Catégorie : 📚 Livres

  • Des vérités devenues folles

    Des vérités devenues folles

    Ce livre de Rémi Braque traînait dans ma pile depuis déjà 4 ou 5 ans : « Des vérités devenues folles » est sorti en 2019. C’est un recueil de conférences données en langue anglaise par Rémi Brague dans différents pays, et qui, comme il l’introduit très bien en début d’ouvrage, sont soit des regroupements et synthèses de choses déjà présentes dans ses ouvrages, soit des préfigurations de ce qu’allaient être les prochains. C’est donc un ouvrage traduit, sous la supervision de l’auteur.

    Format très agréable

    Le découpage en conférences, elles-mêmes découpées en sous-parties relativement courtes, rend la lecture très aisée. Le style, comme toujours, est d’une grande clarté et d’une grande pédagogie. Rémi Brague est une érudit, mais il n’utilise ses connaissances qu’au moment nécessaire dans sa réflexion, et cite toujours les autres quand il leur emprunte des idées, pour les articuler avec les siennes, les commenter, ou les enrichir. Sous-titré « la sagesse du moyen-âge au secours des temps moderne », il débute sur le constat d’échec du projet moderne, et de l’athéisme (rejoignant en cela la pensée de Philippe Nemo, et la précisant à mon sens), pour ensuite enchaîner sur une réflexion très riche sur la nécessité du Bien, la nature, la création, la culture et les valeurs et vertus. Il insiste aussi sur les thèmes de la famille comme creuset indispensable, et la civilisation comme conservation et conversation. Il y a beaucoup de passage splendides, de citations passionnantes, et Rémi Brague, surtout, assume de toujours mettre les pieds dans le plat des sujets qui lui paraissent centraux. Il ne tourne pas autour du pot, et ça fait du bien. Ça bouscule parfois, ça intrigue, et ça donne envie de pouvoir échanger avec lui là où naissent des désaccords.

    Obsédé du sens

    Rémi Brague, dont je respecte et reconnait très sincèrement la rigueur, est à mon sens parfois victime de sa foi, et la quête du sens qui va avec ; il pose comme prémisse dans certains raisonnement des choses qui me semble, à tout le moins, discutables. En voici quelques-unes, en exemple :
    – « … l’idée de providence ne désigne pas quelque chose qui tient dans les mains des humains de l’homme, mais quelque chose qui vient de plus haut. » Pourquoi « d’en haut » ? Pourquoi pas simplement « quelque chose d’extérieur à l’homme » ?
    – le chapitre 3 me semble être une pure tautologie (je peux me tromper et avoir mal compris), mais je le lis comme un chapitre dont le propos est de montrer que le Bien est nécessaire parce que.. le Bien est nécessaire.
    – évoquant notre compréhension de la nature, notamment au moyen des sciences et techniques, il écrit « Il ne nous est plus possible de comprendre la nature. Comprendre suppose l’introduction de causes finales. » Cela me semble, à nouveau, un double saut philosophique : « plus possible », parce qu’il nous a déjà été possible de comprendre la nature ? Par ailleurs, cette affirmation suppose qu’une compréhension n’est possible que si elle est totale, ce qui est un méprise sur ce que signifie connaître. La connaissance et la compréhension ne sont jamais totales. Exiger cela de notre rapport à la nature, c’est déjà créer les conditions d’un raisonnement biaisé.
    – j’ai noté à plusieurs endroits, la même incompréhension de la technique que chez Finkielkraut. Brague semble penser l’homme comme un animal pensant et parlant, mais dont la relation technique avec le monde est « non naturelle ». Or, je crois, profondément, que l’homme est un animal technique avant d’être un animal parlant. Cette séparation est artificielle, et conduit à de mauvaises représentations de notre rapport au monde.
    – « le monde doit être considéré comme porteur de sens » : c’est la posture du croyant telle que décrite par Adin Steinsaltz, mais on a bien le droit de ne pas la partager. Le besoin de sens pour l’humain, et son utilité pour mener notre action et nos vies, n’est pas nécessairement une preuve d’un « monde porteur de sens ». Il est possible d’imaginer que c’est une caractéristique des animaux pensant que nous sommes, que d’utiliser cette chose que l’on appelle « sens ».
    J’en ai noté deux ou trois autres comme cela : ce sont les passages où j’aimerais pouvoir échanger avec Brague : je suis sûr que ma lecture est partiale, probablement branlante et j’aimerais pouvoir approfondir ces points. Le reste du livre est à mon sens absolument superbe, indispensable, car il apporte sur, notamment, la liberté, la nature, la civilisation des éléments de réflexions, des idées, des mots, qui sont incroyablement féconds. J’ai nourri mon essai en lisant Brague.

