CatĂ©gorie : 🧠 RĂ©flexions

  • Controversons !

    Controversons !

    La FING — Fondation Internet Nouvelle GĂ©nĂ©ration — est une association qui coordonne des rĂ©flexions prospectives multi-partenaires. ApprĂ©hender à  plusieurs des pistes d’innovations liĂ©es au numĂ©rique au sens large. Dans une certaine mesure, l’ensemble de la rĂ©volution numĂ©rique (hardware, sofware, usages, web, etc
) rĂ©alise ce que Gilbert Simondon dĂ©plorait dans son ouvrage majeur « Du mode d’existence des objets techniques » : intĂ©grer la technologie dans la culture, au lieu de la maintenir en dehors.

    PossĂ©der, c’est dĂ©passĂ© ?

    Dans les sujets proposĂ©s et travaillĂ©s par la FING dans leur excellent et stimulant cahier de Questions numĂ©riques, on peut trouver un scĂ©nario de rupture, « PossĂ©der c’est dĂ©passé« . C’est une sorte de vaste fourre-tout, mĂ©langeant les idĂ©es de crises Ă©conomiques, de rarĂ©faction des ressources, de collaboration multi-Ă©chelles (du trĂšs local au global). Il se raccroche à  beaucoup de choses que l’on peut lire, à  droite, à  gauche, sur le partage au sens large, sur la dĂ©croissance. Bien sĂ»r, une rĂ©flexion est nĂ©cessaire sur tous ces sujets. Je ne prĂ©tends pas l’avoir menĂ©e, ni avoir les connaissances pour le faire. Mais j’aimerais apporter ma pierre à  l’Ă©difice, et apporter des arguments dans un sens un peu à  rebrousse-poil.
    Le scĂ©nario prĂ©sente l’avantage d’extrĂ©miser un peu des tendances visibles un peu partout sur le web, comme dans la sociĂ©tĂ© en gĂ©nĂ©ral. Il est stimulant ; mais il me parait limitĂ© à  la fois dans sa forme — il aurait gagnĂ© à  ĂȘtre prĂ©sentĂ© comme une controverse ne serait-ce que pour voir apparaitre les jeux d’acteurs (la FING travaille en ce moment sur des controverses et c’est trĂšs bien) — mais surtout sur le fond.
    Ces quelques rĂ©flexions ne visent pas à  critiquer le scĂ©nario, mais à  y apporter une contribution. Je ne suis pas partie prenante de cette expĂ©dition, mais comme la thĂ©matique recoupe des rĂ©flexions qui sont Ă©galement prĂ©sentes dans le cadre de mon travail, j’avais envie de creuser un peu.

    Economie ou morale ?

    D’une part, ces « tendances » me semblent ĂȘtre autant des signes d’un mal-ĂȘtre civilisationnel que des mouvements de fond de la structure Ă©conomique et politique. Ils sont des signaux plus « moraux » qu’Ă©conomiques. Pour le dire autrement, il y a plus de culpabilitĂ© dans la mise en avant permanente du partage, que d’une prise de conscience d’une nĂ©cessitĂ© — rĂ©elle ou non — de changer de modĂšle Ă©conomique ou de sociĂ©tĂ©. Nous partageons dĂ©jà  beaucoup, dans nos sociĂ©tĂ©s : plus de la moitiĂ© des richesses produites sont rĂ©coltĂ©es par l’Etat pour son fonctionnement, mais aussi pour les redistribuer et garantir un certain nombre de fonctions publiques, rĂ©galiennes ou non. De plus, les pays dits « dĂ©veloppĂ©s » donnent chaque annĂ©e des sommes considĂ©rables au pays « pauvres » (souvent sans aucun effet). Doit-on donner plus, ou mieux ?
    Et j’y lis Ă©galement, dans ces tendances, une forme Ă©goĂŻste de prise de conscience à  retardement : « nous avons fonctionnĂ© sur ce mode pendant longtemps, nous avons construit notre richesse grĂące à  cela, et maintenant, vous — pays Ă©mergents ou pauvres – dĂ©veloppez-vous en faisant autrement qu’avec cette stupide notion de propriĂ©té ». Cette attitude, Ă©clairĂ©e par ce qui suit, prend un autre sens, et d’Ă©goĂŻste devient carrĂ©ment cynique.

