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  • Interview d’Alain Boyer : troisième partie

    Suite de la publication de l’interview d’Alain Boyer, professeur de philosophie politique à  la Sorbonne. Après avoir retracé son parcours politique, il livre dans cette partie son analyse de la situation du PS, du positionnement politique de Sarkozy, et son avis sur les réformes nécessaires…Tout un programme ! Si vous prenez cette série d’articles en cours de route, je vous conseille de commencer par le début, ça facilitera votre lecture.

    Revenons un peu sur le PS, et les réformes en cours. J’ai l’impression que la ligne de scission qui est en train de se dessiner en ce moment, c’est justement entre ceux qui ont intégré ça (l’économie de marché libérale) comme Bokel ou Besson, et des gens …

    Mais même à  l’intérieur du PS ! Je pense à  ceux qui étaient avec DSK (on pourra parler de politique politicienne tout à  l’heure, Sarkozy a eu un petit coup de génie en le poussant à  se présenter comme directeur du FMI! la politique est un métier…). Pour le PS, il est face à  un choix ; on ne peut pas aller, dans un même parti, de Mélenchon (je respecte ses idées, mais c’est quelqu’un qui préfère serrer la main à  Alain Krivine ou à  Marie-George Buffet qu’à  ses camarades de l’aile « droite » du PS) à  des gens qui étaient proches de DSK, ou de Bokel, je ne vois pas comment ça peut faire une union, malgré l’habileté tactique de François Hollande.

    Mais l’habileté tactique, ça n’est pas suffisant pour faire un parti. Il faut un corps de doctrine, un socle commun. Qu’on a vu s’effondrer pendant la présidentielle. Beaucoup de gens ont vu une sorte de renversement, c’est à  dire , une gauche qui d’habitude donnait le « la » en ce qui concerne l’idéologie, et qui a montré ses incohérences. Là  on a eu l’impression que le corps de doctrine qui était solide (que l’on peut critiquer, mais c’est autre chose), qui était unifié, cohérent, c’était du côté de Sarkozy. Et la campagne de Royal, personne d’ailleurs courageuse et estimable, a montré des fragilités doctrinales : c’est pas moi qui le dit, c’est presque tous les socialistes.

    Il faut absolument qu’on ait une gauche qui soit socialiste libérale. Et une droite qui soit libérale sociale. Le libéralisme social me semble à  l’heure actuelle à  peu près constitué. Quand je pense que la gauche appelle la droite française « ultra-libérale », c’est extraordinaire. Il ne savent pas ce que c’est, visiblement. L’ultra-libéralisme, ce sont ceux qui appellent à  la quasi suppression de l’Etat ! Pas du tout Sarkozy ! Pour les libertariens radicaux, tout devient privé, la police, les assurances… On fait une copropriété, et on paye des gardes. Si je me fais tuer, parce que je n’ai pas payé ma police privée, tant pis pour moi ! Je suis hostile à  cette idéologie, qui nie l’idée de « bien public », mais appeler « ultra-libérale » la politique du gouvernement actuel, c’est…

    Afficher son inculture ?

    D’abord. Et parfois sa mauvaise foi. Ces gens savent bien que ce n’est pas de l’ultra libéralisme. Pour les libéraux économiques, la politique de Sarkozy n’est pas assez libérale !

    Certains présentent Sarkozy comme un libéral (voire ultra-libéral comme tu viens de le dire), il me semble que la manière qu’il a d’être présent sur tous les fronts, au contraire, montrent qu’il donne beaucoup de place à  l’Etat, qu’il est interventionniste. Y compris sur les aspects économiques. Comment tu vois son positionnement politique ?

