Étiquette : Economie

  • Citation #56

    Le sujet de l’économie, ce n’est pas les biens et les services, c’est les actions des hommes vivants. Son but n’est pas de s’étendre sur des constructions imaginaires telles que l’équilibre. Ces constructions ne sont que des outils de raisonnement. La seule tâche de l’économie, c’est d’analyser les actions des hommes, d’analyser des processus.

    Ludwig Von Mises (1881 – 1973) Economiste autrichien naturalisé américain

  • Les galimatias du PS

    Le deuxième forum pour la rénovation du PS, au titre ambitieux (« Les socialistes et le marché ») a-t-il permis au PS de clarifier sa ligne idéologique ?Il semble bien que non, puisque Hollande y affirme reconnaitre l’économie de marché, mais vouloir combattre le libéralisme. C’est à  dire qu’il fait l’apologie de la principale source de création de richesse, mais en niant ses assisses philosophiques. L’économie de marché sans le capitalisme, et sans le libéralisme, ça s’appelle une économie planifiée, et – le passé le prouve – ça n’a jamais crée la moindre richesse. D’ailleurs, ça ne mérite pas vraiment le nom d’économie de marché.

    Rénovation du PS ?

    Voilà  ce que disait François Hollande, en clôture du deuxième forum de la rénovation du PS, à  la Cité des Sciences de la Villette à  Paris :

    S’il y a un aggiornamento à  faire, c’est que nous reconnaissons l’économie de marché, mais que nous avons un rapport critique au capitalisme et que nous combattons le libéralisme

    Il a également dit :

    Selon le numéro un du PS , l’économie de marché est « sans doute la forme la plus efficace pour produire de la richesse ». Mais, a-t-il ajouté, « nous ne la confondons pas avec le capitalisme (…) ou le libéralisme.

    Voilà  qui est heureux : trois termes riches comme cela, il serait dangereux de les confondre ! Mais voyons ce qu’ils veulent dire pour comprendre le sens du message du premier secrétaire du PS.

    Revoyons les bases

    Prenons François Hollande au mot, et suivons son raisonnement. Il reconnait que l’économie de marché est la forme la plus efficace pour produire des richesses. La définition donnée par le dictionnaire est la suivante :

    Economie de Marché
    ÉCON., ÉCON. POL. Économie de marché. Conception des relations commerciales fondée essentiellement sur l’équilibre des achats et des ventes, sur l’état de l’offre et la demande. Anton. économie dirigée, planifiée

    L’offre et la demande, c’est de laisser faire la régulation naturelle, par le biais des fluctuations des prix, entre l’offre et la demande. Ok. Qu’est-ce donc, maintenant que le capitalisme, et pourquoi faut-il un regard critique dessus (hormis le fait qu’il est toujours bon de garder son sens critique pour bien raisonner) ?
    CAPITALISME :

    • A.− Système économique caractérisé par la concentration de gros capitaux en vue de promouvoir la production et les échanges commerciaux.
    • B.− Système économique et social qui se caractérise par la propriété privée des moyens de production et d’échange et par la recherche du profit. Anton. socialisme, communisme.
    • − HIST. ÉCON. Capitalisme industriel (libéral ou de libre échange, concurrentiel). Mode de production basé sur la libre concurrence des entreprises.

    Il me semble relativement clair que le capitalisme est intrinsèquement relié au commerce, et à  l’activité humaine. Quelle économie de marché sans capitalisme ? Quel capitalisme sans économie de marché ? Les deux sont basés sur la reconnaissance de la liberté individuelle des acteurs, des droits de propriétés, et sur la capacité des humains à  s’adapter à  leur environnement en intégrant les informations qui sont à  leur disposition. L’économie de marché et le capitalisme émergent naturellement des activités humaines de commerce, pour peu qu’elles soient laissées libres d’évoluer. J’aimerais que François Hollande explicite ce qu’il entend par « nous ne confondons pas l’économie de marché avec le capitalisme ».

