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  • Interview d’Alain Boyer : cinquième partie

    Suite de l’interview d’Alain Boyer, professeur de philosophie politique à  la Sorbonne. Après avoir discuté de l’histoire de son article paru dans le Figaro (entre les deux tours de la présidentielle), et expliquant la différence entre morale de responsabilité et morale de conviction, Alain Boyer nous explique aujourd’hui un de ses thèmes de cours « Tyrannie, Despotisme et Dictature ». On y parle, bien sûr, de démocratie et de droits de l’homme. Et on aborde – en fin de partie -, le sujet de la sixième partie (à  venir) : l’Islam et les religions.

    Puisque nous étions sur l’Université, j’aimerais rebondir sur ton sujet de cours (sur le site de la Sorbonne) « tyrannie, despotisme et dictature » ? pourquoi ce thème pour un cours ?

    C’était un sujet de cours de l’année dernière. J’ai changé cette année en Master: « Impérialisme, colonialisme et esclavagisme » (toujours le problème de la liberté, mais je fais aussi un cours de licence sur « l’autorité », qui me met directement en cause ! ) d’une part, et ”Art, morale et Politique » de l’autre : je rêve depuis toujours de parler d’Antigone, de Macbeth ou du Baroque.. Il y a beaucoup de philo et de politique là  dedans… Mais il est vrai que j’ai donné ce cours sur la tyrannie deux ans de suite, et il a apparemment intéressé les étudiants (et les auditeurs libres, que j’aime tant !) . Je recevais hier un étudiant marocain qui veut faire une thèse, et il m’a dit que c’était un sujet de cours qui intéressait beaucoup les gens qui viennent d’Afrique du Nord ou centrale, pour qui cette question est vraiment actuelle, malheureusement, il y avait aussi en cours des Sud-américains (j’adore avoir des étudiants étrangers..), qui ont connu la dictature, et qui savent ce que c’est.

    C’est presque plus intéressant d’aborder la démocratie libérale en étudiant ses contraires. Il m’est arrivé de faire des cours qui s’appelaient « démocratie et libéralisme », mais ça a moins de « succès » que si j’aborde le problème en décrivant le « Mal ». Comme en littérature. Décrire la tyrannie, contrairement à  cette idéologie dont on parlait tout à  l’heure consistant à  décrire les usines comme des camps de concentration, c’est montrer qu’une tyrannie c’est tout à  fait autre chose que ce que nous vivons. J’ai sans doute une méthode particulière pour faire des cours, qui doit d’ailleurs un peu à  68, je ne suis pas (j’espère!) démagogue (le cours n’est pas un échange, c’est moi qui parle, et réponds aux questions) mais ils peuvent intervenir quand ils veulent. Je ne lis pas de texte, j’improvise à  partir de ce que j’ai préparé pendant les « vacances », et avec quelques notes pour le plan et les références, et je me promène, et j’essaye d’animer le cours. C’est en général ce qui plait, ou parfois déplait! (je fais trop de parenthèses !) je ne suis pas quelqu’un qui se surestime, ou qui se croît autorisé à  parler d’un ton ”grand seigneur », comme aurait dit Kant, mais on m’a dit que j’avais cette ”originalité ». L’idée c’est qu’un jour je leur parle de la critique de la tyrannie chez J.-J. Rousseau, un autre de la notion de dictature (institution républicaine romaine pour les situations exceptionnelles, ce qui est passionnant pour un philosophe !) chez Machiavel, ou Carl Schmitt, grand penseur anti libéral malheureusement devenu nazi, des choses techniques en philosophie, à  partir de textes, et beaucoup d’histoire aussi.

    Pour dire ce qu’était la tyrannie en Grèce, ce qu’était la dictature Romaine, qui était donc une institution, avant que Sylla et César ne la transforment en ce que c’est devenu, c’est à  dire en despotisme, plus ou moins ; je me met à  un moment à  leur dire « dans un tyrannie, » – je suis allé moi-même en Chine à  l’époque communiste ”dure », en 88, un an avant le massacre de Tien An Men— « quand je voulais parler avec des gens que j’avais rencontrés par hasard, de sujets politiques, je voyais que ces personnes se retournaient dans la rue pour vérifier s’il y avait quelqu’un derrière, ou au restaurant, me montrant qu’on ne pouvait pas parler de ces sujets. Je leur dit, à  mes étudiants, avez-vous cette expérience ici ? » Ou, si à  11h du soir quelqu’un frappe chez vous violemment, vous pensez « c’est mon voisin qui a des problèmes d’inondation », ou vous pensez « c’est la police politique »? Ils me répondent, bien sûr, ”c’est le voisin ». C’est là  un critère évident. Nous ne sommes pas dans une tyrannie. Dans une tyrannie, c’est la police politique qui frappe à  la porte la nuit… ou qui écoute les conversations libres dans les jardins….

    J’avais trouvé ce sujet intéressant, c’est utile de préciser ce que sont les choses réellement, parce qu’on s’en rappelle, avant les élections, certaines personnes disaient que Sarkozy était presque un fasciste, ou un dictateur en puissance….

