Étiquette : Extrémisme

  • Quand Riposte Laïque dérape

    Je lis régulièrement les éditos et certains articles de Riposte Laïque. Il me semble qu’il s’agit là  d’un site utile, qui permet de sortir du politiquement correct et du regard généralement complaisant posé par les médias sur les extrémismes religieux, musulmans en particulier. C’est, avec Primo-Europe, Point de Bascule Canada ou encore Bivouac-Id, une de mes sources d’informations francophones sur le sujet de l’islamisme, et de sa frontière pas toujours très nette avec l’Islam.

    Rétablir l’autorité républicaine

    L’edito du n°62, Le système peut dire merci à  ceux qui ont cassé, depuis 40 ans, toute autorité républicaine sonne juste sur beaucoup de points. Il y revient, notamment sur la situation extrêmement difficile de beaucoup de professeurs, puis sur celle des policiers :

    Et que dire du sort réservé aux policiers ? […] Dans quel pays leur tire-t-on dessus à  balles réelles, sans qu’ils ne puissent répliquer ? Dans quel pays garde-t-on systématiquement à  vue un policier qui a fait usage de son arme, même quand il a sauvé la vie d’une personne en danger ? A-t-on oublié le traitement subi par ce courageux fonctionnaire qui, en tirant sur un groupe de supporters racistes du Paris-Saint-Germain en train de tabasser des supporters juifs, a sauvé la vie de l’un d’entre eux ? Quand des délinquants volent une voiture, et forcent un barrage, c’est toujours le policier qui fait figure de salaud ! Des sociologues racontent même que s’il y a des violences dans les quartiers, c’est à  cause d’eux, et que s’ils restaient dans leur commissariat, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes ! Comment les gouvernements, de droite comme de gauche, ont-ils pu abandonner ainsi ceux qui, bien souvent, sont les derniers remparts contre la loi de la voyoucratie ?

    Un dérapage, et des questions…

    L’ensemble du texte est plutôt juste, je trouve. Mais la conclusion ne laisse pas de surprendre : sans aucun rapport avec le reste du texte, un petit couplet sur le capitalisme, caricatural et tiré par les cheveux…:

    Cela ne peut qu’engendrer une société de désordre, où la loi de la jungle l’emporte sur les lois de la République — qui sont les seules à  pouvoir protéger les faibles contre les forts. Le système capitaliste, qui avait besoin de casser toute notion de régulation, ne dira jamais assez merci aux gauchistes et aux compassionnels droits-de-l’hommistes qui ont contribué, par des discours irresponsables assénés depuis quarante ans, à  saper les édifices républicains, pour le plus grand bonheur d’une idéologie libérale-libertaire dont l’oeuvre quotidienne est le désastre auquel nous sommes aujourd’hui confrontés.
    A tous ses idiots utiles le capitalisme reconnaissant peut dire merci.

    En quoi l’idéologie libérale peut-elle être tenue responsable de la perte d’autorité ? Associer libertaire et libéral dans un même anathème, c’est d’ailleurs afficher toute son inculture. En quoi le capitalisme aurait-il besoin de supprimer toute régulation ? Quel manque de lucidité, et quel parti pris honteusement affiché ! Je me pose la question suivante : s’ils sont capables de pondre des réflexions aussi grossières, et aussi orientée politiquement, qu’en est-il de leur sens critique au moment de traiter l’information sur les sujets de laïcité, et de religions ?
    Alors, c’est sûr, je continuerai à  lire Riposte Laïque. Mais avec en tête, désormais, un peu plus d’esprit critique, et comme une méfiance. Leur mode de raisonnement, pour des gens qui passent leur temps à  taper sur les religions, me semble dangereusement proche, sur certains sujets, du mode « incantatoire » généralement associé à  ces mêmes religions…

  • Interview d’Alain Boyer : sixième partie

    La dernière fois, nous avions discuté avec Alain Boyer (qu’il soit remercié d’être venu participer aux discussions en commentaires) de démocratie, de tyrannie, et de liberté. Une valeur fondamentale qui ressortait était la nécessité d’avoir une égalité de droit entre les individus. Avec la notion de Justice sous-jacente. Cette thématique, la tyrannie et la démocratie, avait une suite naturelle : la religion et ses excès, notamment à  l’heure actuelle avec l’Islam. Ce sera l’objet de cette partie, ainsi que de la suivante…Bonne lecture, et n’hésitez pas à  réagir en commentaire !

