Étiquette : Solidarité

  • Refonder l’entreprise

    Refonder l’entreprise

    Le titre est ambitieux, et le livre pas moins. Blanche Segrestin et Armand Hatchuel (tous deux professeurs à MinesParisTech) viennent de cosigner un remarquable petit livre. Remarquable par son écriture ciselée, son sens de la pédagogie, mais surtout par l’ampleur du propos. Le thèse est simple et très bien étayée :

    • l’apparition de la notion d’entreprise est intimement liée, historiquement, à la structuration des firmes autour de leur capacités d’innovation. L’apparition de l’entreprise correspond à une époque, il y a à peu près un siècle, où son objectif est devenu l’organisation de l’activité inventive (en mobilisant une démarche scientifique).
    • la diffusion rapide de la doctrine de la corporate governance, à partir de la fin des années 80, a perverti l’entreprise (au sens d’aventure collective innovante, ou de projet de création collective), et a conduit à ne penser l’entreprise qu’au sens de la stricte activité ayant pour but de maximiser les profits. Le rôle des dirigeants, notamment, a été modifié : de dirigeant qui pilote l’activité inventive, les patrons sont devenus, au sens juridique du terme, des agents des actionnaires.
    • sur cette base, les deux auteurs soulignent le vide juridique qui entoure l’entreprise, et proposent une refondation de celle-ci (en explorant plusieurs pistes, et en s’appuyant sur des exemples passionnants allemands ou américains). Ils placent le coeur de leur réflexion sur le fait d’avoir des dirigeants non plus « mandatés » par les actionnaires, mais « habilités » par un collectif (le conseil d’administration) qui peut comprendre à la fois des actionnaires, mais aussi des salariés (c’est le cas en Allemagne), voire des partenaires ou des parties prenantes de la mission que s’est fixée l’entreprise.

    Voilà un résumé bien rapide de ce petit livre très dense, très riche et extrêmement stimulant. J’ai adoré le passage sur la solidarité d’action collective, où les auteurs rappellent ce qu’est, en droit maritime, la règle des avaries communes. La capitaine d’un navire est « habilité » à jeter des marchandises par-dessus bord, si ce « jet » peut sauver le navire. Ces sacrifices sont des « avaries communes », parce qu’elle sont réalisées « pour la sécurité commune dans le but de préserver d’un péril les propriétés engagées dans une aventure maritime commune ». Le principe de solidarité est original : « Tous les marchands participant à l’expédition sont tenus de contribuer aux dommages correspondants proportionnellement à la valeur respective de leur biens arrivés à bon port. » Bien sûr, le dirigeant d’une entreprise n’est pas un capitaine de navire. Mais ce principe de solidarité serait tout à fait utilisable pour faire évoluer les règles de fonctionnement de nos entreprises. Pour finir, les auteurs proposent plusieurs pistes très intéressantes d’évolutions du statut des entreprises, de nouvelles normes en quelques sortes (de la simple modification des statuts, permettant de revenir sur un projet orienté vers une « mission », jusqu’à un nouveau « contrat d’entreprise »). Si vous voulez découvrir une réflexion sur l’organisation des sociétés, en évitant les poncifs habituellement servis par les radicaux d’un bord ou de l’autre, je ne saurais trop vous conseiller de vous ruer sur ce petit livre plein d’un souffle salutaire. Car rigoureux, et fruit d’un travail collectif entre le CGS de MinesParisTech et le Collège des Bernardins. Super bouquin !

  • Citation #106

    De même qu’on ne saurait parler de morale devant les pièces solidaires d’une mécani­que, il n’y a pas de place pour la morale dans la solidarité forcée sociale-démocrate. La morale se situe dans l’engagement personnel, et la solidarité s’y appelle alors amour et charité.
    Christian Michel

  • Quel type de radical êtes-vous ?