    Oui, quels ridicules procès d’intention ! C’est minable… Le vrai problème, c’est celui des réformes. Celle des 35 heures a été une énorme erreur. Mais il n’est pas facile de prévoir à  l’avance les effets d’une réforme. Je leur ai dit, lors d’un autre cours sur ”Réforme ou Révolution? » (un titre venant de ..Rosa Luxemburg…), que dans les pays démocratiques, le problème des réformes, c’est ce qu’on appelle la ”courbe en J ». Il y a une temporalité du politique en démocratie, qui est en général de 4 ou 5 ans. Le peuple, en démocratie moderne, ne dirige pas lui-même, mais est capable d’éliminer les dirigeants s’ils n’ont pas fait leur boulot (Popper), et s’il y en a de potentiellement meilleurs qui se présentent. Donc il faut un contrôle démocratique tous les 4 ou 5 ans, en plus évidemment des droits de la presse, de manifester, etc.. Une réforme difficile à  instaurer, a, au départ, peut-être pendant plusieurs années, des effets négatifs sur la majorité de la population. Ce qui fait que l’élection peut se produire au moment où la courbe est au plus bas (le point le plus bas du ”J »). Peut-être que c’est dans 10 ans seulement que les effets positifs se verront. Le cas le plus évident est le problème des retraites. Si on met à  nouveau, contrairement à  ce qu’avait fait Mitterrand, la retraite à  65 ans ou les régimes spéciaux à  40 ans, voire un peu plus, on ne verra pas tout de suite les effets bénéfiques de cette réforme, mais si on ne la fait pas, on ne pourra pas survivre, nos enfants ne pourront pas payer. Ils nous en voudront à  juste titre parce qu’ils auront un poids énorme sur leurs épaules pour payer NOS retraites.

    LE problème du politique, et les Français ne sont pas tous assez sensibles à  ça, c’est de prévoir : or, dès qu’on leur parle de réformes un peu dures à  avaler, ils attribuent ça au « fascisme » (!), à  l’extrême droite. C’est un vision de la politique que je ne partage pas du tout. En démocratie, on ne doit plus envisager la politique interne comme une guerre. Et la, la France est marquée par la Révolution française. La gauche, c’était Danton, Robespierre, la droite c’était les monarchistes. La gauche et la droite, ça a commencé avec la guerre civile ! Mais je pense qu’il faut cesser de considérer le nécessaire conflit politique comme une guerre, c’est ce que Sarkozy a essayé de faire en jouant l’ouverture. C’est aussi pour cela, en plus des réformes essentielles, vitales, qu’il veut faire passer, que, malgré certaines réserves, je soutiens son gouvernement, sans évidemment perdre ma liberté de penser et donc de critiquer. Paradoxalement, je crains qu’il n’arrive pas à  réduire suffisamment nos dettes … Mais il faut négocier des compromis, chercher l’intérêt général, pas se faire la guerre.

    à‡a rejoint ce que tu disais concernant le Droit, et la ”compossibilité » des libertés. La mission noble de la politique, c’est de pouvoir traiter des problèmes sans aller jusqu’au conflit armé ?

    Les Grecs ont inventé la politique, Castoriadis le disait toujours : ils n’ont pas inventé ”Le » politique, parce qu’il y a toujours eu plus ou moins du politique, du pouvoir, mais ”La » politique, la vie politique, c’est à  dire la discussion sur les principes mêmes de l’organisation de notre vivre ensemble. à‡a c’est les Grecs, c’est au 5ème siècle avant JC, avec Clisthène, Périclès, Protagoras, etc. que ça s’est produit. Cette politique ”polémique » mais pacifique, ne doit pas être pensée en terme de guerre, nous sommes sur un crête de montagne, comme quand on fait de l’alpinisme, avec le vide des deux côtés, si on est encordés et que quelqu’un tombe d’un côté, il faut soi-même tomber de l’autre côté. Sauter de l’autre côté pour ne pas tomber tous. Mais il faut absolument ne pas tomber, en politique, parce qu’il n’y a plus de corde … Cette image de la crête est néanmoins valable pour la démocratie libérale : il y a deux abîmes, il ne faut pas dire, la démocratie c’est un acquis. Non, non. C’est toujours assez fragile. L’un des deux abîmes c’est la guerre civile, et l’autre la tyrannie. Deux atrocités. Eschyle et Sophocle le disaient déjà . Comment éviter les deux ”maux » politiques ? Ce qui implique d’ailleurs, par rapport à  la réflexion que nous avons eue tout à  l’heure sur la gauche et la droite, qu’il faut bien s’apercevoir que cet ordre horizontal (extrême gauche, gauche, centre, droite, extrême droite) est simplificateur et doit être complexifié au moins par un axe vertical : partisans de la dictature (d’un seul ou d’un parti), et partisans du pluralisme. Il y a une gauche à  tendance dictatoriale, qui pense que la droite « c’est l’ennemi à  abattre ». Bon, Robespierre (la gauche de la gauche, même s’il a fait guillotiner son « extrême-gauche », comme Lénine le refera), on dit « les conditions, les conditions » (la guerre contre la France), mais il a quand même instauré la « grande Terreur » APRES les victoires décisives de la République (Fleurus), c’était une vision « puritaine », et le puritanisme est toujours un totalitarisme en puissance.

