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  • Harmonies à‰conomiques : Deuxième chapitre

    On continue la série ! Après le premier chapitre, où Bastiat montrait que l’état naturel de l’homme est de vivre en société, et qu’il faut faire attention à  ne pas contraindre sa liberté sans réfléchir sur les conséquences de cette contrainte, voici le billet résumant les idées principales du deuxième chapitre d’Harmonies Economiques, de Frédéric Bastiat. Le titre de ce chapitre est « Besoins, Efforts, Satisfactions ». Les idées principales pourraient être résumées ainsi : plutôt que d’attribuer tous les maux à  la liberté de l’homme et à  la satisfaction de son intérêt personnel, vérifions si le constat de base des utopistes et dialecticien est vrai (les intérêts personnels sont antagoniques et sources de tous les maux). Pour cela, il faut définir quelques notions d’économie. Bastiat définit le Besoin, l’Utilité gratuite, l’Utilité onéreuse et la Satisfaction. Autant les besoins et la satisfaction sont des choses personnels, autant les efforts que les hommes font peuvent faire l’objet d’échange. Ce sont les efforts qui sont le principe social ; ce sont les échanges d’efforts, la transmission de service, qui forment la matière d’étude de la science économique.

    Piège pour sortir du conflit : changer l’humain !

    Dans un premier temps, Bastiat décrit la pensée de ceux qui veulent changer l’être humain, plutôt que de lui rendre sa liberté.
    Le pauvre s’élève contre le riche; le prolétariat contre la propriété; le peuple contre la bourgeoisie; le travail contre le capital; l’agriculture contre l’industrie; la campagne contre la ville; la province contre la capitale; le regnicole contre l’étranger.
    Et les théoriciens surviennent, qui font un système de cet antagonisme. « Il est, disent-ils, le résultat fatal de la nature des choses, c’est-à -dire de la liberté. L’homme s’aime lui-même, et voilà  d’où vient tout le mal, car puisqu’il s’aime, il tend vers son propre bien-être, — et il ne le peut trouver que dans le malheur de ses frères. Empêchons donc qu’il n’obéisse à  ses tendances; étouffons sa liberté; changeons le coeur humain; substituons un autre mobile à  celui que Dieu y a placé; inventons et dirigeons une société artificielle! »

    Bastiat décrit ensuite ce que les esprits peuvent constuire à  partir de cette mauvaise analyse : selon que l’on est dialecticien ou utopiste, on va, dans un cas, disséquer et analyser le mal, et partant tout regarder à  son aulne, et dans l’autre cas, s’élancer vers la région des chimères. Le dialecticien va tout souiller, dégouter de tout, et tout nier. L’utopiste va créer et faire des hommes à  son gré, et parce qu’il est dans l’utopie, rien ne l’arrête. L’un et l’autre obtiendront du succès auprès de ceux qui souffrent. L’un et l’autre finissent dans la misanthropie, et finiront – pour nous convaincre – à  se faire passer pour des prophètes, avec tous les relents de despotisme que cela comporte. Voilà  le danger à  vouloir changer l’humain.
    Cependant il est rare que l’utopiste s’en tienne à  ces innocentes chimères. Dès qu’il veut y entraîner l’humanité, il éprouve qu’elle n’est pas facile à  se laisser transformer. Elle résiste, il s’aigrit. Pour la déterminer, il ne lui parle pas seulement du bonheur qu’elle refuse, il lui parle surtout des maux dont il prétend la délivrer. Il ne saurait en faire une peinture trop saisissante. Il s’habitue à  charger sa palette, à  renforcer ses couleurs. Il cherche le mal, dans la société actuelle, avec autant de passion qu’un autre en mettrait à  y découvrir le bien. Il ne voit que souffrances, haillons, maigreur, inanition, douleurs, oppression. Il s’étonne, il s’irrite de ce que la société n’ait pas un sentiment assez vif de ses misères. Il ne néglige rien pour lui faire perdre son insensibilité, et, après avoir commencé par la bienveillance, lui aussi finit par la misanthropie.
    À Dieu ne plaise que j’accuse ici la sincérité de qui que ce soit ! Mais, en vérité, je ne puis m’expliquer que ces publicistes, qui voient un antagonisme radical au fond de l’ordre naturel des sociétés, puissent goûter un instant de calme et de repos. Il me semble que le découragement et le désespoir doivent être leur triste partage. Car enfin, si la nature s’est trompée en faisant de l’intérêt personnel le grand ressort des sociétés humaines (et son erreur est évidente, dès qu’il est admis que les intéréts sont fatalement antagoniques), comment ne s’aperçoivent-ils pas que le mal est irrémédiable ? Ne pouvant recourir qu’à  des hommes, hommes nous-mêmes, où prendrons-nous notre point d’appui pour changer les tendances de l’humanité? Invoquerons-nous la Police, la Magistrature, l’État, le Législateur? Mais c’est en appeler à  des hommes, c’est-à -dire à  des êtres sujets à  l’infirmité commune. Nous adresserons-nous au Suffrage Universel ?
    Mais c’est donner le cours le plus libre à  l’universelle tendance.
    Il ne reste donc qu’une ressource à  ces publicistes. C’est de se donner pour des révélateurs, pour des prophètes, pétris d’un autre limon, puisant leurs inspirations à  d’autres sources que le reste de leurs semblables; et c’est pourquoi, sans doute, on les voit si souvent envelopper leurs systèmes et leurs conseils dans une phraséologie mystique. Mais s’ils sont des envoyés de Dieu, qu’ils prouvent donc leur mission. En définitive, ce qu’ils demandent, c’est la puissance souveraine, c’est le despotisme le plus absolu qui fut jamais.
    Non-seulement ils veulent gouverner nos actes, mais ils prétendent altérer jusqu’à  l’essence même de nos sentiments. C’est bien le moins qu’ils nous montrent leurs titres. Espèrent-ils que l’humanité les croira sur parole, alors surtout qu’ils ne s’entendent pas entre eux?

    Les intérêts sont-ils antagoniques ?