    Anti-libéralisme

    Pour comprendre ce que signifie « combattre le libéralisme », il faut également revenir à  la définition du libéralisme. Je l’avais déjà  rappelé ici, mais les rappels font toujours du bien, pour ceux – du moins – qui souhaitent parler une langue commune et partager, confronter leurs idées.
    Libéralisme :

    1. [Sur le plan moral] Attitude de respect à  l’égard de l’indépendance d’autrui, de tolérance à  l’égard de ses idées, de ses croyances, de ses actes.
    2. [Sur le plan politique ou socio-économique]
      1. Attitude ou doctrine favorable à  l’extension des libertés et en particulier à  celle de la liberté politique et de la liberté de pensée. En partic. Ensemble des doctrines politiques fondées sur la garantie des droits individuels contre l’autorité arbitraire d’un gouvernement (en particulier par la séparation des pouvoirs) ou contre la pression des groupes particuliers (monopoles économiques, partis, syndicats). Anton. autoritarisme
      2. Ensemble des doctrines économiques fondées sur la non-intervention (ou sur la limitation de l’intervention) de l’État dans l’entreprise, les échanges, le profit. Anton. dirigisme, étatisme, interventionnisme, planisme.

    A nouveau, il serait très intéressant que François Hollande précise le sens de « combattre le libéralisme ». Est-ce être intolérant à  l’égard d’autrui ? Est-ce être opposé à  l’extension des libertés politiques et de la liberté de pensée ? Est-ce prôner l’autorité arbitraire d’un gouvernement ou d’un groupe de pression à  l’encontre des individus ? Non, bien sûr ! Dans sa bouche, il s’agit, conformément au dernier sens de la définition, de prôner l’intervention étatique, la planification centrale de l’économie. Il serait bon qu’il précise cela, et évite de pratiquer l’approximation de langage douteuse consistant à  montrer du doigt une pensée qui est un humanisme : Hollande n’est pas anti-libéral, il est seulement communiste. Qu’il le dise, alors ! Au lieu de continuer à  vouloir flatter l’extrême gauche dans un grand écart conceptuel que l’obscurité de sa phrase ne parvient pas à  dissimuler.

    Enfumage marxisant

    Pour illustrer tout cela, voici quelques paroles de Michel Rocard datant d’août 2005 (et dont je rappelle la source dans ce billet) :
    Il faut jeter à  la poubelle ce patois marxiste qui fait écran à  la réalité. Nos camarades européens l’ont fait avant nous, et de manière spectaculaire, flamboyante! Ils ont bien plus influencé et amendé leur société que nous-mêmes. En 1932, les sociaux-démocrates suédois, tout juste arrivés au pouvoir, ont organisé un congrès de crise en constatant que leur programme nationalisateur et dirigiste était inopérant. Nos amis allemands ont organisé leur congrès de Bad Godesberg parce que leurs militants échappés d’Allemagne communiste les ont convaincus du primat de la liberté sur l’économie administrée. Felipe Gonzalez, juste après la mort de Franco, a mis en jeu sa carrière pour convaincre ses camarades qu’une ligne pseudo-marxiste les conduirait à  l’échec. […] Comment peut-on être intelligent, participer à  des cercles universitaires et créer Attac, ce monument de bêtise économique et politique? Cela me sidère et me navre. Je vois évidemment d’où vient cette influence. Elle est liée au fétichisme marxiste et à  l’inculture économique française. On n’enseigne pas l’économie réelle à  nos enfants. Mais des enseignants adhèrent au fatras d’Attac… Il faut s’affirmer face à  ces simplismes et ne plus les subir.
    Pour finir, une dernière définition, qui permet de caractériser précisément la phrase de François Hollande :

    GALIMATIAS :

    Discours confus qui semble dire quelque chose mais ne signifie rien.

  • Interview d'Alain Boyer : deuxième partie

    Nous avons vu la dernière fois le parcours politique d’Alain Boyer dans les cercles d’extrême gauche, et notamment son évolution des groupes luxembourgistes vers le PS, dans la mouvance de Michel Rocard. L’interview continue avec des réflexions sur l’économie, le libéralisme, la place du Droit dans la société. Et les problèmes de la gauche avec l’économie de marché et le libéralisme.

    BLOmiG : Pour situer, en 1975, tu étais déjà  professeur à  la Sorbonne ?

    Alain Boyer : Non, non. J’avais 20 ans. Je rentrais à  Normale Sup’, en 74. En 1975, à  21 ans, j’ai réfléchi et décidé d’abandonner le mythe révolutionnaire. Et là  j’ai milité pendant une dizaine d’années dans les milieux rocardiens. L’idée, là , c’est qu’on abandonne complètement la révolution, on accepte la démocratie représentative, la seule viable, et le marché.