    Habiter la nature et penser l’homme

    Je suis tout à fait touché par la pensée de Brague dont je me sens très proche, sur sa manière de penser la liberté, la culture, l’importance de la conversation civilisée comme marqueur de civilisation, et sur plein d’autres sujets (la morale par exemple, ou le christianisme). Et sur la nécessité de « louer » la création, d’en chanter les louanges, de garder sa capacité à s’émerveiller, et à dire en quoi l’existence même du monde (quelle que soit la manière de le penser) est une bénédiction, une source de joie, et une raison de vouloir « continuer », prolonger, la fantastique histoire de la vie. J’ai du choisir un passage pour terminer cet article et vous donner à voir le style et l’ampleur du propos de Rémi Brague. J’ai pris un passage de la fin du très beau chapitre « Valeurs ou vertus ? », car il résonne avec le sous-titre du livre.
    De quoi avons-nous besoin pour que l’Occident continue à se prendre au sérieux, avec ce qu’il représente ? Comment pouvons-nous le proposer de manière responsable au reste du monde sans nous livrer à un impérialisme culturel ?
    Mon intuition est que nous devrions, pour commencer, dire adieu à l’idée même de « valeurs ». Il va sans dire que nous devrions garder comme un trésor précieux le contenu de ces soi-disant valeurs, car se débarrasser de ce contenu moral peut conduire à notre perte. Mais nous devrions libérer ce noyau positif de la suspicion de n’être guère plus que le folklore de l’homme blanc. Pour y parvenir, il nous faut revenir aux deux notions prémodernes évoquées plus haut, à savoir les vertus et les commandements. Au lieu de jouer les unes contres les autres, nous devrions tenter une synthèse qui leur permettrait de se stimuler mutuellement.
    À vrai dire, cette synthèse n’est pas quelque chose que nous aurions à établir. Elle a déjà existé au Moyen Âge dans les trois religions. (…)
    Pour nous, cela suppose un double effort, pour repenser à la fois les vertus et les commandements. D’un côté, nous devrions tenter de comprendre que les vertus sont l’épanouissement de l’homme en tant que tel, en dépit de la diversité des cultures et des religions. Cela implique de reconnaître une sorte de nature humaine. De l’autre, nous devrions nous débarrasser de la représentation des commandements divins comme « hétéronomie ». En termes plus simples, en évitant tout terme technique, ces commandements ne sont pas les caprices d’un tyran imposés à un troupeau d’esclaves. L’ensemble des commandements bibliques proviennent d’un premier commandement aussi simple que fondamental: « Sois! », « Sois ce que tu es! » Le « Deviens qui tu es » n’as pas eu à attendre Pindare, et encore moins Nietzsche. Tout ce qui ressemble à une décision juridique dans la Bible, c’est la petite monnaie de la création ou, si vous préférez, sa réfraction dans les différents milieux qui déploient les capacités dont elle est grosse. Cette interprétation a presque atteint le niveau d’une pensée consciente et réflexive dans la Bible elle-même, par exemple lorsque le Deutéronome résume l’ensemble des commandements à observer la formule « Choisis la vie » (30, 19).
    Aujourd’hui, l’humainté occidentale a grand besoin de cette redécouverte et de cette récupération : d’un côté, des vertus comme étant bonnes pour chaque être humain et, de l’autre, des l’obéissance au commandement d’être, et d’être ce que nous sommes. Puisse-t-elle comprendre cette nécessité et cette urgence.

  • L’étalon Bitcoin

    L’étalon Bitcoin

    Qu’est-ce qu’une monnaie ? A quoi ça sert ? Quelles sont les caractéristiques d’une bonne ou d’une mauvaise monnaie ? C’est à ces questions que Saifedean Ammous répond dans « L’étalon Bitcoin », avant de présenter le Bitcoin qui est probablement une monnaie presque parfaite.


    Le titre de l’excellent livre de Saifedean Ammous, économiste de l’Ecole Autrichienne (dont je me revendique philosophiquement), est un peu trompeur : J’utilise dans mes articles des liens vers des pages Wikipedia : faites attention à la qualité des informations que vous pouvez y trouver, notamment celles ayant des résonnances politiques.c’est d’abord et avant tout un ouvrage passionnant sur la monnaie, et l’histoire des monnaies. Bien sûr, en filigrane, il y a le Bitcoin, mais c’est seulement dans les tous derniers chapitres que l’auteur le traite à part entière, et pour montrer sur quels points spécifiques le Bitcoin est une réponse à des problématiques concrètes des monnaies à l’ère du numérique et des Banques centrales. Ce livre, je le précise, sorti en 2018, est devenu un classique sur la monnaie et Bitcoin. Il était recommandé par Philippe Herlin dans son excellent « Bitcoin : comprendre et investir« , et également par Jon Black dont je suis l’excellente chaîne Youtube. Sauf mention contraire, les citations dans cet article sont tirées du livre.

    Qu’est-ce qu’une monnaie ?

    J’avais beaucoup apprécié la lecture de l’ouvrage de Pascal Salin « La vérité sur la monnaie », dont j’ai pu réviser, grâce à « L’étalon Bitcoin » un certain nombre d’éléments. Je trouve extrêmement important de comprendre ce qu’est une monnaie, et je synthétise ici les points clefs pour en garder trace, et les partager avec vous, chers lecteurs.

    Moyen d’échange

    Les échanges directs ne sont pas toujours simples entre humains : il faut pour qu’ils soient possible une quadruple coïncidence difficile à réaliser dans la pratique (de besoins, de temps, d’échelle, de lieux). Si j’ai des carottes à échanger contre du bois, il faut qu’au moment (temps) où j’ai besoin de bois, j’ai en au même endroit que moi (lieux), quelqu’un qui a du bois et besoin de carottes (besoins), et que j’ai suffisamment de carottes pour avoir du bois (échelle). Une monnaie est d’abord et avant tout un bien qui résous ce problème : un intermédiaire qui sert de moyen d’échanges. Un tel bien, s’il est suffisamment accepté comme moyen d’échanges, permet à chacun de ne plus se préoccuper de trouver ceux qui ont, au bon moment, les bons biens à échanger contre le sien. Ce premier aspect de la monnaie est essentiel, car il est consubstantiel à la possibilité de la division du travail. Sans monnaie, je suis presque obligé de moi-même disposer d’un peu de bois, sous peine de ne jamais rencontrer cette quadruple coïncidence. Avec une monnaie, je sais que je peux me concentrer sur mes carottes, les échanger contre le bien qui sert de monnaie, et que grâce à cette monnaie je pourrais facilement me procurer du bois (et toutes les autres choses dont je pourrais avoir besoin).
    C’est la fonction par excellence de la monnaie que d’être un médium d’échange – en d’autres termes, c’est un bien acquis non pour être consommé (un bien de consommation), non pour être employé pour la production d’autres biens (un investissement ou un capital), mais en priorité pour être échangé contre d’autres biens.

