe, et bénéfique, c’est la situation de concurrence. La concurrence rappelons-le toujours, n’est pas une situation donnée, un état figé, mais simplement une règle : la liberté pour chacun d’entrer sur un marché. Donc de concurrencer d’autres acteurs. La concurrence bénéficie toujours au consommateur final : plusieurs acteurs, en situation de concurrence, se disputent le droit de lui rendre le meilleur service.

    […] la concurrence ne signifie pas que n’importe qui puisse prospérer en copiant simplement ce que d’autres font. Cela signifie le droit reconnu à  tous de servir les consommateurs d’une façon meilleure ou moins chère sans être entravé par des privilèges accordés à  ceux dont les situations acquises seraient atteintes par l’innovation. [Ludwig Von Mises]

    Concurrence : le moteur de l’innovation

    Toute entreprise sera donc nécessairement confrontée à  la concurrence, maintenant ou demain. Cela a une implication importante : aucune entreprise ne peut être pensée de manière statique. Le monde change, les savoirs progressent, de nouveaux acteurs arrivent sur le marché. Les activités d’une entreprise donnée, disons l’entreprise 1, sont donc par nature à  la fois durables, et changeantes. Comme dans toute activité humaine, penser le permanent et le changement en même temps reste un véritable enjeu. Certains ont rapproché cette situation de l’hypothèse de la Reine Rouge (nommée d’après Lewis Carroll), mais je trouve qu’il y manque la notion de progrès. Bref, c’est un autre sujet.

    Fonction Innovation

    Le schéma qui suit tente de résumer cela dans une image, réductrice forcément, mais qui donne les grandes lignes. J’y ai positionné plusieurs entreprises en concurrence pour servir des clients. Et j’ai fait l’exercice de montrer ce qu’est la fonction innovation pour une entreprise.

    Nous rentrerons plus en détail dans le prochain article avec les notions de conception réglée et conception innovante (indispensables pour penser l’innovation). Je crois que le coeur du sujet de l’innovation, c’est de toujours challenger les activités actuelles pour mieux servir les clients, mieux remplir la mission. Les activités évoluent souvent, la mission reste comme un phare qui guide les choix stratégiques. Les innovateurs rappellent en permanence dans l’entreprise que la mission n’est pas identique à  l’activité. Les activités sont le moyen actuel pour remplir la mission. Les challenger en permanence, de manière bienveillante, c’est le travail de l’innovateur. Un article de cette série, le #4, reviendra sur la mission, et la transformation.

    Penser ce(s) dialogue(s), les organiser, est le fond de la question de l’innovation : articuler exploitation et exploration, combiner le « maintenant » qui rapporte, et le « demain » qui sera nécessaire, conjuguer gestion des risques et structuration de l’inconnu, parler de ce qui peut être conflictuel dans les choix stratégiques. Et assumer des stratégies en apparence paradoxales.

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  • Nature des échanges

    Nature des échanges

    La confusion morale est grande dans notre pays. Sur beaucoup de sujets, nous avons collectivement un peu perdu la tête, c’est-à -dire que nous avons simplement oublié qui nous sommes, et qui nous voulons être. Je voudrais souligner dans ce billet un des aspects sur lequel nous sommes dans une schizophrénie complète. Il s’agit de la nature des échanges. Et de l’impact de cette mauvaise compréhension sur la manière de penser la nature du travail. Le principe est simple pourtant : un échange librement consenti est un acte légitime, moralement juste, et la somme des échanges libres est une source de prospérité collective. Les intérêts des uns et des autres ne sont pas divergents, mais convergents.

    L’échange libre est juste

    Commençons par une première idée : l’échange libre est juste. Pourquoi ? Parce que la valeur des deux choses échangées est la même.

    La valeur, c’est le rapport de deux services échangés.
    L’idée de valeur est entrée dans le monde la première fois qu’un homme ayant dit à  son frère: Fais ceci pour moi, je ferai cela pour toi, — ils sont tombés d’accord; car alors pour la première fois on a pu dire: Les deux services échangés se valent.
    Frédéric Bastiat, De la valeur

    L’échange, c’est un échange de service, et non un vol. Certains, pourtant, n’arrivent à  concevoir un échange libre que comme une action ou l’un bénéficie et l’autre non. La valeur n’est pas intrinsèquement dans les choses, dans les services, mais elle existe à  partir du moment où un échange libre a lieu. Un échange librement consenti et choisi par les deux parties, c’est nécessairement un échange dont les deux termes ont la même valeur.