    Au passage, j’étais allé avec mes parents en Slovaquie, en 68, en juillet-août. Mon père, évadé d’Autriche en 44 y avait combattu les nazis armes à  la main … Et donc là , j’avais vu le « socialisme réel ». Et j’avais abandonné l’idée précédemment évoquée, selon laquelle, « eux ils avaient l’égalité », mais pas la liberté. Ils n’avaient en fait ni l’égalité, ni la liberté. J’ai découvert le socialisme réel avec effroi. La bureaucratie dominait tout, c’était kafkaïen, et l’économie était totalementt inefficace. C’était pourtant pendant le « Printemps de Prague ». Il y avait l’espoir d’un « socialisme à  visage humain ». Un vieux Professeur russe avec qui mon père, tout jeune, avait combattu, nous avait dit « les Tchèques avec leur printemps de Prague, ils sont naïfs, parce que les Russes vont nous envahir, et j’en mourrai ». Et les Soviétiques ont envahi la Tchécoslovaquie 15 jours après notre départ (le 21 Août 68) et le vieux Professeur à  l’alllure tolstoyenne est mort (le 4 Septembre). Je n’ai jamais pu comprendre que des gens intelligents aient pu demeurer communistes…J’en suis encore ému. Donc j’étais devenu de plus en plus anti-communiste. Et je le demeure. Le mur de Berlin ! on n’avait jamais vu ça dans l’histoire : construire un mur non pas pour empêcher les ennemis de rentrer, mais pour empêcher les citoyens de sortir !!! Je n’ai jamais pu comprendre que des gens intelligents aient pu demeurer communistes… Et maintenant , ils nous font le coup de la « trahison des idéaux » : le communisme réel (qui règne encore à  Cuba ou en Corée du Nord), c’était une caricature, nous , nous allons construire un vrai communisme ! …A d’autres… En 1989, à  Prague, il y avait un très beau slogan, d’un humour corrosif : « le communisme pour les communistes ! » …

    Au PS, avant 1981, le milieu rocardien était intéressant, et bouillonnant d’idées. L’idée, c’était de prendre le pouvoir par les élections, pas par la violence, mais en essayant d’amener un système qui soit de marché, mais auto-géré ; les dirigeants seraient élus par les salariés. Ce qui me plaisait, puisque j’avais beaucoup aimé l’idée de conseils ouvriers, d’auto organisation. Si c’était possible, je serais encore pour ! Mais l’expérience a tendance à  montrer qu’il n’y a pas eu beaucoup de succès des expériences d’autogestion, et qu’il n’est pas évident que les salariés d’une entreprise élisent des dirigeants qui soient les meilleurs. Parce que si un candidat dit « je vais être obligé de licencier 10% du personnel », je ne pense pas que les salariés voteront pour lui. C’est là  que je deviens libéral : il n’est pas du tout sûr que l’autogestion soit la solution. Je suis en revanche favorable à  une « participation » des salariés… Des actions pour tous…

    Cette question-là  rejoint énormément l’aspect politique : quelqu’un qui se présente en tenant un discours de rigueur, qui dit la vérité « on va se serrer la ceinture », se grève à  la base d’une partie des voix…

    Tout à  fait. Mais mentir aux électeurs se paie toujours. Il faut bien sûr donner des espoirs, mais en étant aussi peu démagogique que possible. Et puis, il y a d’autres éléments dans une entreprise. La transparence ne peut pas être totale. Si tout est voté dans une sorte de grand forum ouvert, le concurrent va connaître la stratégie et la politique de l’entreprise. Ce n’est pas possible.

    En revanche, ce que j’ai retenu, maintenant que je suis devenu un libéral-social, disons, et qui est d’ailleurs une idée soutenue par un de mes philosophes préférés, John Rawls (Théorie de la Justice, 1971), c’est l’idée qu’il serait bon d’étendre l’appropriation des moyens de production, comme aurait dit Marx, au plus grand nombre. Par quelque chose que j’aurais trouvé ridicule en mai 68, compte de tenu de mon extrémisme de jeune, mais que De Gaulle proposait, et qui était la participation et l’intéressement aux résultats. L’actionnariat ouvrier. A ce moment là , ce n’est plus utopie, c’est quelque chose de faisable. L’employé, l’ouvrier, le cadre se sentent attachés aux succès de leur entreprise, et non plus utilisés seulement comme moyens. Alors évidemment les marxistes vont dire « c’est un piège ». Mais comme je ne suis plus marxiste, je considère que c’est une solution qui cumule pas mal d’avantages, en particulier la responsabilisation des employés, de toute la hiérarchie, avec cette idée aussi que je trouve parfois scandaleuse que seule la direction possède les actions en très grand nombre, alors que l’ouvrier de base n’a rien.