    Mais avant même d’examiner leurs projets de sociétés artificielles, n’y a-t-il pas une chose dont il faut s’assurer, à  savoir, s’ils ne se trompent pas dès le point de départ? Est-il bien certain que les intérêts soient naturellement antagoniques, qu’une cause irrémédiable d’inégalité se développe fatalement dans l’ordre naturel des sociétés humaines, sous l’influence de l’intérêt personnel, et que, dès lors, Dieu se soit manifestement trompé quand il a ordonné que l’homme tendrait vers le bien-être ?
    C’est ce que je me propose de rechercher.

    Bastiat explique ensuite qu’il prend l’homme tel qu’il est :
    susceptible de prévoyance et d’expérience, perfectible, s’aimant lui-même, c’est incontestable, mais d’une affection tempérée par le principe sympathique, et, en tout cas, contenue, équilibrée par la rencontre d’un sentiment analogue universellement répandu dans le milieu où elle agit
    il se demande quel ordre social doit résulter de la combinaison et des libres tendances de ces éléments.
    Si nous trouvons dans ce résultat une marche progressive vers le progrès, alors les lois naturelles de la société ne sont pas à  contrarier, mais à  libérer, et en tout cas, Bastiat, en tant que législateur, estime qu’il de son devoir de rechercher les causes de ce qu’il observe et d’agir en conséquence. D’où la nécessité d’étudier l’économie.
    Je commencerai par établir quelques notions économiques. M’aidant des travaux de mes devanciers, je m’efforcerai de résumer la Science dans un principe vrai, simple et fécond qu’elle entrevit dès l’origine, dont elle s’est constamment approchée et dont peut-être le moment est venu de fixer la formule. Ensuite, à  la clarté de ce flambeau, j’essayerai de résoudre quelques-uns des problèmes encore controversés, concurrence, machines, commerce extérieur, luxe, capital, rente, etc. Je signalerai quelques-unes des relations, ou plutôt des harmonies de l’économie politique avec les autres sciences morales et sociales, en jetant un coup d’oeil sur les graves sujets exprimés par ces mots: Intérêt personnel, Propriété, Communauté, Liberté, Égalité, Responsabilité, Solidarité, Fraternité, Unité. Enfin j’appellerai l’attention du lecteur sur les obstacles artificiels que rencontre le développement pacifique, régulier et progressif des sociétés humaines. De ces deux idées: Lois naturelles harmoniques, causes artificielles perturbatrices, se déduira la solution du Problème social.

    Economie Politique : science de l’humain

    Bastiat commence par définir le champ d’étude de l’économie.
    L’économie politique a pour sujet l’homme.
    Mais elle n’embrasse pas l’homme tout entier. Sentiment religieux, tendresse paternelle et maternelle, piété filiale, amour, amitié, patriotisme, charité, politesse, la Morale a envahi tout ce qui remplit les attrayantes régions de la Sympathie. Elle n’a laissé à  sa soeur, l’Économie politique, que le froid domaine de l’intérêt personnel. C’est ce qu’on oublie injustement quand on reproche à  cette science de n’avoir pas le charme et l’onction de la morale. Cela se peut-il? Contestez-lui le droit d’être, mais ne la forcez pas de se contrefaire. Si les transactions humaines, qui ont pour objet la richesse, sont assez vastes, assez compliquées pour donner lieu à  une science spéciale, laissons-lui l’allure qui lui convient et ne la réduisons pas à  parler des Intérêts dans la langue des Sentiments. Je ne crois pas, quant à  moi, qu’on lui ait rendu service, dans ces derniers temps, en exigeant d’elle un ton de sentimentalité enthousiaste qui, dans sa bouche, ne peut être que de la déclamation. De quoi s’agit-il? De transactions accomplies entre gens qui ne se connaissent pas, qui ne se doivent rien que la Justice, qui défendent et cherchent à  faire prévaloir des intérêts. Il s’agit de prétentions qui se limitent les unes par les autres, où l’abnégation et le dévouement n’ont que faire. Prenez donc une lyre pour parler de ces choses. Autant j’aimerais que Lamartine consultât la table des logarithmes pour chanter ses odes.
    Ce n’est pas que l’économie politique n’ait aussi sa poésie, Il y en a partout où il y a ordre et harmonie. Mais elle est dans les résultats, non dans la démonstration: Elle se révèle, on ne la crée pas. Keppler ne s’est pas donné pour poète, et certes les lois qu’il a découvertes sont la vraie poésie de l’intelligence.

    Pour étudier l’humain, il faut donc, au moins momentanément, l’étudier sous l’angle de sa sensibilité et de son activité.

    Effort et satisfaction

    L’âme (ou pour ne pas engager la question de spiritualité), l’homme est doué de Sensibilité. Que la sensibilité soit dans l’âme ou dans le corps, toujours est-il que l’homme comme être passif éprouve des sensations pénibles ou agréables. Comme être actif, il fait effort pour éloigner les unes et multiplier les autres. Le résultat, qui l’affecte encore comme être passif, peut s’appeler Satisfaction.
    De l’idée générale Sensibilité naissent les idées plus précises: peines, besoins, désirs, goûts, appétits, d’un côté; et de l’autre, plaisirs, jouissances, consommation, bien-être.
    Entre ces deux extrêmes s’interpose le moyen, et de l’idée générale Activité naissent des idées plus précises : peine, effort, fatigue, travail, production.
    En décomposant la Sensibilité et l’Activité, nous retrouvons un mot commun aux deux sphères, le mot Peine. C’est une peine que d’éprouver certaines sensations, et nous ne pouvons la faire cesser que par un effort qui est aussi une peine. Ceci nous avertit que nous n’avons guère ici-bas que le choix des maux.
    Tout est personnel dans cet ensemble de phénomènes, tant la sensation qui précède l’effort que la Satisfaction qui le suit.
    Nous ne pouvons donc pas douter que l’Intérêt personnel ne soit le grand ressort de l’humanité. Il doit être bien entendu que ce mot est ici l’expression d’un fait universel, incontestable, résultant de l’organisation de l’homme, et non point un jugement critique, comme serait le mot égoïsme. Les sciences morales seraient impossibles, si l’on pervertissait d’avance les termes dont elles sont obligées de se servir.