    Oui, et son interventionnisme économique très français ne plait guère à  Bruxelles et à  Berlin ou à  Londres…D’abord, c’est une bête politique. Comme l’était Mitterrand. C’est être toujours au premier plan, et je ne sais pas s’il pourra toujours continuer à  ce rythme …. C’est quelqu’un qui a la politique dans le sang, la passion politique, ce qui a toujours existé depuis les Grecs. Et personnellement, je ne suis pas de ceux (des « populistes » ) qui disent « tous pourris ». à‡a me semble être une idéologie extrêmement dangereuse pour la démocratie. Il y a des pourris, mais pas plus qu’ailleurs. Il y a des pyromanes chez les pompiers, des pédophiles chez les instits, mais c’est ultra-minoritaire.

    Le métier politique me parait être extrêmement difficile, épuisant. On prend des coups. Il faut être un « battant  » aussi, il ne faut pas hésiter à  attaquer, mais en même temps à  se « salir les mains ». On ne peut rester « pur », mais il faut garder ses valeurs. Il faut le compromis, mais pas la compromission. Je vois d’abord Sarko comme un politique pur sucre. Et comme un pragmatique. Il se fixe des objectifs, à  mon sens raisonnables, et ensuite (presque) tous les moyens sont bons. Tous les moyens, dans le respect de loi. J’espère ! Je ne suis pas dogmatique : si jamais Sarkozy, que je n’idéalise pas, mais que je ne fais que préférer aux autres, pour le moment, remettait en cause la démocratie, la liberté de la presse ou des choses comme ça, je descendrais dans la rue. Mais, ça ne paraît pas le cas à  l’heure actuelle. C’est un pragmatique. Dans le cadre du respect des institutions, du droit, tous les moyens sont bons. Au sens idéologique, il est libéral à  cause de la situation française, et je me définirais comme cela également, mais pas dogmatique d’un libéralisme absolu valable par tous les temps. La situation française actuelle (dette publique, dette de la Sécu, excès des taxes sur les PME qui désincite à  embaucher et crée du chômage, problème des retraites, la fuite des riches, des choses comme ça), impose des réformes libérales. Pragmatiquement, en procédant à  une « analyse de la situation », comme disait Popper, et Lénine disait lui-même qu’il fallait faire « l’analyse complexe d’une situation complexe »… l’Etat en France est — non pas à  supprimer — mais à  faire maigrir, sinon on va dans le mur, et nos enfants payeront…. Ce qu’on appelle une « injustice générationnelle ».

    L’Etat a pris une place trop importante qui grève l’activité du pays, en somme ?

    Tout à  fait. Le taux excessif des prélèvements obligatoires et la trop faible activité en termes d’heures de travail créent du chômage, lequel accroit les déficits, et mine notre compétitivité à  l’export, etc.. Cercle vicieux… (si vous injectez artificiellement du « pouvoir d’achat », cela crée de l’inflation (et donc une baisse du pouvoir d’achat), et ce sont les importations qui augmentent le plus, et donc la dette !, c’est ça que ne comprend pas une grande partie de la gauche. Ces personnes, que je respecte encore une fois, pensent qu’on n’a pas assez d’Etat ! Et qu’il faut encore augmenter les taxes !! Ce qui fait fuir les entrepreneurs et leurs capitaux et apauvrit les classes moyennes…

    L’impression que j’ai, et c’est quelque chose que je retrouve souvent dans les discussions, c’est l’idée que le chômage n’aurait des causes qu’économiques, et qu’il n’y a que l’Etat qui peut régler ça. Les gens ne sont pas conscients que les politiques menées peuvent créer du chômage.

    Absolument. Et qu’on ne décrète pas la croissance, et donc l’emploi. On peut en revanche faire sauter des blocages qui nuisent à  la croissance. Il faut simplifier (pas abolir !!) le droit du travail. En plus, certains à  gauche partagent encore cette vieille version du marxisme vulgaire, que Popper appelle la théorie « conspirationniste » de la société. C’est à  dire que le chômage serait voulu et organisé par la bourgeoisie pour faire pression sur les salaires à  la baisse. Théorie absurde. (Ce sont plutôt les 35 heures qui ont contribué à  la stagnation des salaires ! )

    Et théorie qui touche presque au délire.

