Catégorie : 💡 Innovation

  • L’innovation pour les nuls #2 – fonction innovation

    L’innovation pour les nuls #2 – fonction innovation

    J’aime les entreprises. Certes, il est de bon ton de les affubler de tous les maux, notamment à  cause d’une culture française très déformée par le marxisme et le communisme (la fameuse aliénation par le travail). Avant de parler de la fonction innovation, il est utile de rappeler deux ou trois choses à  propos des entreprises.

    Réhabiliter l’entreprise

    Je ne vois pourtant dans les entreprises que des collectifs d’individus qui oeuvrent ensemble pour un objectif commun. Les déboires liés à  une approche très financiarisée de la gestion des entreprises ne doivent pas cacher ce qui reste le coeur : de formidables aventures humaines. Quelle que soit la mission d’une entreprise, elle est toujours liée au fait de rendre service à  d’autres, contre rétribution. Je trouve cela très noble. Tout est toujours échanges de services en économie. Frédéric Bastiat – que l’on devrait faire lire à  tous les lycéens – l’a très bien analysé et décrit. D’autres, comme Mises (L’action humaine) ou Hayek, ont prolongé la réflexion. Comment l’entreprise remplit sa mission ? En exécutant un ensemble généralement complexe de tâches, que je résumerai sous le terme « activités ». Ces activités, depuis longtemps déjà , ont fait l’objet d’analyses, et sont structurées. C’est ce qu’on appelle « l’organisation ».

    Le terreau de l’innovation

    Deux facteurs au moins peuvent être mentionnés comme conditions de l’innovation. Le premier c’est bien sûr, et dans l’ordre d’apparition, une société d’économie libre. Respect des contrats, des droits individuels, dont la propriété, adossée à  la liberté et à  la responsabilité. Une société libre, c’est une société où chacun peut suivre son chemin à  sa guise, dans le respect des règles communes. Le second, ce sont les progrès continus (et irréguliers) des connaissances. Les progrès techniques en font partie, bien sûr.
    La liberté a une conséquence directe, et bénéfique, c’est la situation de concurrence. La concurrence rappelons-le toujours, n’est pas une situation donnée, un état figé, mais simplement une règle : la liberté pour chacun d’entrer sur un marché. Donc de concurrencer d’autres acteurs. La concurrence bénéficie toujours au consommateur final : plusieurs acteurs, en situation de concurrence, se disputent le droit de lui rendre le meilleur service.

    […] la concurrence ne signifie pas que n’importe qui puisse prospérer en copiant simplement ce que d’autres font. Cela signifie le droit reconnu à  tous de servir les consommateurs d’une façon meilleure ou moins chère sans être entravé par des privilèges accordés à  ceux dont les situations acquises seraient atteintes par l’innovation. [Ludwig Von Mises]

    Concurrence : le moteur de l’innovation

    Toute entreprise sera donc nécessairement confrontée à  la concurrence, maintenant ou demain. Cela a une implication importante : aucune entreprise ne peut être pensée de manière statique. Le monde change, les savoirs progressent, de nouveaux acteurs arrivent sur le marché. Les activités d’une entreprise donnée, disons l’entreprise 1, sont donc par nature à  la fois durables, et changeantes. Comme dans toute activité humaine, penser le permanent et le changement en même temps reste un véritable enjeu. Certains ont rapproché cette situation de l’hypothèse de la Reine Rouge (nommée d’après Lewis Carroll), mais je trouve qu’il y manque la notion de progrès. Bref, c’est un autre sujet.

    Fonction Innovation

    Le schéma qui suit tente de résumer cela dans une image, réductrice forcément, mais qui donne les grandes lignes. J’y ai positionné plusieurs entreprises en concurrence pour servir des clients. Et j’ai fait l’exercice de montrer ce qu’est la fonction innovation pour une entreprise.

