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  • Interview d'Alain Boyer : première partie

    Première partie de l’interview d’Alain Boyer. Il y est question de son parcours politique, de mai 68, de mouvements d’extrême gauche, jusqu’à  son évolution vers le PSU de Michel Rocard.

    BLOmiG : Peux-tu nous raconter un peu ton parcours politique, et expliquer comment un intellectuel universitaire en vient à  s’exprimer dans les grands médias nationaux ?

    Alain Boyer : ce parcours politique commence assez tôt parce que j’appartenais à  une famille de militants politiques, associatifs et syndicalistes. Mon père était un militant de la CFTC, puis il fut l’un des fondateurs de la CFDT,et c’est pour ça que nous sommes « montés » à  Paris en 1964, j’appartenais à  une famille typique de « chrétiens de gauche » (comme Edmond Maire, ou Michel Rocard, que j’ai croisé dans les années soixante, avec mon père, quand il avait encore un pseudo).

    J’étais donc dans une famille de gauche, très politisée, très humaniste, progressiste et anti-totalitaire déjà  (on n’en connaissait pas le mot, mais c’était ça), avec déjà  cette idée un peu naïve qu’il fallait combiner ce qu’il y avait de bien dans le système occidental — c’est à  dire la liberté — et ce qu’il y avait de bien – ce qu’on croyait qu’il y avait de bien – dans le système communiste – c’est à  dire l’égalité – . « Nous, on a la liberté, mais pas l’égalité, eux ils ont l’égalité, mais ils n’ont pas la liberté. Il faut trouver une troisième voie, un socialisme à  visage humain (slogan du « Printemps de Prague en 68 ») ».

    Un certain nombre d’événements ont eu lieu pendant mon enfance, dont j’ai un souvenir très clair, en particulier la guerre d’Algérie, où j’ai cru comprendre le sens du mot « anti-colonialisme », et puis Mai 68 où j’étais adolescent (mon frère aîné était dans les manifs, et mon père était dans les négociations type « Grenelle », pour les Postes et Télécommunications). J’ai fait ma « crise d’adolescence », je trouvais que mes parents n’allaient pas assez loin, qu’ils n’étaient pas assez radicaux, je suis passé du côté de la « révolution ».

    La première fois que j’ai mis les pieds à  la Sorbonne, c’était le 20 mai 1968, sans imaginer que, 30 ans plus tard, j’y serais professeur ! Quand je suis arrivé à  la Sorbonne, il faut dire que c’était extraordinaire pour un gamin politisé et « romantique » ! Toutes les fenêtres étaient couvertes de portraits de Marx, Engels, Lénine, Mao, ou de l’autre côté Trotsky, Che Guevara, mais aussi Bakounine avec drapeaux noirs et des drapeaux rouges partout. Il y avait des « communiqués » sur l’état des luttes, un type qui jouait du piano (j’ai appris après que c’était Higelin), des inscriptions de type « situationniste », qui m’ont beaucoup plu à  l’époque : « Soyez réalistes, demandez l’impossible », des choses comme ça…

    Une ambiance enthousiaste ?

    Oui, oui. Pour moi c’était des « grands », qui remettaient tout en question. Pour dire sur 68 quelque chose, puisque ça a été un enjeu dans la campagne électorale (quand Sarkozy a fait un discours anti-68), je pense que le bilan doit être, comme pour beaucoup d’événements révolutionnaires, nuancé.

    Il y a les aspects négatifs (une remise en cause beaucoup trop radicale de toute autorité, donc de toute institution), c’est tout à  fait vrai. Je me souviens qu’il y avait cette idée d’avant-gardisme, c’est-à -dire d’être toujours un peu plus à  gauche, remettre tout en cause, la famille, l’Eglise (j’ai perdu la foi en Mai), mettre en cause l’université, le professeur, l’idée qu’il faudrait que les cours soient des sortes d’échanges, l’idée que les étudiants avaient eux-mêmes un savoir à  apporter à  leurs professeurs, tout ça était enthousiasmant, mais, à  dire vrai, excessif (il n’y a pas d’éducation sans transmission de savoir). Même si ça doit être fait avec l’autorité du professeur, mais sans autoritarisme : c’est un aspect positif de mai 68. C’est ça qu’on confond souvent. Avant 68, il était impensable qu’un étudiant osât s’adresser à  un professeur ! à‡a a provoqué un adoucissement des rapports, une amélioration du dialogue entre professeurs et étudiants. à‡a c’est stabilisé, maintenant, de sorte que les étudiants prennent des notes, parce qu’ils savent qu’ils auront à  apprendre, il y a une asymétrie. C’était ça, c’était l’asymétrie — entre le « savant » et l’ »étudiant » – qui était remise en cause en 68. Or, si on met en cause cette asymétrie, il n’y a plus de transmission. En revanche, cette asymétrie n’est plus une hiérarchie rigide avec une différence abyssale. On peut parler. Je dis à  mes étudiants, ne m’écrivez pas en disant « salut mon pote », bien sûr, mais j’ »ai pas besoin non plus de « monsieur le grand professeur ». En général, ils me disent « bonjour ».