    Oui. On imagine les patrons avec des gros cigares qui se réunissent dans un château, et puis qui disent « bon on va augmenter le chômage, comme ça les ouvriers seront plus disciplinés ». De l’économie « pour les nuls »…

    Retrouvez les autres parties de l’interview dans le sommaire !

  • L’approximation au service de l’anti-capitalisme

    Précision sur le sens de deux mots bien distincts (régulation, et réglementation) que l’on trouve souvent utilisés comme synonymes, alors même que leurs sens sont très différents. Et comme toujours, cette assimilation grossière sert une cause évidente : critiquer le fonctionnement des marchés concurrentiels, et faire l’apologie de l’Etat – présenté comme seul régulateur possible -.

    Contexte : la reversibilité dans le domaine du marche de l’électricite

    Dans un débat à  la radio, à  propos de la mise en place de la réversibilité dans le domaine de l’énergie, j’ai été – encore – surpris par une approximation sémantique. Pour information, la réversibilité est le fait de pouvoir choisir librement, pour le consommateur, parmi les différents fournisseurs d’électricité, c’est à  dire choisir entre les prix réglementés d’EDF, ou les prix du marché des concurrents.

    Dans ce débat, les opposants / intervenants utilisaient indifféremment les mots « déréglementation » et « dérégulation ». Ceci me semble être une confusion à  noter, et qui doit être combattue. Vous me direz, et vous aurez raison, que j’attache beaucoup d’importance aux mots. C’est simplement que je ne connais pas d’autres moyens d’exprimer ma pensée, et que toute approximation sémantique est le symptôme d’un glissement de sens. Et donc d’une pensée floue, dans le meilleur des cas, ou manipulatrice, dans le pire des cas.

    Definitions

    Voilà  les donc les définitions de ces deux mots : régulation, et réglementation. Il est à  noter que l’emploi en français de « dérégulation » est un anglicisme, car « déréglementation » se dit en anglais « deregulation« .

    1. Régulation : Mécanisme de contrôle faisant intervenir des rétroactions correctrices à  l’intérieur d’un système (physique, biologique, social), et assurant l’équilibre de ce système chaque fois que sa stabilité est momentanément perturbée par des causes internes ou externes.
    2. Réglementation :Fait de réglementer, d’assujettir quelque chose ou quelqu’un à  un règlement; résultat de cette action.

    Il apparait donc que la déréglementation – ce dont il s’agit ici – consiste à  supprimer les différentes contraintes qui encadrent le marché, en l’occurrence celui de l’électricité. Et la dérégulation consisterait à  faire perdre l’équilibre à  un système par la suppression des mécanismes de contrôle.

    L’idée qui apparait naturellement, en assimilant les deux termes, est que la suppression de la réglementation sur un marché est équivalente à  le déstabiliser, et à  lui faire perdre ses mécanismes de contrôle et d’autorégulation. C’est une idée purement anti-capitaliste et anti-libérale. Cela sous-entend que la régulation d’un marché ne s’obtient que par la réglementation. C’est méconnaitre l’extraordinaire force d’autorégulation des marchés, par le jeu de la concurrence et de la liberté d’action. Un peu de rigueur sémantique, à  ce niveau, permettrait d’éviter ces idées implicites qui faussent le débat.

  • Pas de liberté sans propriété

    Pas de liberté sans propriété

    La liberté est peut-être le concept le plus important en philosophie politique. Pascal Salin, dans son livre « Libéralisme », commence par expliquer les liens entre liberté et propriété, et pourquoi l’un ne peut pas se penser sans l’autre. La propriété, ici, doit être comprise au sens large : chaque être humain est propriétaire de soi, des fruits de son activité, de ses créations. La propriété est toujours associée à  un acte de création.
    (suite…)

  • Citation #54

    L’homme devient un être social non pas en sacrifiant ses propres intérêts à  un Moloch mythique appelé Société, mais en cherchant à  améliorer son propre bien-être.