    Le travail aussi est un échange

    La deuxième idée touche à  notre conception du travail : le travail, c’est aussi un échange. Une grande partie de la population souffre d’une mauvaise perception de ce qu’est un échange libre, et notamment en ce qui concerne le travail. Combien de personnes peu impliquées dans leur travail, parce qu’il ne faut pas trop se faire avoir par son patron ? Combien de personnes persuadées que dans un échange, il y en a forcément un qui se fait avoir ? Comment peut-on être heureux dans une société d’échanges libres, si l’éducation que l’on a reçue, le conditionnement idéologique, nous font confondre l’échange et le vol. L’acte libre, juste, et l’acte injuste ? Le bien et le mal ?
    Echanger de l’argent contre du pain est-ce du vol ? Acheter, ou vendre du pain, est-ce du vol ? Non, bien sûr, tant que l’on est libre de le faire ! Alors pourquoi échanger son travail contre de l’argent (ou l’inverse), serait du vol ? L’argument consistant à  dire que l’on n’est pas libre de travailler est spécieux : dans le cas de l’achat ou de la vente du pain, suis-je libre de devoir manger ? Ce n’est pas le besoin que vient remplir l’objet de l’échange qui en détermine la légitimité, c’est son caractère libre ou contraint.
    Le jeu est d’autant plus pernicieux que les mêmes qui expliquent que l’échange libre, c’est du vol, utilisent ou sont d’accord pour utiliser la contrainte, fiscale le plus souvent, pour faire advenir une société supposément plus juste. Lutter contre le vol (supposé), en utilisant le vol (réel), quelle fumisterie ! En faisant croire que l’échange (qui est juste), c’est du vol (ce qui est injuste), ils poussent l’idée que pour plus de justice il faudrait utiliser la spoliation fiscale (injuste).

    Confusion morale

    La confusion morale, par conséquent, est grande dans ce pays. Une bonne partie de la population croit et pense, encouragé en cela par d’éminents intellectuels, que les services échangés en permanence dans la société sont condamnables, en partie, moralement et concrètement. Ils sont en cela les dignes héritiers de Rousseau, qui voyait dans les institutions, et dans la société en général, la source de tous nos maux. Rien n’est plus faux. Ces services échangés chaque jour, dans Travailler, c’est rendre service à  d’autres, directement ou indirectementune grande partie de nos actions, sont des éléments de solidarité. Nous sommes tous solidaires, y compris par ces échanges constants, nombreux, libres, de services. Nous nous rendons service, directement ou indirectement, les uns aux autres en permanence. Nous sommes solidaires dans l’échange libre. Travailler, c’est rendre service à  d’autres, d’une manière ou d’une autre. Par le travail, je trouve un moyen de gagner de quoi subsister et combler un certain nombre de mes besoins, et pour ce faire je rends service à  d’autres. Travailler c’est participer à  bâtir une société libre et juste. Ceux qui ont injecté l’idée d’un vol dans le travail sont coupables d’avoir injecté un grand désarroi moral dans les actions quotidiennes de millions de gens. Comment ensuite améliorer les manières de travailler, et les comportements au travail, si une partie des gens a la ferme conviction que tout ce qui vient de l’entreprise (via ses managers, ou ses dirigeants), ou de la société, ou des échanges, est forcément synonyme de contrainte injuste, donc de manipulation et/ou de mensonge ?

    Résumons, donc. La société, c’est l’échange. « Union des forces et séparation des occupations », comme dit Bastiat. Échange de services. Réfléchissez chaque jour au nombre de personnes, vivantes ou mortes qui vous rendent service. La vie en société, c’est d’abord une somme de services énormes qui s’échangent, entre les hommes. La société libre, ce sont avant tout des gens qui, en se répartissant le travail et en se spécialisant, se rendent service les uns aux autres. L’idée résumée comme suit par Bastiat me semble évidente : « Dans l’isolement, nos besoins surpassent nos facultés. Dans l’état social, nos facultés surpassent nos besoins ». Il y a lieu de rappeler cela en permanence, et faire progresser l’idée que les intérêts des personnes ne sont pas antagoniques, mais bien plutôt harmoniques et convergents.

    Prochain billet, dans la foulée, et en conséquence : Quelques doutes sur la « mode » de la RSE