Catégorie : 📚 Livres

  • Le maître du Haut-Chateau

    Le maître du Haut-Chateau

    Le Maître du Haut-Chateau est le premier roman à  succès de Philip K. Dick. Dick est un sacré romancier et deux choses sont certaines : il possèdait une imagination incroyable, et un sens de la narration très efficace, toujours près des personnages et de leur réalité, sans discours ou descriptions superflues.

    Uchronie

    Le maître du Haut-Chateau est une uchronie : un récit d’une histoire alternative imaginée à  partir de la modification d’un évènement historique. Dans le roman de Dick, le point modifié est l’issue de la Seconde Guerre mondiale : les Allemands et les Japonais ont gagné la guerre. Nous découvrons donc des personnages évoluant dans des Etats-unis partagés en deux : sur la côté pacifique, les japonais dirigent, et sur la côte Est, ce sont les nazis. La bande des montagnes Rocheuses est une sorte de zone libre entre les deux.

    Style impressionniste

    Dick aborde cet univers étrange avec des personnages originaux : un antiquaire spécialisé dans les anciens objets manufacturés américains (Childan), un ouvrier (Frank) qui veut se lancer à  son compte, un haut-responsable japonais (Tagomi) et un autre du côté Allemand. Une jeune femme, professeur de judo, qui par des chemins de traverse se retrouve à  aller à  la rencontre du fameux maître du haut-chateau, auteur d’un livre uchronique (« Le poids de la sauterelle ») racontant l’histoire comme si les Etats-Unis et leurs alliés avaient gagné la guerre. Ironie du scénario, mise en abime. Au-delà  du thème du réel, et de sa distorsion, j’ai trouvé l’histoire splendide. On est pris par les personnages, dès le début. La manière de raconter de Dick, par touches impressionnistes, est originale et adaptée à  nous faire sentir cet univers différent, où les relations habituelles ont été subtilement modifiées. Loin de décrire de manière exhaustive ce monde, ses institutions, et la société, l’auteur a choisi de faire des focus psychologiques, sur des moments particuliers des personnages. Avec, en italique, leurs pensées. Magistral.

    Je confesse avoir découvert ce roman non par mes lectures, mais par la série Amazon qui en a été tirée. C’est une très bonne série, une belle interprétation, avec des apports intelligents et cohérents. Les seuls petites critiques que l’on pourrait après coup lui adresser :

    • transformer Frank en faussaire alors qu’il est dans le roman en train de recréer lui-même des bijoux est débile (je ne peux réveler ici pourquoi c’est important, mais cela a une portée symbolique importante sur la lecture du scénario)
    • placer une histoire avec des homosexuels juste pour les quotas et l’allégeance au politiquement correct est très typé US, et assez inutile, voire ridicule

    C’était par contre une bonne idée de remplacer le roman « Le poids de la sauterelle » par des bouts de films, puisque l’histoire de la série est racontée en images.

    Quoi qu’il en soit, je recommande à  la fois la série et le roman. Philip K. Dick est décidemment un grand romancier.

  • Les Caractères

    Les Caractères

    J’ai décidé de lire ce livre parce que plusieurs citations de La Bruyère m’avaient frappées par la qualité de la langue que l’on pouvait y lire. Et en découvrant l’histoire de ce livre, on ne peut qu’avoir envie de s’y plonger : La Bruyère, après avoir traduit l’ouvrage « Caractères » du grec Théophraste, y ajoute pas moins de 420 maximes (il a mis 17 ans à  les écrire), et puis passe le reste de sa vie à  faire des mises à  jour. Pour la dernière édition (la neuvième), qui est publiée de manière posthume, il n’y a pas moins de 1200 éléments (maximes, réflexions, portraits) qui prennent place dans 16 chapitres. C’est le seul ouvrage de La Bruyère. Et c’est un livre incontournable pour découvrir à  la fois l’esprit et le style du XVIIème en France.