    Ludwig Von Mises

  • Interview d'Alain Boyer : deuxième partie

    Nous avons vu la dernière fois le parcours politique d’Alain Boyer dans les cercles d’extrême gauche, et notamment son évolution des groupes luxembourgistes vers le PS, dans la mouvance de Michel Rocard. L’interview continue avec des réflexions sur l’économie, le libéralisme, la place du Droit dans la société. Et les problèmes de la gauche avec l’économie de marché et le libéralisme.

    BLOmiG : Pour situer, en 1975, tu étais déjà  professeur à  la Sorbonne ?

    Alain Boyer : Non, non. J’avais 20 ans. Je rentrais à  Normale Sup’, en 74. En 1975, à  21 ans, j’ai réfléchi et décidé d’abandonner le mythe révolutionnaire. Et là  j’ai milité pendant une dizaine d’années dans les milieux rocardiens. L’idée, là , c’est qu’on abandonne complètement la révolution, on accepte la démocratie représentative, la seule viable, et le marché.

    Au passage, j’étais allé avec mes parents en Slovaquie, en 68, en juillet-août. Mon père, évadé d’Autriche en 44 y avait combattu les nazis armes à  la main … Et donc là , j’avais vu le « socialisme réel ». Et j’avais abandonné l’idée précédemment évoquée, selon laquelle, « eux ils avaient l’égalité », mais pas la liberté. Ils n’avaient en fait ni l’égalité, ni la liberté. J’ai découvert le socialisme réel avec effroi. La bureaucratie dominait tout, c’était kafkaïen, et l’économie était totalementt inefficace. C’était pourtant pendant le « Printemps de Prague ». Il y avait l’espoir d’un « socialisme à  visage humain ». Un vieux Professeur russe avec qui mon père, tout jeune, avait combattu, nous avait dit « les Tchèques avec leur printemps de Prague, ils sont naïfs, parce que les Russes vont nous envahir, et j’en mourrai ». Et les Soviétiques ont envahi la Tchécoslovaquie 15 jours après notre départ (le 21 Août 68) et le vieux Professeur à  l’alllure tolstoyenne est mort (le 4 Septembre). Je n’ai jamais pu comprendre que des gens intelligents aient pu demeurer communistes…J’en suis encore ému. Donc j’étais devenu de plus en plus anti-communiste. Et je le demeure. Le mur de Berlin ! on n’avait jamais vu ça dans l’histoire : construire un mur non pas pour empêcher les ennemis de rentrer, mais pour empêcher les citoyens de sortir !!! Je n’ai jamais pu comprendre que des gens intelligents aient pu demeurer communistes… Et maintenant , ils nous font le coup de la « trahison des idéaux » : le communisme réel (qui règne encore à  Cuba ou en Corée du Nord), c’était une caricature, nous , nous allons construire un vrai communisme ! …A d’autres… En 1989, à  Prague, il y avait un très beau slogan, d’un humour corrosif : « le communisme pour les communistes ! » …

    Au PS, avant 1981, le milieu rocardien était intéressant, et bouillonnant d’idées. L’idée, c’était de prendre le pouvoir par les élections, pas par la violence, mais en essayant d’amener un système qui soit de marché, mais auto-géré ; les dirigeants seraient élus par les salariés. Ce qui me plaisait, puisque j’avais beaucoup aimé l’idée de conseils ouvriers, d’auto organisation. Si c’était possible, je serais encore pour ! Mais l’expérience a tendance à  montrer qu’il n’y a pas eu beaucoup de succès des expériences d’autogestion, et qu’il n’est pas évident que les salariés d’une entreprise élisent des dirigeants qui soient les meilleurs. Parce que si un candidat dit « je vais être obligé de licencier 10% du personnel », je ne pense pas que les salariés voteront pour lui. C’est là  que je deviens libéral : il n’est pas du tout sûr que l’autogestion soit la solution. Je suis en revanche favorable à  une « participation » des salariés… Des actions pour tous…