    Ne jetons pas le bĂ©bĂ© avec l’eau du bain !

    D’autre part, la maniĂšre dont est formulĂ©e le scĂ©nario « possĂ©der c’est dĂ©passer » participe d’une confusion relativement rĂ©pandue (entretenue ?) sur la notion de « propriĂ©té ». La propriĂ©tĂ© n’est pas l’Ă©quivalent de la quantitĂ© de biens que je possĂšde. L’acte de possĂ©der n’est pas uniquement synonyme de « collection ».
    En philosophie politique, la « propriĂ©té » n’est pas l’acte de possĂ©der, mais un droit reconnu à  chaque individu faisant partie de la sociĂ©tĂ©. C’est un des fondements (LE fondement ?) des sociĂ©tĂ©s de droit, des sociĂ©tĂ©s ouvertes. Dans cette logique, la propriĂ©tĂ© commence avec la propriĂ©tĂ© de soi, du fruit de son travail. Chez les penseurs libĂ©raux, la propriĂ©tĂ© fait partie d’un triptyque « libertĂ©-propriĂ©tĂ©-responsabilité ». La suppression de l’un des termes supprime les autres Ă©galement. Pas de libertĂ© sans propriĂ©tĂ©. Pas de responsabilitĂ© sans propriĂ©tĂ©. D’ailleurs, la notion d’individu, de personne est apparue au moment de la fondation du droit romain avec la notion de « propriĂ©tĂ© individuelle ».
    « Tout homme possĂšde une propriĂ©tĂ© sur sa propre personne. À cela personne n’a aucun Droit que lui-mĂȘme. Le travail de son corps et l’ouvrage de ses mains, nous pouvons dire qu’ils lui appartiennent en propre. Tout ce qu’il tire de l’Ă©tat oĂč la nature l’avait mis, il y a mĂȘlĂ© son travail et ajoutĂ© quelque chose qui lui est propre, ce qui en fait par là  mĂȘme sa propriĂ©tĂ©. Comme elle a Ă©tĂ© tirĂ©e de la situation commune oĂč la nature l’avait placĂ©, elle a du fait de ce travail quelque chose qui exclut le Droit des autres hommes. En effet, ce travail Ă©tant la propriĂ©tĂ© indiscutable de celui qui l’a exĂ©cutĂ©, nul autre que lui ne peut avoir de Droit sur ce qui lui est associĂ©. » John Locke
    Vouloir supprimer la propriĂ©tĂ©, c’est donc vouloir supprimer — plus ou moins fortement – le droit, pour chaque individu, pauvre ou riche, d’ĂȘtre son propre maĂźtre, et de construire sa vie comme il l’entend, avec ce qu’il a lĂ©gitimement acquis par son travail, par ses actions. Les consĂ©quences nĂ©gatives du scĂ©nario « possĂ©der c’est dĂ©passer » sont donc beaucoup plus sombres qu’il n’est indiquĂ© : il n’est pas simplement triste, c’est surtout un scĂ©nario qui mĂšne trĂšs facilement à  la nĂ©gation de l’individu et de ses droits, et donc à  une sorte d’effrayant collectivisme Ă©cologico-collaborativo-numĂ©rique. De ce fait, il fait l’impasse sur ce qui reste à  penser : comment intĂ©grer la prise en compte de la rarĂ©faction des ressources dans un systĂšme Ă©conomique et politique sans nuire à  la libertĂ© individuelle, et à  la crĂ©ation de richesses ? Comment Ă©viter le rationnement mondial par tĂȘte de pipe (qui reviendrait à  partager le gĂąteau sans se demander comment le produire) ? Comment imaginer que le « partage » supprime la possession, alors qu’il ne fait que reporter la propriĂ©tĂ© de l’objet vers l’usage ? Faut-il redĂ©finir la solidaritĂ©, en incluant ces Ă©volutions ?
    Pour finir, nous autres humains nous nous approprions les choses pour les connaitre, et les utiliser. Faut-il considérer que cela aussi est dépassé ? Devra-t-on dans ce scénario oublier, en plus de nos droits les plus élémentaires, notre capacité à  connaitre, comprendre, aimer ?