    Une juste distance ?

    Oui, je préfèrerais qu’ils me disent « bonjour, monsieur », mais bon c’est « bonjour ». Je leur donne mon mail. La rigidité des rapports sociaux, avant 68, par exemple à  la télévision, sous de Gaulle, c’était assez invraisemblable ! Je me rappelle qu’une « speakerine » avait été renvoyée à  la demande de Mme de Gaulle, parce qu’elle avait montré son genou. C’est dire…

    Donc : un contexte, pour mai 68, d’anti-autoritarisme anarchique certes excessif, qui a pu faire du mal à  l’école, mais qui était porteur d’une idée forte de liberté et d’émancipation. Deuxièmement, des mouvements d’extrême gauche, au contraire eux, pas du tout anarchistes, mais de tradition léniniste, voire stalinienne. Un jour, en 71, j’ai failli me faire casser la figure par leur service d’ordre, les maoïstes chantaient (à  la Mutualité), « Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao », je rajoutais « Beria !« , le chef de la police politique de Staline, et quand ils m’ont vu, pfiout!, on était deux, on a du se sauver !

    Alors, comment je me situais ? J’ai tout de suite pensé que l’anarchisme était une impasse. Ca me paraissait d’une grande naïveté de dire (comme l’anarchisme radical – drapeau noir – tel qu’on le voyait à  l’époque dans des associations anarchistes comme la Fédération anarchiste ou l’ORA) : l’idée c’était on détruit tout — l’Etat — immédiatement, et puis rien, plus d’autorité du tout, plus de règles, etc. C’est le sens exact d’ »anarchia » en grec, littéralement « absence de pouvoir ».

    La table rase…

    La table rase. J’acceptais le slogan de Blanqui « ni Dieu ni maître », mais en revanche l’idée de tout renverser, comme ça d’un seul coup, me paraissait complètement naïve. En revanche, les groupes marxiste-léninistes me paraissaient, certainement parce que j’avais eu cette éducation anti-totalitaire, accorder à  Lénine et Trosky ou Castro et Ho-Chi-Min — voire à  Staline et à  Mao — des qualités qu’ils n’avaient pas. J’avais très peur politiquement du stalinisme. Alors, les gens qui renchérissaient sur le parti communiste, traité de « révisionniste », en disant « il faut revenir à  Staline » me paraissaient complètement délirants. (Il y avait aussi des « maos » plus libertaires, qui se faisaient des illusions sur la pseudo « Révolution Culturelle », mais qui étaient « anti-autoritaires », « spontanéistes », les « mao-spontex » ! avec qui je m’entendais mieux – par exemple le groupe VLR : Vive la Révolution – ).

    C’est de là  qu’est partie la rupture avec ces mouvements ?

    Non, pas tous, parce que j’ai trouvé dans mon adolescence une stabilisation dans un courant que je ne renie pas totalement parce qu’il me paraît au fond le moins dangereux pour les libertés, et je vois que les nouveaux « révolutionnaires » (Clémentine Autain par exemple) s’y réfèrent ; il s’agit des luxembourgistes, « spartakistes » ou « conseillistes » L’héroïne en était Rosa Luxemburg, assassinée en 1919 à  Berlin, pendant la semaine sanglante, la révolution communiste ratée (spartakiste : le terme me plaisait beaucoup ! Spartacus était l’un de mes héros quand j’étais gosse…). Elle fut tuée avec son amant Karl Liebknecht. C’était assez romantique, en plus. Et c’était un marxisme non-léniniste. Rosa Luxembourg était marxiste « pure et dure », fondatrice du PC allemand (novembre 1918), donc une vraie révolutionnaire, d’extrême gauche, mais elle avait dit « Camarade Lénine, la liberté, c’est celle de celui qui pense autrement ». Cette phrase voltairienne m’avait énormément plu. Tandis que Lénine a très vite imposé par la violence la seule voix du parti bolchevik.