    Nous rentrerons plus en détail dans le prochain article avec les notions de conception réglée et conception innovante (indispensables pour penser l’innovation). Je crois que le coeur du sujet de l’innovation, c’est de toujours challenger les activités actuelles pour mieux servir les clients, mieux remplir la mission. Les activités évoluent souvent, la mission reste comme un phare qui guide les choix stratégiques. Les innovateurs rappellent en permanence dans l’entreprise que la mission n’est pas identique à  l’activité. Les activités sont le moyen actuel pour remplir la mission. Les challenger en permanence, de manière bienveillante, c’est le travail de l’innovateur. Un article de cette série, le #4, reviendra sur la mission, et la transformation.

    Penser ce(s) dialogue(s), les organiser, est le fond de la question de l’innovation : articuler exploitation et exploration, combiner le « maintenant » qui rapporte, et le « demain » qui sera nécessaire, conjuguer gestion des risques et structuration de l’inconnu, parler de ce qui peut être conflictuel dans les choix stratégiques. Et assumer des stratégies en apparence paradoxales.

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  • L’innovation pour les nuls #1 – Définition

    L’innovation pour les nuls #1 – Définition

    J’ai la chance de travailler dans le domaine de l’innovation depuis un certain temps. Je me suis dit qu’il serait donc utile de structurer un peu mes connaissances sur le sujet. J’espère pouvoir apporter un peu à  certains, et profiter du feedback, y compris critique, de quelques autres. J’ai choisi de faire plusieurs articles pour traiter de plusieurs sujets différents, en relation avec l’innovation. La définition est la première étape.

    Définition de l’innovation

    Commençons par le début. Qu’est-ce que l’innovation ? La définition (je vous conseille d’utiliser le très bon Trésor de la Langue Française Informatisé) montre dès le début la complexité du sujet : l’innovation est à  la fois un processus, et le résultat de ce processus.
    La racine du mot est également intéressante : in-novation. Introduire du neuf dans quelque chose qui a un caractère bien établi. Nous reviendrons sur le processus dans un autre article. Parlons du résultat. Une innovation, c’est quelque chose de nouveau (plus ou moins), qui est confronté à  l’usage que l’on peut en faire. Ce qui distingue l’innovation de la pure invention. Une innovation n’est pas « juste » une bonne idée, mais sa mise en oeuvre. Là  où l’invention peut rester dans la tête de son créateur, ou sur un papier, l’innovation est proposée à  un « marché » de potentiels utilisateurs. Il suffit de regarder les images qui sortent dans Google images pour la requête « innovation » pour voir que cette distinction n’est pas très bien faite en termes d’imaginaires). Une innovation peut être réussie (être utilisée) ou pas. On trouve sur Wikipédia (article innovation) cette définition, attribuée à  Patrick Brezillon, que je trouve assez juste :

    L’innovation est la concrétisation d’une idée nouvelle que s’approprie un public car correspondant à  ses besoins ou attentes explicites ou insoupçonnés jusqu’alors.

    Ajout grâce à  Klodeko en commentaire : une autre plus concise que j’aime bien :

    Quelque chose de nouveau qui a un impact

    Il est d’usage de distinguer les innovations produits/services, de procédés, de commercialisation et d’organisation. On peut raffiner ; deux ouvrages, parmi d’autres, m’ont paru intéressant à  ce titre :

    • La pensée Design, excellent livre qui explique ce qu’est l’approche design, avec notamment le fameux triptyque que j’ai utilisé pour illustrer cet article (image piquée sur Dius)
    • Ten Types of innovation, qui distingue 10 catégories/champs dans lequels on peut innover

    Quelle que soit la manière de découper cela, il apparaît que proposer une innovation (avec le travail que cela implique de conception, expérimentation, production, commercialisation) est toujours pour l’entreprise qui le fait une activité qui inclut une transformation. Soit parce qu’une nouvelle activité se créé de toute pièce, soit parce que l’innovation force l’entreprise existante à  transformer, plus ou moins, ses activités, les compétences qu’elle mobilise, etc…
    Pas d’innovation sans transformation, donc.