    Réserve de valeur

    Tous types d’objets ou de bien peuvent servir de monnaie : il y a eu dans l’histoire de l’humanité des monnaies en coquillage, en pierre, en sel, en animaux, en métaux précieux, en papier monnaie, etc… Il est important que cette monnaie soit facilement échangeable ou vendable (liquide), et qu’elle le soit de manière durable dans le temps. Il faut donc éviter des monnaies qui pourraient pourrir dans le temps (soit parce qu’elles sont organiques, soit parce qu’elles seraient soumises à différentes formes de détérioration – corrosion, érosion, etc..). Mais cette intégrité physique ne suffit pas.
    Pour qu’un bien garde sa valeur, il est aussi nécessaire que la disponibilité de ce bien ne s’accroisse pas considérablement pendant la période où il est détenu par son propriétaire. Il y a une caractéristique commune aux différentes formes de monnaie à travers l’histoire qui est l’existence d’une mécanisme restreignant la production de nouvelles unités du bien servant de monnaie afin de maintenir la valeur des unités existantes. La difficulté relative de production de nouvelles unités monétaires détermine la dureté d’une monnaie. Une monnaie dont la production est difficile à accroitre est qualifiée de monnaie dure alors que la monnaie facile est celle dont la production en grande quantité est élastique.
    Cette dureté peut se mesurer assez facilement en faisant le rapport de deux choses : le stock (quantité totale existante de cette monnaie) et le flux (la production supplémentaire qui sera faite au cours de la prochaine période). Plus ce ratio stock/flux est élevé, plus nous avons affaire une monnaie dure. Saifedean Ammous insiste sur le fait que dans l’histoire des monnaies, les biens qui ont duré le plus comme monnaie, sont les plus durs, c’est-à-dire les monnaies dotées de mécanismes de protection contre la production facile. Un autre aspect : tout changement dans les conditions de production d’une monnaie particulière peut complètement renverser sa valeur. L’exemple historique des monnaies de pierre des îles Yap vaut le coup d’être découvert (l’auteur le décrit de manière détaillée sous l’angle purement monétaire).

    Unité de compte

    Un autre aspect fondamental de la monnaie est le fait de pouvoir servir d’unité de compte. Le fait qu’un bien soit diffusé largement et utilisé comme moyen d’échange rend possible d’exprimer les prix de tous les autres biens dans cette unité de compte. Cet élément est fondamental parce qu’il permet l’existence d’un système de prix, facilitant énormément les calculs économiques variés, et la circulation de l’information. L’existence de prix, en effet, permet à de nombreux acteurs économiques de se coordonner sans avoir besoin de communiquer entre eux. La variation d’un prix d’une matière première permet à ceux qui l’utilisent d’ajuster en conséquence leur activité sans avoir besoin d’aller se renseigner sur le détail des variations des conditions de production de cette matière première. C’est un des fondamentaux de l’efficacité d’un marché libre avec un système de prix : il permet une coordination spontanée, décentralisée, de nombreux acteurs de manière particulièrement efficace, en permettant la circulation de l’information, et l’auto-régulation des activités des acteurs entre eux sur la base de ces informations. C’est pour cette raison que la fixation arbitraire des prix, toujours, détruit la liberté et nuit à l’efficacité collective des échanges. Hayek avait expliqué tout cela dans un article fameux de 1945 « The use of knowledge in Society« .

    Voilà des élément importants de connaissances sur ce qu’est une monnaie, c’est-à-dire ces billets de banques, ces euros, que nous utilisons tous les jours de multiples fois. Moyen d’échange, réserve de valeur, unité de compte, voilà les 3 caractéristiques majeures d’une monnaie, qui peut être plus ou moins dure (solide).

    La place des Etats dans l’appauvrissement du monde

    L’histoire des monnaies que dresse ensuite l’auteur pourrait tenir en quelques principes, illustrés par nombreux exemples concrets historiques, documentés et vérifiables :

    • Toute personne qui a la capacité à créer de la monnaie ne pourra pas résister longtemps à le faire. Quand il le fait, il s’enrichit au détriment de tous ceux qui en détenaient avant (il créé de toute pièce une richesse pour lui, en faisant perdre de la valeur à la monnaie que tous les autres utilisent)
    • Toutes les périodes fastes de développement économique ont coïncidée avec des monnaies dures (le Florin, le Ducat, l’étalon-or)
    • La main mise par les Etats sur les monnaies, et l’uniformisation de leur gestion de l’inflation, conduit à des monnaies de mauvaise qualité, qui appauvrissent les gens à chaque nouvelle inflation de la masse monétaire, et encourage ainsi des comportements orientés sur la consommation immédiate et d’endettement plutôt que sur l’épargne et le pari sur le futur. Si je n’ai pas d’assurance que mon épargne en euro vaudra encore quelque chose dans 5 ou 10 ans, j’ai intérêt à emprunter ou à dépenser cette monnaie de mauvaise qualité rapidement. Ces emprunts et ces dépenses, contrairement à l’épargne et à l’investissement, limitent l’énergie que nous mettons à améliorer les moyens de production.
    • L’utilisation d’une mauvaise monnaie permet aux politiciens d’emprunter pour financer tout un tas de projets fumeux, sans avoir à faire peser ces choix sur les citoyens directement (ce qui serait le cas s’ils passaient par l’impôt). Mais ce n’est qu’une manière de différer le poids : la dette s’accumule, les projets destructeurs de valeur aussi, les bulles d’investissements qui existent uniquement parce que de grandes quantité d’argent sont régulièrement créés de toute pièce et injectées dans l’économie. Dans tous les secteurs, on trouve des activités dont la seule raison d’être est qu’elles ont pu être créées avec cet argent facile.