    L’idée de « pureté » est toujours une idée dangeureuse ?

    Oui, presque toujours, mais c’est une belle idée, car il y a des saloperies dans le monde, la corruption, etc., mais dangereuse si elle est érigée en dogme intolérant La pureté morale est un noble idéal, et je suis loin de vouloir prêcher le laissez faire total, mais de nobles idéaux peuvent conduire à  vouloir les imposer par la force : « La Terreur et la Vertu », disait Robespierre « l’incorruptible »… Que les « purs » indignés par le mal et incapables de proposer des réformes (nécessairement imparfaites !) allant dans le sens de l’honnêteté qu’ils prisent tant aillent dans des couvents ! J’étais à  Prague la semaine dernière, en Septembre : une anecdote : ils m’ont raconté que les étudiants en 1989, au moment de la ”révolution de Velours », avaient un panneau « Le communisme pour les communistes ! ». Humour noir et profond ! Les puristes dans des couvents, dans des communautés, s’ils veulent rester purs, mais qu’ils n’imposent pas ce « purisme » aux autres. En revanche, je suis évidemment en faveur de la lutte pied à  pied contre la corruption et les mafias. Mais la Gauche a elle-même engendré bien des dictateurs. Lénine, c’était un homme « de gauche » ! Fidel Castro c’est un dictateur et homme « de gauche », adulé par la très naïve Mme Mitterand… Mao et Pol Pot étaient de gauche, d’extrême gauche, or c’était l’horreur ! Il faut que la gauche tout entière prenne conscience de ça. Et du fait que la distinction libéralisme / totalitarisme est plus importante que la distinction gauche-droite.

    Cette distinction enrichit effectivement la scission habituelle gauche / droite, de même que celle que tu rappelais entre morale de conviction et morale de responsabilité. Peux-tu nous en dire deux mots ?

    Mon article est trop bref, j’ai dû opposer les deux, alors qu’il faut les combiner, ce qui n’est pas une mince affaire ! une authentique morale de la responsabilité n’est possible qu’avec des convictions, mais des convictions elle-mêmes ouvertes à  la discussion. à‡a c’est du Popper… Avoir des convictions morales, mais admettre qu’on puisse les discuter, car une conviction à  elle seule ne donne pas immédiatement les moyens de la défendre au mieux. Il faut raisonner. Par exemple, une conviction que j’ai, depuis que je m’intéresse à  la politique, et je pense que je l’aurai toujours, c’est qu’il ne faut pas laisser des gens « dans le caniveau », c’est moralement inacceptable. L’ultra-libéralisme (rien à  voir avec ce qui se fait en France avec Sarkozy…) est à  mon sens moralement inepte. Donc il faut tout faire pour faire en sorte qu’il y ait un filet de sûreté. à‡a c’est un conviction ! Mais si je fais n’importe quoi en son nom, qu’au moins j’écoute les critiques, et que j’y réponde !

    Quand tu parles de conviction ouverte, il y a quand même presque une antinomie dans l’expression ? Il y a là  un paradoxe qu’il faut que les gens soient capables d’expliciter ?

    Tout à  fait ! C’est le point le plus délicat, sur lequel tu mets l’accent de manière très pertinente. Comment avoir des convictions morales fortes mais ouvertes à  la discussion ? C’est un grave problème philosophique. Que Popper a posé, que Habermas a lui même étudié, dans son « éthique de la discussion ». Parce que si tout est en permanence ouvert à  la critique effective, ce n’est pas possible. Il faut qu’il y ait des choses considérées comme inacceptables. Torturer un enfant, c’est inacceptable. Avoir pour conviction de ne jamais torturer, c’est essentiel, mais des philosophes prennent souvent un exemple, qui pourrait devenir réel : imaginons un fou qui ait installé une bombe atomique quelque part, et qui va détruire l’humanité, elle va exploser dans heure. Faut-il le torturer pour le faire parler ? Il est fou, et convaincu et suicidaire. On ne peut le convaincre et on n’a pas le temps de le soigner, si cela était même possible. On doit, malheureusement, le torturer. Mais torturer un enfant, non. En tout cas, comme je ne pense pas qu’il existe une morale qui ait une réponse à  tous les cas possibles, il faut tenter politiquement d’agir de telle manière que de tels choix ne puissent pas se produire. Essayer, car rien n’est jamais acquis dans ce domaine, comme dans d’autres…

    Mais sur ces convictions fortes, j’ai l’impression que disons, entre personnes modérées, ceux qui se gardent de la guerre civile et de la tyrannie, ces convictions fortes sont partagées, et les autres convictions sont accessibles à  la raison, à  la discussion ?

    Il y a une conviction qui me parait absolument forte et moderne, c’est l’égalité en droit de tous les êtres humains.

    La déclaration des droits de l’homme ?