    Utilité gratuite, Utilité onéreuse

    Si l’on donne le nom d’Utilité à  tout ce qui réalise la satisfaction des besoins, il y a donc des utilités de deux sortes. Les unes nous ont été accordées gratuitement par la Providence; les autres veulent être, pour ainsi parler, achetées par un effort.
    Ainsi l’évolution complète embrasse ou peut embrasser ces quatre idées:
    Besoin { Utilité gratuite, Utilité onéreuse } Satisfaction
    L’homme est pourvu de facultés progressives. Il compare, il prévoit, il apprend, il se réforme par l’expérience. Puisque si le besoin est une peine, l’effort est une peine aussi, il n’y a pas de raison pour qu’il ne cherche à  diminuer celle-ci, quand il le peut faire sans nuire à  la satisfaction qui en est le but. C’est à  quoi il réussit quand il parvient à  remplacer de l’utilité onéreuse par de l’utilité gratuite, et c’est l’objet perpétuel de ses recherches.
    Il résulte de la nature intéressée de notre coeur que nous cherchons constamment à  augmenter le rapport de nos Satisfactions à  nos Efforts; et il résulte de la nature intelligente de notre esprit que nous y parvenons, pour chaque résultat donné, en augmentant le rapport de l’Utilité gratuite à  l’Utilité onéreuse.
    Chaque fois qu’un progrès de ce genre se réalise, une partie de nos efforts est mise, pour ainsi dire, en disponibilité; et nous avons l’option ou de nous abandonner à  un plus long repos, ou de travailler à  la satisfaction de nouveaux désirs, s’il s’en forme dans notre coeur d’assez puissants pour stimuler notre activité.
    Tel est le principe de tout progrès dans l’ordre économique; c’est aussi, il est aisé de le comprendre, le principe de toute déception, car progrès et déceptions ont leur racine dans ce don merveilleux et spécial que Dieu a fait aux hommes: le libre arbitre.
    Nous sommes doués de la faculté de comparer, de juger, de choisir et d’agir en conséquence; ce qui implique que nous pouvons porter un bon ou mauvais jugement, faire un bon ou mauvais choix. Il n’est jamais inutile de le rappeler aux hommes quand on leur parle de Liberté.

    Bastiat rappelle enfin l’importance de prendre en compte dans la réflexion l’existence des mauvais choix, de la perversion.
    Quand donc nous parlons d’harmonie, nous n’entendons pas dire que l’arrangement naturel du monde social soit tel que l’erreur et le vice en aient été exclus; soutenir cette thèse en face des faits, ce serait pousser jusqu’à  la folie la manie du système. Pour que l’harmonie fût sans dissonance, il faudrait ou que l’homme n’eût pas de libre arbitre, ou qu’il fût infaillible. Nous disons seulement ceci: les grandes tendances sociales sont harmoniques, en ce que, toute erreur menant à  une déception et tout vice à  un châtiment, les dissonances tendent incessamment à  disparaître.
    La propriété peut donc se déduire de cela : puisque c’est l’individu qui éprouve la sensation, le désir, le besoin, puisque c’est lui qui fait l’Effort, il faut bien que la satisfaction aboutisse à  lui, sans quoi l’effort n’aurait pas sa raison d’être.
    Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’une science a, par elle-même, des frontières naturelles et immuables. Dans le domaine des idées, comme dans celui des faits, tout se lie, tout s’enchaîne, toutes les vérités se fondent les unes dans les autres, et il n’y a pas de science qui, pour être complète, ne dût les embrasser toutes. On a dit avec raison que, pour une intelligence infinie, il n’y aurait qu’une seule vérité. C’est donc notre faiblesse qui nous réduit à  étudier isolément un certain ordre de phénomènes, et les classifications qui en résultent ne peuvent échapper à  un certain arbitraire.
    Le vrai mérite est d’exposer avec exactitude les faits, leurs causes et leurs conséquences. C’en est un aussi, mais beaucoup moindre et purement relatif, de déterminer d’une manière, non point rigoureuse, cela est impossible, mais rationnelle, l’ordre de faits que l’on se propose d’étudier.

    C’est l’effort qui est le principe social

    Il faut lire le paragraphe suivant, où Bastiat montre de manière magistrale que c’est l’effort qui est le principe social, la source de l’économie politique. C’est cette transmission d’efforts, cet échange de services qui est précisément ce qui constitue la science économique.
    Dans ces derniers temps, on a beaucoup reproché aux économistes de s’être trop attachés à  étudier la Richesse. On aurait voulu qu’ils fissent entrer dans la science tout ce qui, de près ou de loin, contribue au bonheur ou aux souffrances de l’humanité; et on a été jusqu’à  supposer qu’ils niaient tout ce dont ils ne s’occupaient pas, par exemple, les phénomènes du principe sympathique, aussi naturel au coeur de l’homme que le principe de l’intérêt personnel. C’est comme si l’on accusait le minéralogiste de nier l’existence du règne animal. Eh quoi! la Richesse, les lois de sa production, de sa distribution, de sa consommation, n’est-ce pas un sujet assez vaste, assez important pour faire l’objet d’une science spéciale? Si les conclusions de l’économiste étaient en contradiction avec celles de la politique ou de la morale, je concevrais l’accusation. On pourrait lui dire: « En vous limitant, vous vous êtes égaré, car il n’est pas possible que deux vérités se heurtent. » Peut-être résultera-t-il du travail que je soumets au public que la science de la richesse est en parfaite harmonie avec toutes les autres.
    Des trois termes qui renferment les destinées humaines: Sensation, Effort, Satisfaction, le premier et le dernier se confondent toujours et nécessairement dans la même individualité. Il est impossible de les concevoir séparés. On peut concevoir une sensation non satisfaite, un besoin inassouvi; jamais personne ne comprendra le besoin dans un homme et sa satisfaction dans un autre.
    S’il en était de même pour le terme moyen, l’Effort, l’homme serait un être complétement solitaire. Le phénomène économique s’accomplirait intégralement dans l’individu isolé. Il pourrait y avoir une juxtaposition de personnes, il n’y aurait pas de société. Il pourrait y avoir une Économie personnelle, il ne pourrait exister d’Économie politique.
    Mais il n’en est pas ainsi. Il est fort possible et fort fréquent que le Besoin de l’un doive sa Satisfaction à  l’Effort de l’autre. C’est un fait. Si chacun de nous veut passer en revue toutes les satisfactions qui aboutissent à  lui, il reconnaîtra qu’il les doit, pour la plupart, à  des efforts qu’il n’a pas faits; et de même, le travail que nous accomplissons, chacun dans notre profession, va presque toujours satisfaire des désirs qui ne sont pas en nous.
    Ceci nous avertit que ce n’est ni dans les besoins ni dans les satisfactions, phénomènes essentiellement personnels et intransmissibles, mais dans la nature du terme moyen, des Efforts humains, qu’il faut chercher le principe social, l’origine de l’économie politique.
    C’est, en effet, cette faculté donnée aux hommes, et aux hommes seuls, entre toutes les créatures, de travailler les uns pour les autres; c’est cette transmission d’efforts, cet échange de services, avec toutes les combinaisons compliquées et infinies auxquelles il donne lieu à  travers le temps et l’espace, c’est là  précisément ce qui constitue la science économique, en montre l’origine et en détermine les limites. Je dis donc: Forment le domaine de l’économie politique tout effort susceptible de satisfaire, à  charge de retour, les besoins d’une personne autre que celle qui l’a accompli, — et, par suite, les besoins et satisfactions relatifs à  cette nature d’efforts.