    Je ne reviens pas trop en détail sur les exemples historiques que cite l’auteur. Il y a en de nombreux. Selon lui, l’abandon de l’étalon or à peu près au moment de la première guerre mondiale a été une des causes des problèmes rencontrés par l’Occident depuis cette époque. Et toujours pas résolu, car l’inflation de la masse monétaire est devenue une sorte de règle de fonctionnement des monnaies étatiques, que nous sommes obligés d’utiliser. Von Mises avait résumé cela (cité dans le livre) :
    Les gouvernements pensent que … quand il y a le choix entre un impôt impopulaire et une dépense très populaire, ils ont une solution – la voie vers l’inflation. Ceci illustre le problème né de l’abandon de l’étalon-or.
    Ludwig Von Mises, extrait d’une conférence

    Le cas de Keynes

    On peut se demander pourquoi, sachant tout cela, nous continuons à accepter ce genre de politique. Un des éléments de réponse, passionnant, est qu’une partie des économistes, politiciens, élites, sont biberonné avec la pensée de Keynes, chantre de l’intervention étatique dans l’économie, enseigné dans toutes les universités. Cette pensée économique, Saifedean Ammour le montre citations et raisonnements à l’appui, est complètement fausse sur pleins de points (mais continue pourtant à être enseignée). Elle repose sur l’idée, jamais démontrée ou argumentée par Keynes, que l’activité économique est d’autant meilleure que les Etats s’endettent. Et donc, il est légitime qu’ils aient la main sur la monnaie et en créent beaucoup pour s’endetter. C’est bien sûr le contraire que l’on constate. Mais, c’est ce qu’une partie des gens apprennent en cours. Par ailleurs, l’auteur montre qui était Keynes, fils d’une famille richissime famille, né avec une cuillère en or dans la bouche, pédophile, partisan d’un eugénisme et d’un totalitarisme soft assumé.

    Le Bitcoin comme monnaie parfaite ?

    Le Bitcoin s’inscrit très exactement dans cette histoire des monnaies, à l’ère du numérique. C’était la question de son génial inventeur dont seul le pseudonyme est connu (Satoshi Nakamoto) : « comment créer une monnaie numérique liquide pair-à-pair ? ». Il a construit, avec d’autres, et depuis avec une armée de développeurs, une réponse aux vœux exprimés par Hayek en 1984 (cité dans le livre):
    Je ne crois pas que nous aurons à nouveau une bonne monnaie avant que nous ne reprenions la chose des mains du gouvernement. Autrement dit, nous ne pouvons pas le reprendre d’une manière violente des mains du gouvernement, tout ce que nous pouvons faire, c’est introduire d’une façon rusée et par un moyen détourné quelque chose qu’ils ne peuvent pas arrêter.
    J’ai passé déjà quelques dizaines d’heures à étudier le Bitcoin, et il faut reconnaître que c’est une invention géniale. En voici quelques éléments clefs, bien sûr beaucoup plus approfondis dans le livre, dont je ne peux que recommander chaudement la lecture (que vous ayez envie ou non d’investir dans du Bitcoin, car c’est un excellent ouvrage d’économie monétaire et d’histoire de la monnaie).

    • Stock limité : le code mis en place pour le bitcoin a posé cela dès le début : il n’y aura jamais plus de 21 millions de Bitcoin (chaque bitcoin est divisé en 100 millions de satoshis). Depuis l’apparition du bitcoin, en 2009, le nombre de bitcoin en circulation augmente, de moins en moins vite, et se terminera vers 2140. Cela fait du bitcoin la monnaie la plus dure qui soit : un accroissement de sa valeur ne peut pas entraîner un accroissement de son offre.
    • Sans intermédiaire : le fonctionnement du Bitcoin est basé sur un réseau de nœuds (logiciel installé sur un ordinateur pour faire vite) qui détiennent tous une copie, mise à jour en temps réel, de toutes les transactions bitcoin depuis le début. Ce registre particulier, crypté (reposant sur une blockchain, dont c’est selon l’auteur la seule application concrète), sert à vérifier à chaque transaction la possibilité de celle ci. Celui qui envoie des bitcoins à un autre a-t-il réellement en sa possession ces bitcoins ? Le fonctionnement du bitcoin est génial sur ce point : il est très coûteux pour les mineurs (des nœuds particuliers du réseau) de générer de nouveaux bitcoins, ou de générer une transaction dans le registre, et il est très facile pour le réseau de vérifier la validité des transactions et des nouveaux bitcoins. Du coup, il y a un mécanisme économique génial qui rend très difficile – impossible – la fraude. Pas besoin d’une autorité centrale, ou d’un tiers, pour valider les opérations : le réseau de nœuds sert à cela.
    • Premier vrai transfert numérique : comme l’explique très bien l’auteur, « Bitcoin est le premier exemple d’objet numérique dont le transfert met fin à sa détention par l’expéditeur. Nakamoto a inventé la rareté numérique
    • Ultra-robuste : depuis son apparition, il y a eu pas mal de tentatives de hackers, ou simplement de gens qui pensaient pouvoir améliorer le bitcoin, pour modifier le code bitcoin. Toutes ces tentatives, décrites dans le livre, ont échouées car le fonctionnement en réseau rend quasi-impossible le fait de faire évoluer le code, et par ailleurs très peu rentable économiquement. Il faudrait des moyens colossaux pour réussir à contrôler la moitié des nœuds du réseau, et l’opération, si elle réussissait, conduirait à une perte importante de la valeur du Bitcoin, donc rendrait cette opération encore moins rentable.

    Le bitcoin, pour finir, est tout à fait fascinant. C’est le fruit d’une idée de génie, puis d’une communauté de développeurs qui ont amélioré le code, patiemment, de manière très conservative (c’est très bien décrit dans l’ouvrage). La valeur du bitcoin, qui n’est plus à prouver, repose sur ses caractéristiques de conception, et sur ces nombreuses petites évolutions faites par la suite. Il évolue selon des règles catallactiques désormais. C’est un exemple de ce que le philosophe Ferguson appelle « le produit de l’action humaine et non une conception humaine ».
    Un dernier point qui est surprenant, pour illustrer les propos précédents, est la Loi de puissance que semble suivre le cours du bitcoin. Sur six ou sept ordres de grandeur de prix, l’évolution temporelle du bitcoin suit (avec bien sûr beaucoup de fluctuations et de volatilité) une loi de progression simple qui semble traduire, de mon point de vue, la dureté de cette monnaie. A date 25 juillet 2024, voici la photo du bitcoin :

    • Nombre de bitcoins en circulation : 19 730 450
    • Valeur d’un bitcoin en Euros : 59 000

    Je ferai prochainement un billet pratico-pratique sur la manière d’acheter et sécuriser des bitcoins.