    Radical ou arbitraire ? Individualiste ou collectiviste ? J’ai pensé pendant longtemps que ce qui rendait sympathique le collectivisme, c’était une forme de pragmatisme non radical, qui serait venu contrebalancer ses aspects par ailleurs exécrables (principalement l’acceptation de l’arbitraire). Il n’en est rien : les collectivistes sont tout aussi radicaux que les libéraux ; ils partent simplement d’un principe qui n’est pas le même. Mais ils le suivent, et l’appliquent de manière radicale. La différence, c’est que leur principe de départ est injuste, et sans signification objective.

    Radical ou arbitraire ?

    Une vraie interrogation qui se pose, lorsqu’on se plonge dans la pensée libérale, est qu’elle part d’un principe fondateur juste (refus de la contrainte, respect absolu de la liberté individuelle dans le cadre de la loi), et qu’elle en tire toute les conséquences. Jusqu’au bout. C’est ce qu’on appelle être radicalLe dictionnaire donne plusieurs sens à  radical. Entre autres, en philosophie, « Qui va jusqu’au bout de chacune des conséquences impliquées par le choix initial », « Attitude qui refuse tout compromis en allant jusqu’au bout de la logique de ses convictions » et « Doctrine réformiste fondée sur l’attachement à  la démocratie, à  la propriété privée, à  la laïcité de l’enseignement » ; si la radicalité est une forme de cohérence dans la pensée, elle peut aussi être une forme de dogmatisme. Et je déteste le dogmatisme.
    Comme par ailleurs, les doctrines non-libérales (constructivistes) acceptent dans leurs gènes une part d’arbitraire, j’étais dans pris dans cette espèce de dilemme, à  savoir choisir entre « radicalisme » et « arbitraire ».
    Hier soir, j’ai compris que cette alternative est une fausse alternative.

    Tout le monde est radical

    Pris sous l’angle philosophique, radical signifie « qui va jusqu’au bout des conséquences impliquées par le choix initial ». Ce n’est qu’une forme de cohérence idéologique, et finalement d’amour de la vérité. Si je pars d’un principe vrai, alors je dois le dérouler proprement. Soit quelque chose est vrai, soit quelque chose est faux.
    En enlevant la connotation péjorative du mot « radical », on se rend compte que à la fois les libéraux, et à la fois les constructivistes / utilitaristes sont radicaux. Ils déroulent logiquement (et c’est heureux) des idées politiques issues de principes fondateurs différents.
    Le principe fondateur du libéralisme, Si on cherche à « construire » une société meilleure, il vient toujours un moment où l’on va empiéter sur la liberté et la propriété de certains, pour favoriser d’autres. Ce que le libéralisme rejette, justement…c’est le respect des individus, et le refus de la contrainte. Aucun individu ne doit avoir le droit de forcer un autre à  faire ce qu’il ne veut pas. C’est simple, et il parait évident que si ce principe était respecté partout, il ne pourrait pas y avoir d’injustice. Ce principe est fondamentalement individualiste, et juste – parce que non arbitraire -.
    Le principe fondateur du constructivisme, c’est l’idée qu’il faut améliorer le sort des populations, notamment les plus démunis, par des mesures centralisées d’organisations de la société. Les constructivistes partent du principe fort qu’il peut être justifié d’empiéter sur la liberté de certains, pour améliorer le sort des plus On n’a guère le choix qu’entre ces deux radicalismes : nier l’existence d’une justice sociale, ou nier la liberté des individus. J’ai choisi.démunis, et donc pour améliorer une sorte de « bien-être » global, ou d’intérêt général. C’est un principe collectiviste, arbitraire. C’est le pouvoir qui décide, au gré des changements de majorité ou de régime, du sens à  donner à  tous ces mots abstraits « justice sociale », « bien-être global », etc…Quand le pouvoir est arbitraire, cela signifie que ce n’est plus une norme impartiale (identique pour tous) qui est la règle, mais la volonté d’un homme ou d’un groupeLexilogos donne : Arbitraire (En parlant du pouvoir) : Substitution aux règles de la justice distributive ou aux normes fixes et impartiales de la loi, de la volonté variable et intéressée d’un homme ou d’un groupe. Synonyme : despotisme].
    Contrairement à  ce que je pensais, ce côté arbitraire du constructivisme n’est pas le pendant du radicalisme libéral ; car les constructivistes sont radicaux aussi. Il y a simplement un radicalisme individualiste, qui place le triptyque « liberté individuelle-responsabilité-propriété » au-dessus de tout, et un radicalisme constructiviste, qui place la « justice sociale », ou l’ »intérêt général » au-dessus de tout.
    Là  où les libéraux voudraient que l’utilisation de la force soit strictement réservé à  l’application de la loi, et donc également à  réprimer toute forme de contrainte et de restriction des libertés, les collectivistes pensent qu’il est justifié de contraindre certains pour donner à  d’autres. Un collectiviste ne supporte pas l’idée que quelqu’un puisse vivre dans son coin, sans avoir à  participer à  un effort collectif, justifié par la « solidarité ». Et il trouvera justifiée l’usage de la force, s’il le faut, pour faire rentrer les récalcitrants dans le jeu collectif. Le libéralisme écrase le collectif au nom de l’individu ; le constructivisme écrase les individus au nom du collectif.
    On n’a guère le choix qu’entre ces deux radicalismes. J’ai fait mon choix. Et vous ?