    Oui. Celle de 1789. Sauf que la Constitution qui a suivi était « machiste », puisque les femmes n’avaient pas le droit de vote. Il a fallu attendre en France 1945 pour que les femmes soient des citoyens à  part entière !! Donc l’égalité en droit, et surtout, autant que possible (car cela prend plus de temps …), en fait : il faut la promouvoir, pas seulement la proclamer. C’est pour ça que je suis provisoirement favorable à  l’idée de discrimination dite « positive », en anglais c’est mieux : « affirmative actions », actions positives. Une action positive en faveur de minorités qui sont, provisoirement espérons-le !, dans un équilibre précaire, pour de mauvaises raisons. Dans le trou… il faut pour elles une accélération, un coup de pouce, pour les faire sortir de l’eau. Passer le col. Et ensuite l’égalité de droit suffit. à‡a ne peut être que provisoire. Je suis, oui je crois « dogmatiquement », attaché à  cette idée d’égalité de Droit. Je ne vois pas comment on pourrait dire « oh non,les femmes, ou telle catégorie de citoyens, n’auront pas les mêmes droits ». C’est intolérable.

    C’est l’idée forte qui est dans la démocratie ?

    Oui, et ça a une conséquence sur les religions. Parce que si il y a des religions qui disent « les homosexuels n’ont pas les mêmes droits que les autres », que c’est un péché (le catholicisme actuel), ou que les femmes n’ont pas le même poids (dans l’Islam d’après la Charia, il faut je crois 3 femmes pour contrer le témoignage d’un homme), c’est inacceptable ! Pas de concession. C’est à  eux d’adapter leur système de pensée au Droit laïc égalitaire que nous avons. Et nous ne devons pas faire de concessions. Je ne suis rien qu’un citoyen comme les autres, mais je suis persuadé qu’avoir renoncé en toute conscience à  certaines idées, comme celle d’autogestion socialiste, ne saurait me pousser à  me complaire dans des idées nihilistes, qui condamnent toute action comme étant vaine. On doit accepter les contraintes du réel. Mais on doit aussi tenter de l’améliorer, de défendre en lui ce qu’il a de beau, et d’essayer de le rendre moins mauvais, plus juste, pour ”nous, mortels », comme disaient nos maitres Grecs.

    Retrouvez les autres parties de l’interview dans le sommaire !

  • Citation #51

    Résistance et obéissance, voilà  les deux vertus du citoyen. Par l’obéissance il assure l’ordre ; par la résistance il assure la liberté.

    Alain

  • Libéralisme et constructivisme

    Retour sur les idées présentées au début de l’excellent bouquin de Pascal Salin « Libéralisme ». Où l’on apprend la différence entre libéralisme et constructivisme, et que notre société française est majoritairement sous le signe du constructivisme. Les sources idéologiques du constructivisme y sont détaillées avec clarté et vigueur : égalitarisme, absolutisme démocratique et scientisme. Je sais dès à  présent que ce livre sera très enrichissant, et j’ai envie de partager les réflexions qu’il m’inspire avec vous.

    Les livres et moi

    J’ai un problème avec les livres : j’adore ça ! J’ai toujours plus ou moins 2 ou 3 livres en cours simultanément. Selon la facilité de lecture, selon mes envies du moment, je passe de l’un à  l’autre. J’ai presque fini l’excellent bouquin « Les prêcheurs de l’Apocalypse » de Jean de Kervasdoué (CNAM). J’ai été stoppé net dans ma lecture parce qu’ai reçu ma commande de deux bouquins de Pascal Salin : « Libéralisme » et « Français, n’ayez pas peur du libéralisme« . Je n’ai pas pu résister, hier soir, et je me suis plongé avec délectation dans « Libéralisme ». C’est écrit clairement, c’est puissant, et je sens déjà  que ce livre sera marquant, intellectuellement parlant. Il y a des livres comme ça, qui prennent presqu’autant de valeur qu’une rencontre avec quelqu’un (et c’en est une d’ailleurs).
    Les quelques précisions que Pascal Salin donne dès le début sont très éclairantes, et je voudrais les partager avec vous (il y aura, je pense, plusieurs autres billets consacrés à  ce bouquin merveilleux). La distinction apportée par Alain Boyer entre morale de responsabilité et morale de conviction avait été super enrichissante, et bien plus structurante que la traditionnelle scission gauche/droite, dont le sens n’est pas net. Pascal Salin commence par distinguer le libéralisme et le constructivisme (c’est l’objet de cet article), et enchaine sur la distinction entre libéralisme « humaniste » et libéralisme « utilitariste » (ce sera l’objet d’un deuxième article). Cette distinction entre « individualisme ou libéralisme » et « constructivisme » a été proposée par Friedrich Hayek.

    Libéralisme et constructivisme

    Le libéralisme est fondée sur la liberté individuelle, et sur le droit qui garantie cette liberté individuelle à  tous. La société est, selon les vues libérales, libre d’évoluer au gré des initiatives des individus, et il n’est donc pas possible de la construire de toute pièce. En cela, le libéralisme et le constructivisme sont incompatibles : le constructivisme, en effet, consiste à  vouloir construire la société en fonction de valeurs et de la place qu’on veut donner à  telle ou telle catégorie de citoyens. Le libéral s’oppose à  cette vision parce que la seule entité raisonnable pour réfléchir est l’individu.
    […] le libéral est, selon les propres termes de Friedrich Hayek, celui qui « laisse faire le changement, même si on ne peut pas prévoir où il conduira ». Il implique, par conséquent, une confiance dans les capacités des personnes à  s’adapter continuellement à  des conditions changeantes et toujours imprévisibles.
    Pascal Salin, fort de cette distinction, explique qu’en France la quasi-totalité des hommes politiques (de droite comme de gauche) est constructiviste. Que l’on soit réformateur, ou conservateur, on peut être constructiviste. Dans un cas on veut changer le système, dans l’autre on veut le maintenir, et dans les deux cas il s’agit de vouloir construire la société.