  • Jeanne d’Arc. Le procès de Rouen

    Jeanne d’Arc. Le procès de Rouen

    Jeanne d’Arc (sa page Grokipedia est très riche) est un des personnages les plus célèbres de l’histoire de France. Parce que son histoire est incroyable, bien sûr, ainsi que sa personnalité (nous y reviendrons), mais également parce que les minutes de son procès (1431) ont été conservées, ainsi que celles du procès en annulation qui a eu lieu peu de temps après (1456). Nous avons donc un document exceptionnel permettant de connaître directement Jeanne d’Arc par le biais de ses réponses au procès.

    Procès commenté

    Jacques Trémolet de Villers21. Lien Wikipedia : faites attention à la qualité des informations que vous pouvez y trouver, notamment celles ayant des résonnances politiques., avocat, écrivain et connaisseur des questions théologiques, en a fait un ouvrage passionnant : on peut y lire les minutes de procès, avec des commentaires de sa part qui précisent certains points techniques, ou donnent un éclairage plus large sur les échanges entre Jeanne et ses juges. Grâce à l’utilisation de certaines témoignages du procès en annulation, il est possible, ce que fait l’auteur, de reconstituer ce qui s’est passé après le procès et jusqu’au bûcher. L’auteur apporte souvent des remarques très utiles, soit sur le plan juridique pour comprendre les échanges et ce qui se joue, soit sur un plan théologique avec un éclairage sur les questions que ce tribunal religieux cherchaient à trancher. Jacques Trémolet de Villers a vraiment réalisé un travail d’une grande justesse : nous assistons au procès, et de temps en temps, au bon moment, sa voix – par le biais de ses commentaires directement insérés dans le texte avec une autre police de caractère – nous apporte, presque comme un chuchotement, un éclairage utile. Il n’est jamais trop présent, mais toujours indispensable.

    Incroyable Jeanne d’Arc

    Ce procès, comme chacun le sait, est une ignominie : commandé par les Anglais pour détruire la Pucelle, il est mené complètement à charge (sous la houlette du célèbre Cauchon), sans aucun motif réel. On comprend au fur et à mesure des échanges plusieurs choses :

    • L’angle d’attaque est théologique : on reproche à Jeanne d’être une sorcière, une hérétique en somme. Ses « Voix » sont certainement l’œuvre de forces maléfiques, les « miracles » qu’elles auraient réalisés également.
    • Les juges cherchent à lui faire dire des choses qu’elles a décidé de ne pas révéler, ce qui les rend fous de rage. Ils veulent savoir le secret qui unit Jeanne au Roi Charles, et dès le début du procès elle leur dit qu’ils n’en sauront rien.
      L’évêque – Vous jurez de dire vérité sur ce qui vous sera demandé concernant la matière de foi et que vous saurez
      Jeanne – De mon père, de ma mère et des choses que j’ai faites depuis que j’ai pris le chemin de France, volontiers je jurerai. Mais, des révélations à moi faites de par Dieu, je ne les ai dites ni révélées à personne, fors au seul Charles, mon Roi. Et je ne les révèlerais même si on devait me coupe la tête. Car j’ai eu cet ordre par visions, j’entends par mon conseil secret, de ne rien révéler à personne. Et, avant huit jours, je saurai bien si je dois les révéler.
    • Il lui est reproché d’avoir pris un habit d’homme. Ce point totalement absurde est expédié en deux phrases par Jeanne (ce qui n’empêche pas les juges de lui en reparler 35 fois pendant le procès) : elle explique qu’ayant conduit l’armée, elle a pris habit d’homme car c’est ce qui convient de faire quand on est avec des hommes. Et que sa mission terrestre (expulser les anglais et rendre le pays à son Roi) n’étant pas terminée, elle n’a pas de raison d’en changer.
    • Jeanne a fait plusieurs tentatives d’évasion, dont une en sautant d’une tour (elle a failli y rester). Ses réponses, sa lucidité malgré les conditions difficiles de son incarcération, montrent un courage hors-norme
    • Jeanne est une chef militaire, qui conduit une troupe de plus de 15000 hommes. A plusieurs reprises, on voit chez elle tout le pragmatisme et le sérieux de quelqu’un qui conduit un combat très concret. Ce n’est pas une illuminée qui suivraient des lubies. Ses voix, qui la guident et la conseillent, ne font pas d’elles une dingue, bien au contraire. Les accusations ridicules dont elle fait l’objet semblent dérisoires, absurdes, injustes. Ce procès est une véritable parodie de justice.
    • On sent la superstition de l’époque dans certains échanges lunaires sur les fées, les anges, les apparitions, la magie, l’attachement à certains signes. Je pense que si ce procès a été intégralement documenté, conservé, c’est aussi en partie parce que les religieux qui ont jugés Jeanne d’Arc n’étaient pas tout à fait sûr de ne pas réellement se mettre le bon Dieu à dos. Pour une raison simple et c’est le dernier point que je voulais partager avec vous:

    Jeanne d’Arc est extraordinaire. Je n’ai aucune explication particulière à ses voix, et au mystère qui entoure un certain nombre de ses actes, qu’elles dit inspirés par Dieu. Mais dans ses réponses au procès, sa voix, à travers les âges, sonne de manière quasiment christique : simple, directe, tranchante, lumineuse, portée par un souffle de vérité incroyablement bouleversant. La lecture des échanges entre ses juges religieux et elle fait ressortir de manière limpide où se situe le Bien et le Juste. Son ton, ses mots, sa manière de dire ce qu’elle sait et ce qu’elle ne sait pas, son courage devant des gens visiblement décidés à toutes les entourloupes pour la condamner, laisse songeur et admiratif. Il est évident, à la lecture du compte-rendu de ce procès, que Jeanne d’Arc était quelqu’un d’absolument hors du commun. Chacun y lit ce qu’il veut, selon ses croyances. Mais personne ne peut ne pas voir l’évidence : cette incroyable jeune femme a tout changé. Je laisse le mot de la fin à l’auteur.