    posseder

    Comme cette confusion ne saurait ĂȘtre le fait d’un manque d’attention, elle ne peut qu’ĂȘtre le fait d’une prise de position : trĂšs bien, c’est le principe mĂȘme d’un scĂ©nario prospectif ! Proposer un scĂ©nario extrĂ©misĂ© pour secouer le cocotier. Mais il faut dans ce cas mettre de vrais contre-arguments pour creuser les implications du sujet dans toutes ses ramifications. Dans ce cas prĂ©cis, je crois que les consĂ©quences nĂ©gatives sont trĂšs sous-estimĂ©es.
    A nouveau, je n’ai rien contre la FING et l’excellent travail qu’elle rĂ©alise. Je crois que ce biais dans le scĂ©nario est un biais de notre Ă©poque, car je retrouve cette idĂ©ologie dans mes Ă©changes avec mes collĂšgues, en sociĂ©tĂ©.

    Crise identitaire

    L’Occident est-il à  ce point en difficultĂ© qu’il en vient presque à  oublier l’un de ses piliers fondateurs, la notion de personne juridique, d’individu ? Oui : il faut partager. Mais nous le faisons dĂ©jà  Ă©normĂ©ment ! Oui, il faut penser la transition vers un monde de raretĂ© des ressources. Mais ne bradons pas nos valeurs au passage : vouloir penser tout cela en oubliant la notion d’individu, de droit individuel, serait à  mon sens une impasse.
    Il faut avoir le courage de maintenir les tensions intellectuelles. La notion d’individu est en tension avec la notion de collectif, de sociĂ©tĂ©. Mais c’est toute la force et la magie Ă©mancipatrice de ce concept : une sociĂ©tĂ© libre n’est possible qu’au prix de cette tension maintenue et sans cesse repensĂ©e.

  • Hasard insensĂ© ?

    Hasard insensé ?

    livres_QLTO_dialogueL’autre jour, je regardais la bibliothĂšque chez mes beaux-parents. Je parcourais les tranches de livres en me demandant si je pourrais trouver là  un roman qui me tenterait (je ne lis presque plus jamais de romans). J’ai Ă©tĂ© attirĂ© par un tout petit livre (« Le dialogue »), d’une belle couleur ocre clair. Je l’ai sorti, et je l’ai ouvert. J’ai eu la grande surprise de trouver en dĂ©dicace, par l’auteur François Cheng, ce petit texte qui rĂ©sonne Ă©tonnamment avec mes rĂ©flexions du moment (je songe à  Ă©crire un essai sur le sens, pris dans toutes ses composantes) :
    Le diamant du lexique français, pour moi, c’est le substantif « sens ». CondensĂ© en une monosyllabe – sensible donc à  l’oreille d’un Chinois – qui Ă©voque un surgissement, un avancement, ce mot polysĂ©mique cristallise en quelque sorte les trois niveaux essentiels de notre existence au sein de l’univers vivant : sensation, direction, signification. Entre ciel et terre, l’homme Ă©prouve par tous ses sens le monde qui s’offre. AttirĂ© par ce qui se manifeste de plus Ă©clatant, il avance. C’est le dĂ©but de sa prise de conscience de la Voie. Dans celle-ci, toutes les choses vivantes qui poussent irrĂ©mĂ©diablement dans un sens, depuis les racines vers la forme de plus grand Ă©panouissement, celle mĂȘme de la CrĂ©ation. D’oĂč le lancinant attrait de l’homme pour la signification qui est le sens de sa propre crĂ©ation, qui est de fait la vraie « joui-sens ».