    On ne sait pas ce qu’aurait donné Rosa Luxemburg si elle n’avait pas été assassinée, bien sûr. Ce courant se réclamait aussi de la révolte des marins de Kronstadt en 1921, qui avaient été l’instrument militaire qui avait permis aux bolcheviks de prendre le pouvoir pendant leur putsch d’octobre 1917. Mais en mars 1921, les marins de Kronstadt, les ouvriers de la révolution, si j’ose dire, ceux qui avaient pris la « Bastille » (le palais d’hiver de St Petersbourg), se sont révoltés parce que Lénine avait promis tout le pouvoir aux soviets (soviets, ça veut dire « conseil ouvrier », donc autogestion), mais qu’en fait c’était le Parti qui avait tout le pouvoir. Lénine et Trotsky ont décidé le massacre des marins (dont le slogan était « tout le pouvoir aux soviets, et non pas au parti »). Donc, ni les maoïstes (se réclamer de Mao ou pis encore de Staline, c’était pour moi l’abomination des abominations), ni Lénine et Trotsky (qui avaient fait massacrer les marins) et qui avaient fondé le Goulag (acronyme voulant dire « direction centrale des camps de prisonniers »), et qui ont mis tout de suite en un an dans les camps plus de prisonniers que les tsars pendant tout le 19ème siècle ! Et fondé la sinistre Tchéka, ancêtre du KGB.

    Je me trouvais bien dans ce courant, dont les deux phares qui étaient les plus connus, et qui recommencent à  être connus, étaient « Socialisme ou barbarie » (S ou B) fondé par 3 philosophes (dont un seul est toujours vivant), Castoriadis, Claude Lefort (théoricien de la démocratie à  l’heure actuelle) et puis Jean-françois Lyotard, fondateur plus tard de l’idée de « post-modernité » en philosophie. Il y avait aussi Edgar Morin dans cette mouvance. J’allais à  la « Vieille Taupe« , qui était la librairie luxembourgiste, et qui est malheureusement tombée dans le révisionnisme le plus abject à  la fin des années 70. Négationnisme des chambres à  gaz, une horreur. De Rosa Luxemburg à  Faurisson ! Je pourrais expliquer mais c’est trop long, la dérive paranoïaque qui consistait à  penser que si on dit qu’à  Auschwitz, c’était l’Enfer, les capitalistes vont dire « vous voyez ! les usines, c’est bien mieux », donc il faut montrer qu’à  Auschwitz c’est moins mal que ce qu’on dit. Pour montrer que le capitalisme libéral, c’est pas mieux que le fascisme. D’où l’idée « il n’y a pas eu de chambres à  gaz » !!! Là  dessus s’est greffé le problème qui existe malheureusement toujours aujourd’hui, le problème palestinien. Beaucoup de gens ont identifié Israël, le sionisme, et l’idée qu’Israël c’est du colonialisme, fondé sur l’idée de la Shoah, donc c’est un mensonge. Toute cette dérive, j’ai détesté. Mais dans les années 60-72, il y avait donc « S ou B », et un petit groupe qui s’appelait « Noir et Rouge« , auquel appartenait les deux frères Cohn-Bendit, et puis ce qui me fascinait le plus, c’était les numéros de l’Internationale situationniste. Les « situs ». Les vrais grands slogans, et la vraie idéologie libertaire de 68, elle est situationniste, fondamentalement. C’était des gens assez dogmatiques eux-mêmes, et qui se sont déchirés, mais qui avaient un certain style (Raoul Vaneigem, Guy Debord). Des sortes de surréalistes ayant décidé que le seul art possible, c’était de changer la vie, sa vie, et de détruire la « société du spectacle » et de la « marchandise ».

    Si je peux me permettre de rebondir là -dessus, dans ce que tu dis, dans ce que tu écris, le dogmatisme est quelque chose que tu fuis.

    Toujours. Enfin, j’essaye…

    Dans ces mouvances là , où il y a justement toujours une part de dogmatisme, de déformation de la réalité, comment toi, tu as évolué là -dedans ?