    Jeanne n’a pas fait de miracles. Elle n’a bénéficié d’aucun miracles. Le miracle, c’était elle.

    Jacques Trémolet de Villers(1944),
    avocat et écrivain

    Et j’ajoute en fin d’article le portrait imaginé par Paul Dubois, car il exprime très bien toute la force de Jeanne d’Arc, là où mon image d’en-tête montrait plutôt son regard clair et lucide, son sens de la vérité.

  • L’action humaine

    L’action humaine

    On devrait toujours relire les excellents ouvrages : c’est bien d’ailleurs ce que désigne l’expression « livre de chevet ». C’est ce que je suis en train de faire avec deux d’entre eux en ce moment, dont l’extraordinaire « L’action humaine », de Ludwig Von Mises11. Lien wikipedia : faites attention à la qualité des informations que vous pouvez y trouver, notamment celles ayant des résonnances politiques.. Il est extraordinaire tant par l’ampleur du propos (fonder la science économique / praxéologie, ou science de l’action humaine), que par le style incroyablement clair, synthétique tout en étant d’une grande précision conceptuelle. C’est la deuxième fois que je le lis, et je suis déjà à peu près sûr que je le relirai un jour (j’en avais déjà parlé ici : Pas d’excuses : deux grands livres gratuits)
    Mon propos ici n’est pas de vous en donner une synthèse, mais plutôt de vous demander de me faire aveuglement confiance : achetez le livre, ou téléchargez-le, lisez les 50 ou 100 premières pages et dites moi si vous pouvez arrêter la lecture. Sachez simplement qu’il y est question de l’action humaine, et de la science qui étudie cette action. Von Mises pose au début du livre les bases épistémologiques et conceptuelles permettant de distinguer la praxéologie des autres sciences (sciences naturelles, psychologie, histoire). C’est-à-dire qu’il précise des éléments de méthode et des caractéristiques propres à l’économie ou praxéologie. Individualisme méthodologique, caractère formel et aprioriste, notions de valeur, de catallaxie (notion reprise par son élève Hayek). C’est absolument passionnant.
    Pour donner une idée de son style, je recopie ici un long passage où il explique le caractère aprioristique de la praxéologie.
    Les relations logiques fondamentales ne sont pas susceptibles de preuve ou de réfutation. Tout essai pour les prouver doit s’appuyer implicitement sur leur validité. Il est impossible de les expliquer à un être qui ne les posséderait pas pour son propre compte. Les efforts pour les définir en se conformant aux règles de définition ne peuvent qu’échouer. Ce sont des propositions premières, antécédentes à toute définition nominale ou réelle. Ce sont des catégories ultimes, non analysables. L’esprit humain est totalement incapable d’imaginer des catégories logiques autres que celles-là. Sous quelque forme qu’elles puissent apparaître à d’hypothétiques êtres surhumains, elles sont pour l’homme inéluctables et absolument nécessaires. Elles sont la condition première et indispensable de la perception, de l’aperception, et de l’expérience. (…)
    L’esprit humain n’est pas une table rase sur laquelle les événements extérieurs écrivent leur propre histoire. Il est équipé d’un jeu d’outils pour saisir la réalité. L’homme a acquis ces outils, c’est-à-dire la structure logique de son esprit, au cours de son évolution depuis l’amibe jusqu’à son état actuel. Mais ces outils sont logiquement antérieurs à toute expérience quelconque. L’homme n’est pas simplement un animal, entièrement soumis aux stimuli déterminant inéluctablement les circonstances de sa vie. Il est aussi un être qui agit. Et la catégorie de l’agir est logiquement antécédente à tout acte concret.
    Le fait que l’homme n’ait pas le pouvoir créateur d’imaginer des catégories en désaccord avec les relations logiques fondamentales et avec les principes de causalité et de téléologie nous impose ce que l’on peut appeler l’apriorisme méthodologique.
    Tout un chacun dans sa conduite quotidienne porte témoignage sans cesse de l’immutabilité et de l’universalité des catégories de pensée et d’action. Celui qui adresse la parole à ses semblables, qui désire les informer et les convaincre, qui interroge et répond aux questions d’autrui, peut se comporter de la sorte uniquement parce qu’il peut faire appel à quelque chose qui est commun à tous — à savoir la structure logique de l’esprit humain. L’idée que A puisse être en même temps non-A, ou que préférer A et B puisse être en même temps préférer B à A, est simplement inconcevable et absurde pour un esprit humain. Nous ne sommes pas en mesure de comprendre une sorte quelconque de pensée prélogique ou métalogique. Nous ne pouvons penser un monde sans causalité ni téléologie. Il n’importe pas à l’homme qu’il y ait ou non, au-delà de la sphère accessible à l’esprit humain, d’autres sphères où existe quelque chose qui diffère, par ses catégories, du penser et de l’agir humains. Nulle connaissance ne parvient de ces sphères à un esprit humain. Il est oiseux de demander si les choses-en-soi sont différentes de ce qu’elles nous apparaissent, et s’il y a des mondes que nous ne pouvons comprendre et des idées que nous ne pouvons saisir. Ce sont des problèmes hors du champ de la cognition humaine. Le savoir humain est conditionné par la structure de l’esprit humain. S’il choisit l’agir humain comme objet de ses études, il ne peut avoir en vue que les catégories de l’action qui sont propres à l’esprit humain et sont la projection de cet esprit sur le monde extérieur en changement et devenir. Tous les théorèmes de la praxéologie se réfèrent uniquement à ces catégories de l’action et sont valides seulement dans l’orbite où elles règnent. Ils ne prétendent fournir aucune information sur des mondes et des relations dont nul n’a jamais rêvé et que nul ne peut imaginer.
    (….)
    Le raisonnement aprioristique est purement conceptuel et déductif. Il ne peut rien produire d’autre que des tautologies et des jugements analytiques. Toutes ses implications sont logiquement dérivées des prémisses et y étaient déjà contenues. Donc, à en croire une objection populaire, il ne peut rien ajouter à notre savoir.
    (…)
    Tous les théorèmes géométriques sont déjà impliqués dans les axiomes. Le concept d’un triangle rectangle implique déjà le théorème de Pythagore. Ce théorème est une tautologie, sa déduction aboutit à un jugement analytique. Néanmoins, personne ne soutiendrait que la géométrie en général et le théorème de Pythagore en particulier n’élargissent nullement notre savoir. La connaissance tirée de raisonnements purement déductifs est elle aussi créatrice, et ouvre à notre esprit des sphères jusqu’alors inabordables. La fonction signifiante du raisonnement aprioristique est d’une part de mettre en relief tout ce qui est impliqué dans les catégories, les concepts et les prémisses ; d’autre part, de montrer ce qui n’y est pas impliqué. Sa vocation est de rendre manifeste et évident ce qui était caché et inconnu avant. Dans le concept de monnaie, tous les théorèmes de la théorie monétaire sont déjà impliqués. La théorie quantitative n’ajoute rien à notre savoir qui ne soit contenu virtuellement dans le concept de monnaie. Elle transforme, développe, ouvre à la vue ; elle ne fait qu’analyser et, par là, elle est tautologique comme l’est le théorème de Pythagore par rapport au concept de triangle rectangle. Néanmoins, personne ne dénierait sa valeur cognitive à la théorie quantitative. A un esprit qui n’est pas éclairé par le raisonnement économique, elle reste inconnue.