    On va aborder l’Islam, alors, puisque c’est le sujet suivant. C’est un peu le sens des questions que je voulais poser sur l’Islam : j’ai l’impression qu’on a pu, en France, faire des concessions sur des choses justement qui font partie du socle de valeurs non négociables. Qu’en penses-tu ?

    Je suis d’accord. Mais c’est un problème extrêmement délicat. Il est normal, et là , je suis popperien, qu’on fasse des erreurs, et qu’on apprenne. On n’a pas de solution toute faite. Il faut avoir cette conviction que quelqu’un qui pratique l’inégalité des hommes et des femmes est en contradiction avec le Droit français. « Mon témoignage d’homme vaut celui de trois femmes », non ! C’est impossible. Mais le problème est complexe. Comme dans tous les problèmes moraux et politiques, on utilise des notions plus ou moins floues, en philosophie on appelle ça des « concepts vagues », c’est le contraire de la pensée scientifique, mais c’est inévitable, et même nécessaire pour que le langage humain soit possible.

    Un concept vague, c’est un concept dont les deux pôles (un concept c’est toujours une opposition) sont clairement identifiés. Par exemple une ville. Là  on est dans une ville, et dans la forêt de Fontainebleau on est clairement à  la campagne. Mais entre les deux, il y a un moment où la question se pose : »est-ce qu’on est dans une ville, ou à  la campagne ? » Il n’y a pas de scission nette. C’est les Grecs qui avaient trouvé ça (ils ont presque tout trouvé), ils appellent ça le paradoxe du « tas » (un « sorite ») : à  partir de combien de grains de sable il y a un tas ? si je prends un tas de grains de sable, et si j’enlève un grain, à  la fin il n’y a plus de tas. A quel moment il n’y a plus de tas ?

    Donc les concepts politiques sont souvent nécessairement vagues. Et le Droit doit trancher dans le vague. Il doit y avoir un moment de convention, ce n’est pas entièrement arbitraire, mais il faut bien dire : là  on arrête. Où faut-il mettre le curseur ? Interdiction du voile dans les écoles, ou autorisation du voile dans les écoles ? Moi j’ai pas de réponse a priori. Il faut des expériences. Peser le pour et le contre. Par exemple, le « pour » l’interdiction est très évident, puisque c’est un symbole d’alénation ou parfois d’auto aliénation de la femme, en plus c’est un signe religieux ostentatoire, donc contraire à  l’idée de laïcité, mais le « contre », c’est à  discuter, est-ce que ces jeunes filles, il vaut mieux qu’elles reçoivent l’enseignement laïc, ou qu’elles soient envoyées dans une école islamique, où là  elles n’apprennent que le Coran ? J’ai fini par être pour l’interdiction du voile dans les écoles, à  cause des premières raisons, mais j’avoue que je n’ai pas de position absolument dogmatique. Ce qui me fait être pour, c’est que je pense que l’islamisme (à  ne pas confondre avec l’islam) dont on connaît les effets, lui, est un ennemi, et lui a une politique. Une politique d’infiltration dans les démocraties européennes, qui est très dangereuse. Ils vont profiter de toutes les failles. Et donc il faut mettre un coup d’arrêt.

