En tenant un blog politique, on apprend à découvrir une vérité simple : la discussion requiert des points de vue variés pour vivre et exister, tandis que l’action nécessite de plutôt se retrouver avec des gens qui pensent la même chose. Les deux situations extrêmes à éviter sont bien sûr, pour la discussion, de laisser la porte ouverte à tous les points de vue, ce qui conduit à un pugilat très peu constructif, et pour l’action, de ne se regrouper qu’avec les gens qui pensent exactement la même chose, ce qui conduit au dogmatisme. Le rapport à la vérité diffère, d’ailleurs, dans ces deux situations. Dans la discussion, la vérité se construit à plusieurs, ou au moins nécessite de confronter son point de vue à celui des autres pour le faire naître, pour lui donner forme. Même en cas de désaccord, la discussion permet de construire des raisonnements, de peaufiner des arguments, de faire ses armes rhétoriques. La vérité se partage, s’explicite. Dans l’action, la vérité est acquise – en partie au moins – et devient plus forte avec le nombre. La logique n’est pas de construire, mais de gagner en puissance, d’influencer. Les opposants et les contradicteurs se transforment en ennemis, même figurés. Mais, et c’est important, les partenaires dans l’action deviennent des amis, au sens où l’on fait ensemble. Finalement, je préfère – dans mon rapport à la vérité – celui que permet la discussion et l’échange, et le désaccord. La vérité personnelle, mais partagée, et sans cesse confrontée à l’avis des autres. Et je préfère – dans mon rapport aux autres – celui que permet l’action commune. L’intérêt commun bien compris, la solidarité volontaire. J’ai bien de la chance de pouvoir faire les deux – échanger, agir – avec les mêmes personnes.
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Equilibre instable
L’équilibre est une notion qui m’a toujours intéressé : je suis quelqu’un de calme, et je recherche l’équilibre. J’ai compris, et cela m’a pris du temps, que l’équilibre est quelque chose de dynamique, et non de statique. L’équilibre, pour un être vivant, n’est possible que dans l’action.
Équilibre est synonyme d’activité.
Jean Piaget (1896 – 1980) biologiste, psychologue, logicien et épistémologue suisse
Il faut donc aussi équilibrer notre manière de recherche l’équilibre : ne pas vouloir atteindre un improbable équilibre stable, mais au contraire rechercher l’équilibre instable. Notre vie est une recherche d’équilibre instable. Nous devons nous mettre sans cesse en mouvement, agir, et dans le même temps conserver au mieux les équilibres.
La vie, c’est comme une bicyclette, il faut avancer pour ne pas perdre l’équilibre.
Albert Einstein (1879 – 1955) physicien théoricien allemand, puis helvético-américain
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Paradis perdu
Avez-vous déjà fait un rêve merveilleux ? Vous savez, ce genre de rêve où vous baignez dans une sensation de plénitude totale, où les désirs se mêlent à la joie, et à la jouissance ? Il est surprenant que le cerveau endormi soit capable de produire une telle plénitude, un telle sensation de perfection. Cette sensation d’ailleurs, nous trompe et nous fait croire que le bonheur est un état, alors qu’il est un mouvement et un équilibre. Et ce rêve merveilleux a une fin.
Mais bêtement, même en orage
Les routes vont vers des pays,
bientôt le sien fit un barrage
à l’horizon de ma folie.Georges Brassens
Lorsque le réveil sonne, on ne sait plus où l’on est. Le manque est immédiat. C’est terrible, de quitter le paradis…
On ressent alors un mélange de bonheur – tout notre être résonne encore de cet accord bienfaisant – et de frustration -. Ce mélange, n’est-ce pas aussi ce que l’on ressent lorsque l’on est mélancolique ? Le concept du paradis, je pense, illustre en partie cette sensation de mélancolie. On donnerait cher pour retrouver ce lieu de « luxe, de calme et de volupté ». Mais essayer de rattraper un rêve, c’est comme vouloir retenir le sable qui vous coule entre les doigts.L’Eden est un rêve érotique évanoui. Et que l’on ne retrouvera sûrement jamais.
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Soyons superficiels
J’ai repensé l’autre jour à une idée que j’avais eu, alors que j’étais en licence. Il y a quinze ans. Je m’en rappelle parce que je l’avais exposée à un copain, au comptoir du café en face de la fac Jussieu, et qu’il avait trouvé cette idée séduisante. J’en avais été gratifié ; et du coup, je m’en rappelle encore. Rien de tel qu’une petite gratification pour activer la mémoire, n’est-ce pas ?
Cette idée m’était venue en lisant « L’éloge de la fuite », d’Henri Laborit. Ce livre radical force à douter de pas mal de choses, et j’y avais été très réceptif. Il donne une vision désespérée de l’être humain, aspirant au bonheur, mais incapable d’y arriver, enfermé et broyé par les déterminismes biologiques. L’amertume que l’on sent derrière le propos finit par être gênante, et par brouiller le message, initialement scientifique et puissant. Mais cela reste un livre très stimulant.
Cette idée, donc, est simple : puisque chacun d’entre nous n’est en définitive qu’un être vivant, mortel, soumis à des déterminismes indépassables, il est illusoire de chercher autre chose que cela au fond des humains ; nous sommes, au plus profond de nous-mêmes, tous identiques. Des pauvres animaux apeurés et seuls, cherchant désespérément à survivre, survivre, survivre. Sauver sa peau. Tout en sachant qu’on ne le peut pas. Et ce qui importe donc, c’est la surface. Soyons donc superficiels : je préfère découvrir ce que les autres veulent me montrer, plutôt que ce qu’ils sont au fond : je le sais déjà . C’est la manière qui compte ; c’est ce qu’ils décident, ou peuvent, partager.