    D’abord le courant le moins dogmatique de tous, c’était celui auquel je me référais. Parce qu’il n’y avait pas vraiment d’organisation. Au contraire des Mao, par exemple, qui avaient une organisation militaire. La Ligue, c’est-à -dire l’actuelle LCR, (on disait « La ligue a tort, c’est caïman sûr ! »), dirigée par Alain Krivine (toujours en coulisse), c’était des mouvements quasiment militarisés. Léninistes ! Le révolutionnaire professionnel doit être discipliné comme un militaire. Même si n’est pas d’accord, c’est l’organisation, c’est le parti qui décide. Dans les mouvances « conseillistes », c’était l’auto organisation généralisée. à‡a m’a permis en 74 de comprendre que la révolution c’était un mythe (« le grand soir »), ça permit d’abandonner ça, mais tout en gardant l’idée d’autogestion. Je me suis donc retrouvé à  être séduit par le PSU, puis par l’entrée de Rocard et des « rocardiens » au PS (en 1974).

    Retrouvez les autres parties de l’interview dans le sommaire !

  • On prend les mêmes et on recommence ?

    les banlieues flambentDeux nuits de violences. Deux nuits d’affrontements dans les zones de non-droit. On a la lourde impression d’un recommencement à  l’identique. Doigt pointé sur la Police, certains n’hésitent pas à  jeter de l’huile sur le feu (médias ou associations), pour des raisons communautaristes, et de bien pensance. Que tout cela est grave…
    (suite…)

  • Interview d'Alain Boyer

    Alain BoyerAlain Boyer est professeur de philosophie politique à  la Sorbonne, spécialiste de Karl Popper. Issu d’un milieu d’extrême gauche, il connait très bien la philosophie des idées politiques de l’extrême gauche au libéralisme. Début de la publication d’une interview « fleuve », qui donnera lieu à  des billets réguliers. Cette interview est exceptionnelle, parce qu’Alain Boyer est quelqu’un d’exceptionnel ! Grande gentillesse, grande culture, clarté des idées : je ne peux que vous inviter à  la lire, et à  la commenter !

    Ca y est ! J’ai presque terminé de transcrire l’interview d’Alain Boyer, professeur de philosophie politique à  la Sorbonne, et j’ai donc commencé à  lui envoyer, pour validation, les premiers morceaux de cette interview. J’ai déjà  raconté ailleurs les circonstances de notre rencontre, je n’y reviens pas. Elle a duré 3 h, et cela donne, une fois retranscrit à  l’écrit, une vingtaine de pages dans un éditeur de textes. Pas question de tout publier d’un coup, donc ! La première partie sera publiée vendredi, et je pense continuer à  publier les différents morceaux chaque vendredi. Je mettrais cet article à  jour au fur et à  mesure en rajoutant des liens vers les différentes parties de l’interview. Vous êtes donc ici sur la porte d’entrée pour l’interview d’Alain Boyer. Les questions abordées tout au long de l’interview sont la politique, la philosophie politique, Sarkozy, la gauche française, l’islam, Popper, entre autres. J’ai pris énormément de plaisir à  rencontrer Alain Boyer, et j’espère que vous en prendrez à  lire son interview !

    Articles de l’interview

    Les articles produits à  partir de l’interview sont les suivants :
    Première partie (en ligne) : parcours politique d’Alain Boyer, de ses débuts dans une famille de syndicalistes anti-totalitaires, en passant par les groupes d’extrême gauche en mai 68, jusqu’au PS de Michel Rocard en 1974.

    Deuxième partie (en ligne) : Suite du parcours. Réflexions sur le PS, l’économie de marché, le libéralisme, et les problèmes qu’a la gauche actuelle avec tout cela !

    Troisième Partie (en ligne) : Dans cette partie, Alain Boyer nous donne son point de vue sur le PS, sur le positionnement politique de Sarkozy (libéral ? pas libéral ?), et sur les réformes en cours.

    Quatrième Partie (en ligne) : Dans cette partie, Alain Boyer nous explique l’histoire (et le fond) de son article de soutien à  Sarkozy, paru dans le Figaro entre les deux tours de l’élection présidentielle.

    Cinquième Partie (en ligne) : Alain Boyer y décrypte son sujet de cours sur la tyrannie, pour mieux aborder la démocratie, les droits de l’homme, et les valeurs fondamentales qui seront toujours à  défendre. Contre les extrémistes de tout poil.