    Ce que je trouve difficile, en terme politique, à  ce niveau là , c’est que l’islamisme se sert, dans sa stratégie d’infiltration, de l’Islam au sens large pour venir pousser. Et c’est là  où c’est difficile : la réflexion, avec les arguments que tu énonçais, ne peut pas se faire uniquement en évoquant le voile par rapport à  un islam modéré, parce qu’on sait qu’ils se servent du voile pour…

    Les barbus sont derrière. Et ils sont très très dangereux. La démocratie libérale est fondée sur l’idée que il n’y a pas qu’une conception possible du sens de la vie. Nous pouvons vivre en commun, en ayant des conceptions du sens de la vie différentes. Je cite toujours un beau poème d’Aragon (par ailleurs stalinien épouvantable), mais grand poète, et qui dans « la Rose et le Réséda », à  propos d’un résistant communiste et d’un résistant catholique qui s’étaient fait fusiller par les Allemands, dit « celui qui croyait au ciel, et celui qui n’y croyait pas » : tous les deux ont lutté pour la même cause. Mon père était chrétien, mais il y a eu énormément de résistants communistes. Mais il n’y a pas eu que des résistants communistes.

    Mais, donc, la conception du sens de la vie d’une chrétien, n’est pas la même que celle d’un athée, c’est évident. Pour un chrétien, il y a une vie après la mort. à‡a change fondamentalement l’attitude par rapport à  la mort, par rapport à  l’amour. Par exemple l’avortement, ça peut changer totalement selon qu’on est chrétien ou pas. Mais il faut trouver entre ces conceptions ce que John Rawls appelle un « overlaping concensus », un recouvrement, un « consensus par recoupement ». Les conceptions du bien sont différentes, mais il faut qu’elles aient une intersection commune. Ce qui n’est pas le cas avec le nazi. Sur les principes fondamentaux, il n’y a pas de consensus possible avec un nazi. Et avec un islamiste radical, non plus !

    Par ailleurs, tu disais à  juste titre qu’ils profitaient de l’Islam pour le radicaliser, mais ils profitent aussi de la démocratie ! Comme tous les extrémistes ! C’est formidable pour les extrémistes, la démocratie, puisqu’on leur permet de s’exprimer. Dans une tyrannie, ils n’auraient pas de droit au chapitre. On le voit en Irak : les Chiites, qui s’opposent aux Américains à  l’heure actuelle, par exemple Moktadar al Sadr (dont le père a été fusillé par Saddam Hussein !), n’avaient pas le droit à  la parole sous Saddam Hussein. Mais maintenant qu’il y a un « début de démocratie », par exemple la liberté de la presse, ou des élections (je ne soutiens pas la politique américaine, mais je décris les faits), ils en profitent pour faire ce qu’ils ne pouvaient pas faire. La démocratie permet aux extrêmes anti-démocrates de s’exprimer. Et là  encore, c’est une question de concept vague, et de seuil : à  quel endroit faut-il placer le curseur ? De la même manière, c’est pour moi un problème ouvert, j’avais fait il y a quelques années un cours sur politique et religion, et j’avais dans la salle des musulmans, des juifs, des catholiques, c’est à  dire qu’il fallait que je fasse très attention pour ne pas blesser, et en même temps dire ce que je pense. Où placer le curseur entre la liberté d’expression (qui est aussi quelque chose sur laquelle on ne peut pas transiger, ça fait partie du socle, de l’intersection commune) et qui comprend la réciprocité (tu m’autorises à  m’exprimer si et seulement si je t’autorises à  t’exprimer), où placer le curseur donc entre cette liberté d’expression, et le respect des croyances différentes ?

    On ne peut interdire le blasphème, on ne peut revenir à  l’Ancien Régime. Mais doit-on accepter qu’une communauté se sente attaquée dans ses croyances, dans ses convictions « non-ouvertes », les plus profondes ? Personnellement, je n’aurais pas publié les caricatures de Mahomet. Mais je pense qu’une religion adulte devrait absolument tolérer ce genre de choses ; il se trouve que ce n’est pas le cas, alors ne jetons pas de l’huile sur le feu ! Je sais que j’ai des amis qui me disent : « si tu soutiens cette position, tu trahis la liberté d’expression ! »

    A nouveau !