    Etudes de moeurs

    Le sous-titre du livre, à  juste titre, est « Les Moeurs de ce siècle ». La Bruyère en effet, discute, dissèque, analyse, critique, loue, admire une seule chose, qui est sa matière : les comportements de ses semblables. Et il les regarde en moraliste. Son programme est explicite :
    Je rends au public ce qu’il m’a prêté ; j’ai emprunté de lui la matière de cet ouvrage : il est juste que, l’ayant achevé avec toute l’attention pour la vérité dont je suis capable, et qu’il mérite de moi, je lui en fasse la restitution. Il peut regarder avec loisir ce portrait que j’ai fait de lui d’après nature, et s’il se connaît quelques-uns des défauts que je touche, s’en corriger. C’est l’unique fin que l’on doit se proposer en écrivant, et le succès aussi que l’on doit moins se promettre ; mais comme les hommes ne se dégoûtent point du vice, il ne faut pas aussi se lasser de leur reprocher : ils seraient peut-être pires, s’ils venaient à  manquer de censeurs ou de critiques ; c’est ce qui fait que l’on prêche et que l’on écrit. L’orateur et l’écrivain ne sauraient vaincre la joie qu’ils ont d’être applaudis ; mais ils devraient rougir d’eux-mêmes s’ils n’avaient cherché par leurs discours ou par leurs écrits que des éloges ; outre que l’approbation la plus sûre et la moins équivoque est le changement de moeurs et la réformation de ceux qui les lisent ou qui les écoutent. On ne doit parler, on ne doit écrire que pour l’instruction ; et s’il arrive que l’on plaise, il ne faut pas néanmoins s’en repentir, si cela sert à  insinuer et à  faire recevoir les vérités qui doivent instruire.

    Brillant et … moderne

    La lecture des Caractères est facile, car le style est brillant. Certaines pensées surprennent par leur modernité, d’autres paraissent plus datées. Toutes méritent lecture, par le témoignage qu’elles représentent d’une époque. J’en suis à  la moitié des Caractères. C’est un livre de chevet parfait : on peut aisément le prendre, lire quelques passages, puis le refermer le temps de lire un autre ouvrage.

    On pourrait dire, s’il fallait faire une légère critique, que La Bruyère peut parfois, c’est probablement un trait de l’époque, se laisser emporter, par amour de la forme et du style, dans des pensées dont l’esthétique formelle indéniable masque à  peine la faiblesse logique.

    Mais il reste, la plupart du temps, d’une grande intelligence des rapports humains, et un très fin observateur des comportements. La Bruyère, sociologue avant l’heure, porte un regard réflexif sur toute chose, autant sur les faits qu’il observe que sur son propre travail, et il est à  ce titre un auteur moderne: le fait même de mêler style et propos, langage et raisonnement, a été analysé par Roland Barthes comme une marque de prise de recul critique par rapport aux idées, aux intrications de la forme et du fond, propre à  la modernité.
    Pour La Bruyère, être écrivain, c’est croire qu’en un certain sens le fond dépend de la forme, et qu’en travaillant et modifiant les structures de la forme, on finit par produire une intelligibilité particulière des choses, une découpe originale du réel, bref un sens nouveau : le langage est à  lui tout seul une idéologie.(Roland Barthes)

  • L’étrange défaite

    L’étrange défaite

    Marc Bloch est un historien français de renommée, ancien combattant de la première guerre mondiale, et combattant volontaire lors de la seconde, résistant, mort sous les balles de la Gestapo, après avoir été capturé et torturé. En 1940 (de juin à  septembre), il écrit un livre remarquable, L’étrange Défaite, qui ne sera publié qu’après sa mort, en 1946. Dans ce livre, il se présente comme un témoin de l’intérieur (puisqu’il combat dans l’armée française, où il exerce des responsabilités comme Responsable des Carburants, et il analyse la défaite. Il en décrit les ressorts opérationnels, et cherche, au-delà  des raisons militaires, à  en comprendre les causes. J’ai lu ce livre parce qu’il était plus que vivement recommandé par Pierre Mari, dans son essai En pays défait. Ce qu’il disait de l’analyse de Bloch résonnait avec ma passion pour la vérité et pour le réel.