    Je suis donc favorable à  cette idée de répartition de la propriété. Mais avec deux remarques, comme l’avaient argué les économistes autrichiens contre Marx, dès le début du XX siècle, même le socialisme, s’il veut éviter la planification centrale — qui est un échec absolu, ce qu’on peut démontrer théoriquement et empiriquement, on ne peut pas fixer les prix, c’est trop compliqué, ça ne marche pas, et ça abouti à  des catastrophes économiques, et donc humaines, comme tous les systèmes « socialistes » dans le monde — donc si on veut un socialisme avec appropriation des moyens de production, il faut quand même garder l’idée de monnaie (dont Marx voulait se passer) comme moyen d’échange, et d’investissement, de capital. La planification centrale — fixer les prix – abouti à  des catastrophes économiques, et donc humaines, comme tous les systèmes ”socialistes » dans le monde.Il faut garder la notion de capital, qui est consubstantielle à  toute économie, dès lors qu’il faut épargner et investir pour l’avenir. Donc si les travailleurs veulent être co-propriétaires de leurs entreprises, il faudra quand même garder un marché d’actions, une bourse, un système financier. Les seuls revenus des salariés ne pourraient pas suffire. Et deuxièmement la concurrence, qui est un moyen « incitatif » de faire baisser les prix et d’améliorer la qualité, et qui est donc favorable aux consommateurs que sont par ailleurs les travailleurs.

    Ce développement de l’extrême gauche au centre-droit me paraît, maintenant que je suis plus âgé, pour ne pas employer un terme plus péjoratif, assez compréhensible. Je ne pense pas avoir totalement renié mes idéaux. Simplement, ils se sont affrontés au réel, à  la critique, et je m’en suis aperçu dès le voyage en Slovaquie par exemple, mais aussi avec le développement terroriste de certains groupes maoïstes. La révolution, en dehors des tyrannies, est une impasse. Mais je pense qu’on peut toujours garder une sensibilité de gauche, au sens des valeurs de la justice sociale. Quand j’étais à  l’extrême-gauche, je n’ai jamais été anarchiste, j’ai toujours pensé que l’on ne pourrait pas se passer de l’Etat, sauf, croyais je naïvement, à  très long terme !, maintenant que je suis centre-droit, pour des raisons que je pourrais expliquer et qui sont liées à  la situation actuelle de la France (je préfèrerais être de centre gauche !), mais actuellement je dis centre-droit, parce que je pense qu’il faut des réformes libérales. On y reviendra. Mais j’aurais peut être pu aller à  un moment jusqu’à  l’anarchisme « de droite », qu’on appelle le « libertarianisme« , défendu par des gens comme le philosophe américain Robert Nozick (même s’il ne va pas jusqu’à  l’anarchisme total, et défend un « Etat ultra-minimal »), ce sont des gens qui disent (et ce sont de bons philosophes, et de bons économistes, ils ont des disciples en France, et des maîtres comme Hayek), ils vont jusqu’au bout de la logique du marché, et ils disent « l’Etat c’est l’ennemi, c’est la bureaucratie ». Ils restent anarchistes, comme Proudhon, en ce sens que l’Etat est un monstre liberticide.

    à‡a me fait penser à  une phrase de Reagan qui disait « L’Etat n’est pas la solution, c’est le problème ».

    Oui ! Justement, Reagan, comme Mme Thatcher, était influencé par Hayek. Mais les plus extrémistes d’entre les « libertariens » disent « il faut supprimer l’Etat », et que tout soit auto-organisé par le marché. Ce qui me paraît être aussi une dangereuse utopie. Et puis, du point de vue moral, c’est laisser les plus mal lotis à  leur sort, où la générosité éventuelle des riches, or je crois que l’Etat, comme le disait Karl Popper, « est un mal, mais un mal nécessaire ». Je ne dois pas – même si je suis faible – devoir ma survie, et ma vie correcte, au bon vouloir des forts, mais à  mes droits, garantis par un Etat de Droit. C’est un très bel argument. Je dois avoir les mêmes droits, que si j’étais super intelligent, sportif, top modèle… Il y a les hasards de la naissance, de l’éducation….