    Mais je serais descendu dans la rue si Charlie Hebdo avait été condamné, par exemple. Les caricatures n’étaient pas drôles, d’ailleurs. Sauf une, sur Mahomet qui accueille les martyrs en disant « désolé, on n’a plus de vierges au Paradis » !

    On peut parler un peu d’Islam si tu veux, je ne suis pas spécialiste, mais j’ai quelques petites idées…
    Il faut tout d’abord distinguer l’Islam, religion tout à  fait respectable comme toutes les autres, et l’islamisme. ça rejoint ce que je disais sur la gauche qui était traversée par des tendances totalitaires, c’est la même chose avec le religions. Toutes les religions sont traversées plus ou moins par des tendances totalitaires. Simplement, en ce moment, c’est le fondamentalisme musulman qui est le plus violent. Mais il y aussi un fondamentalisme en Israël, qui est extrêmement violent, et qui veut chasser les Arabes de la « terre sainte » donnée par Dieu aux seuls Juifs, il y a un fondamentalisme chrétien qui peut être aussi violent et raciste. Il ne faut pas uniquement parler de l’Islam. Je suis très prudent, parce que je ne suis pas musulman, et pas spécialiste de l’Islam. Contrairement à  mon homonyme, qui écrit sur l’islam et sur le judaïsme. J’en parle librement, sans être spécialiste. Il faut d’abord revenir au christianisme, qui est une hérésie du judaïsme. Et, entre parenthèses, l’Islam sur bien des points que je pourrais détailler, est plus proche du judaïsme que du christianisme. […]

    Retrouvez les autres parties de l’interview dans le sommaire !

  • Interview d'Alain Boyer : deuxième partie

    Nous avons vu la dernière fois le parcours politique d’Alain Boyer dans les cercles d’extrême gauche, et notamment son évolution des groupes luxembourgistes vers le PS, dans la mouvance de Michel Rocard. L’interview continue avec des réflexions sur l’économie, le libéralisme, la place du Droit dans la société. Et les problèmes de la gauche avec l’économie de marché et le libéralisme.

    BLOmiG : Pour situer, en 1975, tu étais déjà  professeur à  la Sorbonne ?

    Alain Boyer : Non, non. J’avais 20 ans. Je rentrais à  Normale Sup’, en 74. En 1975, à  21 ans, j’ai réfléchi et décidé d’abandonner le mythe révolutionnaire. Et là  j’ai milité pendant une dizaine d’années dans les milieux rocardiens. L’idée, là , c’est qu’on abandonne complètement la révolution, on accepte la démocratie représentative, la seule viable, et le marché.

    Au passage, j’étais allé avec mes parents en Slovaquie, en 68, en juillet-août. Mon père, évadé d’Autriche en 44 y avait combattu les nazis armes à  la main … Et donc là , j’avais vu le « socialisme réel ». Et j’avais abandonné l’idée précédemment évoquée, selon laquelle, « eux ils avaient l’égalité », mais pas la liberté. Ils n’avaient en fait ni l’égalité, ni la liberté. J’ai découvert le socialisme réel avec effroi. La bureaucratie dominait tout, c’était kafkaïen, et l’économie était totalementt inefficace. C’était pourtant pendant le « Printemps de Prague ». Il y avait l’espoir d’un « socialisme à  visage humain ». Un vieux Professeur russe avec qui mon père, tout jeune, avait combattu, nous avait dit « les Tchèques avec leur printemps de Prague, ils sont naïfs, parce que les Russes vont nous envahir, et j’en mourrai ». Et les Soviétiques ont envahi la Tchécoslovaquie 15 jours après notre départ (le 21 Août 68) et le vieux Professeur à  l’alllure tolstoyenne est mort (le 4 Septembre). Je n’ai jamais pu comprendre que des gens intelligents aient pu demeurer communistes…J’en suis encore ému. Donc j’étais devenu de plus en plus anti-communiste. Et je le demeure. Le mur de Berlin ! on n’avait jamais vu ça dans l’histoire : construire un mur non pas pour empêcher les ennemis de rentrer, mais pour empêcher les citoyens de sortir !!! Je n’ai jamais pu comprendre que des gens intelligents aient pu demeurer communistes… Et maintenant , ils nous font le coup de la « trahison des idéaux » : le communisme réel (qui règne encore à  Cuba ou en Corée du Nord), c’était une caricature, nous , nous allons construire un vrai communisme ! …A d’autres… En 1989, à  Prague, il y avait un très beau slogan, d’un humour corrosif : « le communisme pour les communistes ! » …