    Le prochain article sera consacré à  cette transformation, et aux liens entre la mission de l’entreprise et l’innovation. En effet, il est important d’expliquer pourquoi les entreprises doivent entretenir des capacités d’innovation, et comment ces capacités, transformantes, questionnent la mission de l’entreprise.

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  • La vérité sur la monnaie

    La vérité sur la monnaie

    Comme je travaille dans le champ de l’innovation, je n’ai pas pu éviter les fameuses blockchain et autre crypto-monnaies. Dans une des sessions de travail, je me suis rendu compte que, basiquement, je ne savais pas grand-chose sur la monnaie. J’en ai tous les jours dans ma poche, j’en utilise tous les jours, et je ne sais pas bien ce que c’est !

    La vérité sur la monnaie, de Pascal Salin

    J’ai donc ressorti de ma bibliothèque un livre sur le sujet, que j’avais commencé il y a longtemps et que j’avais trouvé trop ardu, avec une motivation renouvelée. Il s’agit de l’ouvrage « La vérité sur la monnaie », de Pascal Salin. Pascal Salin est un philosophe et économiste de l’école autrichienne d’économie, dans la lignée de Von Mises et Hayek. C’est une école de pensée dont je me sens très proche, car elle est libérale (dans tous les sens du terme), et propose des raisonnements toujours basés sur les connaissances, et la logique, et non pas sur l’idéologie. J’avais vraiment adoré son ouvrage majeur, « Libéralisme« , et je ne saurais assez vous en recommander la lecture. J’avais également eu l’honneur, lorsque je tenais mon blog politique, d’aller l’interviewer et échanger longuement avec lui.
    « La vérité sur la monnaie » est un excellent livre sur le sujet.

    Pédagogie et fondamentaux

    Passionnant, difficile parce que rapidement « technique ». Passionnant, parce que Pascal Salin propose de reconstruire ce qu’est la monnaie, à  partir d’une expérience de pensée : Robinson sur son île, seul au début, puis commerçant avec d’autres îles. L’auteur commence par rappeler et définir des notions fondamentales, avant de faire apparaitre la monnaie. Par exemple, l’épargne : « tout choix fait en faveur d’un bien futur de préférence à  un bien actuel est un choix d’épargne ». L’épargne n’est pas nécessairement un concept financier ou monétaire. L’épargne est inhérente à  l’action humaine. A partir de là , on peut définir l’investissement. Et ainsi de suite. Peu à  peu, on voit apparaitre les notions d’emprunt, d’échange, de droits de propriétés, et l’auteur nous guide pour comprendre les fonctions de la monnaie. Celle-ci est toujours une réserve de pouvoir d’achat.

    Monopole = mauvaise monnaies

    Ce qui ressort du livre, c’est une vaste description de la place de la monnaie dans les échanges, des fonctions des « banques ». Un des fils conducteurs est que les Etats, et les hommes de l’Etat, se sont donnés, presque partout un monopole sur l’émission de monnaie (les banques centrales étant les prêteurs en dernier ressort, ce sont elles qui « garantissent » la convertibilité des monnaies). Ce monopole conduit à  des monnaies de mauvaises qualité, car la concurrence n’exerce plus son rôle de régulateur puissant. Cette situation conduit également à  des situations où sous couvert de pseudo-régulation, les banques centrales et les hommes de l’Etat manipulent les monnaies, souvent pour camoufler des actions d’endettement. On ressort de la lecture avec une vision beaucoup plus nette de ce qu’est une monnaie, et les différentes institutions monétaires privées ou publiques. Et également avec une vision claire des actions à  mener pour faire changer la donne et retrouver un système bancaire libre. De manière surprenante, c’est plus simple qu’il n’y parait : un Etat qui prendrait la décision unilatéralement de limiter les émissions de monnaies de sa banque centrale et d’ouvrir à  nouveau le secteur à  la concurrence pourrait créer un précédent. Rien n’est donc perdu, même si le manque de connaissances de nos politiques est, sur ce sujet, particulièrement inquiétant.