    Sources du constructivisme

    Pascal Salin détaille les sources de la prégnance très forte du constructivisme en France :

    • Egalitarisme :
      Il existe en effet deux notions différentes de l’égalité, l’égalité des droits et l’égalité des résultats. La première inspirait la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 («Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits», phrase qui était cependant immédiatement suivie d’une autre dont l’inspiration était plus collectiviste : « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune») ; mais c’est la seconde notion qui est devenue dominante et elle est d’ailleurs formellement affirmée dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, qui reconnaît toutes sortes de «droits à » (droit au travail, à  la Sécurité sociale, etc.). La première notion est manifestement libérale et individualiste, puisqu’elle consiste à  reconnaître l’égale dignité de chacun, mais à  le laisser libre de développer son propre destin à  partir du moment où ses droits sont déterminés et respectés. La seconde est un pur produit du constructivisme, puisqu’elle consiste à  penser que l’on peut interférer avec les résultats de l’action humaine et imposer une répartition des richesses conforme au modèle décidé par les détenteurs du pouvoir, en donnant a priori à  chacun des droits sur l’activité d’autrui.
      Ce faisant, on crée, au nom de l’égalitarisme, de nouvelles inégalités, par exemple celles qui existent entre ceux qui vivent de leurs propres efforts et ceux qui profitent de la contrainte organisée ; ou encore entre ceux qui ont accès au pouvoir politique, instrument supposé de l’égalitarisme, et ceux qui en sont écartés.
    • Absolutisme démocratique :
      Le caractère démocratique d’un pays ou d’une institution quelconque est devenu le critère d’évaluation prioritaire. […]
      L’extension de cet absolutisme démocratique va évidemment de pair avec une méfiance très grande à  l’égard des solutions de marché et c’est pourquoi on s’achemine bien souvent vers la recherche de solutions de type collectiviste où la négociation et le «dialogue », par l’intermédiaire de représentants démocratiquement élus, sont censés conduire à  un consensus. C’est l’illusion de la convergence des intérêts, non pas entre les individus – ce que seul le marché permet de réaliser – mais entre les groupes organisés.
      Le résultat de cette conception de la vie sociale est évidemment le corporatisme qui, étrangement, a conduit la France d’aujourd’hui à  ressembler à  la France de l’Ancien Régime. Cette ressemblance n’est d’ailleurs pas le fruit du hasard. Elle est seulement le résultat d’une conception de la vie sociale où la source de tout pouvoir réside non pas dans les individus, mais dans la sphère politique. De ce point de vue, il importe relativement peu que le pouvoir politique soit de nature monarchique ou démocratique. Aucun pouvoir en effet n’a les moyens d’organiser la cohérence des besoins individuels, il ne peut qu’agir grossièrement en plaçant les individus dans des catégories, professionnelles, religieuses, ou sociales, en prétendant reconnaître l’existence d’intérêts catégoriels et en organisant centralement leur coexistence. Comme nous le verrons constamment, l’État crée des abstractions collectives – par exemple les intérêts catégoriels -, il prétend qu’ils existent par nature et qu’il est évidemment le seul à  pouvoir les organiser de manière à  assurer la cohésion sociale, puisqu’il s’agit d’«intérêts collectifs».
      Cette conception collectiviste de la société conduit naturellement à  la politisation de la vie quotidienne. Tout est le résultat des luttes pour le pouvoir, qu’il s’agisse de la santé, de l’éducation ou de l’activité entrepreneuriale. Mais parce qu’elle ignore les besoins individuels, aussi bien que les informations individuelles, cette conception, loin de conduire à  l’harmonie, est source de frustrations et d’envies insatiables. Lorsque les choix quotidiens de votre vie sont essentiellement effectués par d’autres que vous, même si ceux qui décident sont censés être vos représentants, vous devez soit subir leurs décisions, soit vous lancer dans un combat épuisant et inégal pour essayer d’exprimer et de faire comprendre la réalité de vos besoins.
    • Scientisme ou illusion du savoir :
      Le constructivisme repose sur un formidable orgueil intellectuel : pour vouloir modeler la société à  sa guise, il faut évidemment supposer à  la fois que l’on connaît les objectifs de ses membres – comme si l’infinie diversité de ces objectifs individuels pouvait faire l’objet d’un processus réducteur de synthèse globale – mais aussi que l’on connaît les meilleurs moyens d’y arriver, c’est-à -dire que l’on a une connaissance parfaite des processus d’interactions complexes qui composent une société. […]
      Tous ces constructivistes veulent plier la réalité à  leurs désirs, par des moyens nécessairement illusoires, puisqu’ils n’ont pas la connaissance, mais seulement la prétention de la connaissance. Aussi, pour poursuivre leurs desseins, mobilisent-ils toutes les théories-alibis de notre époque, toutes celles qui semblent parer leurs actes d’une couverture scientifique.
      En réalité, cette approche est non pas scientifique, mais scientiste, c’est-à -dire qu’elle prend l’apparence habituelle de la science, par exemple son caractère mathématique, mais elle ne répond pas à  ses exigences méthodologiques fondamentales.