  • Le PS, les blogueurs, et le vide idéologique de la gauche française

    J’ai été surpris l’autre jour à  la lecture d’un billet sur Partageons mon avis : « La gauche et moi« , dans lequel Nicolas, blogueur influent, explique ses « relations » avec la gauche. Après avoir dit le mal qu’il pense des conflits internes, et des querelles de personne, il exprime la ligne d’accord idéologique entre « gens de gauche » et /ou militants PS :

    Nous sommes tous partisans des libertés à  la condition qu’aucun citoyen ne soit laissé de côté : la vie économique doit donc être encadrée et les moyens mis en commun par la solidarité nationale importants.

    Puis, Nicolas précise qu’il y a « deux autres principaux sujets qui [les] unissent ».

    Le premier est la lutte contre la droite Française qui, non seulement mène une politique complètement contreproductive pour l’économie, presque dévastatrice, mais se fait un malin plaisir à  revenir sur des années, voire des siècles de progrès social. Ils nous expliquent qu’ils font ça au nom de la modernité mais j’ai du mal à  comprendre en quoi c’est moderne de travailler plus ou de « payer » des franchises médicales.
    Dévastatrice ? Oui. Je ne vais pas m’étendre mais quand GDF et Suez seront totalement la propriété de fonds de pension Américain, je ne vois pas comment on pourra rebâtir une industrie nationale…
    Le deuxième est la lutte contre le style de gouvernance qui se fait dans un total mépris de la République et de ses institutions. Nicolas Sarkozy s’est ressaisi en début d’année après un mauvais cap (la réception de Kadhafi, l’annonce de sa relation avec Carla Bruni chez Mickey, …) mais le fond n’y est toujours pas.

    Si je résume, à  part une sorte phrase creuse expliquant qu’il ne faut laisser personne de côté (comment ?), on trouve dans ce texte deux positionnement forts : contre la droite, et contre le style de gouvernance. Où sont les idéaux mis en avant par la gauche ? On s’en tape du style de gouvernance ! Où sont les propositions pour l’émancipation – des femmes, des faibles, des enfants – dans la société française ? Où sont les grands axes de politique ? Où est le positionnement économique ? Où sont les propositions permettant de redistribuer les richesses équitablement, sans pénaliser ceux qui les produisent ?
    On sent bien la proximité idéologique (revendiquée d’ailleurs dans le billet) avec le PS : anti-sarko, et pas l’ombre d’une proposition. Tant que la gauche sera dans une posture d’opposition systématique, elle sera condamnée à  rester ce qu’elle est aujourd’hui : divisée sans pour autant que se dessinent des courants, dramatiquement attirée par ses extrêmes. En se positionnant en « anti », comme le fait Nicolas, la gauche modérée fait le jeu de l’extrême gauche, et penche vers les extrêmes. Au jeu des « anti », il n’y a rien de meilleur qu’un extrême : il n’est d’accord avec rien. Il est contre. J’attends de la gauche qu’elle me dise pour quoi elle est. Et comment elle compte y parvenir.