    Défaite militaire

    La défaite dont parle Bloch, c’est bien sûr la défaite militaire de la France contre l’Allemagne, au début de la seconde guerre mondiale. En quelques mois, les Allemands défoncent littéralement les défenses de leurs adversaires sur le front de l’Ouest. La défaite est intellectuelle et stratégique :
    Beaucoup d’erreurs diverses, dont les effets s’accumulèrent, ont mené nos armées au désastre. Une grande carence, cependant, les domine toutes. Nos chefs ou ceux qui agissaient en leur nom n’ont pas su penser cette guerre. En d’autres termes, le triomphe des Allemands fut, essentiellement, une victoire intellectuelle et c’est peut-être là  ce qu’il y a eu en lui de plus grave. On peut, je crois, préciser encore davantage. Un trait, entre tous décisif, oppose la civilisation contemporaine à  celles qui l’ont précédée : depuis le début du XXe siècle, la notion de distance a radicalement changé de valeur. La métamorphose s’est produite, à  peu près, dans l’espace d’une génération et, si rapide qu’elle ait été, elle s’est trop bien inscrite, progressivement, dans nos moeurs, pour que l’habitude n’ait pas réussi à  en masquer, quelque peu, le caractère révolutionnaire. (…) Cette guerre accélérée, il lui fallait, naturellement, son matériel. Les Allemands se l’étaient donné. La France non, ou, du moins, pas en suffisance.
    Les français, pour la plupart, n’avaient pas pris la mesure du changement complet d’approche des Allemands. Voilà  la raison de l’étrange défaite.

    En un mot, parce que nos chefs, au milieu de beaucoup de contradictions, ont prétendu, avant tout, renouveler, en 1940, la guerre de 1915-1918. Les Allemands faisaient celle de 1940

    Marc Bloch décrit aussi très bien comment, de manière tactique, la bureaucratie, l’absence de communication entre services, les petits intérêts personnels ont pu rendre presqu’impossible le combat des troupes françaises. Mais il a raison : cette défaite tactique n’est que la conséquence de la défaite intellectuelle et stratégique.

    Défaite des élites

    Marc Bloch cherche ensuite à  comprendre d’où vient cette défaite intellectuelle, qui ne peut évidemment se résumer à  une défaite militaire. Il analyse ce qui, dans la société française, a pu générer un tel décalage entre les Allemands et les Français. Son analyse me semble très juste. Il y décrit à  merveille une société où les débats sont peu à  peu devenus paresseux, avec des intellectuels qui patiemment ont détruit l’idée de progrès, avec des journalistes que le réel n’intéresse que peu. Il critique sévèrement aussi l’Education nationale qui n’a pas appréhendé l’enjeu majeur, au-delà  de l’instruction, d’apprendre aux enfants le goût de l’observation, de l’autonomie dans la pensée critique. En lisant cette partie, comme en lisant l’essai de Pierre Mari, la rage froide revient : car ces constats si intelligemment faits, en 1940, sont toujours d’actualité. Rien ou presque, n’a été fait. Que de temps perdu ! Oui : on peut en vouloir aux élites.

    Que l’on regarde la séquence de la crise du COVID, et les effets de manche actuels du gouvernement. Un peu de recul historique montre que la réaction actuelle de nos élites est à  la fois grotesque – dictée par les (en)jeux de communication – et dramatique – toujours plus d’étatisme, toujours plus d’argent balancé à  droite à  gauche. Aucune analyse des erreurs, ou marge d’amélioration. La com’, la com’, la com’.

    A lire d’urgence

    Au-delà  de l’analyse incroyable, il faut se jeter sur cet essai : il est écrit dans un français admirable (j’en ai gardé plein de citations), et de toute évidence Marc Bloch était un penseur d’une grande finesse, en plus d’être un homme d’un grand courage. On lit par ailleurs dans son texte, de manière explicite, un patriotisme fervent, sincère et direct que l’on aimerait pouvoir retrouver dans nos élites actuelles. Je vois un peu d’espoir à  certains endroits (par exemple, ou encore), mais que cela est fragile, et semble lointain, devant l’ampleur des chantiers à  démarrer.
    Enfin, à  titre personnel, je suis touché par le livre de Marc Bloch parce qu’il y exprime très bien le mal français, qui est avant tout de ne pas vouloir/pouvoir se coltiner la réalité. L’épitaphe souhaité par Bloch dans son testament (qui accompagne mon édition de l’Etrange défaite, avec 5 essais variés, à  lire également) est « Dilexit veritatem » (« Il aimait la vérité. »).
    Vraiment, pour que s’accomplisse, selon le mot de Renan, après une autre défaite, la réforme intellectuelle et morale de ce peuple, la première chose qu’il lui faudra rapprendre sera le vieil axiome de la logique classique :
    A est A, B est B ; A n’est point B.

