J’avoue Ă ma grande honte que je n’avais jamais rien lu de Sylvain Tesson. AprĂšs son passage chez Bock-cĂŽtĂ©, oĂč j’ai retrouvĂ© avec plaisir ses talents de conteur, Ă©rudit sans jamais Ă©taler sa culture, poĂšte romantique sans jamais tomber dans la grandiloquence, je me suis dit qu’il fallait quand mĂȘme que je dĂ©couvre sa plume.
« Avec les fĂ©es » raconte son pĂ©riple avec deux amis (Arnaud Humann et BenoĂźt LettĂ©ron) sur la cĂŽte atlantique, depuis la Galice espagnole jusqu’aux Shetlands d’Ecosse. Etrange voyage amphibien, alternant journĂ©e de marches et bivouacs sommaires sur terre, et navigation en saut de puce le long de la cĂŽte. Le but avouĂ© du voyage : dĂ©couvrir ces terres celtiques oĂč se mĂȘlent paganisme, christianisme et romantisme arthurien. A la recherche des fĂ©es.
L’Ă©tĂ© commençait quand je partis chercher les fĂ©es sur la cĂŽtĂ© atlantique. Je ne crois pas Ă leur existence. aucune fille-libellule ne volette en tutu au-dessus des fontaines. Le monde s’est vidĂ© de ses prĂ©sences. (…) Le mot fĂ©e signifie autre chose. C’est une qualitĂ© du rĂ©el rĂ©vĂ©lĂ©e par une disposition du regard. Il y a une façon d’attraper le monde et d’y dĂ©celer le miracle. Le reflet revenu du soleil sur la mer, le froissement du vent dans les feuilles d’un hĂȘtre, le sang sur la neige et la rosĂ©e perlant sur une fourrure de bĂȘte : lĂ sont les fĂ©es. On regarde le monde avec dĂ©fĂ©rence. Elles apparaissent. Soudain, un signal. La beautĂ© d’une forme Ă©clate. Je donne le nom de fĂ©e Ă ce jaillissement.
J’ai dĂ©vorĂ© livre. Il est passionnant, bourrĂ© de pensĂ©e et de rĂ©fĂ©rence intĂ©ressante, drĂŽle souvent. DrĂŽle d’aede, de barde, que ce troubadour de Sylvain Tesson. Sa rĂ©flexion, au long du voyage, sur la quĂȘte du Graal, mouvement par essence, et qui trouve son accomplissement dans la prĂ©sence du monde, dans la prĂ©sence au monde, est passionnante.
Ma quĂȘte du Graal ne consistait plus Ă le chercher mais Ă dĂ©cider qu’il Ă©tait atteint. Le Graal Ă©tait la fin de la quĂȘte. Dans PoĂ©sie et vĂ©ritĂ©, Goethe donne deux confirmations : « L’Ă©ternel poursuit sa course Ă travers toute chose. Avec ravissement attache-toi Ă l’Etre. » Puis je dĂ©couvris pendant la quart du matin quelques vers du Second Faust, alors que nous sortions de la nuit en traversant un champ d’Ă©oliennes maritimes qui tournaient devant la cĂŽte d’Inverness pour signaler aux hommes que le ProgrĂšs brasserait toujours du vent.
NĂ© pour voir
Le monde me plaĂźt
Vous, mes yeux bienheureux
Quoi que vous avez vu
Que cela soit comme cela veut
C’Ă©tait pourtant bien beau
Le Graal apparaissait donc, pour peu que l’on dĂ©cidĂąt la quĂȘte achevĂ©e. Alors, tout se rĂ©vĂ©lait. Et le monde suffisait. Mais pour peu qu’on dĂ©crĂ©tĂąt qu’il y avait un Dieu, on Ă©mettait l’idĂ©e que Dieu Ă©tait plus prĂ©cieux que le monde, extĂ©rieur Ă lui, et qu’on pouvait donc blesser le monde sans s’en prendre directement Ă Dieu. Alors, zigouiller les bĂȘtes, Ă©gorger les moutons, saloper les marais et cracher sur les combes blessaient la crĂ©ature, mais pas le crĂ©ateur. A moi, le monde suffisait. Comme il Ă©tait compliquĂ© d’arriver Ă cette idĂ©e enfantine. Les Ă©oliennes battaient l’aube. Le voilier passa entre les colonnes blanches. Que cela soit comme cela veut. J’avis voguĂ© trois mois pour trouver ce vers. Pour moi, le Graal avait Ă©tĂ© le mouvement, il prenait Ă prĂ©sent le nom de prĂ©sence.
Ce dernier passage montre bien le style de Tesson : entremĂȘlant en permanence interaction avec le paysage, la nature, et ses idĂ©es enrichies des dizaines de bouquins emportĂ©s pour documenter le voyage, c’est un style direct et imagĂ©, vivant et incarnĂ©, que j’aime beaucoup. Je vais aller dĂ©couvrir d’autres livres de Tesson. Et vous ? En avez-vous lu ? Lesquels me conseillez-vous ?
Mise Ă jour : l’entretien avec Etienne Klein est trĂšs intĂ©ressant aussi et Ă©claire d’autres aspects de la rĂ©flexion de Tesson.