    Et vous, quels sont vos livres de chevet ? Ceux que vous avez déjà relu, et que probablement vous relirez encore ?

  • Retour au Meilleur des Mondes

    Retour au Meilleur des Mondes

    Grâce aux échanges sous la citation #167 (merci Gont!), je suis allé vérifier d’où elle provenait. Cette citation d’Aldous Huxley vient d’un petit essai intitulé « Retour au meilleur des mondes », écrit une trentaine d’années après son célèbre roman dystopique « Le meilleur des mondes ». Je l’ai commandé et je l’ai lu, et j’ai très bien fait : c’est une remarquable petit essai, dont le thème est la liberté et les dictatures. Le livre est passionnant, et j’y ai pioché pleins de citations. Voici quelques grands sujets abordés par Huxley dans cet essai (au passage, vous pouvez aller découvrir sa vie sur Wikipedia11. Lien wikipedia : faites attention à la qualité des informations que vous pouvez y trouver, notamment celles ayant des résonnances politiques., car elle n’est pas banale).

    Moyens de manipulations

    Après une introduction revenant sur les aspects ou non « prophétiques » de son Meilleur des mondes et du 1984 d’Orwell, Aldous Huxley expose sa vision : la surpopulation joue contre la liberté et la démocratie, car plus les populations sont nombreuses et plus il y a un besoin de structures de contrôle, qui entrent en résonance avec la passion des dirigeants (c’est une caractéristique du pouvoir) pour la domination et la main mise sur l’organisation sociale. Tout la grande première moitié du livre est l’analyse par Huxley des différents moyens de manipulations que les dictateurs peuvent utiliser (il revient en détail sur les techniques utilisées par Hitler) : jouer sur les émotions et les sentiments, utiliser la foule qui fait perdre la rationalité aux humains, les moyens techniques ou psychologique (hypnopédie, hypnose, drogues, propagandes variées). On y découvre un auteur très scientifique dans son approche : il a lu les travaux des psychologues, des neuroscientifiques, et il cite ses sources. On sent un homme profondément en recherche d’équilibre, amoureux de la liberté, et inquiet face aux différentes avancées des moyens de contrôle des populations. A la fin de cette partie, Huxley s’interroge sur l’équilibre qu’il faut trouver entre capacité d’autonomie des individus et capacité d’être influencé (suggestibilité) indispensable pour qu’un jeu collectif soit possible.
    La liberté individuelle est-elle compatible avec un degré élevé de suggestibilité ? Les institutions démocratiques peuvent-elles survivre à la subversion exercée du dedans par des spécialistes habiles dans la science et l’art d’exploiter la suggestibilité à la fois des individus et des foules ? Jusqu’à quel point une vulnérabilité excessive à ces sollicitations, mettant en danger la personnalité et la société démocratique, peut-elle être corrigée par l’éducation ? Dans quelle mesure l’exploitation de cette faiblesse par des politiciens, au pouvoir ou non, des hommes d’affaires et des ecclésiastiques peut-elle être contrôlée par la loi ?