    Comme l’écrivait très bien Chantal Delsol :
    Je veux dire que l’acquisition de la réalité se fait dans l’enfance ou ne se fait jamais. La fierté d’un éducateur est de façonner des adultes, et non de vieux enfants. Etre adulte consiste à  nommer les choses telles qu’elles sont. C’est pourquoi une époque idéologique fabrique un peuple-enfant.

    Quand les français vont-ils se décider à  sortir de l’idéologie permanente, et à  redevenir un peuple d’adultes ?

  • Les traîtres

    Les traîtres

    Quand je suis arrivé à  Paris, pour faire mes études, je ne m’informais pas beaucoup. J’avais 20 ans, et le monde politique était loin de mes préoccupations. Mais j’achetais tous les vendredis, sans faute, Le Figaro pour lire le petit texte d’Ivan Rioufol.

    Depuis toujours, dans le réel

    Il me parlait, et analysait, contrairement à  beaucoup d’autres journalistes, du réel. Son petit bloc-notes hebdomadaire était ma gazette pour savoir ce qui se passait. J’ai par la suite, avec l’arrivée d’internet et des blogs, mis les mains dans le cambouis en écrivant sur un blog politique et en animant un réseau de blogueurs politiques (LHC, pour Liberté d’expression, Humanisme, et esprit Critique). Nous avions eu le grand plaisir de l’accueillir, un soir, lors de notre réunion mensuelle de blogueurs. Il était venu nous présenter, dans les locaux que Contribuables Associés mettaient gentiment à  notre disposition, son dernier ouvrage.
    Depuis cette époque je continue de suivre ce que fait et écrit Rioufol. « Aujourd’hui, l’urgence est de sortir du mensonge, de la désinformation, de la haine autodestructrice, qui sont devenus les trous noirs de la civilisation occidentale »C’est un intellectuel courageux, et qui a été très souvent en première ligne, malgré les vents contraires. Très tôt lucide sur la menace que faisait peser l’immigration massive et le multiculturalisme érigé en modèle de société, sans jamais se départir de sa tolérance, il est également proche dans sa ligne libérale-conservatrice de ce que je peux penser du monde : Ivan Rioufol fait partie des quelques intellectuels qui savent, quand ils parlent de libéralisme, de quoi ils parlent. Son amitié avec Alain Laurent n’y est peut être pas pour rien. Ivan Rioufol, sur les sujets de société, me semble très proche dans son analyse, des réflexions proposées par Bock-Côté sur le « régime diversitaire » qui est devenu notre politiquement correct.