    Au PS, avant 1981, le milieu rocardien était intéressant, et bouillonnant d’idées. L’idée, c’était de prendre le pouvoir par les élections, pas par la violence, mais en essayant d’amener un système qui soit de marché, mais auto-géré ; les dirigeants seraient élus par les salariés. Ce qui me plaisait, puisque j’avais beaucoup aimé l’idée de conseils ouvriers, d’auto organisation. Si c’était possible, je serais encore pour ! Mais l’expérience a tendance à  montrer qu’il n’y a pas eu beaucoup de succès des expériences d’autogestion, et qu’il n’est pas évident que les salariés d’une entreprise élisent des dirigeants qui soient les meilleurs. Parce que si un candidat dit « je vais être obligé de licencier 10% du personnel », je ne pense pas que les salariés voteront pour lui. C’est là  que je deviens libéral : il n’est pas du tout sûr que l’autogestion soit la solution. Je suis en revanche favorable à  une « participation » des salariés… Des actions pour tous…

    Cette question-là  rejoint énormément l’aspect politique : quelqu’un qui se présente en tenant un discours de rigueur, qui dit la vérité « on va se serrer la ceinture », se grève à  la base d’une partie des voix…

    Tout à  fait. Mais mentir aux électeurs se paie toujours. Il faut bien sûr donner des espoirs, mais en étant aussi peu démagogique que possible. Et puis, il y a d’autres éléments dans une entreprise. La transparence ne peut pas être totale. Si tout est voté dans une sorte de grand forum ouvert, le concurrent va connaître la stratégie et la politique de l’entreprise. Ce n’est pas possible.

    En revanche, ce que j’ai retenu, maintenant que je suis devenu un libéral-social, disons, et qui est d’ailleurs une idée soutenue par un de mes philosophes préférés, John Rawls (Théorie de la Justice, 1971), c’est l’idée qu’il serait bon d’étendre l’appropriation des moyens de production, comme aurait dit Marx, au plus grand nombre. Par quelque chose que j’aurais trouvé ridicule en mai 68, compte de tenu de mon extrémisme de jeune, mais que De Gaulle proposait, et qui était la participation et l’intéressement aux résultats. L’actionnariat ouvrier. A ce moment là , ce n’est plus utopie, c’est quelque chose de faisable. L’employé, l’ouvrier, le cadre se sentent attachés aux succès de leur entreprise, et non plus utilisés seulement comme moyens. Alors évidemment les marxistes vont dire « c’est un piège ». Mais comme je ne suis plus marxiste, je considère que c’est une solution qui cumule pas mal d’avantages, en particulier la responsabilisation des employés, de toute la hiérarchie, avec cette idée aussi que je trouve parfois scandaleuse que seule la direction possède les actions en très grand nombre, alors que l’ouvrier de base n’a rien.