  • L’âge du Faire

    L’âge du Faire

    Pendant un an, Michel Lallement, chercheur au CNAM, est allé s’immerger dans les hackerspaces de la Silicon Valley. Impressionnante plongée dans un monde « middleground » (voire underground), et dans l’univers d’idéalistes (?) qui veulent changer le rapport au travail, le rapport à  la technique, et y remettre de la passion, du Faire, et de la liberté. Le sous-titre du livre L’âge du Faire: hacking, travail, anarchie.

    C’est quoi un hackerspace ?

    C’est quoi un hackerspace, ou un makerspace, ou encore un hacklab ? C’est un lieu de travail, opéré par une communauté qui se retrouve autour d’un intérêt commun pour l’informatique, la science, la technologie, le prototypage, les arts digitaux. Et pour la fabrication (au sens large : faire des choses), le « Faire« . Le hacking est à  distinguer du cracking. Le hacker est un bidouilleur qui cherche à  créer des choses, à  détourner des objets de leurs usages initiaux, là  où le craker est un pirate – informatique le plus souvent-, qui cherche à  voler des données, à  casser, et au final à  agir hors-la-loi. Le livre s’intéresse à  ceux qui peuplent les hackerspaces, majoritairement des hackers.

    Passionnante immersion chez les makers

    Michel Lallement signe un ouvrage très facile à  lire, passionnant et très immersif. Nous sommes vraiment plongés, grâce à  son talent de narrateur, dans ces lieux étonnants et bigarrés. Il a choisi de se concentrer sur Noisebridge, et aussi fricoté un peu avec des membres de BioCurious et HackerDojo. Tout un vocabulaire, un jargon presque, et qui peut être très nouveau, arrive avec cette immersion. Les hackers construisent ce que les crakers détruisent. Le Hacker bidouille pour construire.
    A Noisebridge, on découvre la manière de fonctionner très particulière de ces « communautés », et les problèmes qu’ils ont à  gérer au quotidien. Leur règle d’or ? « Be excellent to each other ». Leur manière de gérer ? Une réunion hebdomadaire ouverte à  tous, animée et structurée, qui permet de décider par consensus collectif, des orientations/décisions à  prendre. Exigeant, complexe inutilement parfois, mais très socialisant.
    La plongée historique dans les racines de ces hackerspaces est passionnante aussi. Le fondateur de Noisebridge, Mitch Altman, a été notamment très influencé par le Chaos Computeur Club allemand.
    Ce livre est à  lire, à  mon sens, par tous ceux qui de près ou de loin sont intéressés par l’essor de ce type de lieux, que ce soit à  l’intérieur des entreprises, ou dans la société civile sous des formes associatives ou commerciales (comme les Techshop, le FabClub ou Usine.io par exemple). C’est pour ça que le livre s’est retrouvé sur le sommet de la pile : nous sommes en train, avec Mickaël Desmoulins, mon binôme/compagnon d’aventure, – et avec toute une communauté ! – d’accompagner/penser la mise en place d’un lieu de ce type à  l’intérieur de l’entreprise dans laquelle nous travaillons. C’est passionnant, et aussi inconfortable, puisque nous devons en permanence apporter des éléments de compréhension de la valeur d’un tel dispositif, tout en étant en train de le découvrir nous-mêmes, et de maintenir dans ses gènes une forte capacité à  l’adaptation permanente, à  l’apprentissage.

    Réflexions et critiques

    Je voudrais livrer ici quelques réflexions que le livre a pu provoquer/susciter/prolonger. J’ai une conscience très nette du peu de structuration de ces réflexions, comparées aux apports de Michel Lallement dans son bouquin. Disons que je voudrais éclairer son travail de chercheur par un apport de praticien expérimentateur. Et partager quelques doutes aussi (c’est pas marrant sinon).
    Une chose frappante dans la comparaison implicite entre NoiseBridge et le Creative People Lab que nous animons, c’est la similitude. C’est normal, puisque nous nous sommes inspirés en partie des FabLab et des hackerspaces pour imaginer notre lieu/communauté, et ses modes de fonctionnement. Nous avons également eu la chance de croiser la route de Nicolas Bard et d’ICI Montreuil, pour des échanges et pour des formations. Et il y a aussi, c’est naturel, des différences, puisque les contraintes et le contexte d’un hackerspace ne sont pas exactement ceux d’un « fablab/hackerspace interne ».