Derrière le paradoxe brillant et un peu futile, je trouve qu’il y a toujours quelque chose de juste dans cette pensée. L’idée que la surface, la zone d’échange, d’interaction, nous constitue de manière forte. Et nous avons une influence sur cette surface, sur la forme qu’elle prend.
Au contraire des billes froides et lisses que j’ai choisies pour illustrer ce billet, les surfaces des humains sont chaotiques, s’interpénètrent, se soudent parfois. On se construit avec les autres, par les autres. Un humain est d’autant plus humain qu’il interagit. C’est à cela que sert la surface. Soyons intensément superficiels !
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L’importance du Presque
L’absolu n’existe pas. L’être humain est – par nature – fini, limité. Malgré cette finitude, l’être humain aspire à la perfection, et en a en tout cas une idée.
Selon moi, la perfection ne nous est accessible que par la sensation : la perfection, certes n’existe pas, mais on peut éprouver une sentiment de perfection. En regardant le beau, ou le bon. Ou dans l’acte de création. Non pas que ce que l’on regarde, ou créé, soit parfait. Mais l’acte d’aller vers le beau nous fait éprouver des sensations particulières qui sont la perfection même. La perfection se situe dans notre rapport aux choses, pas dans les choses elles-mêmes. La perfection est une sensation.
Il est donc intéressant de chercher à éprouver cette sensation, tout en conservant à l’esprit qu’il s’agit d’un état interne, et pas d’une réalité extérieure.
C’est le seul moyen de satisfaire notre soif d’absolu, sans tomber dans la folie, ou le mysticisme le plus complet. Ou la barbarie.
Il faut être capable d’éprouver – presque – la perfection. C’est le presque qui est le plus important dans cette phrase, et qui distingue les fous des bienheureux.
On retrouve un peu cette idée dans les cercles Zen (Enso) :
Le cercle Zen (enso) est souvent dessiné comme un cercle incomplet, qui symbolise l’imperfection faisant partie intégrante de l’existence. […] La nature elle-même est pleine de beauté et de relations harmonieuses qui sont asymétriques et pourtant équilibrées. Il s’agit d’une beauté dynamique qui attire et implique.
J’aime cette idée d’équilibre et d’imperfection mélées à l’idée même de perfection, et de sensation de perfection. Pas d’idée de perfection sans idée d’imperfection.
La modération dans l’excès. Le presque dans l’absolu.
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La mort est partout
Dès le début, j’ai été captivé par le livre de Luc Ferry, « Apprendre à vivre« . Il s’agit de philosophie, un peu vulgarisée, mais au niveau d’implication où je l’attends : de la philosophie non pas théorique et abstraite, mais de la philosophie à vivre, qui est une réflexion sur la vie, et qui a pour ambition de permettre de « vivre mieux ».
Une idée forte m’a séduite au tout début du livre, à propos de la mort. J’ai toujours trouvé difficile de comprendre pourquoi l’idée de la mort est si présente dans nos vies, bien qu’on ne meure qu’une fois, et que le moment même de la mort n’est pas là . Luc Ferry explique que la mort n’est pas présente qu’à un moment, mais dans plein de petites instants de nos vies, tous ceux qui ne seront jamais plus là . Le temps qui passe. « Never more », c’est le titre d’un poème d’Edgar Allan Poe (Le corbeau) que Luc Ferry cite pour illustrer son propos.
Toutes ces joies vécues, une fois passées, renvoient à l’idée de la mort. « Jamais plus ». Cette nostalgie est très forte chez moi. Quand je repense aux moments passés en famille, à déguster du vin de Bordeaux, cet été, l’idée m’envahit que ces moments ne sont plus là , et ne seront plus jamais là . Je pourrais fondre en larmes en me plongeant dans cette nostalgie. Nostalgie, joie empoisonnée. Joie aussi, oui, car ces souvenirs sont des souvenirs de bonheur.
Luc Ferry explique ensuite que si les religions sont une démarche vers le salut par un autre (Dieu, quelle qu’en soit la forme et la nature), tandis que la philosophie est une démarche vers le salut par nous-mêmes. Je suis frappé par une chose : parler de salut, comme le fait Ferry, et comme le fait également Comte-Sponville, est pour moi une chose étrange. Tant il me parait évident que Camus, sur ce point, avait raison : il n’y a pas de salut. Peut-être Ferry revient-il là -dessus plus loin dans le livre. C’est possible. Et peut-être qu’aussi, le sens que je donne au mot « salut » n’est pas le même que lui. On peut entendre par « salut » le fait de parvenir à ne vivre que dans le présent, et en harmonie avec l’univers.
Si l’on entend par éternité non la durée infinie mais l’intemporalité, alors il a la vie éternelle celui qui vit dans le présent.
La sagesse consiste, à mon sens, à accepter qu’il n’y a pas de salut possible. Acceptation impossible, pour tout être désirant plus que tout vivre et survivre. C’est l’absurde de nos vies, le tragique. Et c’est ce qui en fait toute la valeur. Et toute la saveur, aussi.