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  • Le PS, les blogueurs, et le vide idéologique de la gauche française

    J’ai été surpris l’autre jour à  la lecture d’un billet sur Partageons mon avis : « La gauche et moi« , dans lequel Nicolas, blogueur influent, explique ses « relations » avec la gauche. Après avoir dit le mal qu’il pense des conflits internes, et des querelles de personne, il exprime la ligne d’accord idéologique entre « gens de gauche » et /ou militants PS :

    Nous sommes tous partisans des libertés à  la condition qu’aucun citoyen ne soit laissé de côté : la vie économique doit donc être encadrée et les moyens mis en commun par la solidarité nationale importants.

    Puis, Nicolas précise qu’il y a « deux autres principaux sujets qui [les] unissent ».

    Le premier est la lutte contre la droite Française qui, non seulement mène une politique complètement contreproductive pour l’économie, presque dévastatrice, mais se fait un malin plaisir à  revenir sur des années, voire des siècles de progrès social. Ils nous expliquent qu’ils font ça au nom de la modernité mais j’ai du mal à  comprendre en quoi c’est moderne de travailler plus ou de « payer » des franchises médicales.
    Dévastatrice ? Oui. Je ne vais pas m’étendre mais quand GDF et Suez seront totalement la propriété de fonds de pension Américain, je ne vois pas comment on pourra rebâtir une industrie nationale…
    Le deuxième est la lutte contre le style de gouvernance qui se fait dans un total mépris de la République et de ses institutions. Nicolas Sarkozy s’est ressaisi en début d’année après un mauvais cap (la réception de Kadhafi, l’annonce de sa relation avec Carla Bruni chez Mickey, …) mais le fond n’y est toujours pas.

    Si je résume, à  part une sorte phrase creuse expliquant qu’il ne faut laisser personne de côté (comment ?), on trouve dans ce texte deux positionnement forts : contre la droite, et contre le style de gouvernance. Où sont les idéaux mis en avant par la gauche ? On s’en tape du style de gouvernance ! Où sont les propositions pour l’émancipation – des femmes, des faibles, des enfants – dans la société française ? Où sont les grands axes de politique ? Où est le positionnement économique ? Où sont les propositions permettant de redistribuer les richesses équitablement, sans pénaliser ceux qui les produisent ?
    On sent bien la proximité idéologique (revendiquée d’ailleurs dans le billet) avec le PS : anti-sarko, et pas l’ombre d’une proposition. Tant que la gauche sera dans une posture d’opposition systématique, elle sera condamnée à  rester ce qu’elle est aujourd’hui : divisée sans pour autant que se dessinent des courants, dramatiquement attirée par ses extrêmes. En se positionnant en « anti », comme le fait Nicolas, la gauche modérée fait le jeu de l’extrême gauche, et penche vers les extrêmes. Au jeu des « anti », il n’y a rien de meilleur qu’un extrême : il n’est d’accord avec rien. Il est contre. J’attends de la gauche qu’elle me dise pour quoi elle est. Et comment elle compte y parvenir.

  • Delanoë n’est pas libéral

    Delanoë n’est pas libéral

    Bertrand Delanoë sort un bouquin aujourd’hui, appelé « De l’audace ». Il s’y positionne comme « libéral », ce que les médias ont bien sûr relayé avec délectation (tu parles, une occasion de voir les gars de gauche se taper dessus!). Delanoë n’est pas vraiment libéral, mais cette prise de position a le grand mérite de mettre le libéralisme sur le devant de la scène, et donnera l’occasion aux vrais libéraux – de tous horizons – de s’exprimer plus librement. Voilà  donc une belle avancée, audacieuse. Le petit landernau des blogs de gauche en est d’ailleurs tout agité…et c’est tant mieux : il faut bien remuer, sinon la pulpe elle reste au fond !