    Etre instruits pour être libre

    C’est le titre du remarquable chapitre 11 de l’essai, que j’aimerais pouvoir citer in extenso. Il y est question de faits et de valeurs, et d’éducation à l’esprit critique. En voici un passage concernant le langage et son utilisation.
    Dans le monde où nous vivons, ainsi qu’il a été indiqué dans des chapitres précédents, d’immenses forces impersonnelles tendent vers l’établissement d’un pouvoir centralisé et d’une société enrégimentée. La standardisation génétique est encore impossible, mais les Gros Gouvernements et les Grosses Affaires possèdent déjà, ou posséderont bientôt, tous les procédés pour la manipulation des esprits décrits dans Le Meilleur des Mondes, avec bien d’autres que mon manque d’imagination m’a empêché d’inventer. N’ayant pas la possibilité d’imposer l’uniformité génétique aux embryons, les dirigeants du monde trop peuplé et trop organisé de demain essaieront d’imposer une uniformité sociale et intellectuelle aux adultes et à leurs enfants. Pour y parvenir, ils feront usage (à moins qu’on les en empêche) de tous les procédés de manipulation mentale à leur disposition, et n’hésiteront pas à renforcer ces méthodes de persuasion non rationnelle par la contrainte économique et des menaces de violence physique. Si nous voulons éviter ce genre de tyrannie, il faut que nous commencions sans délai notre éducation et celle de nos enfants pour nous rendre aptes à être libres et à nous gouverner nous-mêmes.
    Cette formation devrait être, ainsi que je l’ai déjà indiqué, avant tout centrée sur les faits et les valeurs les faits qui sont la diversité individuelle et l’unicité biologique, les valeurs de liberté, de tolérance et de charité mutuelle qui sont les corollaires moraux de ces faits. Mais malheureusement des connaissances exactes et des principes justes ne suffisent pas. Une vérité sans éclat peut être éclipsée par un mensonge passionnant. Un appel habile à la passion est souvent plus fort que la meilleure des résolutions. Les effets d’une propagande mensongère et pernicieuse ne peu- vent être neutralisés que par une solide prépara- tion à l’art d’analyser ses méthodes et de percer à jour ses sophismes. Le langage a permis à l’homme de progresser de l’animalité à la civilisation, mais il lui a aussi inspiré cette folie persévérante et cette méchanceté systématique, véritablement diabolique, qui ne caractérisent pas moins le comportement humain que les vertus de prévoyance systématique et de bienveillance persévérante, elles aussi filles de la parole. Elle permet à ceux qui en font usage de prêter attention aux choses, aux personnes et aux événements, même quand les premières sont absentes et que les derniers ne sont pas en train de se passer. Elle donne de la netteté, de la précision à nos souvenirs et, traduisant les expériences en symboles, elle convertit la fugacité immédiate du désir ou de l’horreur, de l’amour ou de la haine, en principes durables réglant les sentiments et la conduite. (…)
    Dans leur propagande antirationnelle, les ennemis de la liberté pervertissent systématiquement les ressources du langage pour amener, par la persuasion insidieuse ou l’abrutissement, leurs victimes à penser, à sentir et à agir comme ils le veulent, eux, les manipulateurs.
    Apprendre la liberté (et l’amour et l’intelligence qui en sont à la fois les conditions et les résultats) c’est, entre autres choses, apprendre à se servir du langage.

    Dans le dernier chapitre, l’auteur s’interroge : nous connaissons des moyens d’instruire pour être libre, mais le voulons-nous vraiment ? Je lui laisse le mot de la fin avec un extrait de la fin de l’essai.
    Arrivés à ce point, nous nous trouvons devant une question très troublante. Désirons-nous vraiment agir? Est-ce que la majorité de la popu- lation estime qu’il vaut bien la peine de faire des efforts assez considérables pour arrêter et si pos- sible renverser la tendance actuelle vers le contrôle totalitaire intégral? Aux U.S.A. et l’Amérique est l’image prophétique de ce que sera le reste du monde urbano-industriel dans quelques années d’ici des sondages récents de l’opinion publique ont révélé que la majorité des adolescents au-dessous de vingt ans, les votants de demain, ne croient pas aux institutions démocratiques, ne voient pas d’inconvénient à la censure des idées impopulaires, ne jugent pas possible le gouvernement du peuple par le peuple et s’estimeraient parfaitement satisfaits d’être gouvernés d’en haut par une oligarchie d’experts assortis, s’ils pouvaient continuer à vivre dans les conditions auxquelles une période de grande prospérité les a habitués. Que tant de jeunes spectateurs bien nourris de la télévision, dans la plus puissante démocratie du monde, soient si totalement indifférent à l’idée de se gouverner eux-mêmes, s’intéressent si peu à la liberté d’esprit et au droit d’opposition est navrant, mais assez peu surprenant. (…)
    En attendant, il reste encore quelque liberté dans le monde. Il est vrai que beaucoup de jeunes n’ont pas l’air de l’apprécier, mais un certain nombre d’entre nous croient encore que sans elle les humains ne peuvent pas devenir pleinement humains et qu’elle a donc une irremplaçable valeur. Peut-être les forces qui la menacent sont-elles trop puissantes pour que l’on puisse leur résister très longtemps. C’est encore et toujours notre devoir de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour nous opposer à elles.

  • Dune

    Dune

    Cela faisait longtemps que je voulais lire Dune, de Frank Herbert (1920 – 1986)11. Lien wikipedia : faites attention à la qualité des informations que vous pouvez y trouver, notamment celles ayant des résonnances politiques.. Sa réputation, et son statut d’ouvrage de SF le plus vendu au monde, ne sont pas usurpé. C’est avant tout un extrêmement bon roman, nerveux, très imaginatif, avec une intrigue très prenante, et des personnages posés d’une manière super talentueuse : en quelques lignes parfois, et au fur et à mesure des intrigues, chaque personnage a une vraie personnalité, juste marquée comme il faut pour être reconnaissable, et suffisamment en nuance pour garder la complexité, et les émotions.
    L’histoire n’est probablement plus à raconter, tant elle est connue ? Sachez qu’il s’agit d’une aventure politique et familiale sur une planète lointaine, dont l’importance est capitale car c’est celle où l’on extrait l’épice, une matière permettant de rallonger la vie, sorte de drogue étrange, trouvée dans les sables des déserts de Dune. L’histoire de Paul Atréides, héritier de sa famille qui débarque sur cette planète, truffée de pièges par les Harkonnens préalablement en charge de l’exploiter, est celle d’un jeune adulte propulsée plus vite que prévu dans l’action, dans le fait de devoir sauver sa peau, et qui est doué d’une sorte de pouvoir mystérieux entrant en résonnance avec des prophéties anciennes présentes sur cette planète, notamment le peuple des Fremens, qui vivent dans le désert, auprès des dangereux vers géants des sables.
    C’est du super space opéra, prenant. J’ai dévoré le premier tome et je suis plongé dans le deuxième. A lire, pour tous les amateurs de SF, mais au-delà, par tous les amateurs de bon romans d’imagination.