    Rapport au travail

    Le fondement des tiers-lieux de type hackerspace ou FabLab, c’est d’abord et avant tout le volontariat, la libre participation. C’est une excellente et très frugale manière de s’assurer que les membres sont a minima engagés et curieux. Et qu’ils trouvent dans le travail un peu de plaisir. Cette libre participation garantie au même titre une forme assez solide d’ouverture, et de brassage permanent des personnes, des compétences.
    Il y a ensuite une volonté commune d’apprendre et de faire. D’apprendre pour soi, d’apprendre aux autres, de partager. Et de faire : ne pas rester dans le monde des idées, mais se confronter au réel, toucher du doigt certaines technos, apprendre par des projets concrets.
    Tout cela dessine un rapport au travail particulier, très bien analysé par Michel Lallement, qui se déplace du travail « hétéronome » vers le travail « autonome ». La manière d’en discuter de Michel Lallement, citant André Gorz, puis Habermas, me laisse plus dubitatif. Je ne pense pas, et ne crois pas vraiment, au travail « qui trouve en lui-même sa propre finalité ». C’est une vue d’intellectuel, très belle sur le papier, mais qui me semble manquer un certain nombre de motivations humaines, de nécessités humaines.
    La reconnaissance par les pairs, également, tient une place plus importante que les médailles décernées par les chefs comme « rétribution sociale ». Ces simples mécanismes de reconnaissance par les pairs suffisent il me semble à  prouver que le travail n’est jamais uniquement une fin en soi.

    Mode d’organisations

    Horizontal, communautaire et consensuel, le mode d’organisation privilégie le consensus et la doOcratieEn terme d’organisation, les hackerspaces secouent les puces de la manière de faire des entreprises « classiques ». Très horizontal, communautaire et consensuel, le mode d’organisation privilégie le consensus (intense) et la do-ocratie (soumise à  la régle du « Be excellent to each other ») : la doocracy, qu’est-ce que c’est ? Une structure organisationnelle dans laquelle les individus choisissent librement leurs rôles et leurs tâches et les exécutent. Est légitime et responsable celui qui fait, pas celui qui a un titre ou une fonction.
    Il nous reste à  inventer le mode de fonctionnement durable de ce genre de choses dans une entreprise, mais on voit bien que ça fait sens dans toutes fonctions connexes à  l’innovation. Logique d’agilité, de créativité et de connexion entre les gens, et les entités, porosité entre l’interne et l’externe, logique de test&learn.

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    Critiques … constructives

