La vĂ©ritĂ© ne se dĂ©cide pas Ă Â la majoritĂ© des voix. La vĂ©ritĂ© est la vĂ©ritĂ©, elle se reconnaĂźt. Mais cette vĂ©ritĂ©-lĂ Â ne peut pas elle-mĂȘme ĂȘtre reconnue dans le monde hyperpolitisĂ© et hypermĂ©diatisĂ© oĂč nous vivons et oĂč toute valeur disparaĂźt au profit du nombre. C’est le nombre de ses fans qui fait de Loana une star plus que ses qualitĂ©s intrinsĂšques. Et c’est le nombre de participants au sommet antilibĂ©ral de Porto Alegre ou au Forum des puissants de Davos qui permettent de focaliser l’attention des mĂ©dias et des hommes politiques.
[âŠ] Non, le Forum de Davos, les grandes entreprises multinationales, le FMI et la Banque mondiale ne sont pas l’expression ni mĂȘme le symbole du capitalisme!
N’est-il pas paradoxal, en effet, de faire du FMI ou de la Banque mondiale des symboles du capitalisme, alors qu’il s’agit lĂ Â d’organisations interĂ©tatiques ? Les ressources qu’ils distribuent ont nĂ©cessairement Ă©tĂ© produites par les efforts de personnes privĂ©es auprĂšs desquelles elles ont Ă©tĂ© prĂ©levĂ©es. Et elles sont essentiellement redistribuĂ©es Ă Â des Ătats et Ă Â des organisations publiques, c’est-Ă Â -dire Ă Â des personnes irresponsables, puisqu’elles n’engagent pas leurs propres ressources et qu’elles ne subissent pas la sanction de leurs erreurs. Car les habitants des pays pauvres ne sont pas les victimes du capitalisme mondial, ils sont bien au contraire les victimes dâun manque de capitalismeC’est ainsi que le FMI et la Banque mondiale ont gaspillĂ© des ressources considĂ©rables, qu’ils ont incitĂ© une myriade d’autres organisations et Ătats Ă Â faire de mĂȘme et qu’ils ont aidĂ© Ă Â se maintenir en place des rĂ©gimes aussi nuisibles que corrompus. Car les habitants des pays pauvres ne sont pas les victimes du capitalisme mondial, ils sont bien au contraire les victimes d’un manque de capitalisme. Ce n’est pas sur les marchĂ©s mondiaux qu’il faut trouver la source de leurs maux, mais chez eux-mĂȘmes: ce sont les Ătats des pays pauvres qui les maintiennent dans la pauvretĂ© en empĂȘchant les initiatives privĂ©es, en spoliant les plus actifs, les plus courageux, les plus innovateurs, en dĂ©truisant la morale naturelle â si indispensable au dĂ©veloppement â par le dĂ©veloppement de la corruption.
Qu’est-ce que le capitalisme en rĂ©alitĂ©?
On fait Ă©galement fausse route en ramenant le capitalisme Ă Â la seule existence de quelques grandes firmes. Comme l’a si bien soulignĂ© l’auteur pĂ©ruvien Hernando de Soto, dans de nombreux pays sous-dĂ©veloppĂ©s on appelle capitalistes les propriĂ©taires de grosses entreprises qui vivent en symbiose avec l’Ătat, qui vivent de subventions, de privilĂšges, de protections douaniĂšres et qui, en retour, soutiennent les hommes politiques en place. Mais ils ne mĂ©ritent pas le beau nom de « capitalistes », ni mĂȘme celui d’entrepreneurs. Ils ne sont que des nomenklaturistes, des parasites sociaux, qui non seulement vivent aux dĂ©pens des autres, mais encore les empĂȘchent de se dĂ©velopper. Les vrais capitalistes, ce sont tous ces hommes et ces femmes â qu’ils soient pauvres ou aisĂ©s, petits entrepreneurs, agriculteurs ou artisans â qui dĂ©veloppent des trĂ©sors d’imagination pour survivre, imaginer, crĂ©er, en dĂ©pit des obstacles fiscaux, lĂ©gislatifs et rĂ©glementaires que leur opposent les dĂ©tenteurs du pouvoir.
Ă Ć tre capitaliste, c’est se voir reconnaĂźtre la propriĂ©tĂ© du fruit de son travail, de ses efforts, de son imagination. Et toute la dignitĂ© de l’homme lui vient donc de sa capacitĂ© Ă Â ĂȘtre capitaliste. Comment se fait-il alors qu’il soit si difficile de se dire favorable au capitalisme, d’en dĂ©fendre les valeurs? On pourra voir un indice inquiĂ©tant des dĂ©rives intellectuelles de notre temps en considĂ©rant l’extraordinaire contraste qui existe entre, d’une part, le « battage mĂ©diatique » mondial qui entoure la rencontre de Porto Alegre â ainsi que, dans une moindre mesure, la rĂ©union du Forum de Davos â, et, d’autre part, cette formidable initiative qu’a Ă©tĂ©, le 2 dĂ©cembre dernier, la « marche pour le capitalisme » qui s’est dĂ©roulĂ©e dans une presque centaine de villes Ă Â travers le monde. Cette « marche » â dont l’initiative revient non pas Ă Â quelque « gros capitaliste », mais Ă Â un chanteur des rues australien â est passĂ©e presque inaperçue, d’une part bien sĂ»r parce que les organisateurs de ces diffĂ©rentes manifestations Ă©taient loin de bĂ©nĂ©ficier des aides financiĂšres disponibles pour les autres, mais aussi parce que le silence mĂ©diatique a Ă©tĂ© presque total. Mais, rĂ©pĂ©tons-le, ce n’est pas le nombre qui fait la vĂ©ritĂ©.
Pascal Salin