    Cette question-là  rejoint énormément l’aspect politique : quelqu’un qui se présente en tenant un discours de rigueur, qui dit la vérité « on va se serrer la ceinture », se grève à  la base d’une partie des voix…

    Tout à  fait. Mais mentir aux électeurs se paie toujours. Il faut bien sûr donner des espoirs, mais en étant aussi peu démagogique que possible. Et puis, il y a d’autres éléments dans une entreprise. La transparence ne peut pas être totale. Si tout est voté dans une sorte de grand forum ouvert, le concurrent va connaître la stratégie et la politique de l’entreprise. Ce n’est pas possible.

    En revanche, ce que j’ai retenu, maintenant que je suis devenu un libéral-social, disons, et qui est d’ailleurs une idée soutenue par un de mes philosophes préférés, John Rawls (Théorie de la Justice, 1971), c’est l’idée qu’il serait bon d’étendre l’appropriation des moyens de production, comme aurait dit Marx, au plus grand nombre. Par quelque chose que j’aurais trouvé ridicule en mai 68, compte de tenu de mon extrémisme de jeune, mais que De Gaulle proposait, et qui était la participation et l’intéressement aux résultats. L’actionnariat ouvrier. A ce moment là , ce n’est plus utopie, c’est quelque chose de faisable. L’employé, l’ouvrier, le cadre se sentent attachés aux succès de leur entreprise, et non plus utilisés seulement comme moyens. Alors évidemment les marxistes vont dire « c’est un piège ». Mais comme je ne suis plus marxiste, je considère que c’est une solution qui cumule pas mal d’avantages, en particulier la responsabilisation des employés, de toute la hiérarchie, avec cette idée aussi que je trouve parfois scandaleuse que seule la direction possède les actions en très grand nombre, alors que l’ouvrier de base n’a rien.

    Je suis donc favorable à  cette idée de répartition de la propriété. Mais avec deux remarques, comme l’avaient argué les économistes autrichiens contre Marx, dès le début du XX siècle, même le socialisme, s’il veut éviter la planification centrale — qui est un échec absolu, ce qu’on peut démontrer théoriquement et empiriquement, on ne peut pas fixer les prix, c’est trop compliqué, ça ne marche pas, et ça abouti à  des catastrophes économiques, et donc humaines, comme tous les systèmes « socialistes » dans le monde — donc si on veut un socialisme avec appropriation des moyens de production, il faut quand même garder l’idée de monnaie (dont Marx voulait se passer) comme moyen d’échange, et d’investissement, de capital. La planification centrale — fixer les prix – abouti à  des catastrophes économiques, et donc humaines, comme tous les systèmes ”socialistes » dans le monde.Il faut garder la notion de capital, qui est consubstantielle à  toute économie, dès lors qu’il faut épargner et investir pour l’avenir. Donc si les travailleurs veulent être co-propriétaires de leurs entreprises, il faudra quand même garder un marché d’actions, une bourse, un système financier. Les seuls revenus des salariés ne pourraient pas suffire. Et deuxièmement la concurrence, qui est un moyen « incitatif » de faire baisser les prix et d’améliorer la qualité, et qui est donc favorable aux consommateurs que sont par ailleurs les travailleurs.