    Je redis tout le bien que je pense de l’ouvrage de Michel Lallement ; agréable à  lire, riche, éclairant, documenté, c’est vraiment pour le lecteur une belle immersion dans un univers nouveau à  plein d’égards. J’ai deux petites critiques à  formuler. L’une concerne la grille d’analyse des motivations des membres, l’autre le choix du terrain.
    Sur la lecture des motivations des membres, il me semble que l’analyse de Michel Lallement se retrouve à  certains moments en pleine contradiction, ce qu’il note très honnêtement, mais sans prendre conscience que la contradiction n’est que le fruit d’un cadre d’analyse relativement teinté d’anti-capitalisme. En effet, il n’y a pas de contradiction à  vouloir travailler autrement, y compris sur les modalités de rétribution, à  vouloir faire évoluer l’existant, à  y réinjecter des valeurs un peu différentes, ET le fait de s’insérer dans une logique d’économie libérale.
    Vouloir faire croire que le fait de créer une communauté d’intérêt serait déjà  en soi un acte de « contre-culture » vis-à -vis du capitalisme est un contre sens absolu.Le libéralisme et le capitalisme n’excluent en aucune manière des actions désintéressées économiquement, et ne sont pas des pensées qui font la promotion d’une sorte d’individualisme exacerbé, obsédé par les gains financiers. Si des dérives ont eu lieux, elles ne sont pas à  mon sens des raisons de jeter le bébé avec l’eau du bain. Les libéraux historiques ont toujours défendu la libre association, les syndicats, et liberté des humains de s’organiser comme bon leur semble. Après, les humains restent des humains, et il leur faut bien être responsables de leurs actes. Si je veux travailler librement sur des sujets qui me plaisent, et orientés uniquement par moi, il faudra bien quand même je trouve de quoi manger. Et donc inventer un business model (mécénat, dons, participations, création d’entreprise lucrative, etc…) qui me permettra de concilier toutes mes exigences. Les hackers sont à  la même enseigne que les autres humains.
    Vouloir faire croire que le fait de créer une communauté d’intérêt serait déjà  en soi un acte de « contre-culture » vis-à -vis du capitalisme est un contre sens absolu. Mais nous avons tellement pris l’habitude que tout le monde parle du libéralisme et du capitalisme (sans savoir ce que c’est) comme s’il s’agissait de monstreuses idéologies que nous ne prenons plus la peine de le noter. Je dois être un peu rigide pour ne pas vouloir tomber dans le mainstream « anticapitaliste » et « antilibéral » (antilibéral=totalitaire?). Pour le dire plus directement, on peut très bien s’épanouir dans un lieu de type hackerspace, sans pour autant rejeter la société capitaliste/libérale. Pourquoi le faudrait-il ?

    Nous arrivons à  la deuxième « critique ». Je comprends pourquoi Michel Lallement a choisi Noisebridge comme terrain d’étude. C’est un des plus emblématiques des hackerspaces, porté par des gens vraiment charismatiques, très idéalistes, et cela permet d’aller toucher certaines racines des motivations, et du système alternatif qui est proposé. Mais il y a une logique de « pureté » qui me dérange un peu là -dedans : un hackerspace dont l’objectif serait d’avoir un business model viable, ne reposant pas forcément sur le mécénat et les dons, et ne visant pas forcément à  transformer de manière radicale la société, n’est-il pas aussi un hackerspace ? Ma réponse, clairement, est oui. Et je dirais même plus : Noisebridge tourne presque en vase clos dans l’under/middle ground, là  où d’autres sont plus riches en termes de croisement hétéroclites (ce qui est un gage de richesse en termes de créativité, il me semble). Faire le pont, la traduction entre des univers différents, me semble être aussi un des éléments apportés par de tels lieux/communautés. Ce qui se passe aux interstices entre les différents éco-systèmes est toujours utile à  penser et à  observer.
    Ce ne sont là  que des critiques – mineures – de quelqu’un qui a vraiment aimé le bouquin : le livre est tellement bien, que je suis frustré de ne pas pouvoir lire une autre immersion dans un autre espace et une autre communauté. Vite : la suite !

    Quelques doutes et questions ouvertes

    Tout cette plongée dans Noisebridge m’a passionné. Les valeurs portées par les membres me touchent. La charte de Noisebridge est à  ce titre exemplaire et tape très fort : Vision.