    Service et théorie de l’échange

    Accomplir un effort pour satisfaire le besoin d’autrui, c’est lui rendre un service. Si un service est stipulé en retour, il y a échange de services; et, comme c’est le cas le plus ordinaire, l’économie politique peut être définie: la théorie de l’échange.
    Quelle que soit pour l’une des parties contractantes la vivacité du besoin, pour l’autre l’intensité de l’effort, si l’échange est libre, les deux services échangés se valent. La valeur consiste donc dans l’appréciation comparative des services réciproques, et l’on peut dire encore que l’économie politique est la théorie de la valeur.
    Je viens de définir l’économie politique et de circonscrire son domaine, sans parler d’un élément essentiel: l’utilité gratuite.
    Tous les auteurs ont fait remarquer que nous puisons une foule de satisfactions à  cette source. Ils ont appelé ces utilités, telles que l’air, l’eau, la lumière du soleil, etc., richesses naturelles, par opposition aux richesses sociales, après quoi ils ne s’en sont plus occupés; et, en effet, il semble que, ne donnant lieu à  aucun effort, à  aucun échange, à  aucun service, n’entrant dans aucun inventaire comme dépourvues de valeur, elles ne doivent pas entrer dans le cercle d’étude de l’économie politique.

    Importance de l’utilité gratuite pour voir les bienfaits des échanges de services

    Or qu’arrive-t-il? Quoique l’effet utile soit égal, l’effort est moindre. Moindre effort implique moindre service, et moindre service implique moindre valeur. Chaque progrès anéantit donc de la valeur; mais comment? Non point en supprimant l’effet utile, mais en substituant de l’utilité gratuite à  de l’utilité onéreuse, de la richesse naturelle à  de la richesse sociale. À un point de vue, cette portion de valeur ainsi anéantie sort du domaine de l’économie politique comme elle est exclue de nos inventaires; car elle ne s’échange plus, elle ne se vend ni ne s’achète, et l’humanité en jouit sans efforts, presque sans en avoir la conscience; elle ne compte plus dans la richesse relative, elle prend rang parmi les dons de Dieu. Mais, d’un autre côté, si la science n’en tenait plus aucun compte, elle se fourvoierait assurément, car elle perdrait de vue justement ce qui est l’essentiel, le principal en toutes choses: le résultat, l’effet utile; elle méconnaitrait les plus fortes tendances communautaires et égalitaires; elle verrait tout dans l’ordre social, moins l’harmonie. Et si ce livre est destiné à  faire faire un pas à  l’économie politique, c’est surtout en ce qu’il tiendra les yeux du lecteur constamment attachés sur cette portion de valeur successivement anéantie et recueillie sous forme d’utilité gratuité par l’humanité tout entière.

    Mélange et interconnexions entre morale et économie

    Je viens de définir le service. C’est l’effort dans un homme, tandis que le besoin et la satisfaction sont dans un autre. Quelquefois le service est rendu gratuitement, sans rémunération, sans qu’aucun service soit exigé en retour. Il part alors du principe sympathique plutôt que du principe de l’intérêt personnel. Il constitue le don et non l’échange. Par suite, il semble qu’il n’appartienne pas à  l’économie politique (qui est la théorie de l’échange), mais à  la morale. En effet, les actes de cette nature sont, à  cause de leur mobile, plutôt moraux qu’économiques. Nous verrons cependant que, par leurs effets, ils intéressent la science qui nous occupe. D’un autre côté, les services rendus à  titre onéreux, sous condition de retour, et, par ce motif, essentiellement économiques, ne restent pas pour cela, quant à  leurs effets, étrangers à  la morale.
    Ainsi ces deux branches de connaissances ont des points de contact infinis; et, comme deux vérités ne sauraient être antagoniques, quand l’économiste assigne à  un phénomène des conséquences funestes en même temps que le moraliste lui attribue des effets heureux, on peut affirmer que l’un ou l’autre s’égare. C’est ainsi que les sciences se vérifient l’une par l’autre.

    a suivre

    Voilà  ! j’espère que ça vous a plu. Le prochain chapitre s’appelle : « Des besoins de l’homme ».