    Le sens de la vie ?

    Vous dire que j’aurais pu signer ce texte serait exagĂ©rĂ© : le deuxiĂšme paragraphe est plus intriguant qu’Ă©clairant pour moi, mĂȘme s’il propose une piste trĂšs intĂ©ressante pour la signification. Mais le premier paragraphe est exactement le point de dĂ©part de ma rĂ©flexion. Le sens pris comme triple filtre pour notre interaction avec nous-mĂȘmes et le monde. J’aimerais notamment explorer les rapports entre les diffĂ©rents niveaux du sens. Le sens de la vie, question Ă©ternelle, et à  travailler pour quiconque souhaite avancer spirituellement.

    Quel hasard, tout de mĂȘme, que je pioche ce petit livre parmi tous les autres, et que j’y dĂ©couvre quelque chose d’aussi proche de moi. Surprenant.
    Le livre est facile à  lire et trĂšs intime : François Cheng y explique comment sa langue maternelle (le chinois) et sa langue d’adoption (le français) ont enrichi sa vie spirituelle, son oeuvre poĂ©tique, par un dialogue profond. Je vous recommande ce livre d’un amoureux de la langue française, pour qui elle n’a pas Ă©tĂ© une donnĂ©e de dĂ©part, mais un chemin, une transformation, un choix. Il y a au dĂ©but quelques pages admirables sur le langage (au sens large) qui est notre moyen d’exprimer et de construire ce que nous sommes.

    Vive le hasard !

  • La force des mots

    escher_handsVous est-il arrivĂ© d’expĂ©rimenter la force incroyable des mots ? Je voudrais partager avec vous une remarquable expĂ©rience qui m’est arrivĂ©e, et que j’ai eu la surprise de pouvoir analyser a posteriori.

    Bien sĂ»r, les mots et le langage restent notre maniĂšre la plus directe, la plus naturelle, de formuler nos pensĂ©es. En ce sens, ils prĂ©sentent à  la fois un aspect nĂ©gatif et un aspect positif : l’expression de notre pensĂ©e est contrainte par les mots, les concepts, les idĂ©es dont nous disposons, et d’un autre cĂŽtĂ© elle s’appuie et est rendue possible grĂące à  ces mĂȘmes mots (langage, mais aussi les idĂ©es dĂ©jà  formulĂ©es par d’autres). Nommer les choses les fait exister, les rend tangibles ; dans l’imperfection inhĂ©rente à  toute existence.

    J’ai rĂ©cemment dĂ©couvert un autre aspect des mots, plus profond. Une sorte d’inertie et de puissance des mots, presque d’expression inconsciente par les mots. Une fois une idĂ©e formulĂ©e avec des mots dĂ©finis, on peut dĂ©couvrir que le choix des mots n’a pas Ă©tĂ© uniquement le fruit d’une plus ou moins bonne adĂ©quation avec la pensĂ©e que nous souhaitions exprimer. Ou plutĂŽt, et de maniĂšre complĂ©mentaire : la pensĂ©e qu’ils ont permis d’exprimer ne se rĂ©sumait pas à  ces mots, qui n’étaient que des clefs pour continuer la rĂ©flexion. Des fils à  tirer, avec une logique interne.

    L’exemple rĂ©cent m’est venu dans le cadre de mon travail : j’ai produit, avec d’autres, une sorte de tableau des « vrais mĂ©tiers de l’innovation », sorte de bestiaire mi-sĂ©rieux, mi-poĂ©tique des vrais fonctions que nĂ©cessite l’innovation au sein d’une entreprise. C’est en cours de finalisation, et passionnant.
    Dans ce cadre, j’ai imaginĂ© — et/ou rĂ©utilisĂ© du dĂ©jà  connu – des noms — assez directs – pour ces vrais mĂ©tiers, et surtout des sous-titres à  vocation plus Ă©vocatrice et ouverte. Mon mĂ©tier, « animateur de communautĂ© », s’est retrouvĂ© affublĂ© du sous-titre « Le discuteur de sens ». Pourquoi pas, et cela permet de mettre l’accent sur le rĂŽle transverse, convivial, de discussion et d’échange du community manager. Bien sĂ»r, cela n’en fait pas le tour (d’autant qu’à  chaque communautĂ© son community manager).