    Delanoë n’est pas libéral

    Bertrand Delanoë sort son livre « De l’audace » aujourd’hui. C’est un livre entretien avec Laurent Joffrin. Tous les médias ont déjà  relayé quelques petites phrases à  propos du libéralisme :
    Pour le maire de Paris, « libertaire » qui n’a « jamais été marxiste », la gauche doit adopter « une doctrine de la liberté et de la justice dans une société imparfaite et non une doctrine de la lutte des classes qui nous promet une société égalitaire et parfaite ». Il va même jusqu’à  employer des mots tabous : « Si les socialistes du XXIe siècle acceptent enfin pleinement le libéralisme, s’ils ne tiennent plus les termes de « concurrence » ou de « compétition » pour des gros mots, c’est tout l’humanisme libéral qui entrera de plein droit dans leur corpus idéologique. Il faut choisir : la synthèse est morte. Voici venu le temps des différences assumées. » […] Ce qui est inacceptable pour un progressiste, c’est de hisser le libéralisme au rang de fondement économique et même sociétal avec ses corollaires, désengagement de l’État et laisser-faire économique. »
    Dire que le désengagement de l’Etat est inacceptable, c’est simplement être anti-libéral !Le libéralisme est une doctrine philosophique qui prône le respect absolu de la liberté individuelle. Aucune contrainte n’est tolérée pour un libéral. Le libéralisme s’oppose à  la contrainte (notamment celle de l’Etat) et à  l’arbitraire. L’individu est au coeur du libéralisme. Chaque individu. Bien sûr que le libéralisme est le fondement de l’économie : c’est la liberté d’échanger, de produire, de travailler, d’entreprendre qui fonde l’économie. Cela n’est possible que si la liberté est réelle, et si la propriété privée est un droit inaliénable. Cela se fait dans un état de droit. Rappelons que la propriété inclue la propriété de soi, et de son travail. Pas de liberté sans propriété.
    Expliquer, ce qui est bien, que la gauche doit adopter une doctrine de liberté et de justice, en acceptant la concurrence, c’est une chose. Dire juste derrière que le désengagement de l’Etat est inacceptable, c’est simplement dire l’inverse. L’Etat est détenteur du monopole de la contrainte ; il permet l’établissement d’un Etat de droit – indispensable – mais il impose également des contraintes à  la liberté d’action des individus au fur et à  mesure qu’il prend de l’ampleur et qu’il intervient partout. La règlementation n’est pas la régulation.
    Défendre l’Etat providence qui intervient dans tous les secteurs, ne pas admettre le laisser faire économique, c’est tout sauf être libéral. Le libéralisme économique, selon Hayek :
    …considère la concurrence comme supérieure non seulement parce qu’elle est dans la plupart des circonstances la méthode la plus efficace qu’on connaisse, mais plus encore parce qu’elle est la seule méthode qui permette d’ajuster nos activités les unes aux autres sans intervention arbitraire ou coercitive de l’autorité.
    et voici ce que Mises disait du laisser-faire économique :
    Laissez faire ne signifie pas : laissez agir des forces mécaniques sans âme. Il signifie : permettez à  chaque individu de choisir comment il veut coopérer dans la division sociale du travail ; permettez aux consommateurs de déterminer ce que les entrepreneurs doivent produire.
    Alors bien sûr, Delanoë n’est pas libéral. Il est pour certaines libertés individuelles, c’est tout.

    Blogosphère en ébullition ?

    Libertas est, en libéral cohérent, bien entendu conscient de cette contradiction dans les termes de Delanoë. Mais la prise de position de Delanoë, si elle n’est pas cohérente, a le mérite de provoquer ceux qui ont l’habitude de se déclarer « anti-libéraux ». Antoine Besnehard, est dans la ligne exacte de Delanoë, de même que Nicolas. La prise de position de Delanoë, si elle n’est pas cohérente, a le mérite de mettre le libéralisme sur le devant de la scène, et de le faire connaitre.Ils comprennent l’intérêt et la valeur de la liberté, mais ils ne sont pas prêts à  accepter le libéralisme économique, qui n’est pourtant que le libéralisme s’appliquant au domaine du commerce. D’ailleurs, c’est amusant, car Antoine en appelle au « bien être commun » pour justifier les impôts et la position omniprésente de l’Etat : cela rejoint notre discussion avec René et Nicolas J, où le point central de désaccord avait fini par converger sur « l’intérêt général », et son statut (existe ou pas ?).
    D’autres, comme Marc Vasseur, plus outrancier il vrai, ne comprennent même pas que l’on puisse se dire libéral et de gauche. Plus étonnant, Koz semble lui aussi très circonspect vis-à -vis du libéralisme, et voit la démarche de Delanoë comme un savant calcul électoral…
    Tout cela montre la grande confusion d’une pensée qui voudrait garder la liberté d’action, mais seulement pour certains actes, et seulement pour certaines personnes, arbitrairement. L’inverse du libéralisme, quoi ! Cela montre également une confusion entre libéralisme économique et « loi du plus fort ». Comme si le fait de ne pas laisser libre les acteurs économiques empêchaient la loi du plus fort. Le libéralisme est la seule doctrine qui, dans ses bases mêmes, rejette toute forme de contrainte et d’oppression des individus !