  • Pauvres Americains et riches Francais

    Lorsque l’on discute au Café du Commerce, la discussion finit souvent sur une comparaison des USA (ou du Royaume-Uni) et de la France. Et lorsque l’on avance l’argument consistant à  dire que les USA sont plus riches que nous, on se voit rétorquer quasi-invariablement l’argument massue : « ils sont plus riches globalement, mais ce sont les riches qui en profitent ! les inégalités là -bas sont énormes ! Ils ont plus de pauvres au final que nous. Quel super système qu’un système qui produit plein de richesses et plein de pauvres ! ». A cela il n’y a qu’une réponse : aller regarder les chiffres et la réalité…
    Une première mise en garde consiste à  rappeler qu’inégalité n’est pas synonyme de pauvreté. Une deuxième étape dans la réflexion consiste à  préciser que si les inégalités peuvent être choquantes, elles ne sont pas vécues, pensées et compensées de la même manière dans toutes les sociétés.
    Pour ne pas tout confondre, il est également utile d’aller regarder les comparaisons chiffrées, et d’en retenir les conclusions.
    Une étude très complète se trouve sur le site de Daniel Martin : j’en rappelle ici les principales conclusions :

    En définitive, à  niveau de vie comparable, les taux de pauvreté américain, 12.5 %, et français, 11.7 %, sont très voisins. Dans ce domaine aussi, la vérité des chiffres dément les allégations de nos concitoyens antiaméricains qui essaient de nous faire croire que les Américains sont bien plus malheureux que nous. Rappelons-nous que :

    • Le taux de chômage français fin 2006 est de 8.8 %, alors qu’il est de 4.4 % aux Etats-Unis selon le Department of Labor (ministère du travail des Etats-Unis), statistique téléchargée le 30/11/2006 de la page d’accueil http://www.bls.gov/
    • Le niveau de vie moyen est 50 % plus élevé aux Etats-Unis qu’en France.
    • La France reprend l’avantage en matière d’inégalités de revenu disponible, avec un indice de Gini de 0.268 contre environ 0.466 aux Etats-Unis (où les impôts ne changent pas beaucoup cet indice).

    Pour bien comprendre pourquoi, malgré ces chiffres éloquents, on entend souvent parler d’une proportion inquiétante de pauvres aux USA, il est bon d’aller lire l’excellent article de Christophe Vincent, « Le seuil de pauvreté, un indicateur qui n’indique rien. » Il faut vraiment lire cet article court, simple à  comprendre et direct. Il y redéfinit deux notions importantes : le salaire médian, et le seuil de pauvreté.

    • Le revenu médian : c’est le revenu qui coupe en deux la population (la moitié gagne moins, la moitié gagne plus). A ne pas confondre avec le revenu moyen.
    • Le seuil de pauvreté : il correspond à  la moitié du revenu médian

    Christophe Vincent montre ensuite, à  l’aide d’un exemple limpide, comment le seuil de pauvreté ne permet ni de refléter la réalité de la pauvreté, ni de comparer deux pays. L’exemple est très simple : on considère deux populations, avec deux répartitions de revenus. Extrait :

    Supposons qu’aux États-Unis, 30% des habitants aient un revenu compris entre 200 et 300 KF, que 20% aient un revenu compris entre 300 et 600 KF, et que les 50% restants aient un revenu encore supérieur. Le revenu médian pour la population des États-Unis serait alors de 600 KF ( 50% gagnent plus, 50% gagnent moins ). Le « seuil de pauvreté » serait donc de 300 KF (la moitié du revenu médian). Trente pour cent des habitants des États-Unis vivraient en dessous du « seuil de pauvreté »! Mais avec un revenu compris entre 200 et 300 KF, pourrait-on vraiment dire que les États-Unis comptent 30% de pauvres?
    Supposons maintenant qu’en France, 50% des habitants aient un revenu compris entre 50 et 100 KF, les autres 50% ayant un revenu supérieur. Le revenu médian français serait donc de 100 KF. Le « seuil de pauvreté » serait de 50 KF. Personne en France ne vivrait donc en dessous de ce fameux « seuil de pauvreté »! Pourrait-on dire pour autant que la France ne comporte que des gens riches?
    Avec ces deux exemples, on voit déjà  bien que ce prétendu seuil de pauvreté ne reflète absolument pas la réalité de la pauvreté.
    Mais en plus, il ne permet absolument aucune comparaison entre les différents pays, le « seuil de pauvreté » de chacun n’étant pas le même. Dans notre exemple, pourrait-on sérieusement soutenir que la situation des Français est plus enviable que celle des Américains?
    Ce seuil de pauvreté est donc un très mauvais indicateur. On ne peut en tirer aucune conclusion valable. C’est un indicateur… qui n’indique rien du tout. Il ne permet pas de dire si les 19% d’Américains considérés comme pauvres sont réellement pauvres. Il ne permet pas de dire s’il y a trois fois plus de pauvres aux États-Unis qu’en France (ce dont je doute).
    Ce « seuil de pauvreté » n’a en fait qu’un seul intérêt: c’est un bon épouvantail. Les adversaires du libéralisme de mauvaise foi n’ont donc sans doute pas fini de l’agiter.

    Que dire de plus ? Maintenant, si au détour d’une conversation quelqu’un dénonce le système américain à  cause de son injustice (rendez-vous compte : 19% de pauvres, ma bonne dame!), vous pourrez lui dire que ce n’est pas si simple, ou mieux, l’envoyer ici pour lire cet article ! ;)