    Voilà . Pour un début de livre, je trouve ça passionnant, clair, lucide et raisonnable. Pour ceux que ça intéresse, le texte du début du livre (celui qui distingue Libéralisme et constructivisme) est disponible intégralement sur Catallaxia. Dire que je vous conseille d’aller le lire est un euphémisme. En conclusion, la fin du chapitre :
    Comme le disait, je crois, Julien Freund, le libéral se doit d’être tolérant avec les hommes et intolérant avec les idées, en ce sens qu’on ne peut pas admettre qu’une idée et son contraire soient également et simultanément vrais, mais les hommes sont tous également dignes de respect. En France, c’est le contraire qui prévaut sur la scène politique : on est intolérant avec les hommes et tolérant avec les idées.

  • Karl Popper : la démocratie libérale en 8 points

    Karl Popper : la démocratie libérale en 8 points

    Avant de pouvoir vous présenter par morceaux l’interview d’Alain Boyer que j’ai réalisé vendredi dernier, voici le texte qu’il avait choisi pour illustrer la pensée de Popper dans le hors-série sur le libéralisme sorti par Le Point avant les présidentielles. Les principes libéraux explicités en huit points. Pas un de plus, pas un de moins.

    Rencontre avec Alain Boyer

    J‘avais écrit un petit billet en juin pour diriger les lecteurs vers un article magistral paru dans le Figaro, écrit par Alain Boyer, professeur de philosophie politique à  la Sorbonne. Cet article faisait le distingo entre morale de responsabilité et morale de conviction. Et expliquait en substance que Sarkozy faisait plus pour la promotion des idéaux de gauche que le PS, qui se contente de prendre des postures intellectuelles en accord avec ces idéaux, mais sans s’occuper de les promouvoir dans les faits.

    Quelle ne fut pas ma surprise de voir, en commentaire de cet article, une intervention d’Alain Boyer lui-même ! Je profitais de l’occasion pour lui proposer de l’interviewer, par écrit ou à  l’oral. Pour des raisons de temps, il m’a proposé une interview orale. Vendredi dernier, je me suis donc rendu à  son domicile, tout fébrile et intimidé, pour l’interviewer, avec mon petit enregistreur acheté pour l’occasion. Je l’ai interviewé sur son parcours, sur la politique française, sur la pensée de Karl Popper (dont il est un grand spécialiste), sur la gauche, sur l’Islam.
    J’ai eu le bonheur de rencontrer un homme très sympathique, très direct, d’une grande culture, et dont la réflexion juste et puissante n’a d’égal que son talent pour communiquer ses idées. Il n’est pas professeur pour rien ! Interview intense, donc (3h !), plus à  bâtons rompus que savamment construite (je ne suis pas journaliste). J’ai maintenant du travail pour transcrire par écrit cet échange, et que je compte vous proposer par morceaux, si possible thématiques.
    Pour vous donner de quoi patienter, chers lecteurs, je vous propose en attendant de publier ici sa contribution au hors-série du Point consacré au libéralisme, publié avant les élections présidentielles. Bien évidemment, son statut de spécialiste de Popper l’a naturellement conduit à  écrire l’article sur le philosophe autrichien. Le format choisi pour ce hors-série, consistait à  proposer un texte de Popper, et une présentation de sa pensée. Voici, pour commencer, le texte de Popper, admirable et synthétique. La contribution d’Alain Boyer suivra dans un prochain billet.