    Je suis donc favorable à  cette idée de répartition de la propriété. Mais avec deux remarques, comme l’avaient argué les économistes autrichiens contre Marx, dès le début du XX siècle, même le socialisme, s’il veut éviter la planification centrale — qui est un échec absolu, ce qu’on peut démontrer théoriquement et empiriquement, on ne peut pas fixer les prix, c’est trop compliqué, ça ne marche pas, et ça abouti à  des catastrophes économiques, et donc humaines, comme tous les systèmes « socialistes » dans le monde — donc si on veut un socialisme avec appropriation des moyens de production, il faut quand même garder l’idée de monnaie (dont Marx voulait se passer) comme moyen d’échange, et d’investissement, de capital. La planification centrale — fixer les prix – abouti à  des catastrophes économiques, et donc humaines, comme tous les systèmes ”socialistes » dans le monde.Il faut garder la notion de capital, qui est consubstantielle à  toute économie, dès lors qu’il faut épargner et investir pour l’avenir. Donc si les travailleurs veulent être co-propriétaires de leurs entreprises, il faudra quand même garder un marché d’actions, une bourse, un système financier. Les seuls revenus des salariés ne pourraient pas suffire. Et deuxièmement la concurrence, qui est un moyen « incitatif » de faire baisser les prix et d’améliorer la qualité, et qui est donc favorable aux consommateurs que sont par ailleurs les travailleurs.

    Ce développement de l’extrême gauche au centre-droit me paraît, maintenant que je suis plus âgé, pour ne pas employer un terme plus péjoratif, assez compréhensible. Je ne pense pas avoir totalement renié mes idéaux. Simplement, ils se sont affrontés au réel, à  la critique, et je m’en suis aperçu dès le voyage en Slovaquie par exemple, mais aussi avec le développement terroriste de certains groupes maoïstes. La révolution, en dehors des tyrannies, est une impasse. Mais je pense qu’on peut toujours garder une sensibilité de gauche, au sens des valeurs de la justice sociale. Quand j’étais à  l’extrême-gauche, je n’ai jamais été anarchiste, j’ai toujours pensé que l’on ne pourrait pas se passer de l’Etat, sauf, croyais je naïvement, à  très long terme !, maintenant que je suis centre-droit, pour des raisons que je pourrais expliquer et qui sont liées à  la situation actuelle de la France (je préfèrerais être de centre gauche !), mais actuellement je dis centre-droit, parce que je pense qu’il faut des réformes libérales. On y reviendra. Mais j’aurais peut être pu aller à  un moment jusqu’à  l’anarchisme « de droite », qu’on appelle le « libertarianisme« , défendu par des gens comme le philosophe américain Robert Nozick (même s’il ne va pas jusqu’à  l’anarchisme total, et défend un « Etat ultra-minimal »), ce sont des gens qui disent (et ce sont de bons philosophes, et de bons économistes, ils ont des disciples en France, et des maîtres comme Hayek), ils vont jusqu’au bout de la logique du marché, et ils disent « l’Etat c’est l’ennemi, c’est la bureaucratie ». Ils restent anarchistes, comme Proudhon, en ce sens que l’Etat est un monstre liberticide.

    à‡a me fait penser à  une phrase de Reagan qui disait « L’Etat n’est pas la solution, c’est le problème ».

    Oui ! Justement, Reagan, comme Mme Thatcher, était influencé par Hayek. Mais les plus extrémistes d’entre les « libertariens » disent « il faut supprimer l’Etat », et que tout soit auto-organisé par le marché. Ce qui me paraît être aussi une dangereuse utopie. Et puis, du point de vue moral, c’est laisser les plus mal lotis à  leur sort, où la générosité éventuelle des riches, or je crois que l’Etat, comme le disait Karl Popper, « est un mal, mais un mal nécessaire ». Je ne dois pas – même si je suis faible – devoir ma survie, et ma vie correcte, au bon vouloir des forts, mais à  mes droits, garantis par un Etat de Droit. C’est un très bel argument. Je dois avoir les mêmes droits, que si j’étais super intelligent, sportif, top modèle… Il y a les hasards de la naissance, de l’éducation….

    On ne peut pas tout baser sur la charité, il faut de la solidarité, en somme ?

    Absolument ! C’est le sens du principe de justice sociale de Rawls (principe de différence : une inégalité n’est juste que si elle profite e n fin de compte aux plus mal lotis). Ceux qui ont tiré un mauvais numéro à  la loterie de la vie ne doivent pas attendre qu’on leur tende la main. Je refuse absolument cette idée « paternaliste ». Pour cela, il faut mettre en avant une idée plus essentielle que celle de marché (qui est essentielle, mais qu’il ne faut pas adorer), c’est l’idée que ce qui compte avant tout, et je le pense de manière presque dogmatique, c’est le Droit. Et un Etat qui garantisse le respect de ce Droit. Et il faut que ce Droit soit voté par une majorité des représentants élus, sinon on n’est pas en démocratie.