    Sixième Partie (en ligne) : Sont abordés ici, les questions épineuses des religions, de leur rapport avec la démocratie, et en particulier l’Islam (à  suivre dans la prochaine)

    Septième Partie (en ligne) : suite de la discussion sur l’Islam et les grandes religions monothéistes.

    Huitième Partie (en ligne) : On aborde Karl Popper, la science, la métaphysique…

    Neuvième Partie (en ligne) : Suite de la précédente, Alain Boyer raconte sa rencontre avec Karl Popper, les apports de ce dernier en philosophie politique. Au programme : démocratie, libéralisme, totalitarisme, utilitarisme : passionnant et clair !

    Dixième Partie (en ligne) : Toujours à  propos de la pensée de Karl Popper, nous abordons le marxisme, le rationalisme, le commerce, l’écologie. C’est l’avant dernier morceau de la série !

    Onzième et dernière partie (en ligne) : Les réformes de l’enseignement supérieur, et le sentiment d’Alain Boyer sur la possibilité de réformes en France. Cette partie clôt l’interview. Bonne lecture !

  • Lettre ouverte d'un greviste aux citoyens

    Nous allons faire grève. Pour défendre notre bout de pain. C’est ça, la société individualiste ! Chacun défend son petit pré carré, et puis voilà . Ce n’est pas tellement notre vision du monde, mais puisqu’il faut s’adapter : nous nous adaptons. Le système nous a régulièrement, et depuis longtemps, envoyé un signal clair que nos grèves permettaient de conserver nos avantages : pour quelle raison absurde agirions-nous autrement ? La solidarité, l’intérêt général sont des utopies sociales mises en place pour endormir les citoyens. Nous, nous savons que chacun défend son intérêt personnel, et celui de sa corporation, de sa classe.
    L’argent du contribuable, votre argent, qui sert à  nous payer, est le symbole de cette relation. Vous nous payez pour assurer un service. Vous êtes donc nos employeurs. Quoi de plus logique, pour une grêve, que de viser à  ennuyer son employeur ? C’est le principe même de la grêve, non ? Nous n’avons que faire des millions de gens qui vont passer des heures dans les transports, en voiture, à  vélo, pour arriver pas trop en retard à  leur travail. Nous n’avons que faire de leur vie de famille. Chacun sa croix.
    Nous savons que certains libéraux vicieux mettront en avant le fait que les clients ont payés un service, et qu’il est donc normal de le rendre. Ils qualifieront cela de vol. Ils prétendront que nous devrions rendre ce service, et laisser tomber nos privilèges. Au motif qu’un privilège est toujours un abus de pouvoir, une spoliation. Ils prétendent – les fous ! – que la Loi devraient être la même pour tout le monde. Mais nous savons, nous, que la Loi n’est pas la même pour tous : certains naissent riches, et d’autres pauvres. Ils nous disent qu’il ne faut pas confondre l’égalité devant la Loi, et l’égalité dans les faits. Nous ne confondons pas les deux. Nous avons simplement compris qu’il suffit d’avoir un loi spéciale pour nous, pour pouvoir – de fait – tirer son épingle du jeu. Nous avons réussi à  mettre en place un système dans lequel nous vivons au dépend des contribuables, avec leur argent, en ayant des conditions de travail meilleures, et nous devrions avoir la bêtise de lâcher cela ? Au nom de quoi ? Nos enfants payeront pour nous nos retraites ; il n’est pas nécessaire de se projeter dans l’avenir.
    De toute façon, nous ne sommes pas responsables : ce sont les politiques qui le sont. De droite comme de gauche, ils ont cautionné ce mode de fonctionnement « ancien régime ». Ils essayent maintenant de changer la donne. Nous savons que la société ne s’organise pas autour d’un droit commun, mais sur la base de rapports de force entre les classes. Nous nions l’existence des individus ; nous croyons dans la lutte des classes. Et nous serons les plus forts, même minoritaires, parce que nous avons une arme que vous n’avez pas : on vous emmerde !
    Pour ceux que tout cela exaspère, j’ai trouvé grâce à  jmj arras un appel de l’association Liberté Chérie pour faire une contre-manif dimanche prochain. Je passe l’info, mais je ne m’y associe pas : je ne supporte plus toutes ces manifs qui sont le symbole que notre démocratie a depuis longtemps faussé ses règles du jeu. Ce n’est pas la rue qui décide, ce sont les urnes. Ou alors, qu’on me l’explique clairement : nous ne sommes plus en démocratie…Mais qui s’en soucie ? Sinon, il y a plein d’infos intéressantes chez Damoclès.