    Ce développement de l’extrême gauche au centre-droit me paraît, maintenant que je suis plus âgé, pour ne pas employer un terme plus péjoratif, assez compréhensible. Je ne pense pas avoir totalement renié mes idéaux. Simplement, ils se sont affrontés au réel, à  la critique, et je m’en suis aperçu dès le voyage en Slovaquie par exemple, mais aussi avec le développement terroriste de certains groupes maoïstes. La révolution, en dehors des tyrannies, est une impasse. Mais je pense qu’on peut toujours garder une sensibilité de gauche, au sens des valeurs de la justice sociale. Quand j’étais à  l’extrême-gauche, je n’ai jamais été anarchiste, j’ai toujours pensé que l’on ne pourrait pas se passer de l’Etat, sauf, croyais je naïvement, à  très long terme !, maintenant que je suis centre-droit, pour des raisons que je pourrais expliquer et qui sont liées à  la situation actuelle de la France (je préfèrerais être de centre gauche !), mais actuellement je dis centre-droit, parce que je pense qu’il faut des réformes libérales. On y reviendra. Mais j’aurais peut être pu aller à  un moment jusqu’à  l’anarchisme « de droite », qu’on appelle le « libertarianisme« , défendu par des gens comme le philosophe américain Robert Nozick (même s’il ne va pas jusqu’à  l’anarchisme total, et défend un « Etat ultra-minimal »), ce sont des gens qui disent (et ce sont de bons philosophes, et de bons économistes, ils ont des disciples en France, et des maîtres comme Hayek), ils vont jusqu’au bout de la logique du marché, et ils disent « l’Etat c’est l’ennemi, c’est la bureaucratie ». Ils restent anarchistes, comme Proudhon, en ce sens que l’Etat est un monstre liberticide.

    à‡a me fait penser à  une phrase de Reagan qui disait « L’Etat n’est pas la solution, c’est le problème ».

    Oui ! Justement, Reagan, comme Mme Thatcher, était influencé par Hayek. Mais les plus extrémistes d’entre les « libertariens » disent « il faut supprimer l’Etat », et que tout soit auto-organisé par le marché. Ce qui me paraît être aussi une dangereuse utopie. Et puis, du point de vue moral, c’est laisser les plus mal lotis à  leur sort, où la générosité éventuelle des riches, or je crois que l’Etat, comme le disait Karl Popper, « est un mal, mais un mal nécessaire ». Je ne dois pas – même si je suis faible – devoir ma survie, et ma vie correcte, au bon vouloir des forts, mais à  mes droits, garantis par un Etat de Droit. C’est un très bel argument. Je dois avoir les mêmes droits, que si j’étais super intelligent, sportif, top modèle… Il y a les hasards de la naissance, de l’éducation….

    On ne peut pas tout baser sur la charité, il faut de la solidarité, en somme ?

    Absolument ! C’est le sens du principe de justice sociale de Rawls (principe de différence : une inégalité n’est juste que si elle profite e n fin de compte aux plus mal lotis). Ceux qui ont tiré un mauvais numéro à  la loterie de la vie ne doivent pas attendre qu’on leur tende la main. Je refuse absolument cette idée « paternaliste ». Pour cela, il faut mettre en avant une idée plus essentielle que celle de marché (qui est essentielle, mais qu’il ne faut pas adorer), c’est l’idée que ce qui compte avant tout, et je le pense de manière presque dogmatique, c’est le Droit. Et un Etat qui garantisse le respect de ce Droit. Et il faut que ce Droit soit voté par une majorité des représentants élus, sinon on n’est pas en démocratie.

    Je ne l’ai pas évoqué tout à  l’heure, j’ai eu une période également où j’allais aux cours très brillants de Michel Foucault, je me disais … luxembourgiste et foucaldien, pendant les années qui ont suivi 1968, entre 1969 et l’élection de Giscard (74), où le bouillonnement intellectuel était considérable ! Toute la philosophie française était en ébullition, même les sciences. Un des plus grands mathématicien du siècle, Grothendiek, médaille Fields (équivalent du prix Nobel) a tout arrêté pour faire du formage de chèvre dans les Pyrénées…. A 30 ans. Il y a eu des bonnes choses qui en sont sorties: l’écologie, le féminisme. Pas immédiatment de mai 68, mais de la suite. Mais quoi qu’il en soit des aspects positifs de 68, on oubliait le Droit. Le Droit, c’était « l’idéologie bourgeoise » .Et ça, c’était une grande erreur. C’est résumé dans le plus célèbre slogan de 68 : « Il est interdit d’interdire ». Or le Droit, c’est poser des bornes, des limites.