    Découvrir le libéralisme, enfin…

    Tout cela ressort toujours du même constructivisme, qui n’est pas l’apanage de la gauche d’ailleurs, dégoulinant de bons sentiments, mais qui bizarrement n’inclue pas tous les individus au même niveau dans ces bons sentiments. Lutte des classes, quand tu nous tiens…Pourquoi ne pas aller voir ce qu’est réellement le libéralisme, maintenant que Delanoë a brisé le tabou ? L’avenir de la gauche sera forcément libéral, contrairement à  ce qu’ont immédiatement dit Julien Dray et Benoit Hamon. Quel bonheur si le libéralisme devient enfin un point de discussion au PS ! Avant de devenir, je l’espère, une évidence.

  • La gauche et le capitalisme

    Retour sur un article de Michel Rocard, paru le 06 mars 2008. Sous couvert d’un discours convenable et ouvert, on peut y lire un discours proche des vieilles rengaines anti-capitalistes de la gauche. Retour sur quelques points clefs de cet article, pour en disséquer un peu l’idéologie sous-jacente, et/ou le public visé…
    (suite…)

  • Valls, le solitaire ?

    La blogosphère n’en a pas beaucoup parlé. De droite comme de gauche. Et pourtant, les positions exprimées par Manuel Valls, pleines de bon sens, et de sens de la responsabilité, tranchent clairement avec la position officielle du PS. Est-ce le signe d’un début de changement d’attitude au PS ? Il faut soutenir, en tout cas, ce type de discours qui sort de l’opposition systématique, et qui se place dans le registre de la proposition et du progrès.
    (suite…)

  • Interview d’Alain Boyer : cinquième partie

    Suite de l’interview d’Alain Boyer, professeur de philosophie politique à  la Sorbonne. Après avoir discuté de l’histoire de son article paru dans le Figaro (entre les deux tours de la présidentielle), et expliquant la différence entre morale de responsabilité et morale de conviction, Alain Boyer nous explique aujourd’hui un de ses thèmes de cours « Tyrannie, Despotisme et Dictature ». On y parle, bien sûr, de démocratie et de droits de l’homme. Et on aborde – en fin de partie -, le sujet de la sixième partie (à  venir) : l’Islam et les religions.

    Puisque nous étions sur l’Université, j’aimerais rebondir sur ton sujet de cours (sur le site de la Sorbonne) « tyrannie, despotisme et dictature » ? pourquoi ce thème pour un cours ?

    C’était un sujet de cours de l’année dernière. J’ai changé cette année en Master: « Impérialisme, colonialisme et esclavagisme » (toujours le problème de la liberté, mais je fais aussi un cours de licence sur « l’autorité », qui me met directement en cause ! ) d’une part, et ”Art, morale et Politique » de l’autre : je rêve depuis toujours de parler d’Antigone, de Macbeth ou du Baroque.. Il y a beaucoup de philo et de politique là  dedans… Mais il est vrai que j’ai donné ce cours sur la tyrannie deux ans de suite, et il a apparemment intéressé les étudiants (et les auditeurs libres, que j’aime tant !) . Je recevais hier un étudiant marocain qui veut faire une thèse, et il m’a dit que c’était un sujet de cours qui intéressait beaucoup les gens qui viennent d’Afrique du Nord ou centrale, pour qui cette question est vraiment actuelle, malheureusement, il y avait aussi en cours des Sud-américains (j’adore avoir des étudiants étrangers..), qui ont connu la dictature, et qui savent ce que c’est.

    C’est presque plus intéressant d’aborder la démocratie libérale en étudiant ses contraires. Il m’est arrivé de faire des cours qui s’appelaient « démocratie et libéralisme », mais ça a moins de « succès » que si j’aborde le problème en décrivant le « Mal ». Comme en littérature. Décrire la tyrannie, contrairement à  cette idéologie dont on parlait tout à  l’heure consistant à  décrire les usines comme des camps de concentration, c’est montrer qu’une tyrannie c’est tout à  fait autre chose que ce que nous vivons. J’ai sans doute une méthode particulière pour faire des cours, qui doit d’ailleurs un peu à  68, je ne suis pas (j’espère!) démagogue (le cours n’est pas un échange, c’est moi qui parle, et réponds aux questions) mais ils peuvent intervenir quand ils veulent. Je ne lis pas de texte, j’improvise à  partir de ce que j’ai préparé pendant les « vacances », et avec quelques notes pour le plan et les références, et je me promène, et j’essaye d’animer le cours. C’est en général ce qui plait, ou parfois déplait! (je fais trop de parenthèses !) je ne suis pas quelqu’un qui se surestime, ou qui se croît autorisé à  parler d’un ton ”grand seigneur », comme aurait dit Kant, mais on m’a dit que j’avais cette ”originalité ». L’idée c’est qu’un jour je leur parle de la critique de la tyrannie chez J.-J. Rousseau, un autre de la notion de dictature (institution républicaine romaine pour les situations exceptionnelles, ce qui est passionnant pour un philosophe !) chez Machiavel, ou Carl Schmitt, grand penseur anti libéral malheureusement devenu nazi, des choses techniques en philosophie, à  partir de textes, et beaucoup d’histoire aussi.