    Mais depuis, l’expression est repassĂ©e toute seule dans mon esprit, plusieurs fois : suis-je rĂ©ellement un discuteur de sens ? L’expression est-elle adaptĂ©e à  mon rĂŽle ? Celui qui discute, c’est aussi celui qui met en dĂ©bat, qui questionne, qui doute. Et le sens, c’est le sens de l’action, la stratĂ©gie. Mais sur un deuxiĂšme niveau, plus inconscient probablement, se sont exprimĂ©es d’autres idĂ©es, qui rĂ©sonnent autrement, qui font d’autre liens : le discuteur c’est aussi le philosophe, celui qui veut penser l’inconnu, et le sens c’est aussi le sens de la vie, de nos actes.
    Et ce n’est pas un hasard si tout cela me parle : j’aime la philosophie, et je l’ai toujours aimĂ© en partie pour une des questions fondamentales qu’elle pose à  l’ĂȘtre humain. La vie a-t-elle un sens ? Et si elle n’en a pas d’absolu, quel sens puis-je donner à  ma vie ? Je crois que cela sort à  un moment clĂ© aussi de ma vie, au moment oĂč je viens d’avoir un troisiĂšme enfant, oĂč j’essaye d’imaginer mon avenir professionnel. Cette tension vers l’avenir, l’inconnu, ne suffit-elle pas à  expliquer le choix de l’expression « discuteur de sens » ? Mais cela m’a redonnĂ© aussi envie de travailler plus dur la philosophie, et la question du sens.

    Oui : les mots qui sont sortis (« discuteur de sens ») n’étaient pas fortuits et pas forcĂ©ment adaptĂ©s au rĂŽle que je cherchais à  dĂ©crire (ils le sont quand mĂȘme pas mal, je m’en aperçois en creusant le sujet). J’ai utilisĂ© les mots qui me paraissaient pertinents pour me dĂ©crire, autant que mon rĂŽle ou ma fonction. Projection involontaire et presque inĂ©vitable. Surprenante force des mots qui disent ce qu’on veut dire, mais aussi ce qu’on ne savait pas vouloir dire. Les mots disent ce que « ça » veut dire.

    Ils servent donc aussi à  se rĂ©vĂ©ler à  soi-mĂȘme, pour peu qu’on leur accorde ce pouvoir (ce qui requiert un peu de lĂącher-prise sur notre propre personne), et un peu d’attention.

    Avez-vous déjà  connu ce genre de « révélation linguistique » ?

  • Les postures de l’innovation

    Les postures de l’innovation

    La science nous a appris que l’ĂȘtre humain est un tout : il n’y a pas l’esprit d’un cĂŽtĂ©, et le corps de l’autre. Fini le dualisme, bienvenue à  l’organisme.

    J’avais Ă©tĂ© trĂšs intĂ©ressĂ© par la lecture (il y a longtemps dĂ©jà ) du livre « Le sens du Mouvement », d’Alain Berthoz. J’en ai retenu, entre autres, que l’état d’esprit et la posture influencent la maniĂšre de vivre une situation, y compris la maniĂšre dont l’organisme perçoit son environnement. Le scĂ©nario interne inconscient dĂ©termine ce que l’organisme va percevoir et utiliser pour son action.

    Il y a peu de temps, j’ai vu cette vidĂ©o trĂšs intĂ©ressante sur Ted (grĂące à  Max), oĂč Amy Cuddy explicite les liens qui existent entre postures physiques et Ă©tat d’esprit : oui, prendre une posture physique de « puissance » met effectivement en condition d’ĂȘtre plus efficace, rĂ©actif, dĂ©tendu, etc


    Et dans le cadre de mon travail, je viens de lire un excellent article de Andrew B. Hargadon (1998) : « Firms as Knowledge Brokers: Lessons in Pursuing Continuous Innovation », California Management Review 40 (3): 209—227. C’est passionnant : il y revient sur l’analyse de firmes spĂ©cialisĂ©es dans l’innovation continue, c’est-à -dire de sociĂ©tĂ©s dont la principale et seule activitĂ© est l’innovation (IDEO, Design Continuum, McKinsey, etc
).