  • Libéralisme et constructivisme

    Retour sur les idées présentées au début de l’excellent bouquin de Pascal Salin « Libéralisme ». Où l’on apprend la différence entre libéralisme et constructivisme, et que notre société française est majoritairement sous le signe du constructivisme. Les sources idéologiques du constructivisme y sont détaillées avec clarté et vigueur : égalitarisme, absolutisme démocratique et scientisme. Je sais dès à  présent que ce livre sera très enrichissant, et j’ai envie de partager les réflexions qu’il m’inspire avec vous.

    Les livres et moi

    J’ai un problème avec les livres : j’adore ça ! J’ai toujours plus ou moins 2 ou 3 livres en cours simultanément. Selon la facilité de lecture, selon mes envies du moment, je passe de l’un à  l’autre. J’ai presque fini l’excellent bouquin « Les prêcheurs de l’Apocalypse » de Jean de Kervasdoué (CNAM). J’ai été stoppé net dans ma lecture parce qu’ai reçu ma commande de deux bouquins de Pascal Salin : « Libéralisme » et « Français, n’ayez pas peur du libéralisme« . Je n’ai pas pu résister, hier soir, et je me suis plongé avec délectation dans « Libéralisme ». C’est écrit clairement, c’est puissant, et je sens déjà  que ce livre sera marquant, intellectuellement parlant. Il y a des livres comme ça, qui prennent presqu’autant de valeur qu’une rencontre avec quelqu’un (et c’en est une d’ailleurs).
    Les quelques précisions que Pascal Salin donne dès le début sont très éclairantes, et je voudrais les partager avec vous (il y aura, je pense, plusieurs autres billets consacrés à  ce bouquin merveilleux). La distinction apportée par Alain Boyer entre morale de responsabilité et morale de conviction avait été super enrichissante, et bien plus structurante que la traditionnelle scission gauche/droite, dont le sens n’est pas net. Pascal Salin commence par distinguer le libéralisme et le constructivisme (c’est l’objet de cet article), et enchaine sur la distinction entre libéralisme « humaniste » et libéralisme « utilitariste » (ce sera l’objet d’un deuxième article). Cette distinction entre « individualisme ou libéralisme » et « constructivisme » a été proposée par Friedrich Hayek.

    Libéralisme et constructivisme

    Le libéralisme est fondée sur la liberté individuelle, et sur le droit qui garantie cette liberté individuelle à  tous. La société est, selon les vues libérales, libre d’évoluer au gré des initiatives des individus, et il n’est donc pas possible de la construire de toute pièce. En cela, le libéralisme et le constructivisme sont incompatibles : le constructivisme, en effet, consiste à  vouloir construire la société en fonction de valeurs et de la place qu’on veut donner à  telle ou telle catégorie de citoyens. Le libéral s’oppose à  cette vision parce que la seule entité raisonnable pour réfléchir est l’individu.
    […] le libéral est, selon les propres termes de Friedrich Hayek, celui qui « laisse faire le changement, même si on ne peut pas prévoir où il conduira ». Il implique, par conséquent, une confiance dans les capacités des personnes à  s’adapter continuellement à  des conditions changeantes et toujours imprévisibles.
    Pascal Salin, fort de cette distinction, explique qu’en France la quasi-totalité des hommes politiques (de droite comme de gauche) est constructiviste. Que l’on soit réformateur, ou conservateur, on peut être constructiviste. Dans un cas on veut changer le système, dans l’autre on veut le maintenir, et dans les deux cas il s’agit de vouloir construire la société.

    Sources du constructivisme

    Pascal Salin détaille les sources de la prégnance très forte du constructivisme en France :