  • Distinction entre responsabilité et conviction

    Quelques temps avant l’élection présidentielle, Alain Boyer (professeur de philosophie politique à  l’université de Paris-IV – Sorbonne), avait écrit un excellent article dans le Figaro. Son titre ? « Si vous êtes vraiment de gauche, votez Sarkozy! ». Cet article est vraiment excellent, clair et concis à  la fois. Je ne peux que vous conseiller de le lire !
    Je reviens dessus simplement parce que la distinction qu’il fait dès le début entre « morale de conviction » et « morale de responsabilité » est essentielle, et me parle beaucoup. On retrouve partout, en politique comme au travail, cette ligne de scission entre convictions et responsabilités.
    Max Weber et Raymond Aron ont in­sisté sur deux atti­tudes possibles : la morale de la conviction, qui ne s’intéresse pas aux effets de l’ac­tion mais seulement à  ses intentions, et la morale de la responsabilité, qui cherche à  anticiper les conséquences d’une action avant d’arbitrer, parfois dans la douleur, en sa faveur. Cette morale n’a rien à  voir avec le « réalisme » amoral. Mais elle tient qu’il est immoral de poser au moraliste intègre sans s’interroger sur le bilan prévisible de ses actes. On peut opposer, comme le philosophe « républicain » Philip Pettit, le fait de vouloir « honorer » une valeur et celui de chercher à  la « promouvoir ». Seule cette atti­tude-ci est responsable.
    Il décrit ensuite, à  l’aide d’exemple concrets, la différence entre ces deux attitudes. Vraiment, il faut lire cet article magistral !
    Pour finir, la conclusion de l’article :
    Aujourd’hui, vu l’état du pays, il faut avoir le courage de pro­poser certaines réformes dites « libérales », incitatives, et ­né­gociées avec ceux qui, comme la CFDT, acceptent de ne plus considérer la politique en démocratie comme une guerre, un conflit à  somme nulle, mais comme une délibération commune suivie de compromis.
    Quiconque veut promouvoir les valeurs sociales devra en passer à  l’heure qu’il est par des réformes dites « libérales », conditions sine qua non de la sauvegarde des retraites et de la Sécurité Sociale. La justice doit prendre en compte les générations futures. Les hommes et les femmes politiques de progrès sont ceux qui ont cessé de prendre les électeurs pour des idiots économiques – cessant de faire comme s’il suffisait de « faire payer les riches », de s’endetter et de moins travailler – et se donnent les moyens de promouvoir réellement la liberté, l’égalité et la solidarité.
    Quant aux émotifs qui méprisent les « calculs » et la « rentabi­lité », rappelons cette phrase de l’économiste marxiste Charles Bettelheim, citée naguère par Michel Rocard : « Quand on cesse de compter, c’est la peine des hommes que l’on cesse de compter ». Même si l’on peut en critiquer certains aspects, seul le programme économique de Nicolas Sar­kozy, comme l’était celui, très proche, de François Bayrou, semble en mesure de promouvoir à  long terme les valeurs du progrès social, de la protection et de la liberté. La démarche d’hommes de gauche comme Christian Blanc et Eric Besson n’est donc pas une trahison de leurs valeurs. Français, encore une effort pour promouvoir les valeurs de gauche !

  • Harmonies Economiques : Premier chapitre

    Voici le deuxième article de la série consacrée au livre d’Harmonie Economique de Frédéric Bastiat. Après l’introduction qui présentait l’idée maîtresse du livre (« les intérêts légitimes sont harmoniques »), voilà  donc les grandes idées du premier chapitre intitulé « Organisation naturelle, organisation artificielle ». C’est un appel à  la vigilance face aux systèmes proposés par les penseurs et politiciens pour mieux organiser la société, un éloge de la liberté. L’idée principale est la suivante : « La vie en société est l’état de nature de l’être humain. L’organisation naturelle d’une société, notamment le jeu des échanges de biens et de services, qui mène a des associations progressives des hommes entre eux (tant que la liberté des actes est garantie), ne doit pas être remise en cause ou contrainte de manière artificielle sans avoir bien réfléchi aux conséquences des changements proposés ». Voyons un peu plus en détail…

    Interactions multiples et échanges indirects

    Bastiat commence par décrire deux exemples que j’aime beaucoup, parce que j’ai souvent pensé à  ça : celui d’un ouvrier et d’un étudiant (peu importe leurs statuts, la réflexion peut se faire avec n’importe qui) qui vivent une journée. L’auteur décrit tout ce que le société – par le biais d’échanges indirects – leur apporte. Par exemple, l’étudiant lit un livre, lequel a été imprimé par d’autres, puis transporté. Ses études sont payées par ses parents, avec de l’argent qui est lui même le fruit d’un échange avec, par exemple, l’industrie chinoise. Et ainsi de suite…J’adore cette mise en abîme : l’avez-vous déjà  faite ? Par exemple, je tape ce texte sur un clavier. Cela implique d’avoir un ordinateur, fabriqué en Chine sur une chaîne de montage, d’avoir de l’électricité produite dans une centrale nucléaire, d’avoir acquis les énormes connaissances techniques et scientifiques que cela implique, d’avoir accès à  Internet pour lire en ligne le livre de Bastiat, que quelqu’un ait pris la peine de le mettre en ligne, etc, etc. Le nombre de personnes indirectement impliqué dans mon acte d’écriture est énorme ! C’est toute l’humanité, passée et présente, toute la société qui est indirectement impliqué dans cette action rendue possible !
    Une chose encore digne de remarque, c’est que dans ce nombre, vraiment incalculable, de transactions qui ont abouti à  faire vivre pendant un jour un étudiant, il n’y en a peut-être pas la millionième partie qui se soit faite directement. Les choses dont il a joui aujourd’hui, et qui sont innombrables, sont l’oeuvre d’hommes dont un grand nombre ont disparu depuis longtemps de la surface de la terre. Et pourtant ils ont été rémunérés comme ils l’entendaient, bien que celui qui profite aujourd’hui du produit de leur travail n’ait rien fait pour eux. Il ne les a pas connus, il ne les connaîtra jamais. Celui qui lit cette page, au moment même où il la lit, a la puissance, quoiqu’il n’en ait peut-être pas conscience, de mettre en mouvement des hommes de tous les pays, de toutes les races, et je dirai presque de tous les temps, des blancs, des noirs, des rouges, des jaunes; il fait concourir à  ses satisfactions actuelles des générations éteintes, des générations qui ne sont pas nées; et cette puissance extraordinaire, il la doit à  ce que son père a rendu autrefois des services à  d’autres hommes qui, en apparence, n’ont rien de commun avec ceux dont le travail est mis en oeuvre aujourd’hui. Cependant il s’est opéré une telle balance, dans le temps et dans l’espace, que chacun a été rétribué et a reçu ce qu’il avait calculé devoir recevoir.
    En vérité, tout cela a-t-il pu se faire, des phénomènes aussi extraordinaires ont-ils pu s’accomplir sans qu’il y eût, dans la société, une naturelle et savante organisation qui agit pour ainsi dire à  notre insu ?
    On parle beaucoup de nos jours d’inventer une nouvelle organisation. Est-il bien certain qu’aucun penseur, quelque génie qu’on lui suppose, quelque autorité qu’on lui donne, puisse imaginer et faire prévaloir une organisation supérieure à  celle dont je viens d’esquisser quelques résultats ?