    Je ne l’ai pas évoqué tout à  l’heure, j’ai eu une période également où j’allais aux cours très brillants de Michel Foucault, je me disais … luxembourgiste et foucaldien, pendant les années qui ont suivi 1968, entre 1969 et l’élection de Giscard (74), où le bouillonnement intellectuel était considérable ! Toute la philosophie française était en ébullition, même les sciences. Un des plus grands mathématicien du siècle, Grothendiek, médaille Fields (équivalent du prix Nobel) a tout arrêté pour faire du formage de chèvre dans les Pyrénées…. A 30 ans. Il y a eu des bonnes choses qui en sont sorties: l’écologie, le féminisme. Pas immédiatment de mai 68, mais de la suite. Mais quoi qu’il en soit des aspects positifs de 68, on oubliait le Droit. Le Droit, c’était « l’idéologie bourgeoise » .Et ça, c’était une grande erreur. C’est résumé dans le plus célèbre slogan de 68 : « Il est interdit d’interdire ». Or le Droit, c’est poser des bornes, des limites.

    C’est ce qui garantit la liberté

    Tout à  fait. C’est ce qu’on appelle en philosophie : la compossibilité des libertés (Kant). Le fait de rendre possible un maximum de liberté, pourvu que l’autre ait la même liberté. Mais pour ça, il faut le règne du Droit (« Rule of Law » : Law en anglais ne veut pas d’abord dire loi mais Droit). Mais le Droit peut être mauvais, je ne suis pas « positiviste juridique ».

    C’est pour ça qu’il évolue …

    Oui, il y a eu des droits horribles ! des droits esclavagistes, comme le droit français jusqu’en 1848 ! et les lois antisémites de Vichy ! J’en suis arrivé donc à  l’idée que le Droit est très important, mais qu’il fallait qu’il soit fondé sur des valeurs morales. Le Droit romain, par exemple, sur lequel est basé le droit occidental (à  part le droit anglais, qui est différent), tous les juristes connaissent des centaines de proverbes qui viennent du droit romain, est fondé sur des valeurs de liberté, mais il y avait l’esclavage dedans…. Fuyons tout manichéisme !

    Nous plaçons donc la morale au dessus du droit ?

    Oui. Je ne crois pas du tout à  la thèse de l’autonomie du Doit par rapport à  l’éthique. Si on interdit le viol, c’est parce que cet acte horrible est pour nous absolument immoral. Même si l’on accepte la contradiction dans les temes que signifie le slogan poétique « il est interdit d’interdire » (cet interdit étant lui même… interdit : c’est une phrase « auto-référentielle », comme on dit en logique, et qui de plus se nie elle-même), on peut et on doit le refuser pour des raisons morales : il y a des actes possibles qui sont moralement condamnables, et qui doivent donc être juridiquement interdits, et la transgression de ces interdits punie. Mais il reste à  définir cette morale. Il faut une morale minimale, pour que nous puissions tous nous mettre d’accord sur un certain nombre de valeurs — un socle — qui permette la vie en commun. Voilà  un peu mon évolution.

    Ce qui fait que je suis passé du centre gauche (rocardien) au centre droit, je ne vais pas me cacher derrière les mots, c’est la situation de la gauche française qui n’a pas su évoluer comme les gauches européennes dans le sens que Michel Rocard proposait, c’est à  dire, on accepte le marché, parce que sinon c’est la planification centrale, une absurdité liberticide, mais un marché régulé par le Droit et qui donne des garanties de sécurité aux travailleurs ou aux « inactifs ». La gauche française a toujours un problème avec le marché, le libéralisme économique. Le libéralisme est un gros mot. « Tu es devenu libéral !!! Horreur ! », me disent certains amis. Oui, et je l’assume tout à  fait. Je suis pour la maximisation de la liberté individuelle, dans le cadre de lois justes. Le capitalisme, n’en parlons pas, c’est voué aux gémonies par la gauche. Mais même un système socialiste d’autogestion aurait besoin du marché et de la concurrence. La gauche française n’a jamais su se réconcilier avec l’économie de marché. Qui est la seule qui fonctionne.