    Pour dire ce qu’était la tyrannie en Grèce, ce qu’était la dictature Romaine, qui était donc une institution, avant que Sylla et César ne la transforment en ce que c’est devenu, c’est à  dire en despotisme, plus ou moins ; je me met à  un moment à  leur dire « dans un tyrannie, » – je suis allé moi-même en Chine à  l’époque communiste ”dure », en 88, un an avant le massacre de Tien An Men— « quand je voulais parler avec des gens que j’avais rencontrés par hasard, de sujets politiques, je voyais que ces personnes se retournaient dans la rue pour vérifier s’il y avait quelqu’un derrière, ou au restaurant, me montrant qu’on ne pouvait pas parler de ces sujets. Je leur dit, à  mes étudiants, avez-vous cette expérience ici ? » Ou, si à  11h du soir quelqu’un frappe chez vous violemment, vous pensez « c’est mon voisin qui a des problèmes d’inondation », ou vous pensez « c’est la police politique »? Ils me répondent, bien sûr, ”c’est le voisin ». C’est là  un critère évident. Nous ne sommes pas dans une tyrannie. Dans une tyrannie, c’est la police politique qui frappe à  la porte la nuit… ou qui écoute les conversations libres dans les jardins….

    J’avais trouvé ce sujet intéressant, c’est utile de préciser ce que sont les choses réellement, parce qu’on s’en rappelle, avant les élections, certaines personnes disaient que Sarkozy était presque un fasciste, ou un dictateur en puissance….

    Oui, quels ridicules procès d’intention ! C’est minable… Le vrai problème, c’est celui des réformes. Celle des 35 heures a été une énorme erreur. Mais il n’est pas facile de prévoir à  l’avance les effets d’une réforme. Je leur ai dit, lors d’un autre cours sur ”Réforme ou Révolution? » (un titre venant de ..Rosa Luxemburg…), que dans les pays démocratiques, le problème des réformes, c’est ce qu’on appelle la ”courbe en J ». Il y a une temporalité du politique en démocratie, qui est en général de 4 ou 5 ans. Le peuple, en démocratie moderne, ne dirige pas lui-même, mais est capable d’éliminer les dirigeants s’ils n’ont pas fait leur boulot (Popper), et s’il y en a de potentiellement meilleurs qui se présentent. Donc il faut un contrôle démocratique tous les 4 ou 5 ans, en plus évidemment des droits de la presse, de manifester, etc.. Une réforme difficile à  instaurer, a, au départ, peut-être pendant plusieurs années, des effets négatifs sur la majorité de la population. Ce qui fait que l’élection peut se produire au moment où la courbe est au plus bas (le point le plus bas du ”J »). Peut-être que c’est dans 10 ans seulement que les effets positifs se verront. Le cas le plus évident est le problème des retraites. Si on met à  nouveau, contrairement à  ce qu’avait fait Mitterrand, la retraite à  65 ans ou les régimes spéciaux à  40 ans, voire un peu plus, on ne verra pas tout de suite les effets bénéfiques de cette réforme, mais si on ne la fait pas, on ne pourra pas survivre, nos enfants ne pourront pas payer. Ils nous en voudront à  juste titre parce qu’ils auront un poids énorme sur leurs épaules pour payer NOS retraites.

    LE problème du politique, et les Français ne sont pas tous assez sensibles à  ça, c’est de prévoir : or, dès qu’on leur parle de réformes un peu dures à  avaler, ils attribuent ça au « fascisme » (!), à  l’extrême droite. C’est un vision de la politique que je ne partage pas du tout. En démocratie, on ne doit plus envisager la politique interne comme une guerre. Et la, la France est marquée par la Révolution française. La gauche, c’était Danton, Robespierre, la droite c’était les monarchistes. La gauche et la droite, ça a commencé avec la guerre civile ! Mais je pense qu’il faut cesser de considérer le nécessaire conflit politique comme une guerre, c’est ce que Sarkozy a essayé de faire en jouant l’ouverture. C’est aussi pour cela, en plus des réformes essentielles, vitales, qu’il veut faire passer, que, malgré certaines réserves, je soutiens son gouvernement, sans évidemment perdre ma liberté de penser et donc de critiquer. Paradoxalement, je crains qu’il n’arrive pas à  réduire suffisamment nos dettes … Mais il faut négocier des compromis, chercher l’intérêt général, pas se faire la guerre.