    Méthodes pour promouvoir une nouvelle organisation artificielle

    Bastiat décrit ensuite les mécanismes et les méthodes utilisés par ceux qui veulent promouvoir une nouvelle organisation artificielle :

    1. Ils commencent par décrire les maux de la société en oubliant de rappeler ses aspects positifsAussi les publicistes auxquels je fais allusion, après avoir proclamé avec enthousiasme et peut-être exagéré la perfectibilité humaine, tombent dans l’étrange contradiction de dire que la société se détériore de plus en plus. À les entendre, les hommes sont mille fois plus malheureux qu’ils ne l’étaient dans les temps anciens, sous le régime féodal et sous le joug de l’esclavage; le monde est devenu un enfer. S’il était possible d’évoquer le Paris du dixième siècle, j’ose croire qu’une telle thèse serait insoutenable.
    2. Ils condamnent l’intérêt personnelEnsuite ils sont conduits à  condamner le principe même d’action des hommes, je veux dire l’intérêt personnel, puisqu’il a amené un tel état de choses. Remarquons que l’homme est organisé de telle façon, qu’il recherche la satisfaction et évite la peine; c’est de là , j’en conviens, que naissent tous les maux sociaux, la guerre, l’esclavage, le monopole, le privilège; mais c’est de là  aussi que viennent tous les biens, puisque la satisfaction des besoins et la répugnance pour la douleur sont les mobiles de l’homme. La question est donc de savoir si ce mobile qui, par son universalité, d’individuel devient social, n’est pas en lui-même un principe de progrès.
    3. Ils proposent de s’en débarrasser (pour cela, deux méthodes : la force ou l’assentiment universel, tous deux impossibles)Pour déterminer tous les hommes à  la fois à  rejeter comme un vêtement incommode l’ordre social actuel, dans lequel l’humanité a vécu et s’est développée depuis son origine jusqu’à  nos jours, à  adopter une organisation d’invention humaine et à  devenir les pièces dociles d’un autre mécanisme, il n’y a, ce me semble, que deux moyens: la Force, ou l’Assentiment universel.
      Il faut, ou bien que l’organisateur dispose d’une force capable de vaincre toutes les résistances, de manière à  ce que l’humanité ne soit entre ses mains qu’une cire molle qui se laisse pétrir et façonner à  sa fantaisie; ou obtenir, par la persuasion, un assentiment si complet, si exclusif, si aveugle même, qu’il rende inutile l’emploi de la force.
      Je défie qu’on me cite un troisième moyen de faire triompher, de faire entrer dans la pratique humaine un phalanstère ou toute autre organisation sociale artificielle.
      Or, s’il n’y a que ces deux moyens et si l’on démontre que l’un est aussi impraticable que l’autre, on prouve par cela même que les organisateurs perdent leur temps et leur peine.

    Critique fondamentale du Contrat Social de Rousseau

    Bastiat se livre ensuite à  une critique des fondements philosophiques de Rousseau et son Contrat social, que je ne reprends pas ici, mais qui est très forte (les prémisses de Rousseau sont que la société est un état contre-nature, ce à  quoi Bastiat s’oppose) et aboutit à  cette conclusion :

    Que le lecteur veuille bien excuser cette longue digression, j’ai cru qu’elle n’était pas inutile. Depuis quelque temps, on nous représente Rousseau et ses disciples de la Convention comme les apôtres de la fraternité humaine. — Des hommes pour matériaux, un prince pour mécanicien, un père des nations pour inventeur, un philosophe par-dessus tout cela, l’imposture pour moyen, l’esclavage pour résultat; est-ce donc là  la fraternité qu’on nous promet?
    Il m’a semblé aussi que cette étude du Contrat social était propre à  faire voir ce qui caractérise les organisations sociales artificielles. Partir de cette idée que la société est un état contre nature; chercher les combinaisons auxquelles on pourrait soumettre l’humanité; perdre de vue qu’elle a son mobile en elle-même; considérer les hommes comme de vils matériaux; aspirer à  leur donner le mouvement et la volonté, le sentiment et la vie; se placer ainsi à  une hauteur incommensurable au-dessus du genre humain: voilà  les traits communs à  tous les inventeurs d’organisations sociales. Les inventions diffèrent, les inventeurs se ressemblent.

    Association progressive et volontaire

    Parmi les arrangements nouveaux auxquels les faibles humains sont conviés, il en est un qui se présente en termes qui le rendent digne d’attention. Sa formule est: Association progressive et volontaire.
    Mais l’économie politique est précisément fondée sur cette donnée, que société n’est autre chose qu’association (ainsi que ces trois mots le disent), association fort imparfaite d’abord, parce que l’homme est imparfait, mais se perfectionnant avec lui, c’est-à -dire progressive. Veut-on parler d’une association plus étroite entre le travail, le capital et le talent, d’où doivent résulter pour les membres de la famille humaine plus de bien et un bien-être mieux réparti ? À la condition que ces associations soient volontaires; que la force et la contrainte n’interviennent pas; que les associés n’aient pas la prétention de faire supporter les frais de leur établissement par ceux qui refusent d’y entrer, en quoi répugnent-elles à  l’économie politique ? Est-ce que l’économie politique, comme science, n’est pas tenue d’examiner les formes diverses par lesquelles il plaît aux hommes d’unir leurs forces et de se partager les occupations, en vue d’un bien-être plus grand et mieux réparti? Est-ce que le commerce ne nous donne pas fréquemment l’exemple de deux, trois, quatre personnes formant entre elles des associations ? Est-ce que le métayage n’est pas une sorte d’association informe, si l’on veut, du capital et du travail ? Est-ce que nous n’avons pas vu, dans ces derniers temps, se produire les compagnies par actions, qui donnent au plus petit capital le pouvoir de prendre part aux plus grandes entreprises ? Est-ce qu’il n’y a pas à  la surface du pays quelques fabriques où l’on essaye d’associer tous les co-travailleurs aux résultats? Est-ce que l’économie politique condamne ces essais et les efforts que font les hommes pour tirer un meilleur parti de leurs forces ? Est-ce qu’elle a affirmé quelque part que l’humanité a dit son dernier mot ? C’est tout le contraire, et je crois qu’il n’est aucune science qui démontre plus clairement que la société est dans l’enfance.
    Mais, quelques espérances que l’on conçoive pour l’avenir, quelques idées que l’on se fasse des formes que l’humanité pourra trouver pour le perfectionnement de ses relations et la diffusion du bien-être, des connaissances et de la moralité, il faut pourtant bien reconnaître que la société est une organisation qui a pour élément un agent intelligent, moral, doué de libre arbitre et perfectible. Si vous en ôtez la liberté, ce n’est plus qu’un triste et grossier mécanisme.