    • Egalitarisme :
      Il existe en effet deux notions différentes de l’égalité, l’égalité des droits et l’égalité des résultats. La première inspirait la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 («Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits», phrase qui était cependant immédiatement suivie d’une autre dont l’inspiration était plus collectiviste : « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune») ; mais c’est la seconde notion qui est devenue dominante et elle est d’ailleurs formellement affirmée dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, qui reconnaît toutes sortes de «droits à » (droit au travail, à  la Sécurité sociale, etc.). La première notion est manifestement libérale et individualiste, puisqu’elle consiste à  reconnaître l’égale dignité de chacun, mais à  le laisser libre de développer son propre destin à  partir du moment où ses droits sont déterminés et respectés. La seconde est un pur produit du constructivisme, puisqu’elle consiste à  penser que l’on peut interférer avec les résultats de l’action humaine et imposer une répartition des richesses conforme au modèle décidé par les détenteurs du pouvoir, en donnant a priori à  chacun des droits sur l’activité d’autrui.
      Ce faisant, on crée, au nom de l’égalitarisme, de nouvelles inégalités, par exemple celles qui existent entre ceux qui vivent de leurs propres efforts et ceux qui profitent de la contrainte organisée ; ou encore entre ceux qui ont accès au pouvoir politique, instrument supposé de l’égalitarisme, et ceux qui en sont écartés.
    • Absolutisme démocratique :
      Le caractère démocratique d’un pays ou d’une institution quelconque est devenu le critère d’évaluation prioritaire. […]
      L’extension de cet absolutisme démocratique va évidemment de pair avec une méfiance très grande à  l’égard des solutions de marché et c’est pourquoi on s’achemine bien souvent vers la recherche de solutions de type collectiviste où la négociation et le «dialogue », par l’intermédiaire de représentants démocratiquement élus, sont censés conduire à  un consensus. C’est l’illusion de la convergence des intérêts, non pas entre les individus – ce que seul le marché permet de réaliser – mais entre les groupes organisés.
      Le résultat de cette conception de la vie sociale est évidemment le corporatisme qui, étrangement, a conduit la France d’aujourd’hui à  ressembler à  la France de l’Ancien Régime. Cette ressemblance n’est d’ailleurs pas le fruit du hasard. Elle est seulement le résultat d’une conception de la vie sociale où la source de tout pouvoir réside non pas dans les individus, mais dans la sphère politique. De ce point de vue, il importe relativement peu que le pouvoir politique soit de nature monarchique ou démocratique. Aucun pouvoir en effet n’a les moyens d’organiser la cohérence des besoins individuels, il ne peut qu’agir grossièrement en plaçant les individus dans des catégories, professionnelles, religieuses, ou sociales, en prétendant reconnaître l’existence d’intérêts catégoriels et en organisant centralement leur coexistence. Comme nous le verrons constamment, l’État crée des abstractions collectives – par exemple les intérêts catégoriels -, il prétend qu’ils existent par nature et qu’il est évidemment le seul à  pouvoir les organiser de manière à  assurer la cohésion sociale, puisqu’il s’agit d’«intérêts collectifs».
      Cette conception collectiviste de la société conduit naturellement à  la politisation de la vie quotidienne. Tout est le résultat des luttes pour le pouvoir, qu’il s’agisse de la santé, de l’éducation ou de l’activité entrepreneuriale. Mais parce qu’elle ignore les besoins individuels, aussi bien que les informations individuelles, cette conception, loin de conduire à  l’harmonie, est source de frustrations et d’envies insatiables. Lorsque les choix quotidiens de votre vie sont essentiellement effectués par d’autres que vous, même si ceux qui décident sont censés être vos représentants, vous devez soit subir leurs décisions, soit vous lancer dans un combat épuisant et inégal pour essayer d’exprimer et de faire comprendre la réalité de vos besoins.
    • Scientisme ou illusion du savoir :
      Le constructivisme repose sur un formidable orgueil intellectuel : pour vouloir modeler la société à  sa guise, il faut évidemment supposer à  la fois que l’on connaît les objectifs de ses membres – comme si l’infinie diversité de ces objectifs individuels pouvait faire l’objet d’un processus réducteur de synthèse globale – mais aussi que l’on connaît les meilleurs moyens d’y arriver, c’est-à -dire que l’on a une connaissance parfaite des processus d’interactions complexes qui composent une société. […]
      Tous ces constructivistes veulent plier la réalité à  leurs désirs, par des moyens nécessairement illusoires, puisqu’ils n’ont pas la connaissance, mais seulement la prétention de la connaissance. Aussi, pour poursuivre leurs desseins, mobilisent-ils toutes les théories-alibis de notre époque, toutes celles qui semblent parer leurs actes d’une couverture scientifique.
      En réalité, cette approche est non pas scientifique, mais scientiste, c’est-à -dire qu’elle prend l’apparence habituelle de la science, par exemple son caractère mathématique, mais elle ne répond pas à  ses exigences méthodologiques fondamentales.