    à‡a rejoint ce que tu disais concernant le Droit, et la ”compossibilité » des libertés. La mission noble de la politique, c’est de pouvoir traiter des problèmes sans aller jusqu’au conflit armé ?

    Les Grecs ont inventé la politique, Castoriadis le disait toujours : ils n’ont pas inventé ”Le » politique, parce qu’il y a toujours eu plus ou moins du politique, du pouvoir, mais ”La » politique, la vie politique, c’est à  dire la discussion sur les principes mêmes de l’organisation de notre vivre ensemble. à‡a c’est les Grecs, c’est au 5ème siècle avant JC, avec Clisthène, Périclès, Protagoras, etc. que ça s’est produit. Cette politique ”polémique » mais pacifique, ne doit pas être pensée en terme de guerre, nous sommes sur un crête de montagne, comme quand on fait de l’alpinisme, avec le vide des deux côtés, si on est encordés et que quelqu’un tombe d’un côté, il faut soi-même tomber de l’autre côté. Sauter de l’autre côté pour ne pas tomber tous. Mais il faut absolument ne pas tomber, en politique, parce qu’il n’y a plus de corde … Cette image de la crête est néanmoins valable pour la démocratie libérale : il y a deux abîmes, il ne faut pas dire, la démocratie c’est un acquis. Non, non. C’est toujours assez fragile. L’un des deux abîmes c’est la guerre civile, et l’autre la tyrannie. Deux atrocités. Eschyle et Sophocle le disaient déjà . Comment éviter les deux ”maux » politiques ? Ce qui implique d’ailleurs, par rapport à  la réflexion que nous avons eue tout à  l’heure sur la gauche et la droite, qu’il faut bien s’apercevoir que cet ordre horizontal (extrême gauche, gauche, centre, droite, extrême droite) est simplificateur et doit être complexifié au moins par un axe vertical : partisans de la dictature (d’un seul ou d’un parti), et partisans du pluralisme. Il y a une gauche à  tendance dictatoriale, qui pense que la droite « c’est l’ennemi à  abattre ». Bon, Robespierre (la gauche de la gauche, même s’il a fait guillotiner son « extrême-gauche », comme Lénine le refera), on dit « les conditions, les conditions » (la guerre contre la France), mais il a quand même instauré la « grande Terreur » APRES les victoires décisives de la République (Fleurus), c’était une vision « puritaine », et le puritanisme est toujours un totalitarisme en puissance.

    L’idée de « pureté » est toujours une idée dangeureuse ?

    Oui, presque toujours, mais c’est une belle idée, car il y a des saloperies dans le monde, la corruption, etc., mais dangereuse si elle est érigée en dogme intolérant La pureté morale est un noble idéal, et je suis loin de vouloir prêcher le laissez faire total, mais de nobles idéaux peuvent conduire à  vouloir les imposer par la force : « La Terreur et la Vertu », disait Robespierre « l’incorruptible »… Que les « purs » indignés par le mal et incapables de proposer des réformes (nécessairement imparfaites !) allant dans le sens de l’honnêteté qu’ils prisent tant aillent dans des couvents ! J’étais à  Prague la semaine dernière, en Septembre : une anecdote : ils m’ont raconté que les étudiants en 1989, au moment de la ”révolution de Velours », avaient un panneau « Le communisme pour les communistes ! ». Humour noir et profond ! Les puristes dans des couvents, dans des communautés, s’ils veulent rester purs, mais qu’ils n’imposent pas ce « purisme » aux autres. En revanche, je suis évidemment en faveur de la lutte pied à  pied contre la corruption et les mafias. Mais la Gauche a elle-même engendré bien des dictateurs. Lénine, c’était un homme « de gauche » ! Fidel Castro c’est un dictateur et homme « de gauche », adulé par la très naïve Mme Mitterand… Mao et Pol Pot étaient de gauche, d’extrême gauche, or c’était l’horreur ! Il faut que la gauche tout entière prenne conscience de ça. Et du fait que la distinction libéralisme / totalitarisme est plus importante que la distinction gauche-droite.

    Cette distinction enrichit effectivement la scission habituelle gauche / droite, de même que celle que tu rappelais entre morale de conviction et morale de responsabilité. Peux-tu nous en dire deux mots ?