    Principes Libéraux

    1. L’Etat est un mal nécessaire : ses pouvoirs ne doivent pas être multipliés au delà de ce qui est nécessaire. On peut appeler ce principe le ”rasoir libéral » (par analogie avec le « rasoir d’Ockham », le fameux principe selon lequel les entités ne doivent pas être multipliées au delà de ce qui est nécessaire).
      Afin de montrer la nécessité de l’Etat, je ne fais pas appel à la conception hobbesienne (Léviathan, trad. Folio, I, ch. XIII.) de l’homo homini lupus. Au contraire, sa nécessité peut être montrée même si nous supposons que homo homini felis, ou même que homo homini angelus, en d’autres termes, si nous supposons qu’à cause de leur bonté angélique, personne ne nuit à personne d’autre. Dans un tel monde, il y aurait encore des hommes plus ou moins forts, et les plus faibles n’auraient aucun droit légal à être tolérés par les plus forts, mais devraient leur tenir gratitude d’être assez bons pour les tolérer. Ceux qui (forts ou faibles) pensent que cela n’est pas un état de choses satisfaisant, et que toute personne doit avoir un droit à  vivre, et une prétention (claim) légale à être protégée contre le pouvoir des forts, accorderont que nous avons besoin d’un Etat qui protège les droits de tous. Il est facile de montrer que cet Etat constituera un danger constant (ce que je me suis permis d’appeler un mal), fût-il nécessaire. Pour que l’Etat puisse remplir sa fonction, il doit avoir plus de pouvoir qu’aucun individu privé ou aucune organisation publique, et bien que nous puissions créer des institutions qui minimisent le danger que ces pouvoirs puissent être mal utilisés, nous ne pourront jamais en éliminer le danger complètement. Au contraire, la plupart des citoyens auront à  payer en échange de la protection de l’Etat, non seulement sous la forme de taxes, mais même sous la forme de certaines humiliations, par exemple, lorsqu’ils sont dans les mains de fonctionnaires brutaux.
    2. La différence entre une démocratie et une tyrannie est que dans une démocratie, les gouvernants peuvent être rejetés sans effusion de sang.
    3. La démocratie ne peut conférer aucun bénéfice aux citoyens. Elle ne peut rien faire, seuls les citoyens peuvent agir. Elle n’est qu’un cadre dans lequel les citoyens peuvent agir de manière plus ou moins cohérente et organisée.
    4. Nous sommes démocrates non parce que la majorité a toujours raison, mais parce que les traditions démocratiques sont les moins mauvaises que nous connaissons. Si la majorité se décide en faveur d’une tyrannie, un démocrate ne doit pas penser qu’il y a une contradiction fatale dans sa conception, mais que la tradition démocratique dans son pays n’était pas assez forte.
    5. Les institutions ne sont ne sont pas suffisantes si elles ne sont pas tempérées par des traditions, car elles sont toujours ambivalentes (…)
    6. Une utopie libérale, un Etat rationnellement crée sur une table rase sans traditions, est impossible. Le libéralisme exige que les limitations de la liberté de chacun rendues nécessaires par la vie en société doivent être minimisées et rendues égales pour tous autant que possible (Kant). Mais comment appliquer un tel principe a priori dans la vie réelle ? Touts les lois, étant universelles, doivent être interprétées afin d’être appliquées, et ceci nécessite certains principes de pratique concrète, qui ne peuvent être fournis que par une tradition vivante.
    7. Les principes libéraux peuvent être décrits comme des principes d’évaluation et si nécessaire de modification des institutions. On peut dire que le libéralisme est une doctrine « évolutionnaire » plutôt que révolutionnaire (sauf dans le cas d’une tyrannie).
    8. Parmi ces traditions, nous devons mettre en premier ce que l’on peut appeler le ”cadre moral » (correspondant au « cadre légal ») d’une société. Cela comprend le sens traditionnel de la justice ou équité (« fairness »), ou le degré de sensibilité morale que la société a atteint. Ce cadre sert de base pour rendre possible des compromis équitables entre des intérêts en conflit. Il n’est pas lui-même intouchable, mais il change relativement lentement. Rien n’est plus dangereux que sa destruction, laquelle fut consciemment visée par les Nazis, qui ne peut conduire qu’au nihilisme, à  la dissolution de toutes les valeurs humaines.

    Karl Popper, ”Public Opinion and Liberal Principles (1954), in Conjectures and Refutations, RKP, 1963, traduction originale d’Alain Boyer.

  • Citation #43

    Si les membres du gouvernement se considèrent comme les représentants non plus des contribuables, mais des bénéficiaires de traitements, appointements, subventions, allocations et autres avantages tirés des ressources publiques, c’en est fait de la démocratie.

    Ludwig Von Mises

  • Interview de Daniel Martin

    Daniel Martin tient un site extraordinaire qui est une mine d’informations, d’articles, et de livres, tous écrit par lui et qui permettent souvent de trouver des informations et des synthèses économiques et factuelles précises, détaillées et référencées pour réfléchir. Sa grande intelligence le fait passer des sujets économiques aux sujets de sociétés avec aisance, en passant par la physique et la philosophie. Amoureux de la raison, de la France, rigoureux, j’ai eu envie de l’interviewer.

    Parcours professionnel

    Lorsque j’ai demandé à  Daniel Martin de me résumer son parcours professionnel, il m’a renvoyé vers son CV(qui contient son profil, ses objectifs et ses règles de conduite), et vers un livre (intégralement en ligne) qu’il a écrit : « La France expliquée aux Etrangers ». Les pages 15 à  25 résument son arrivée en France en 1948 (Daniel Martin est né en 1939 en Roumanie), son amour de la France, son parcours scolaire. Je ne peux que vous recommander d’aller lire ce texte bien écrit, simple, vibrant d’un amour de la France inconditionnel. Le livre en entier est formidable. Daniel Martin a suivi un cursus de Grandes Ecoles, et a brillamment commencé sa carrière comme informaticien chez General Electrics, aux USA. Il est revenu vivre avec sa famille en France en 1971. Il a pris sa retraite en 2000.

    Positionnement sur l’échiquier politique ?