    On ne peut pas tout baser sur la charité, il faut de la solidarité, en somme ?

    Absolument ! C’est le sens du principe de justice sociale de Rawls (principe de différence : une inégalité n’est juste que si elle profite e n fin de compte aux plus mal lotis). Ceux qui ont tiré un mauvais numéro à  la loterie de la vie ne doivent pas attendre qu’on leur tende la main. Je refuse absolument cette idée « paternaliste ». Pour cela, il faut mettre en avant une idée plus essentielle que celle de marché (qui est essentielle, mais qu’il ne faut pas adorer), c’est l’idée que ce qui compte avant tout, et je le pense de manière presque dogmatique, c’est le Droit. Et un Etat qui garantisse le respect de ce Droit. Et il faut que ce Droit soit voté par une majorité des représentants élus, sinon on n’est pas en démocratie.

    Je ne l’ai pas évoqué tout à  l’heure, j’ai eu une période également où j’allais aux cours très brillants de Michel Foucault, je me disais … luxembourgiste et foucaldien, pendant les années qui ont suivi 1968, entre 1969 et l’élection de Giscard (74), où le bouillonnement intellectuel était considérable ! Toute la philosophie française était en ébullition, même les sciences. Un des plus grands mathématicien du siècle, Grothendiek, médaille Fields (équivalent du prix Nobel) a tout arrêté pour faire du formage de chèvre dans les Pyrénées…. A 30 ans. Il y a eu des bonnes choses qui en sont sorties: l’écologie, le féminisme. Pas immédiatment de mai 68, mais de la suite. Mais quoi qu’il en soit des aspects positifs de 68, on oubliait le Droit. Le Droit, c’était « l’idéologie bourgeoise » .Et ça, c’était une grande erreur. C’est résumé dans le plus célèbre slogan de 68 : « Il est interdit d’interdire ». Or le Droit, c’est poser des bornes, des limites.

    C’est ce qui garantit la liberté

    Tout à  fait. C’est ce qu’on appelle en philosophie : la compossibilité des libertés (Kant). Le fait de rendre possible un maximum de liberté, pourvu que l’autre ait la même liberté. Mais pour ça, il faut le règne du Droit (« Rule of Law » : Law en anglais ne veut pas d’abord dire loi mais Droit). Mais le Droit peut être mauvais, je ne suis pas « positiviste juridique ».

    C’est pour ça qu’il évolue …

    Oui, il y a eu des droits horribles ! des droits esclavagistes, comme le droit français jusqu’en 1848 ! et les lois antisémites de Vichy ! J’en suis arrivé donc à  l’idée que le Droit est très important, mais qu’il fallait qu’il soit fondé sur des valeurs morales. Le Droit romain, par exemple, sur lequel est basé le droit occidental (à  part le droit anglais, qui est différent), tous les juristes connaissent des centaines de proverbes qui viennent du droit romain, est fondé sur des valeurs de liberté, mais il y avait l’esclavage dedans…. Fuyons tout manichéisme !

    Nous plaçons donc la morale au dessus du droit ?

    Oui. Je ne crois pas du tout à  la thèse de l’autonomie du Doit par rapport à  l’éthique. Si on interdit le viol, c’est parce que cet acte horrible est pour nous absolument immoral. Même si l’on accepte la contradiction dans les temes que signifie le slogan poétique « il est interdit d’interdire » (cet interdit étant lui même… interdit : c’est une phrase « auto-référentielle », comme on dit en logique, et qui de plus se nie elle-même), on peut et on doit le refuser pour des raisons morales : il y a des actes possibles qui sont moralement condamnables, et qui doivent donc être juridiquement interdits, et la transgression de ces interdits punie. Mais il reste à  définir cette morale. Il faut une morale minimale, pour que nous puissions tous nous mettre d’accord sur un certain nombre de valeurs — un socle — qui permette la vie en commun. Voilà  un peu mon évolution.