    Entre autres choses passionnantes, il y mentionne la ”posture du sage » : le fait d’ĂȘtre suffisamment confiant et à  la fois pas trop arrogant, et qui permet de partager ses connaissances avec les autres, mais aussi ses problĂšmes et ses doutes. Une clĂ© dans le « knowledge brokering » et le bon fonctionnement des organisations basĂ©es sur cela pour innover en permanence. Ce retour sur une « posture » a fait tilt, car je l’avais dĂ©jà  Ă©voquĂ© avec mon collĂšgue @Mickouku !

    J’ai donc envie d’aller chercher et Ă©tudier un peu tout ça : les postures (à  la fois physiques et psychiques), leur typologie et leur impact sur la rĂ©flexion, la crĂ©ativitĂ© et l’innovation. J’imagine qu’il y a des classifications qui existent et des travaux à  ce sujet. Si vous en connaissez, merci de me le dire en commentaire. Quelles sont les postures ouvertes/fermĂ©es ? Quels liens avec les grandes postures rĂ©flexologiques Ă©voquĂ©es par G. Durand dans « Structures anthropologiques de l’imaginaire » ? Quels liens entre l’espace physique de travail et les postures ? Quel impact ont les postures sur les postures ? quel est l’impact d’un changement de posture plus ou moins forcĂ© ? quel lien avec les postures fondamentales Ă©voquĂ©es par Laborit et d’autres (lutte, fuite, inhibition de l’action, jeu, dĂ©couverte) ? Comment une organisation peut favoriser telle ou telle posture ? Je sens que ça va ĂȘtre passionnant
et j’aimerais bien que ça dĂ©bouche sur une classification simple et utilisable des « postures de l’innovation ».

    Si vous avez dĂ©jà  des connaissances sur le sujet, ou si vous pouvez m’orienter vers des ressources, des auteurs, etc
 je suis preneur ! Soyez sages.

  • La vulnĂ©rabilitĂ© comme mesure du courage

    GrĂące Ă   Twitter, je suis tombĂ© sur un excellent article « Why you need to be vulnerable to innovate« . L’auteur y revient sur la « thĂ©orie » et les observations de BrenĂ© Brown, et renvoie Ă   une confĂ©rence donnĂ©e lors d’un TEDx Houston.

    Et en cherchant Ă   retrouver cette vidĂ©o avec les sous-titres, je suis tombĂ© sur la suivante : BrenĂ© Brown y revient sur le succĂšs de la premiĂšre vidĂ©o/confĂ©rence, et sur les suites de son travail. Toujours aussi passionnant et sincĂšre.

  • Un individu dans l’innovation

    Un individu dans l’innovation

    A l’heure oĂč tout ce qui s’est construit sur le web impacte pleinement les entreprises (pour le meilleur souvent), et la sociĂ©tĂ© en gĂ©nĂ©ral, je suis empli – plus que jamais – de doutes. Est-il encore permis de douter, tout en agissant ? Je l’espĂšre !

    Si vous ĂȘtes certain, vous vous trompez certainement, parce que rien n’est digne de certitude ; et on devrait toujours laisser place à  quelque doute au sein de ce qu’on croit ; et on devrait ĂȘtre capable d’agir avec Ă©nergie, malgrĂ© ce doute. — Bertrand Russell

    Idéalisme et action intraprenariale

    J’ai la chance de faire un mĂ©tier passionnant, centrĂ© sur l’innovation (donc sur la structuration de l’inconnu, la conduite du changement, et l’humain au sens large). Et j’ai la chance d’avoir une activitĂ© qui mĂȘle les non-spĂ©cialistes aux spĂ©cialistes, et qui questionne la capacitĂ© à  faire (Refaire?).