    Mon article est trop bref, j’ai dû opposer les deux, alors qu’il faut les combiner, ce qui n’est pas une mince affaire ! une authentique morale de la responsabilité n’est possible qu’avec des convictions, mais des convictions elle-mêmes ouvertes à  la discussion. à‡a c’est du Popper… Avoir des convictions morales, mais admettre qu’on puisse les discuter, car une conviction à  elle seule ne donne pas immédiatement les moyens de la défendre au mieux. Il faut raisonner. Par exemple, une conviction que j’ai, depuis que je m’intéresse à  la politique, et je pense que je l’aurai toujours, c’est qu’il ne faut pas laisser des gens « dans le caniveau », c’est moralement inacceptable. L’ultra-libéralisme (rien à  voir avec ce qui se fait en France avec Sarkozy…) est à  mon sens moralement inepte. Donc il faut tout faire pour faire en sorte qu’il y ait un filet de sûreté. à‡a c’est un conviction ! Mais si je fais n’importe quoi en son nom, qu’au moins j’écoute les critiques, et que j’y réponde !

    Quand tu parles de conviction ouverte, il y a quand même presque une antinomie dans l’expression ? Il y a là  un paradoxe qu’il faut que les gens soient capables d’expliciter ?

    Tout à  fait ! C’est le point le plus délicat, sur lequel tu mets l’accent de manière très pertinente. Comment avoir des convictions morales fortes mais ouvertes à  la discussion ? C’est un grave problème philosophique. Que Popper a posé, que Habermas a lui même étudié, dans son « éthique de la discussion ». Parce que si tout est en permanence ouvert à  la critique effective, ce n’est pas possible. Il faut qu’il y ait des choses considérées comme inacceptables. Torturer un enfant, c’est inacceptable. Avoir pour conviction de ne jamais torturer, c’est essentiel, mais des philosophes prennent souvent un exemple, qui pourrait devenir réel : imaginons un fou qui ait installé une bombe atomique quelque part, et qui va détruire l’humanité, elle va exploser dans heure. Faut-il le torturer pour le faire parler ? Il est fou, et convaincu et suicidaire. On ne peut le convaincre et on n’a pas le temps de le soigner, si cela était même possible. On doit, malheureusement, le torturer. Mais torturer un enfant, non. En tout cas, comme je ne pense pas qu’il existe une morale qui ait une réponse à  tous les cas possibles, il faut tenter politiquement d’agir de telle manière que de tels choix ne puissent pas se produire. Essayer, car rien n’est jamais acquis dans ce domaine, comme dans d’autres…

    Mais sur ces convictions fortes, j’ai l’impression que disons, entre personnes modérées, ceux qui se gardent de la guerre civile et de la tyrannie, ces convictions fortes sont partagées, et les autres convictions sont accessibles à  la raison, à  la discussion ?

    Il y a une conviction qui me parait absolument forte et moderne, c’est l’égalité en droit de tous les êtres humains.

    La déclaration des droits de l’homme ?

    Oui. Celle de 1789. Sauf que la Constitution qui a suivi était « machiste », puisque les femmes n’avaient pas le droit de vote. Il a fallu attendre en France 1945 pour que les femmes soient des citoyens à  part entière !! Donc l’égalité en droit, et surtout, autant que possible (car cela prend plus de temps …), en fait : il faut la promouvoir, pas seulement la proclamer. C’est pour ça que je suis provisoirement favorable à  l’idée de discrimination dite « positive », en anglais c’est mieux : « affirmative actions », actions positives. Une action positive en faveur de minorités qui sont, provisoirement espérons-le !, dans un équilibre précaire, pour de mauvaises raisons. Dans le trou… il faut pour elles une accélération, un coup de pouce, pour les faire sortir de l’eau. Passer le col. Et ensuite l’égalité de droit suffit. à‡a ne peut être que provisoire. Je suis, oui je crois « dogmatiquement », attaché à  cette idée d’égalité de Droit. Je ne vois pas comment on pourrait dire « oh non,les femmes, ou telle catégorie de citoyens, n’auront pas les mêmes droits ». C’est intolérable.

    C’est l’idée forte qui est dans la démocratie ?

    Oui, et ça a une conséquence sur les religions. Parce que si il y a des religions qui disent « les homosexuels n’ont pas les mêmes droits que les autres », que c’est un péché (le catholicisme actuel), ou que les femmes n’ont pas le même poids (dans l’Islam d’après la Charia, il faut je crois 3 femmes pour contrer le témoignage d’un homme), c’est inacceptable ! Pas de concession. C’est à  eux d’adapter leur système de pensée au Droit laïc égalitaire que nous avons. Et nous ne devons pas faire de concessions. Je ne suis rien qu’un citoyen comme les autres, mais je suis persuadé qu’avoir renoncé en toute conscience à  certaines idées, comme celle d’autogestion socialiste, ne saurait me pousser à  me complaire dans des idées nihilistes, qui condamnent toute action comme étant vaine. On doit accepter les contraintes du réel. Mais on doit aussi tenter de l’améliorer, de défendre en lui ce qu’il a de beau, et d’essayer de le rendre moins mauvais, plus juste, pour ”nous, mortels », comme disaient nos maitres Grecs.