    La suite pour bientôt !

    Désolé pour tous ces extraits un peu long, mais je trouve le style de Bastiat vraiment admirable, et je ne résiste pas au plaisir de partager avec vous ces morceaux de son texte. Je ne peux que vous conseiller d’aller lire cet excellent ouvrage !
    J’essayerais de synthétiser régulièrement des chapitres de cet excellent livre, disponible en ligne et intégralement sur Bastiat.org. Le prochain s’intitule « Besoins, efforts, satisfactions ». Tout un programme !

  • Harmonies économiques : Introduction

    Voici le premier d’un série d’articles sur l’ouvrage « Harmonies économiques » de Bastiat. Comme je trouve ce texte admirable, je ferais un billet de résumé/extraits sur chacun des chapitres, au fur et à  mesure de mes lectures, et du temps disponible sur mes soirées et mes week-end ! J’utiliserai abondamment les longs extraits de texte, parce que c’est la beauté du texte, son aspect pédagogique et clair qui m’a donné envie de faire ces billets (…et aussi parce que ça va plus vite :smile: ).

    Les intérêts sont harmoniques

    Je commence donc avec l’introduction du livre, intitulée « A la jeunesse Française ».
    Il part sur cette idée très forte, qui résume l’ensemble de l’ouvrage (il se fixe comme ojectif de le démontrer) : « Tous les intérêts légitimes sont harmoniques ». Il discute dans cette introduction de la « solution » au problème social.

    Or, cette solution, vous le comprendrez aisément, doit être toute différente selon que les intérêts sont naturellement harmoniques ou antagoniques.
    Dans le premier cas, il faut la demander à  la Liberté; dans le second, à  la Contrainte. Dans l’un, il suffit de ne pas contrarier; dans l’autre, il faut nécessairement contrarier.
    Mais la Liberté n’a qu’une forme. Quand on est bien convaincu que chacune des molécules qui composent un liquide porte en elle-même la force d’où résulte le niveau général, on en conclut qu’il n’y a pas de moyen plus simple et plus sûr pour obtenir ce niveau que de ne pas s’en mêler. Tous ceux donc qui adopteront ce point de départ: Les intérêts sont harmoniques, seront aussi d’accord sur la solution pratique du problème social: s’abstenir de contrarier et de déplacer les intérêts.
    La Contrainte peut se manifester, au contraire, par des formes et selon des vues en nombre infini. Les écoles qui partent de cette donnée: Les intérêts sont antagoniques, n’ont donc encore rien fait pour la solution du problème, si ce n’est qu’elles ont exclu la Liberté. Il leur reste encore à  chercher, parmi les formes infinies de la Contrainte, quelle est la bonne, si tant est qu’une le soit. Et puis, pour dernière difficulté, il leur restera à  faire accepter universellement par des hommes, par des agents libres, cette forme préférée de la Contrainte.

    La suite sur la page suivante !

  • Un grand auteur français méconnu : Frederic Bastiat

    J’ai découvert il y a peu l’auteur Frédéric Bastiat. C’était un économiste et un pamphlétaire, esprit libre. Sur l’excellent site Bastiat.org, on trouve ses principaux textes (deux ouvrages sont disponibles en intégralité : « Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas«  et « Harmonies économiques« ) et pas mal de liens vers d’autres ressources.
    C’est un auteur lumineux, qui écrit un beau français, simple, direct. Ses textes sont animés par un grand sens pédagogique et sont d’une modernité étonnante. On s’étonne qu’il ne soit pas au programme du collège et du lycée : combien de temps forceront nous les enfants à  bouffer du Flaubert à  tour de bras, et à  rester des incultes économiques ? Mais il vrai qu’un penseur libéral (horreur!) n’a rien à  faire au programme d’une démocratie libérale, basé sur l’économie de marché ! Il est inutile de comprendre les rouages du jeu économique, dans le monde actuel.
    Pour finir, une petite citation du chapitre sur la concurrence, dans « Harmonies Economiques » :

    Et après tout, qu’est-ce que la Concurrence? Est-ce une chose existant et agissant par elle-même comme le choléra? Non, Concurrence, ce n’est qu’absence d’oppression. En ce qui m’intéresse, je veux choisir pour moi-même et ne veux pas qu’un autre choisisse pour moi, malgré moi; voilà  tout. Et si quelqu’un prétend substituer son jugement au mien dans les affaires qui me regardent, je demanderai de substituer le mien au sien dans les transactions qui le concernent. Où est la garantie que les choses en iront mieux? Il est évident que la Concurrence, c’est la liberté. Détruire la liberté d’agir, c’est détruire la possibilité et par suite la faculté de choisir, de juger, de comparer; c’est tuer l’intelligence, c’est tuer la pensée, c’est tuer l’homme. De quelque coté qu’ils partent, voilà  où aboutissent toujours les réformateurs modernes; pour améliorer la société, ils commencent par anéantir l’individu, sous prétexte que tous les maux en viennent, comme si tous les biens n’en venaient pas aussi.

    A lire absolument donc : c’est un régal de limpidité !