    Etant idĂ©aliste, j’ai une tendance naturelle à  voir le rĂ©sultat escomptĂ© avant les embĂ»ches : je pense qu’il est possible d’imaginer, et de construire, une sociĂ©tĂ© oĂč les humains puissent vivre librement, en sĂ©curitĂ©, et rechercher comme ils l’entendent leur bonheur, en respectant ce mĂȘme droit pour les autres. Je pense Ă©galement qu’il possible d’imaginer, et de construire, des entreprises (des firmes) oĂč il fait bon travailler, dans la joie, le respect et la transparence.

    Le propre de l’idĂ©alisme, c’est d’ĂȘtre dĂ©calĂ© du monde rĂ©el. L’idĂ©aliste se construit dans l’espace qui sĂ©pare sa vision de la rĂ©alitĂ©. L’idĂ©aliste non dogmatique se nourrit des difficultĂ©s (le sage aussi, mais sans en souffrir). Ma souffrance au quotidien (souffrance toute spirituelle) consiste à  mesurer l’Ă©cart entre ma visĂ©e, et ce qui est la rĂ©alitĂ© au quotidien. Je suis donc pour cela (et aussi un peu par choix/nĂ©cessitĂ©) enclin au doute. Et comme je pense qu’il est plus profitable de partager ses doutes que ses convictions, j’ai envie d’en partager quelques-uns.

    Les grandes entreprises sont-elles prĂȘtes à  jouer le jeu de l’innovation ?

    Pour le vivre au quotidien, je crois que le vrai problĂšme de l’innovation dans les grandes entreprises est l’articulation entre les activitĂ©s de conception innovante et les celles de conception rĂ©glĂ©e (je ne parle pas comme chercheur, mais sur la base d’un retour d’expĂ©rience de terrain, donc non gĂ©nĂ©ralisable). Mettre en place des structures de conception rĂ©glĂ©e pour mener à  bien des exploits industriels, beaucoup d’entreprises l’ont fait, et savent trĂšs bien le faire. Mener à  bien des activitĂ©s de conception innovante, beaucoup d’entreprises aussi l’ont fait. Mais articuler ces deux activitĂ©s relativement diffĂ©rentes (dans leurs modes de raisonnements, dans leur pilotage, dans la maniĂšre de les Ă©valuer), au sein d’une mĂȘme structure, voilà  qui est plus complexe. Certaines entreprises ont montrĂ© des voies possibles : Apple, Google, Pixar, mais aussi 3M, Seb, et bien d’autres. Articuler ces deux types d’activitĂ©s conduit à  faire se parler deux mondes :
    1° comment rendre appropriables par le monde de la conception rĂ©glĂ©e les sorties de l’activitĂ© de conception innovante ? L’exploration de la valeur (au sens plein du terme) parait ĂȘtre le chemin commun. En voyez-vous d’autres ?
    2° comment intĂ©grer les contraintes de la conception rĂ©glĂ©e à  l’activitĂ© de conception innovante ?
    Pour l’une comme pour l’autre de ces questions, il parait Ă©vident que le plus simple est de mĂ©langer des acteurs de ces deux mondes, et les faire travailler ensemble. Plus facile à  dire qu’à  faire. Les projets temps libres sont une vraie piste pour cela (sortir les gens de leurs missions au sein de la firme), et les « tiers-lieu » permettent de formaliser cette transversalitĂ©, et de favoriser un mĂ©lange rĂ©ussi entre les mĂ©tiers, avec une organisation diffĂ©rente de l’activitĂ©. Les grandes entreprises sont-elle prĂȘtes pour ce jeu-là  ? J’en doute, tant les effets de la « corporate governance », mĂȘlĂ©s à  ceux de la crise, tendent la situation interne.

    Une rĂ©volution, ça tourne…et ça revient !