    Voilà . Pour un début de livre, je trouve ça passionnant, clair, lucide et raisonnable. Pour ceux que ça intéresse, le texte du début du livre (celui qui distingue Libéralisme et constructivisme) est disponible intégralement sur Catallaxia. Dire que je vous conseille d’aller le lire est un euphémisme. En conclusion, la fin du chapitre :
    Comme le disait, je crois, Julien Freund, le libéral se doit d’être tolérant avec les hommes et intolérant avec les idées, en ce sens qu’on ne peut pas admettre qu’une idée et son contraire soient également et simultanément vrais, mais les hommes sont tous également dignes de respect. En France, c’est le contraire qui prévaut sur la scène politique : on est intolérant avec les hommes et tolérant avec les idées.

  • Ceux qui ne veulent pas compter

    J’ai entendu l’autre jour un débat où il était question de la réforme de la carte judiciaire. Regrouper des tribunaux pour mutualiser les moyens, en gros. Optimiser le fonctionnement de la justice. Certains opposants (avocats, magistrats) critiquaient la réforme portée par Rachida Dati, au motif que c’était une réforme comptable, qui laissait de côté l’aspect humain. Certains mêmes décrivaient la méthode de Mme Dati comme une méthode « brutale ». On voit bien la critique qui est sous-entendue là  : toujours critiquer la méthode pour ne pas parler du fond. Comme les syndicats. Heureusement, le député UMP Georges Fenech était présent pour défendre l’action de rénovation du gouvernement, et a finalement expliqué que tous ces arguments ne portaient jamais sur le fond, mais visaient plus à  défendre les intérêts de corporations, et/ou de maires soucieux de conserver « leurs » tribunaux à  quelques mois des élections. Il a dû réaffirmer que le gouvernement ne visait pas « à  démanteler la Justice » (ce dont l’accusait une femme dont j’ai oublié le nom), mais à  optimiser son fonctionnement, et à  casser les conservatismes. C’est pour cette raison, selon lui, que la réforme n’a pas été redescendue au niveau local (régions, département). Un des intervenants expliquaient en effet qu’il aurait fallu laisser les gens qui connaissent les dossiers sur le terrain décider de quel tribunal doit ou pas être fermé. Georges Fenech a répondu à  cet argument – plutôt raisonnable à  première vue – que c’était justement le meilleur moyen pour que chacun s’accroche à  « son » tribunal et finisse par conclure que la réforme est bonne, mais pas dans sa ville.
    J’aurais bien voulu également que quelqu’un souligne que critiquer l’aspect « comptable » d’une réforme est un peu ambigu. Rappelons la définition de « comptable ».

    Définition :
    En parlant d’un personne, il s’agit de quelqu’un qui doit des comptes, qui responsable. En parlant d’une chose, cet adjectif désigne tout ce qui sert à  tenir, ou qui fait partie, d’une comptabilité, et ce qui déterminé par les techniques comptables. Rajoutons pour finir que l’étymologie vient de « contable » (XIIIe s.) « que l’on peut compter ».

    Je trouve ça plutôt sain, pour ma part, que les réformes soient comptables : ça fait des années que les politiques utilisent l’argent du contribuable sans compter, justement, et il est temps que ça cesse. Etre dans une logique comptable, c’est aussi et surtout chiffrer ce qu’on veut faire, porter le débat sur des choses objectives et non pas sur des questions idéologiques ou sur des procès d’intention.
    Par ailleurs, si pour que l’on puisse réformer, il est nécessaire d’aller interviewer chaque juge, chaque avocat, chaque greffier, et lui demander son avis sur la question, alors cela veut dire que la réforme est impossible. L’aspect comptable, justement, permet de connaitre quels sont les nombres de dossiers par juge, les nombres de juges et de tribunaux par habitant selon les régions et les villes, le temps moyen de traitement des dossiers, etc., tous ces éléments enfin qui permettent bien mieux que des grands discours de cerner la réalité concrète et objective. Combien de tribunaux doit-on fermer pour que chacun de ceux qui restent se retrouve dans une meilleure situation pour dispenser à  chaque citoyen une justice de qualité ? Voilà  la logique comptable. La qualité de la Justice ne se mesure pas au nombre de kilomètre que l’on doit faire pour arriver au tribunal. C’est pourtant un argument avancé par ceux qui ne veulent pas « compter ». Il ne faut surtout pas compter l’argent public dépensé, mais on peut compter, par contre, les kilomètres. Il faut arrêter de se moquer du monde.