    A propos de son positionnement politique, sa réponse est courte et claire :
    libéralisme, économie de marché tempérée par des lois pour sauvegarder l’environnement et assurer la solidarité entre les personnes. Le politicien dont je suis le plus proche est Jean-Marie Bockel, « socialiste libéral ». Ce que je déplore dans la société française : voir mon ouvrage « Valeurs perdues, bonheur perdu : pourquoi notre société déprime ».

    Sur le Libéralisme

    Questionné sur le fait que la pensée libérale ne soit pas connue en France, au point qu’elle soit de droite, alors que dans tous les autres pays les libéraux sont à  gauche, Daniel Martin me répond :
    Si le libéralisme n’est pas connu, c’est 80% la faute des media et des politiciens, et 20 % celle des citoyens qui ne s’informent pas et votent sans savoir. Le libéralisme est de droite en France (et seulement en France !) parce que notre culture est dominée depuis les années 1970 par une croyance dans le tout-état providence (voir « Cours d’économie pour citoyens qui votent »).
    Et de me renvoyer vers l’extraordinaire sondage qui montre que les Chinois croient plus dans les vertus de l’économie de marché que les Français !

    Sur l’Islam :

    L’islam, au 21ème siècle, est devenu un mouvement politique autant que religieux. Comment penses tu que l’islam puisse évoluer ?
    L’islam n’est jamais devenu un mouvement politique, il l’a toujours été car pour un musulman et d’après le Coran, on ne peut séparer religion, politique, justice, enseignement et lutte armée. Je ne sais comment l’islam évoluera dans l’avenir. Aujourd’hui il évolue vers l’extrémisme. Même en Turquie, où les islamistes viennent de remporter les élections et la présidence. Il n’existe pas d’islamisme modéré, Voir « Le terrorisme islamiste : idéologie, exigences et attentats. L’islamisme d’aujourd’hui est dans l’état de sauvagerie où était le christianisme lors des croisades, de l’inquisition, des guerres de religion : nous n’avons que quelques siècles d’avance. La grande différence entre la mentalité et la culture des musulmans (dominées par l’hostilité et le rejet de la responsabilité sur « l’autre ») et notre propre culture est dans « La culture Arabe ennemie de la démocratie ».
    Il termine en m’expliquant que, selon lui, l’élection de Gà¼l en Turquie ne change pas la donne, ni son point de vue qui est que la Turquie ne doit pas entrer dans l’Europe Politique.

    Sarkozy et les réformes

    Pourquoi, d’après toi, Sarkozy a-t-il été l’objet d’une véritable campagne de « diabolisation » pendant la campagne présidentielle ?

    La diabolisation des adversaires est habituelle dans toutes les élections des pays démocratiques. Elle est pratiquée par les gens qui n’ont pas grand-chose à  proposer.

    Que penses-tu des réformes mises en oeuvre depuis la présidentielle ? Vois-tu dans les quelques reculades (université, taux de non-remplacement des fonctionnaires, service minimum) un échec, où une stratégie visant à  ne pas entrer en conflit frontal ?
    M. Sarkozy est, comme M. Chirac, effrayé par les syndicats, qui ne représentent que 8 % des 40 % de Français qui travaillent, c’est-à -dire une infime minorité. Son courage est donc limité – à  moins que ce soit son aptitude à  combattre vraiment. Il préfère reculer (universités, service minimum, nombre de fonctionnaires…) Mais il arrivera peut-être :

    • à  faire travailler les Français un peu plus ;
    • à  faire garder les enfants de 16 à  18h et à  faire donner des cours de soutien à  ceux qui en ont besoin.

    Réforme du PS

    Quelle est selon toi la ligne de scission entre la gauche et la droite ?
    La ligne de scission réelle entre la gauche et la droite est la répartition de la valeur ajoutée entre travailleurs, actionnaires et Etat. La ligne qu’on voit à  la télévision est une fiction, une posture, une tromperie ou une illusion qui varie avec le politicien et le journaliste considéré.
    Suis-tu les réformes du PS en cours ? Quelle te semble la voie à  suivre pour retrouver un PS fort dans les prochaines années ?
    Je suis les réformes du PS. Pour moi, ce n’est pas M. Hollande qui est le plus grand handicap de Mme Royal, c’est Mme Royal qui est le plus grand handicap des socialistes, car elle combine idées creuses et popularité.
    J’ai également demandé à  Daniel Martin de me donner les noms de trois personnes qu’il souhaiterait voir répondre aux mêmes questions, et il m’a cité :

    • André Comte-Sponville, philosophe
    • Luc Ferry, philosophe
    • Leclerc, patron des Centres Leclerc.

    Ce qui n’a fait que confirmer mon sentiment de proximité intellectuelle avec Daniel Martin (sur les valeurs, parce que sur le reste je ne me permettrais même pas de me comparer à  lui) : Compte-sponville et Luc Ferry sont des philosophes passionnants, que j’aime beaucoup lire, et Michel-Edouard Leclerc gagne certainement à  être connu.
    Un grand merci à  Daniel Martin d’avoir pris le temps de répondre à  mes questions, en me citant à  chaque fois ses ouvrages ou articles qui permettaient d’approfondir. Je ne peux que vous conseiller d’aller lire régulièrement des articles sur son site : c’est du grand art et ça apporte beaucoup de réponses !