    Il est toujours dangereux de parler de « changement de paradigme », de « rĂ©volution ». Notre point de vue est si temporellement dĂ©fini que les effets de distorsion sont inĂ©vitables. Voilà  un doute de plus : je doute sincĂšrement du fait que nous soyons en plein changement de paradigme. Je crois que beaucoup de monde se gargarise avec ces grands mots, qui cachent facilement les petites lĂąchetĂ©s et la paresse intellectuelle. La bascule des produits vers les services, nouvelle ? Mais IBM l’a dĂ©jà  rĂ©alisĂ©e ! L’arrivĂ©e des Big Datas, nouvelle ? Mais Google s’est justement construite sur la structuration des informations, et sur leur utilisation appropriĂ©e ! Dans un cas comme dans l’autre, parler de rĂ©volution, c’est bien, mais cela masque surtout un manque de capacitĂ© à  intĂ©grer ces exemples au jour le jour dans nos pratiques. Qu’en pensez-vous ? Sommes-nous rĂ©ellement dans un « changement de paradigme » ?

    L’humain au centre de tout ça

    Voilà  qui nous ramĂšne directement à  l’humain, et aux individus. Jusqu’à  preuve du contraire, une entreprise, un Ă©tat, une nation, une communautĂ©, ça ne parle pas, ça ne pense pas ; les individus oui. Les acteurs sont les individus. Et le fait que leurs actions et leurs pensĂ©es puissent ĂȘtre structurĂ©es par des facteurs externes n’y change pas grand-chose. Les acteurs sont les individus.
    Voilà  encore un doute qui me traverse au quotidien. Aucune idĂ©e n’avance seule ; les idĂ©es avancent parce que des porteurs y mettent leur Ă©nergie, leurs tripes parfois, et parce que cela rencontre un Ă©cho chez les autres. Qu’ils soient des acteurs à  fĂ©dĂ©rer, des clients à  combler ou à  titiller, des partenaires à  sĂ©duire (dans le bon sens du terme). Voilà  un autre doute qui m’anime, liĂ©e à  notre contexte français : les gens sont-ils prĂȘts à  accepter une sociĂ©tĂ© plus ouverte, avec une place accrue de la sociĂ©tĂ© civile, avec une mise en avant plus forte de la responsabilitĂ© individuelle ? Je suis un ferme partisan d’une vraie subsidiaritĂ© : avant de prĂ©voir des plans pharaoniques nĂ©cessitant un recours souvent brutal au financement des contribuables, il convient de balayer devant sa porte. En commençant à  la brique Ă©lĂ©mentaire, l’individu. Nous avons un penchant culturel à  toujours vouloir rĂ©gler les problĂšmes par le haut, au lieu de commencer à  retrousser les manches au niveau local pour gĂ©rer nous-mĂȘmes les choses. Le systĂšme (qu’il soit celui de l’entreprise, ou la sociĂ©tĂ© en gĂ©nĂ©ral) ne peut se changer qu’au quotidien, avec un peu de courage, de libertĂ© et de vĂ©ritĂ©. Cela implique une ambiance de confiance totale ; c’est ce qu’Ed Catmull -co-fondateur de Pixar- avait bien compris. La premiĂšre rĂšgle formelle chez Pixar est : chacun est libre de s’adresser à  n’importe qui. Cette simple rĂšgle serait rĂ©volutionnaire si on l’appliquait dans beaucoup d’organisme. La confiance est une clĂ©. La convivialitĂ© aussi. Le goĂ»t du dĂ©bat, voire de la controverse, de l’argumentation font partie de tout cela. Un soldat au garde-à -vous est utile pour que l’armĂ©e soit opĂ©rationnelle ; est-ce une attitude bien utile dans une entreprise innovante ? Voilà  un ensemble de valeur dont j’entends souvent parler, mais qui demandent, pour ĂȘtre dĂ©fendue au quotidien, pas mal d’efforts, et d’idĂ©alisme. Qu’en pensez-vous? Ces doutes exprimĂ©s vous parlent-ils ? Vous paraissent-ils ridicules ? La section commentaire est là  pour en discuter !