    Retrouvez les autres parties de l’interview dans le sommaire !

  • Interview d’Alain Boyer : quatrième partie

    Nous avons vu la dernière fois l’analyse d’Alain Boyer sur la position idéologique du PS, et celle de Sarkozy. Suite de l’interview aujourd’hui, centrée sur le fameux article qu’Alain Boyer avait publié (dans le Figaro) entre les deux tours de la présidentielle pour soutenir Sarkozy. Historique de l’article, réactions, et quelques mots sur l’université. Si vous prenez cette série d’articles en cours de route, je vous conseille de commencer par le début, ça facilitera votre lecture.

    Pour toutes ces raisons, je vois bien pourquoi, avant la campagne, tu avais appelé dans ton article a voter pour Sarkozy ! Cet article, tu l’avais soumis d’abord au Monde, qui l’avait refusé. Quelles raisons t’avaient-ils donné ?

    Aucune. Une lettre impersonnelle disant que l’article était intéressant, mais que les contraintes de la rédaction, etc…Ce qui m’a amusé, parce que ,en 1969, le Monde avait publié un tableau des groupuscules d’extrême gauche en trois groupes : maoistes, trotskistes, anarchistes. Tous les groupes dont j’ai parlé tout à  l’heure, ils les avaient répartis un peu partout. Ils avaient mis l’International situationniste (l’IS …) avec les anars, et puis SouB avec les trotskistes (ils avaient mis également Spartacus parmi les trotskistes). Alors j’avais pris ma plume d’élève de 3ème, et j’avais écrit au rédacteur en chef du service politique du Monde qui ensuite devenu directeur du cabinet de Mauroy, pour leur dire qu’il fallait 4 catégories. Et tout étonné, 8 jours après j’ai reçu une lettre de lui : « Monsieur, vous avez tout à  fait raison… ». La différence est flagrante ; 30 ans après, j’écris en tant que professeur de philosophie politique et cette fois on me répond de manière presque anonyme. Cet article, pourtant à  l’époque, n’avait aucune conclusion politique. Il disait simplement qu’il il fallait des réformes dites « libérales ». Je disais que, tout en ayant des valeurs, des convictions, il est nécessaire d’avoir une morale de la responsabilité. Ce que tu avais rappelé sur ton blog. Essayer de savoir ce que seront les conséquences probables de mon action, et pas seulement se dire « j’ai bien agi, si ça se passe mal, c’est de la faute du monde ou de la société ».

    La morale de la responsabilité, c’est le contraire d’une citation latine « Fiat Justicia, pereat Mundus », et qui veut dire : »qu’advienne la justice, le monde dût-il en périr. » à‡a c’est la morale de la conviction absolue. Et c’est terrible. Non, il faut maintenir le monde en existence, l’améliorer, mais surtout pas le sacrifier au nom de valeurs pures. Il faut avoir des valeurs, mais que ces valeurs soient des sortes de contrôle, si tu vois ce que je veux dire…

    Des garde-fous ?

    Oui, des gardes-fous pour ne pas tomber dans l’immoralisme politique. Mais en même temps, la responsabilité : si je fais les 35 heures, qu’est-ce que ça va donner ? si je garde la retraite à  60 ans, comment financer les retraites dans 20 ans ? ça c’est la morale de la responsabilité, et c’est ce que je voulais dire à  tous les politiques. Je pense que DSK, par exemple, aurait été d’accord. J’avais auparavant envoyé mon article (sans l’appel à  voter Sarko !) à  Michel Rocard, qui m’avait dit qu’il était d’accord. Donc le Monde a refusé cet article pour des raisons que j’ignore.

    Ensuite tu as fait la démarche de le soumettre au Figaro ? entre les deux tours ?