    Retour sur la colère des Gilets jaunes

    Dans son dernier ouvrage, Les traîtres (aux éditions Pierre Guillaume De Roux), Rioufol nous parle du mouvement des Gilets jaunes, qu’il a vu naître d’un bon oeil, et qu’il a suivi, soutenu, et dont il continue à  se faire volontiers le porte-parole. Le titre, qui désigne les responsables politiques français, ou les élites (prises dans le même sens que dans l’ouvrage remarquable de Pierre Mari, En pays défait) est très dur. Mais il faut bien reconnaitre qu’il est juste. Ce n’est pas le titre qui est dur, de fait, c’est la réalité dans laquelle des années de laxisme politique nous ont plongé. La crise du CoVid19 ne fait, malheureusement, que confirmer ce terrible constat : la France est un pays abimé, et dont la culture, le style de vie, les traditions sont volontairement défaits par les dirigeants. Je ne dirais pas tout avec les mêmes mots que Rioufol, mais je suis d’accord avec ses analyses. J’y retrouve la colère que peut susciter le suivi de l’actualité française (ce que je fais quotidiennement grâce à  Twitter et à  de nombreux sites d’infos). Rioufol ne m’a pas appris tant que cela dans ce livre, parce qu’il fait partie de ceux dont je m’alimente régulièrement : si ce n’est pas votre cas, je vous recommande chaudement la lecture de ce livre qui va droit au but, sans rhétorique, et avec humilité. Je termine ce modeste billet en laissant le mot de la fin à  Ivan Rioufol :
    Les Gilets jaunes l’ont démontré : seule la société civile est encore capable de se rebeller contre les clercs qui, droite et gauche confondues, persistent à  faire de la France un pays amnésique et déculturé, ouvert aux manipulations génétiques et idéologiques. Les âmes fortes sont les bienvenues. La place prise par l’insignifiance et l’émotion dans les grands débats publics laisse voir la paresse qui a envahi les comportements médiatiques, adeptes de la copie conforme et de l’infantilisation des débats. Le monde intellectuel s’est lui-même laissé endormir par le conformisme et le manichéisme de l’utopie mondialiste. Il doit se réveiller. Aujourd’hui, l’urgence est de sortir du mensonge, de la désinformation, de la haine autodestructrice, qui sont devenus les trous noirs de la civilisation occidentale, et de la France tout particulièrement. (…) Le combat à  mener est splendide : il a pour objectif de soutenir l’esprit pionnier des Gilets jaunes et de prendre la relève. Elle passe par le rétablissement de la démocratie confisquée, la redécouverte du patriotisme, le retour à  la liberté de penser, la prise de distance avec l’individualisme. Il s’agit de venir au secours d’une nation maltraitée par une caste corrompue par l’obsession diversitaire et l’argent des puissants. Parce que ces derniers ont trahi la confiance des plus fragiles, ils sont impardonnables.

  • Le Montespan

    Le Montespan

    « Le Montespan », de Jean Teulé, est un roman historique, qui prend le parti de raconter non pas l’histoire archi-connue de la Marquise de Montespan (1640-1707), favorite de Louis XIV (dont elle aura sept enfants), mais de son infortuné mari, le Montespan, c’est-à -dire Louis-Henri de Pardaillan de Gondrin, Marquis de Monstespan. J’ai retrouvé dans ce roman l’esprit de la superbe BD tirée d’un autre roman de Jean Teulé (Je, François Villon) : un mélange de drôlerie, de légèreté, de violence, d’esprit paillard, avec une grande finesse dans la description des personnages, jamais caricaturés dans leurs sentiments. Les chapitres du livre sont très courts, comme de petites saynètes (un reste de l’auteur de BD que fut Jean Teulé ?). On pourrait qualifier le style de Teulé de Rabelaisien.
    Vivre l’histoire du Montespan, romancée par Teulé, c’est découvrir un mari amoureux, qui voit sa femme partir à  la Cour et tomber dans les griffes, de manière consentante, du Roi Soleil. Mais il ne se laisse pas faire. Déjà  moyennement en grâce, il se retrouve carrément en disgrâce, à  force de provoquer celui qu’il ne faut pas provoquer, entouré de sa cour de flagorneurs.
    La page Wikipedia cite ce passage de « Louis XIV pour les Nuls », qui dit bien la situation :
    Au temps du Roi-Soleil, avoir sa femme dans le lit du monarque était pour les nobles une source de privilèges inépuisable. Le jour où Louis XIV jeta son dévolu sur Mme de Montespan, chacun, à  Versailles, félicita le mari de sa bonne fortune. C’était mal connaître Louis-Henri de Pardaillan, marquis de Montespan… Gascon fiévreux et passionnément amoureux de son épouse, Louis-Henri prit très mal la chose. Dès qu’il eut connaissance de son infortune, il orna son carrosse de cornes gigantesques et entreprit de mener une guerre impitoyable contre l’homme qui profanait une union si parfaite. Refusant les honneurs et les prébendes, indifférent aux menaces répétées, aux procès en tous genres, emprisonnements, ruine ou tentatives d’assassinat, il poursuivit de sa haine l’homme le plus puissant de la planète pour tenter de récupérer sa femme…

    Je n’en dis pas plus. Très bon roman, facile à  lire.
    Et j’ai eu le plaisir de découvrir, en écrivant ce modeste billet, le parcours de Jean Teulé. Parcours original, d’une personne qui semble très sympathique, mystérieux, touche-à -tout, fuyant les honneurs, mais ne se cachant pas non plus. BD, roman, cinéma, passionné d’histoire. Et drôle. Voilà  qui donne envie de découvrir d’autres de ses oeuvres, ce que je ne manquerai pas de faire.

  • Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?

    Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?

    J’avoue qu’ayant lu la biographie de Paul Veyne sur Wikipedia, j’avais envie d’aimer son livre. Son parcours d’un milieu modeste jusqu’au Collège de France comme spécialiste de l’antiquité suscite l’admiration et le respect : il a été le premier de sa famille à  obtenir son Bac.
    Je me suis donc accroché, dans ce livre très érudit, tout en nuances, stimulant, mais dont le fil n’apparait pas clairement, au-delà  des questions soulevées sur les « modes de croyances » et « programmes de vérité ». Les auteurs grecs croyaient-ils à  leurs mythes ? Tantôt historiens, tantôt philologues, tantôt critiques, leur rapport à  leurs propres croyances, et à  celles de leurs ancêtres étaient pour le moins complexes. Comme les nôtres.
    Et c’est à  la toute fin que j’ai compris : ce livre est écrit à  l’envers. Ou plutôt : c’est un livre très français dans sa construction. Les anglo-saxons, généralement, récapitulent en début d’ouvrage les thèses principales, quitte à  les caricaturer un peu, pour ensuite rentrer dans le détail et l’argumentation. Ici, c’est l’inverse : on suit un raisonnement sans avoir eu l’exposé de la thèse, pour découvrir, dans le dévoilement final, quel était le propos. J’avoue préférer la méthode anglo-saxonne qui annonce la couleur.
    Le dernier paragraphe (!) du livre donne donc le propos du livre :

    Le propos de ce livre était donc très simple. A la seule lecture du titre, quiconque a la moindre culture historique aura répondu d’avance : « Mais bien sûr qu’ils y croyaient, à  leurs mythes! » Nous avons simplement voulu faire en sorte que ce qui était évident de « ils » le soit aussi pour nous et dégager les implications de cette vérité première.

    Beau programme : pourquoi ne pas l’avoir annoncé au début ? On comprend pourquoi à  la fin : dans le dernier chapitre, Paul Veyne nous explique que la vérité n’existe pas. C’est sûr que s’il nous explique cela au début, nous risquons de reposer le livre instantanément. Pourquoi écouter ou lire les propos d’un homme qui termine son livre par l’énoncé de cette vérité première paradoxale « la vérité n’existe pas » ?
    Plus précisément, sa vision de la vérité et de la connaissance me parait très naïve. « S’il n’y a pas de vérité absolue, certaine, alors la vérité n’existe pas ». Eh bien non. Par ailleurs, Paul Veyne, visiblement, ne comprend pas bien la notion de vérité-correspondance (fondant les sciences), si essentielle pour penser la vérité.
    Il confond, pour faire une analogie, la boussole et son usage. La vérité est la boussole, qui sert à  jauger les connaissances dans leur adéquation au réel. Le doute est un autre outil. Finalement, la conception de la vérité de Paul Veyne est digne d’un enfant … ou d’un marxiste. Et c’est très clairement le cadre de pensée de Paul Veyne dans les dernières pages. Paul Veyne baigne en plein polylogisme : la vérité n’est que le reflet, l’apparence, l’outil, pour pouvoir imposer des idéologies ou un pouvoir (voir mon article sur l’historicisme et le polylogisme). Donc plus aucune vérité n’est possible.
    Il reste de ce livre des exemples intéressants, passionnants parfois, une démarche de doute systématique très riche. Mais l’outil du doute, sans l’outil de la vérité, cela finit en nihilisme. Je n’aimerais pas être dans la tête de Paul Veyne : rationnel, esprit très fin, amoureux de la connaissance, érudit, mais perdu dans un monde mental où la vérité n’est rien.