    Je suis en phase avec ces idéalistes qui veulent avoir de la joie au travail. Comment penser autrement une activité dans laquelle on investit du temps et de l’énergie ? J’ai souvent le sentiment de porter cette manière de vivre son travail au sein de notre Lab interne, et qu’elle trouve un écho chez les membres de notre communauté. Et même temps, je mesure la chance que j’ai, et le décalage avec le reste du mode de fonctionnement de l’entreprise. Il nous reste à  réussir à  faire le pont entre deux mondes, celui de l’exploration, de la créativité, du « potentiel » mis en place sans garantie de succès, et le monde de l’exploitation, des KPI, des résultats qui doivent tomber à  date fixe, des comptes à  rendre. Comment faire ce pont sans perdre ce qui fait la force d’un lieu très ouvert comme celui-là  ? A-t-il à  terme une chance d’exister à  l’intérieur de l’entreprise, et transformer sa culture, ou serait-il plus pertinent en dehors des contraintes habituelles ? L’ambidextrie organisationnelle est-elle possible ? Certaines entreprises ont imaginé des structures de ce type à  l’extérieur, pour de bonnes raisons aussi (Ilab d’AirLiquide, Big de Pernod-Ricard). Questions passionnantes, et ouvertes. Comme tout ce qui est passionnant. Nous avons choisi de faire exister ce hackerspace, ce « garage » – le Creative People Lab – DANS l’entreprise, et avec les mêmes visées de formation, et de partage créatif que les hackerspaces. C’est en rupture, c’est plutôt nouveau ; et c’est aussi ce qui est passionnant.

  • Don’t Stop Google

    Don’t Stop Google

    A l’heure où les eurodéputés se livrent à  de ridicules exercices de postures marxistes et populistes, il serait utile de rappeler quelques éléments de science économique. C’est probablement le manque le plus cruel de notre système éducatif : les élèves sortent de l’école — pour la plupart – sans avoir acquis les fondements de la science économique.

    Rappel sur les marchés

    Avec internet, c’est peu de le dire, la connaissance est disponible, très largement. Ainsi je proposerais bien aux eurodéputés, mais aussi à  tous ceux qui veulent lire un livre fantastique, d’aller sur le site de l’Institut Coppet pour découvrir « L’action humaine », de Ludwig Von Mises. Economiste, Ludwig Von Mises a écrit cet ouvrage majeur en 1949. Il était, entre autres, le professeur et père spirituel de Friedrich Hayek, autre grand philosophe et économiste (prix Nobel d’économie 1974).
    Je ne résiste pas au plaisir de copier ici deux petits extraits (allez lire ce livre, c’est magnifique de simplicité et de clarté).
    Marché :
    Le marché n’est pas un lieu, une chose, ni une entité collective. Le marché est un processus, réalisé par le jeu combiné des actions des divers individus coopérant en division du travail. Les forces qui déterminent l’état — continuellement modifié — du marché sont les jugements de valeur de ces individus et leurs actions telles que les dirigent ces jugements de valeur. L’état du marché à  tout moment est la structure des prix, c’est-à -dire la totalité des taux d’échange telle que l’établit l’interaction de ceux qui veulent acheter et de ceux qui veulent vendre. Il n’y a rien qui ne soit de l’homme, rien de mystique en ce qui concerne le marché. Le déroulement du marché est entièrement produit par des actions humaines. Tout phénomène de marché peut être rattaché originairement à  des choix précis de membres de la société de marché.
    Ils ne sont pas rares ceux qui parlent des marchés comme s’il s’agissait d’une entité collective, pire d’un individu. « les marché ont eu peur de… », « les marchés ont jugés que… ». Ecoutez BFM radio, qui est pourtant une radio économique avec plein de supers intervenants, et vous verrez que même chez les économistes, cette manière de pensée est courante.

    Rappel sur la concurrence

    Concurrence
    Aujourd’hui des gens affirment la même chose en ce qui concerne diverses branches de la grande entreprise : vous ne pouvez ébranler leur position, elles sont trop grandes et trop puissantes. Mais la concurrence ne signifie pas que n’importe qui puisse prospérer en copiant simplement ce que d’autres font. Cela signifie le droit reconnu à  tous de servir les consommateurs d’une façon meilleure ou moins chère sans être entravé par des privilèges accordés à  ceux dont les situations acquises seraient atteintes par l’innovation. Ce dont un nouveau venant a le plus besoin s’il veut porter un défi aux situations acquises des firmes établies de longue date, c’est surtout de la matière grise et des idées. Si son projet est apte à  satisfaire les plus urgents d’entre les besoins non encore satisfaits des consommateurs, ou à  y pourvoir à  un moindre prix que les vieux fournisseurs, il réussira en dépit de tout ce qu’on répète abondamment sur la grandeur et le pouvoir de ces firmes.
    La concurrence libre et parfaite n’existe pas, c’est un mythe inventé par des gens qui ne comprennent pas l’économie, ni la logique de marché. La concurrence c’est simplement le droit de toute personne ou entreprise à  entrer sur le marché, comme le rappelait à  juste titre Nicolas Bouzou et Philippe Silberzahn sur Twitter.