    Pas exactement. Dans la foulée, un an avant sa parution, je l’ai envoyé au Figaro, juste après le refus (immédiat) du Monde, et le journaliste du Figaro, tous les mois, m’écrivait « je n’ai pas encore pu le faire publier, etc. etc.. ». J’ai donc fini par abandonner l’espoir d’être publié. Et puis, le journaliste a changé, c’est tout à  fait contingent comme histoire, et deux autres journalistes ont repris cette page « débats opinions », et c’est eux qui, un jeudi matin m’ont téléphoné, entre les deux tours : « On prend votre article, si vous rajoutez la conséquence logique qui est : votez Sarkozy. » Comme je m’apprêtais à  voter Sarkozy, c’était logique, mais j’ai malgré tout hésité, mais ils m’ont donné une demi-heure. Je n’ai pas hésité longuement, puisque après tout c’était ce que je pensais. Je l’avais dit à  tous mes amis, que je voterai Sarkozy et pas Ségolène. C’aurait été DSK, j’aurais attendu les débats, et j’aurais jugé « sur pièce ». Mais là , il m’apparaissait franchement que Ségolène n’avait pas de cohérence idéologique et politique. J’essaye, ce qui normalement est une qualité que doit avoir tout philosophe, d’être conséquent. C’est Kant qui disait ça, c’est trivial en un sens, conséquent avec soi-même. Quand on a une idée, il faut la poursuivre et en tirer les conséquences logiques. Et la conséquence logique, c’était d’appeler à  voter Sarkozy, puisque Bayrou avait un programme qui correspondait un peu à  ma vision, mais qu’il n’était pas au deuxième tour. Je le citais d’ailleurs dans l’article. Le programme économique de Bayrou a été fait en partie par quelqu’un que je connaissais depuis la fin des années 70, dans les milieux rocardiens : Jean Perlevade. Qui était rocardo-mauroiste, puis conseiller de Mauroy. Il a été également patron du Crédit Lyonnais. C’est quelqu’un qui connaît l’entreprise, et l’économie. Et les coups durs. Donc Perlevade avait concocté, avec d’autres, le programme économique de Bayrou qui était plus libéral que celui de Sarkozy ! Il proposait tout simplement d’interdire le déficit budgétaire, ce qui est d’ailleurs, me semble-t-il, excessif. Ce qui m’a fasciné dans cette campagne, c’est de voir que la politique vraiment politicienne l’a emporté contre le débat d’idées, parce que cette idée d’alliance Ségolène-Bayrou entre les deux tours, avec leur sorte de tango, était idéologiquement inconsistante. Puisque le programme de Bayrou était plus libéral que celui de Sarkozy…

    Avec le peu de recul que j’ai, je le vois comme ça : face à  la solidité et à  la cohérence du programme de Sarkozy, ceux qui restent essayent de s’associer pour récupérer les miettes, sans cohérence idéologique.

    Oui c’est ça, et ça n’a pas marché d’ailleurs. Les électeurs n’y ont pas cru. Et donc voilà  pourquoi j’ai publié cet article ; j’ai réfléchi une demi-heure, et j’ai rajouté le titre et la conclusion.

    Je reviens ce sur que tu avais dit sur le blog : tu disais t’être fait des ennemis en te positionnant pour Sarkozy ?

    J’exagère. Disons qu’un certain nombre d’amis ne me parlent plus, ou plus comme avant, ou avec une certaine distance. Pas d’ennemis, donc, mais une forme d’éloignement, de déception de la part de gens qui doivent penser : « oh là  là  lui aussi !  » comme si j’allais à  la soupe, alors que je ne demande aucun poste. J’en serais d’ailleurs bien incapable…. Je ne sais qu’enseigner la philo, avec mon style personnel, et qu’écrire dans ce domaine.

    Et parmi les universitaires ? j’ai une vision, certainement déformée, d’une université assez ancrée à  gauche, et de manière plutôt dogmatique. Comment a été perçue cette prise de position dans ton environnement à  l’Université, parmi tes collègues ?

    Cela a quand même évolué depuis 20 ans. A l’Université, l’opposition frontale entre la bonne gauche qui a toutes les qualités, et la mauvaise droite qui a tous les défauts, bien des gens se rendent compte que c’est quand même plus compliqué. Les universitaires, il y en a qui sont socialistes, d’autres centristes, d’autres proches de l’UMP, et on arrive à  travailler ensemble pour transmettre, chacun à  sa manière, les « fondamentaux » nécessaires. Même si elle en train de connaitre un petit renouveau, la pensée marxiste révolutionnaire a quand même largement disparu. Mais la sensibilité « de gauche », à  laquelle je me sens toujours attaché (la justice sociale), est assez dominante, mais de manière plus ouverte. Quand j’ai fait mes études à  la Sorbonne, on savait que tel ou tel Prof était communiste, trotskiste ou « mao » ou « de droite ». Maintenant c’est plutôt plus modéré. Et c’est un bienfait pour la liberté et la démocratie. Le pluralisme, le débat, le refus de la violence et de l’intimidation, la compréhension de la nécessité des réformes (par définition discutables, mais que l’autorité démocratiquement élue a le droit et le devoir de faire passer) sont en train, je l’espère, de faire des progrès.

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