    C’est ce qui garantit la liberté

    Tout à  fait. C’est ce qu’on appelle en philosophie : la compossibilité des libertés (Kant). Le fait de rendre possible un maximum de liberté, pourvu que l’autre ait la même liberté. Mais pour ça, il faut le règne du Droit (« Rule of Law » : Law en anglais ne veut pas d’abord dire loi mais Droit). Mais le Droit peut être mauvais, je ne suis pas « positiviste juridique ».

    C’est pour ça qu’il évolue …

    Oui, il y a eu des droits horribles ! des droits esclavagistes, comme le droit français jusqu’en 1848 ! et les lois antisémites de Vichy ! J’en suis arrivé donc à  l’idée que le Droit est très important, mais qu’il fallait qu’il soit fondé sur des valeurs morales. Le Droit romain, par exemple, sur lequel est basé le droit occidental (à  part le droit anglais, qui est différent), tous les juristes connaissent des centaines de proverbes qui viennent du droit romain, est fondé sur des valeurs de liberté, mais il y avait l’esclavage dedans…. Fuyons tout manichéisme !

    Nous plaçons donc la morale au dessus du droit ?

    Oui. Je ne crois pas du tout à  la thèse de l’autonomie du Doit par rapport à  l’éthique. Si on interdit le viol, c’est parce que cet acte horrible est pour nous absolument immoral. Même si l’on accepte la contradiction dans les temes que signifie le slogan poétique « il est interdit d’interdire » (cet interdit étant lui même… interdit : c’est une phrase « auto-référentielle », comme on dit en logique, et qui de plus se nie elle-même), on peut et on doit le refuser pour des raisons morales : il y a des actes possibles qui sont moralement condamnables, et qui doivent donc être juridiquement interdits, et la transgression de ces interdits punie. Mais il reste à  définir cette morale. Il faut une morale minimale, pour que nous puissions tous nous mettre d’accord sur un certain nombre de valeurs — un socle — qui permette la vie en commun. Voilà  un peu mon évolution.

    Ce qui fait que je suis passé du centre gauche (rocardien) au centre droit, je ne vais pas me cacher derrière les mots, c’est la situation de la gauche française qui n’a pas su évoluer comme les gauches européennes dans le sens que Michel Rocard proposait, c’est à  dire, on accepte le marché, parce que sinon c’est la planification centrale, une absurdité liberticide, mais un marché régulé par le Droit et qui donne des garanties de sécurité aux travailleurs ou aux « inactifs ». La gauche française a toujours un problème avec le marché, le libéralisme économique. Le libéralisme est un gros mot. « Tu es devenu libéral !!! Horreur ! », me disent certains amis. Oui, et je l’assume tout à  fait. Je suis pour la maximisation de la liberté individuelle, dans le cadre de lois justes. Le capitalisme, n’en parlons pas, c’est voué aux gémonies par la gauche. Mais même un système socialiste d’autogestion aurait besoin du marché et de la concurrence. La gauche française n’a jamais su se réconcilier avec l’économie de marché. Qui est la seule qui fonctionne.

    Retrouvez les autres parties de l’interview dans le sommaire !

  • Sarkozy dans le piege des islamistes

    Sarkozy et l'IslamophobieSarkozy tombe dans le piège sémantique tendu depuis longtemps par les islamistes. En mettant au même niveau, dans son discours en Algérie, islamophobie et antisémitisme, il rentre dans le jeu des intégristes qui veulent rendre illégitime la critique du dogme religieux. La LICRA s’en émeut à  juste titre, et rappelle les arguments déjà  mis en avant par Redeker, et bien d’autres.
    (suite…)