    Logique d’esclaves

    Jusqu’à  preuve du contraire, aucun Etat n’empêche aux concurrents de Google de venir le concurrencer. Google est de toute évidence sur un marché concurrentiel.
    Comme décidemment on trouve presque tout sur internet, notamment en termes de livres, j’inviterais bien également les eurodéputés à  lire ce texte 260 du chapitre 9 de l’ouvrage de Nietzsche, « Par-delà  le bien et le mal », mais ça risque d’être un peu plus compliqué. Ils comprendraient probablement qu’au-delà  d’affirmer leur idéologie constructiviste et socialiste, leurs prises de positions ne traduisent finalement que leur sentiment d’impuissance et de soumission face à  Google et aux US, puisqu’ils en sont à  bêtement considérer que ce qui est puissant est nécessairement mauvais, donc une cible pour des combats politiques. Les eurodéputés n’ont-ils aucun autre combat plus urgent que d’essayer d’empêcher d’agir une société utile, dynamique, qui créé de l’emploi et de l’innovation ?
    Je reposte en conclusion le tweet de Loïc Lemeur :

  • Modélisation des imaginaires

    Modélisation des imaginaires

    Aujourd’hui, je voudrais vous conseiller une excellentissime collection de petits livres, consacrés de près ou de loin aux imaginaires. Issus des conférences organisées par la chaire « Modélisation des imaginaires », ces livres sont synthétiques, passionnants, et écrits par des auteurs très prestigieux qui se sont prêtés, le temps d’une conférence, à  un exercice de vulgarisation.

    Des livres passionnants, par des auteurs prestigieux

    Je viens de finir avec un grand plaisir celui d’Etienne Klein (« d’où viennent nos idées ? »), après avoir dévoré ceux de Henri Atlan (« Qu’est ce qu’un modèle ? »), François Caron (« Les voies de l’innovation : les leçons de l’histoire » ou encore Jean-Jacques Wunenburger (« L’imagination, mode d’emploi »).
    Les imaginaires, c’est quoi ? Un objet complexe (c’est bien la raison d’être de cette chaire que d’étudier, sous des angles d’attaques multiples, ce sujet fondamental). En gros, et si l’on veut être schématique, c’est une partie de l’activité cérébrale située entre les émotions/perceptions/sensations d’une part, et la raison ou intellection d’autre part. Comme le dit très bien Jean-Jacques Wunenburger :

    […] L’imaginaire désigne une totalité de représentations mentales qui déborde sur la perception et l’intellection, qui surcharge la réalité de retentissements affectifs, d’analogies et métaphores, de valeurs symboliques secondes, mais selon des formes et forces très variées.

    Collection à  découvrir

    Les imaginaires sont aussi structurés, probablement en lien avec les postures réflexes de l’être humain. C’est ce que montre Gilbert Durand dans son (gros) livre : des régimes d’imaginaires peuvent être détaillés et décrits, de manière transverse aux différentes cultures. Il y a des invariants, des structures communes de mythes, de symboles, qui plongent leurs racines dans la manière d’être vivants des humains. Passionnant.Et cela peut apporter beaucoup de choses dans le domaine de l’innovation, bien sûr.
    Bref : jetez-vous les yeux fermés sur cette collection, c’est du bonheur. J’ai pour ma part prévu d’aller m’en acheter quelques autres, notamment celui de Jean-Marc Levy-Leblond (ça me rappellera des souvenirs, j’avais adoré son livre « L’esprit de sel »).