    Ce qui fait que je suis passé du centre gauche (rocardien) au centre droit, je ne vais pas me cacher derrière les mots, c’est la situation de la gauche française qui n’a pas su évoluer comme les gauches européennes dans le sens que Michel Rocard proposait, c’est à  dire, on accepte le marché, parce que sinon c’est la planification centrale, une absurdité liberticide, mais un marché régulé par le Droit et qui donne des garanties de sécurité aux travailleurs ou aux « inactifs ». La gauche française a toujours un problème avec le marché, le libéralisme économique. Le libéralisme est un gros mot. « Tu es devenu libéral !!! Horreur ! », me disent certains amis. Oui, et je l’assume tout à  fait. Je suis pour la maximisation de la liberté individuelle, dans le cadre de lois justes. Le capitalisme, n’en parlons pas, c’est voué aux gémonies par la gauche. Mais même un système socialiste d’autogestion aurait besoin du marché et de la concurrence. La gauche française n’a jamais su se réconcilier avec l’économie de marché. Qui est la seule qui fonctionne.

    Retrouvez les autres parties de l’interview dans le sommaire !

  • Citation #52

    L’homme d’Etat qui tenterait d’ordonner les capitaux des particuliers, non seulement se chargerait d’un soin très superflu, mais encore assumerait une autorité qui ne pourrait être confiée avec sûreté à  aucun conseil ni sénat, et qui ne serait nulle part si dangereuse qu’entre les mains d’un homme assez fou et assez présomptueux pour se croire capable de l’exercer.

    Adam Smith

  • L'échange crée de la richesse

    Poignée de mainRetour sur la notion de richesse, avec deux idées très importantes. La richesse est toujours créée, et l’échange libre est créateur de richesses. Pascal Salin est décidemment un penseur lucide et clair, éclairant même ! Voyons ça en détail.
    (suite…)

  • Quelques rappels d'économie

    A l’occasion de la sortie des Mémoires d’Alan Greenspan en librairie mercredi, Le Figaro lui consacre une interview. Je vous conseille d’aller la lire en entier, en voici un extrait (la réponse de Greenspan concernant les obstacles culturels à  la croissance de la France) :

    Les sondages sur la vision négative et le rejet par les Français de la libre concurrence m’ont beaucoup frappé. Le contraste avec les États-Unis est impressionnant en dépit de tout ce que nos deux pays ont en commun. Je cite Édouard Balladur qui estime que la libre concurrence, «c’est la loi de la jungle». En vérité, cette approche gouverne la politique française. Comme s’il y avait quelque chose d’antisocial dans la libre entreprise. En fait, pour assurer la croissance, il faut que le capital soit employé là  où il est le plus productif et retiré des secteurs obsolescents. Or, à  la fin du compte, seules des hausses de productivité assurent la progression du niveau de vie.
    Pour en arriver là , il faut un processus efficient d’allocation de capital. Celui qui fonctionne le mieux est celui du marché libre. Naturellement, cette «destruction créative» est extrêmement pénible pour les individus qui sont du côté des perdants. Aux États-Unis nous avons accepté ce coût. Nous nous accommodons des pertes d’emplois et de la mobilité importante de la main-d’oeuvre que cela implique. Mais, à  la différence de la France, nous avons un taux de chômage très bas.
    Le problème principal que M. Sarkozy s’est engagé à  traiter, de manière relativement indirecte, est celui de pouvoir licencier sans encourir des coûts élevés.
    En France, supprimer des emplois revient cher. Aux États-Unis, non. Notre position est que s’il coûte cher de licencier, les entreprises vont hésiter à  embaucher. Cela crée un niveau structurel de chômage élevé.
    Aux États-Unis, notre productivité effective est supérieure. Je sais que la France affiche un taux de productivité horaire plus élevé que le nôtre. Mais c’est une illusion statistique liée à  votre taux de chômage presque deux fois plus élevé. Si l’on intégrait des chômeurs dans le calcul, la productivité française dégringolerait.
    En termes de revenu par habitant, le rang de la France dans le monde est passé de onzième en 1980 à  vingt-cinquième en 2005. Le Royaume-Uni, au contraire, a grimpé. Je pense qu’en grande partie cela est dû à  la manière dont la France appréhende la question de la libre concurrence et de la libre entreprise.
    La France est bien sûr un pays capitaliste. Les droits de propriété y sont protégés. La règle de droit s’applique. J’admire la France pour beaucoup de raisons. Il est clair que votre histoire est plus longue que la nôtre. Ma femme adore Paris. Le Louvre est sans égal. Je comprends que les Français jugent que leur civilisation est supérieure à  la nôtre. Mais notre forme de capitalisme brut n’est pas antisociale. Notre croissance extraordinaire a rendu possible des avancées importantes en matière d’éducation supérieure, en matière médicale, en matière de technologie, par exemple.

    Eh oui, il est bon parfois d’entendre un discours simple et de bon sens !