    Retrouvez les autres parties de l’interview dans le sommaire !

  • La propagande du Monde Diplomatique

    CouvertureLe hors-série du Monde Diplomatique consacré à  l’environnement est un sommet de désinformation. Escamotage du débat scientifique encore à  l’oeuvre sur ces sujets, présentation des enjeux selon une grille de lecture d’extrême-gauche, choix des sujets particulièrement orientés…C’est un vrai monument, et je le garde chez moi bien précieusement. Décryptage de l’édito et de la grille de lecture…Mensonge et idéologie au programme !
    (suite…)

  • Il y a 6 ans aujourd'hui…

    attentatSix ans ! Le temps passe vite. Chacun se rappelle de ce qu’il faisait, d’où il se trouvait, et du choc en apprenant la nouvelle, le 11 septembre 2001. Attentats avec avions kamikaze sur NewYork. Le World Trade Center est touché. Peut-être le Pentagone. La Maison Blanche était visée aussi. En dehors du poids évident des symboles (la Religion qui détruit le Commerce, le début du millénaire), je retiens surtout des images de panique, de détresse, de mort. La rage qui prend aux tripes, et les larmes qui viennent en pensant aux innocents qui travaillaient dans ces tours, à  ceux qui étaient dans les avions, et qui n’avaient rien demandé à  personne.
    Et je veux me rappeler, toute ma vie, ce jour : des fous endoctrinés ont cru bon de se suicider en tuant des milliers d’innocents, pour une cause religieuse. Cette cause religieuse n’a qu’un but : étendre l’Islam pour lui soumettre le monde. Le pire est toujours possible. Il faut se le rappeler. La folie des hommes est sans limites. Chaque jour, pendant que certains oeuvrent pour améliorer leur sort, pour construire un monde un peu moins pourri, pour rapporter de quoi manger à  leur famille, chaque jour d’autres sont concentrés sur la destruction et le crime.

  • O๠est la dictature ?

    J’aimerais que quelqu’un, avant les élections présidentielles, aie fait une photographie de tous les blogs, de tous les discours « anti-sarko » que l’on pouvait lire ou entendre (j’ai moi-même mis de côté un article de Marianne sur Sarkozy qui résume beaucoup de choses…). Et que nous puissions ressortir à  leurs auteurs – maintenant et/ou dans un an – le flot d’âneries que l’on a pu entendre, la montagne de paroles excessives, la somme de fantasmes déversés dans les médias. La désinformation – heureusement – n’a pas pris : les français ont compris que Sarkozy n’était pas l’espèce de dictateur en puissance que certains décrivaient, mais bien l’homme politique volontaire et pragmatique qu’il semblait être – et qu’il est. Alors, bien sûr, ses adversaires continuent de vouloir voir dans chacune de ses actions une menace, se coupant par là  du peu d’électeur qui leur restent…Le PS dénonçait hier la présidence « absolue » de N. Sarkozy, s’enfonçant encore un peu plus dans l’attitude stérile consistant à  critiquer l’adversaire plutôt qu’à  faire des propositions politiques alternatives et réalistes. Attitude stérile qui est un aveu plus qu’une posture, à  mon avis.
    Alors, bien sûr, nous jugerons de l’action de Sarkozy et de Fillon sur résultats ; mais on peut dès à  présent affirmer que les grands perdants de l’élection sont ceux qui pratiquent la caricature plus que la réflexion. Cette élection a été passionnée et raisonnable. C’est la force de la vérité que de pouvoir marier la passion des débats contradictoires à  l’émergence – fragile et indispensable – de la raison.