  • Mourir de rire

    Mourir de rire

    La caricature est un art difficile ; mais quand il est porté à  son paroxysme il n’est pas rare que l’hilarité en récompense les auteurs. Je ne résiste pas au plaisir de vous citer un beau travail journalistique paru dans une revue d’entreprise à  fort tirage, sur le thème du « développement durable » et titré : « Une nouvelle dynamique citoyenne et solidaire« .
    Le chapeau, qui présente cet article d’une demi page, donne tout son sel à  ce monument. Je cite :

    En matière de développement durable, notre entreprise se préoccupe autant d’environnement que de social. Vingt trois coordinateurs « Citoyenneté et Solidarité » viennent d’être nommés pour créer, dans chaque région, une véritable dynamique autour d’un volant sociétal encore peu connu du grand public.

    C’est pas beau ça ? Un tel galimatias, un tel bourrage de crâne, un tel catéchisme pourrait d’ailleurs être plaqué sur n’importe quelle grande entreprise souhaitant intoxiquer ses clients, l’opinion ou les pouvoirs publics. Mais quels gros sabots ! Allez, on vous le dit : ce bel article figure page 11 de TGV Magazine d’avril 2008, déjà  bien connu pour ses titres aux calembours bons (!). Il est offert à  des centaines de milliers de passagers. Mais à  mon avis il faudrait aussi offrir les mouchoirs papiers car j’ai vu bon nombre d’usagers de la SNCF pleurer de rire.
    Zorro

  • Citation #58

    Il est aisé de deviner le rôle que le gouvernement s’attribuera. Son premier soin sera de s’emparer de toutes ces caisses sous prétexte de les centraliser; et, pour colorer cette entreprise, il promettra de les grossir avec des ressources prises sur le contribuable. « Car, dira-t-il, n’est il pas bien naturel et bien juste que l’Etat contribue à  une oeuvre si grande, si généreuse, si philanthropique, si humanitaire? »

    Première injustice : faire entrer de force dans la société, et par le côté des cotisations, des citoyens qui ne doivent pas concourir aux répartitions de secours. Ensuite, sous prétexte d’unité, de solidarité (que sais-je?), il s’avisera de fondre toutes les associations en seule soumise à  un règlement uniforme. Mais, je le demande, que sera devenue la moralité de l’institution, quand la caisse sera alimentée par l’impôt; quand nul, si ce n’est quelques bureaucrates, n’aura intérêt à  défendre le fond commun; quand, chacun, au lieu de se faire un devoir de prévenir les abus se fera un plaisir de les favoriser; quand aura cessé toute surveillance mutuelle et que feindre une maladie ne sera autre chose que jouer un bon tour au Gouvernement? […]

    Bientôt qu’arrivera-t-il ? Les ouvriers ne verront plus dans la caisse commune une propriété qu’il administrent, qu’ils alimentent, et dont les limites bornent leurs droits. Peu à  peu, il s’accoutumeront à  regarder le secours en cas de maladie et de chômage non comme provenant d’un fond limité préparé par leur propre prévoyance, mais comme une dette de la société. Ils n’admettront pas pour elle, l’impossibilité de payer et ne seront jamais contents des réparations. L’état se verra contraint de demander sans cesse des subventions au budget. Là , rencontrant l’opposition des commissions des Finances, il se trouvera engagé dans des difficultés inextricables. Les abus iront toujours croissants, comme c’est l’usage, jusqu’à  ce que vienne le jour d’une explosion. Mais alors on s’apercevra qu’on est réduit à  compter avec une population qui ne sait plus agir par elle même, qui attend tout d’un ministre ou d’un préfet, même la subsistance, et dont les idées sont perverties au point d’avoir perdu jusqu’à  la notion du Droit, de la Propriété, de la Liberté et de la Justice.

    Frédéric Bastiat, 1850, à  propos des caisses privées de l’époque